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CAPES informatique : au milieu du gué

Judicaël Courant
 

La création d'un Capes informatique, annoncée le 7 janvier par M. le Ministre de l'Éducation Nationale, est une étape nécessaire et bienvenue dans le lent cheminement de l'enseignement de l'informatique dans le système éducatif. Elle est importante car, au plan institutionnel, elle signifie que l'informatique devient une discipline en tant que telle. Mais elle n'est qu'une étape : la création rapide d'une agrégation est plus que jamais d'actualité.

Culture générale pour les élèves ainsi que pour les enseignants : le contenu du Capes et de l'agrégation doit couvrir les grands domaines de l'informatique.

De l'informatique déjà

   Il y a déjà de l'informatique au lycée, avec ISN en Terminale S depuis 2012. Il y en a aussi dans les classes préparatoires scientifiques, notamment le tronc commun informatique créé en 2013.

   Et aussi dans des disciplines, dans la mesure où l'informatique modifie leur « essence » (objet, méthodes). C'est le cas des mathématiques (algorithmique, calcul numérique) pour lesquelles la démonstration d'un théorème par ordinateur (celui des 4 couleurs) a posé en son temps un problème de nature épistémologique.

   C'est également le cas pour les sciences industrielles, les sciences de gestion qui ont intégré l'informatique depuis les années 80, 90. En effet, les métiers, les profils, les qualifications ont été profondément transformés par l'informatique. La machine à commande numérique s'est substituée à l'étau et à la lime, le logiciel 3D à la planche à dessin, le traitement de texte à la machine à écrire et la base de données au fichier carton. L'informatique est donc au cœur des enseignements techniques et professionnels.

   Mais ces enseignements dans les disciplines portent sur des parties de l'informatique et non pas sur l'ensemble de l'informatique. Même en classes préparatoires, où l'informatique est censée être une discipline autonome, le tronc commun informatique n'aborde que très peu les objets d'études propres à l'informatique, l'exemple le plus flagrant étant sans doute l'absence totale du mot « arbre » dans le programme officiel.

   Les créations à la rentrée 2019 de l'enseignement de spécialité « Numérique et sciences informatiques » (NSI), en Première (et en Terminale en 2020), et de « Sciences numériques et technologie » (SNT), dans le tronc commun de Seconde,transforment le paysage éducatif, constituant un changement qualitatif.

L'informatique, une science

   On ne peut qu'être étonné que l'informatique ait éprouvé tant de difficultés à être reconnue en tant que science dans l'Éducation Nationale alors que la science informatique est née avec l'article de Turing de 1936 et que les premiers ordinateurs universels datent grosso-modo de 1945. La première société savante en informatique, l'Association for Computing Machinery a été créée en 1947 et les premiers enseignements universitaires en France remontent aux années 60, il y a plus d'un demi-siècle.

   Précisons qu'il ne faut pas confondre l'« informatique en tant que science » et ce qu'on appelle parfois « informatique scientifique ». Ce dernier terme désigne en effet traditionnellement le calcul numérique, relié à la physique (typiquement ce qu'on fait pour simuler l'écoulement de l'air autour d'une aile d'avion ou l'explosion d'une bombe atomique). Le calcul numérique, c'est beaucoup de physique, de mathématiques appliquées (gestion des erreurs de calcul) et un tout petit peu d'informatique (calcul avec des nombres en virgule flottante). C'est donc un domaine marginal en informatique.

   L'informatique est une science et une technique. Il faut l'enseigner à tous les élèves car elle une composante de la culture générale scientifique au 21ème siècle. L'informatique sous-tend les réalisations de la société numérique (au début du 20ème siècle, les sciences physiques sont devenues matière scolaire car elles sous-tendaient les réalisations de la société industrielle). Il faut l'enseigner car la mission du système éducatif est de donner à chaque enfant, futur travailleur et citoyen, la culture générale de son époque.

Quoi enseigner ?

   Regardons du côté des sciences physiques. On y enseigne les concepts de force, d'énergie, de vitesse, de puissance... des concepts pérennes, un investissement indispensable. Mais pas l'apprentissage de la conduite de tel véhicule (les concepts précédents constituant cependant une aide quand on sait que l'énergie est proportionnelle au carré de la vitesse) ni même celui de sa réparation.

   L'approche pour l'informatique est analogue. Les usages de l'outil informatique sont présents dans la pédagogie du professeur, par exemple pour motiver ses élèves. Mais le but de l'enseignement de l'informatique n'est pas l'utilisation de tel objet (tablette, smartphone...) ou logiciel, remplacés rapidement par d'autres, mais les concepts qui les sous-tendent. Comprendre « l'intelligence de l'outil » pour s'en servir intelligemment.

   Certains croient, à tort, que l'informatique en tant que science se résume au « code », qu'ils dénigrent sous le terme « code à tout prix » (en laissant croire qu'il ne s'agirait que d'une mode que des lobbies industriels voudraient imposer aux élèves). Apprendre à coder est indispensable pour comprendre ce qu'est l'informatique mais ce n'est qu'un début, de même qu'apprendre à lire et écrire au CP n'est qu'un début pour comprendre ce qu'est la littérature.

   De plus certains pédagogues donnent l'impression d'ignorer que programmer peut être un excellent outil pédagogique pour rendre les élèves actifs et concentrés, ce qui facilite leur compréhension. Quiconque a déjà attendu deux heures un informaticien qui venait de dire « j'arrive, je voudrais terminer de résoudre ce petit problème » sait très bien que programmer peut être captivant.

   Ainsi, il est fréquent qu'un lycéen considère que l'enseignant qui le pousse à rédiger ses raisonnements de façon plus précise et rigoureuse est tatillon voire de mauvaise foi. Pourtant, lorsque le même lycéen doit écrire un programme de résolution d'équation du second degré, il arrive bien souvent qu'il s'acharne jusqu'à le faire fonctionner, ce qui lui demande de mieux cerner les notions d'inconnue, de coefficient et de paramètre.

   L'informatique est constituée de quatre grands domaines :

  • l'algorithmique ;
  • les langages et la programmation ;
  • la théorie de l'information ;
  • les systèmes (machines et réseaux).

Le contenu d'un concours de recrutement d'enseignants d'informatique

   Il doit couvrir les quatre domaines précités car le professeur du secondaire est un professeur de culture générale et non pas un spécialiste pointu d'une partie de l'informatique.

   Non seulement ces concepts sont utiles pour faire de l'informatique mais ils sont également utiles pour comprendre des problèmes non directement liés à l'informatique, par exemple des problèmes d'organisation. Deux exemples parmi d'autres :

  • Le premier, c'est celui d'un lycée, où certaines salles étaient réservées pour deux enseignants à la fois il y a quelques années. La faute n'était pas celle du logiciel de réservation des salles mais à l'organisation de la direction du lycée. Quand on connaît les notions de transaction et de verrou, essentielles au fonctionnement des systèmes d'exploitation et des bases de données, on comprend tout de suite où est le problème. Mais la direction de l'établissement n'avait pas les compétences en science informatique pour voir le problème, qu'elle a finalement résolu de façon non complètement satisfaisante.

  • Le second, c'est celui de ParcourSup. Quand on a une petite idée des problèmes que posent les algorithmes distribués (temps de communication, gestion des erreurs), on comprend assez vite que ParcourSup ne va pas bien fonctionner, qu'il va fonctionner lentement, et que la faute n'en revient pas à la façon dont le logiciel est programmé : c'est la conception même de l'outil qui est en cause.

   Des notions essentielles en informatique, qu'on retrouve partout, ne sont pas aujourd'hui abordées en lycée. Connues depuis plusieurs dizaines d'années, elle sont encore valables pour l'avenir. On peut citer : la calculabilité (notion de langage Turing-complet) ; la théorie de l'information (compression de données) ; la logique et la sémantique des langages de programmation (compilation, preuve de programmes) ; l'algorithmique (complexité) et l'algorithmique répartie (verrous, transactions, communications, erreurs). Elles sont essentielles et, bien entendu, les enseignants d'informatique doivent les maîtriser pour en esquisser les contours à leurs élèves.

La nécessaire création d'une agrégation d'informatique

   Le ministère repousse à une date indéterminée la création d'une agrégation d'informatique. C'est regrettable pour plusieurs raisons :

  • Le nombre de postes à pourvoir est élevé : de l'ordre de 1 500. Mais le Capes ne parvient plus à recruter : alors que traditionnellement, on considère que l'écrit du concours est là pour filtrer la moitié des candidats et l'oral pour filtrer la moitié restante, ce qui demande d'avoir quatre fois plus de candidats que de postes, le nombre de candidats est aujourd'hui globalement inférieur au double du nombre de postes. Dans certaines disciplines comme les mathématiques de nombreux postes ne sont pas pourvus et ce depuis des années.

  • Une des raisons de ce manque d'attractivité est la faiblesse des salaires pour des bac+5 (de 1 434,18 € à 1 483,25 € nets par mois en septembre 2018 pour un certifié débutant avant sa titularisation), faiblesse telle qu'un certain nombre d'enseignants stagiaires sont contraints de dormir dans leur voiture faute de logement à un prix accessible. On peut penser que des informaticiens sont prêts à renoncer aux salaires mirobolants des GAFAM en échange d'un métier qui a du sens. Mais est-il bien raisonnable de leur demander une telle abnégation ? Le niveau de rémunération des agrégés, plus attractif que celui des certifiés (environ 20 % de plus au bout de 4 ans d'ancienneté, pour un temps de service inférieur de 17 %), permettrait de reconnaître leur engagement, dans un contexte où le ministère se refuse malheureusement à toute augmentation des salaires des enseignants.

  • Un Capes ne permet pas d'enseigner en classes préparatoires, où les besoins en enseignants sont importants comme vient de le rappeler l'Union des Professeurs de classes préparatoires Scientifiques dans un communiqué du 14 janvier.

  • Un Capes ne donne aucune perspective aux enseignants certifiés déjà en poste qui se sont formés, le plus souvent bénévolement, pour s'impliquer dans les enseignements d'ISN. Pire : s'ils ne veulent pas, à terme, être débarqués de l'enseignement de l'informatique, ils n'auront d'autre choix que de faire l'effort de passer ce concours, ce qui est un travail non rémunéré, suite auquel ils ne gagneront rien de plus. Avec une agrégation d'informatique, ils auraient au moins la promesse d'une meilleure rémunération. Quant aux enseignants agrégés déjà en poste qui voudraient continuer à enseigner l'informatique, devront-ils accepter de quitter le statut d'agrégés pour celui de certifié ?

   Il est donc urgent que soit créée une agrégation d'informatique dans l'Éducation nationale.

Judicaël Courant
Docteur en informatique, enseignant en CPGE

(Ancien membre du jury de l'agrégation de mathématiques et membre du groupe d'élaboration des projets de programme « Enseignement scientifique », J. Courant s'exprime ici à titre personnel)

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Février 2019

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