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Rétention des droits :
un petit pas pour la recherche,
un pas de géant pour l'accès universel à la connaissance

Glyn Moody
 


Empreinte du premier pas humain sur la Lune.
Image by NASA/Buzz Aldrin.

   Il y a quelques semaines, nous nous demandions si les éditeurs universitaires essaieraient de faire supprimer l'extraordinaire Index général des publications scientifiques [1] créé par Carl Malamud. Il existe un précédent de ce genre de poursuites judiciaires contre un service du plus grand intérêt pour la société. Depuis 2015 [2], les éditeurs essaient de faire taire Sci-Hub, qui propose près de 90 millions de publications universitaires. Le motif de leur plainte : Sci-Hub [3] viole leurs droits d'auteur [4].

   C'est étrange, car d'après la loi, les droits d'auteur de la vaste majorité de ces 90 millions de publications sont détenus par les chercheur·euse·s qui les ont rédigées.

   Et la majorité de ces chercheur·euse·s approuve Sci-Hub, comme l'a clairement montré une étude menée en 2016 par le magazine Science :

Il est probable que l'échantillon retenu pour le sondage soit biaisé par une sur-représentation des fans du site : près de 60 % des personnes interrogées disent avoir déjà utilisé Sci-Hub, et un quart le font quotidiennement ou chaque semaine. De sorte qu'on ne s'étonnera guère si 88 % d'entre elles déclarent ne rien voir de mal dans le téléchargement de publications piratées. Mais notez bien, éditeurs universitaires, que ce ne sont pas seulement des jeunes et de grands utilisateurs de Sci-Hub qui voient les choses ainsi. Un examen plus attentif des données du sondage indiquait que les personnes interrogées de toutes les catégories soutiennent la fronde, même celles qui n'ont jamais utilisé Sci-Hub ou celles âgées de plus de 50 ans – respectivement 84 % et 79 % – n'avaient aucun scrupule à le faire.

   Alors, si la plupart des chercheur·euse·s n'ont aucun problème avec Sci-Hub, et l'utilisent eux-mêmes, pourquoi le site est-il poursuivi par les éditeurs ? La réponse à cette question révèle un problème clé crucial, celui des tentatives en cours pour rendre les savoirs universitaires librement accessibles, par le biais de l'open access [5].

   Théoriquement, les chercheur·euse·s peuvent diffuser leurs publications sous une licence Creative Commons [6], ce qui permet de les lire et de les reproduire librement, et de se baser facilement sur ce travail. En réalité, les auteurs sont souvent « incités » à céder leurs droits aux éditeurs de la revue où apparaît la publication, ce qui conditionne l'accès aux connaissances derrière à des paiements onéreux. Ce n'est pas indispensable, c'est seulement ce qui est devenu habituel. Mais les conséquences en sont importantes. D'abord, les auteurs originaux deviennent réticents à partager leurs articles, parce qu'ils sont « sous copyright », comme le mentionne un précédent article (en anglais) de ce blog [7]. Ensuite, si les droits sont transférés des auteurs vers les éditeurs, alors ces derniers peuvent poursuivre en justice les sites comme Sci-Hub, sans tenir compte de l'avis des chercheur·euse·s.

   La bonne nouvelle, c'est qu'il existe maintenant des efforts coordonnés pour éviter ces problèmes grâce à « la rétention des droits ». Tout en garantissant aux éditeurs le droit de diffuser un article dans leur publication, les auteurs et autrices conservent aussi certains droits pour permettre le libre partage de leurs articles, et leur utilisation par des sites comme Sci-Hub. Un des chefs de file de cette initiative est cOAlition S [8], un groupe d'organisations de financement de la recherche, avec le soutien de la Commission européenne et du Conseil Européen de la Recherche [9]. Les principes essentiels du « Plan S » [10] de la Coalition précisent :

À compter de 2021, toutes les publications universitaires dont les résultats de recherche sont financés via des fonds publics ou privés au travers d'institutions nationales, continentales, régionales ou internationales, doivent être publiées dans des revues ou sur des plates-formes en libre accès, ou bien encore être immédiatement disponibles sur un répertoire en libre accès, et ce sans aucune restriction.

   L'un des points-clés de ce Plan S est le suivant :

Les auteurs et autrices ou leurs institutions gardent les droits sur leurs publications. Toute publication doit être placée sous licence ouverte, de préférence la licence Creative Commons Attribution (CC BY).


Illustration par Nina Paley.
https://blog.ninapaley.com/

   Ça semble fonctionner. Un récent article de Ross Mounce [11] mettait en évidence le fait suivant :

En tant que personne indépendante de la cOAlition S, j'ai pu observer avec grand intérêt la mise en application de la stratégie de rétention des droits.

En utilisant Google Scholar et Paperpile, j'ai relevé plus de 500 papiers publiés sur des centaines de supports différents qui utilisaient la référence à la stratégie de rétention des droits dans les remerciements.

Les auteurs s'en servent pour conserver leurs droits sur les prépublications, les articles de revues, les supports de conférences, les chapitres de livres et même des posters sur les affiches, c'est tout à fait logique. La stratégie est rédigée en termes simples et elle est facile à ajouter à des résultats de recherche. Il est aisé de mentionner ses sources de financement des recherches et d'ajouter ce paragraphe : « Afin de maintenir un accès libre, l'auteur·ice a appliqué la licence de libre diffusion CC BY à toute version finale évaluée par les pairs découlant de la présente soumission », et donc les autrices et auteurs le font.

   Comme souligné ci-dessus, il suffit donc aux chercheur·euse·s d'ajouter la brève mention qui suit à leurs articles pour conserver leurs droits fondamentaux :

« Afin de maintenir un accès libre, l'auteur·ice a appliqué la licence de libre diffusion CC BY à toute version finale évaluée par les pairs découlant de cette la présente soumission. »

   C'est un si petit pas pour un·e chercheur·euse, mais un tel pas de géant pour faciliter l'accès universel à la connaissance, que toutes et tous devraient le faire naturellement.

Glyn Moody
écrivain scientifique britannique,
journaliste et blogueur

Ce billet de Glyn Moody est sous licence CC BY 4.0.
https://framablog.org/2021/12/12/la-recherche-et-ses-publications-le-long-chemin-vers-un-libre-acces/

Article original : Rights retention : one small step for academics, one giant leap for global access to knowledge.
https://walledculture.org/rights-retention-one-small-step-for-academics-one-giant-leap-for-global-access-to-knowledge/

Traduction Framalang : Barbidule, Burbumpa, Claire, Draenog, Fabrice, goofy, jums, Sysy, xi.

NOTES

[1] https://walledculture.org/will-publishers-try-to-shut-down-the-free-general-index-of-107-million-scientific-journal-articles/

[2] https://torrentfreak.com/elsevier-cracks-down-on-pirated-scientific-articles-150609/

[3] https://sci-hub.se/

[4] L'article original de Glyn Moody utilise le terme de Copyright que nous avons choisi de traduire par « droit d'auteur » bien que les deux notions soient différentes. Quelques différences :

  • Le Copyright protège l'œuvre de l'auteur alors que le droit d'auteur protège l'auteur lui-même
  • Le droit d'auteur s'acquiert du seul fait de la production de l'œuvre littéraire ou artistique. Le Copyright quant à lui exige un dépôt au sein d'un bureau compétent.
  • Le Copyright est appliqué dans les pays de « common law » (Canada, États-Unis, Australie, Royaume-Uni...).
  • Sa valeur juridique dans les pays de la Communauté Européenne peut être considérée nulle, le symbole © a donc un rôle plus informatif que légal.

Davantage de précisions à cette adresse :
https://www.compilatio.net/blog/droit-auteur-copyright-creative-commons.

[5] https://scienceouverte.couperin.org/quest-ce-que-lopen-access/

[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_Creative_Commons?wprov=wppw2

[7] https://walledculture.org/researchgate-academic-publishers-forbid-scientists-from-sharing-their-own-papers-because-copyright/

[8] https://www.coalition-s.org/addendum-to-the-coalition-s-guidance-on-the-implementation-of-plan-s/principles-and-implementation/

[9] https://erc.europa.eu/

[10] https://www.coalition-s.org/plan-s-principes-et-mise-en-œuvre/

[11] https://www.coalition-s.org/blog/observing-the-success-so-far-of-the-rights-retention-strategy/

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