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Les données des élèves livrées aux GAFAM
 

   Le courrier du 12 mai 2017 de Mathieu Jeandron, Directeur de la DNE (Direction du numérique pour l'éducation, Ministère de l'Éducation nationale) n'est pas passé inaperçu [1]. Il s'adressait aux délégués académiques au numérique (DAN) et aux directeurs des services informatiques à propos des données personnelles et scolaires des élèves mises à disposition des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

   Le courrier indique qu'« il n'y a pas de réserve générale sur l'usage des outils liés aux environnements professionnels chez les grands fournisseurs de service du web », que « dans la mesure où la démarche CNIL est réalisée, il devient possible d'utiliser des données à caractère personnel. Il n'est alors pas nécessaire d'utiliser des pseudonymes pour les utilisateurs : leur login peut tout à fait comporter leur nom et leur prénom afin de faciliter les usages pédagogiques (comme dans l'utilisation des ENT)  ». Et, « par ailleurs, je vous confirme qu'il n'y a pas de blocage juridique de principe à la connexion d'un annuaire avec l'un de ces services professionnels » [2]. Le message est clair. Il autorise, incite même à l'utilisation par les établissements scolaires des outils et services des grandes multinationales du numérique.

   Ce courrier a suscité une grande et légitime émotion de la part des parents d'élèves, de syndicats d'enseignants, d'associations [3]. L'EPI a publié un communiqué [4]. Pour notre association, « on ne doit pas donner les clés de la maison Éducation nationale aux GAFAM » et nous demandons la non-reconduction de la convention signée en novembre 2015 entre Microsoft France et l'Éducation nationale [5]. Il est en effet inacceptable que les grandes multinationales du numérique puissent puiser à leur guise dans les données personnelles des élèves et des enseignants. Ces données disent beaucoup sur les élèves, souvent mineurs. Elles sont particulièrement sensibles et les suivront longtemps,

   Le ministère dit que les GAFAM ont ajusté leurs CGU (Conditions générales d'utilisation) dédiées à l'éducation pour se conformer au droit français et au droit de l'éducation. C'est bien la moindre des choses. Mais, de par le flou concernant l'utilisation des données des élèves et des enseignants par ces groupes, l'ouverture aux GAFAM contredit la nécessaire transparence. Que font exactement les algorithmes utilisés dont on ne connaît pas le code source ? Nous avons suffisamment d'expérience désormais avec les GAFAM pour savoir qu'ils ne vont pas bouleverser le fonctionnement de leur Cloud simplement parce que les CGU ont été modifiées en France pour le secteur éducatif.

   Dans un communiqué, la CNIL, « si elle estime intéressante l'initiative prise par le ministère de l'Éducation nationale d'inciter les fournisseurs de ces services-éditeurs de logiciels éducatifs comme fournisseurs du web à s'engager, par une Charte de confiance, dans une offre de services numériques respectueux des droits des personnes, elle considère toutefois que, compte tenu de la sensibilité des données en jeu, cette charte devrait se traduire par un encadrement juridique contraignant tant en ce qui concerne la non utilisation des données scolaires à des fins commerciales, l'hébergement de ces données en France ou en Europe ou encore l'obligation de prendre des mesures de sécurité conformes aux normes en vigueur. » [6].

   Et l'on peut s'inquiéter qu'une telle décision aussi lourde de conséquences pour les personnes et la souveraineté des données puisse être prise par simple mél.

   L'argumentation du MEN consiste à dire : les GAFAM sont là, les élèves utilisent leurs outils, c'est un fait établi nous n'y pouvons rien. Accompagnons le mouvement, encadrons-le. Mais si les GAFAM sont là, c'est aussi (surtout) parce que le Ministère leur ouvre grand les portes de l'Éducation nationale (3). Les GAFAM proposent des outils et services (partage vidéo par exemple) que les ENT (Environnements numériques de travail), chantier lancé il y a une quinzaine d'années, ne proposent pas. À la question de savoir pourquoi, le MEN répond que ce serait trop cher. Si la 6ème puissance mondiale n'est pas en mesure de mettre en place un cloud éducatif numérisé qui lui soit propre et si c'est exact, il y a pour le moins problème, un sérieux problème. Il est possible de mettre en œuvre une politique pour « dégoogliser Internet » comme le fait à son échelle Framasoft [7].

   Ces choses sont gravissimes. Les grandes créations-innovations informatiques naissent hors de France et nous sommes les satellites des USA, réduits au rôle de consommateurs-exploités. L'absence d'une volonté politique est manifeste. Certains parlent beaucoup de l'Europe mais il ne leur vient pas à l'esprit qu'une entité de 500 millions d'habitants pourrait avoir une politique autonome en la matière. C'est pourtant ce qu'a fait la Chine avec son milliard 350 millions d'habitants. La soumission aux GAFAM n'est pas une fatalité.

   Cela suppose d'avoir dans son univers mental l'informatique et le numérique, leurs enjeux. Ce qui n'est manifestement pas le cas pour beaucoup de décideurs et de responsables. Cela suppose que tous les citoyens, spécialistes ou non, aient une culture générale scientifique comportant une composante informatique. Une telle culture s'acquiert à l'École. Rappelons cette évidence parfois ignorée, voire oubliée : la mission fondamentale de l'enseignement scolaire, sa raison d'être, est de donner à tous les élèves la culture générale de leur époque. Or il y a ce refus du MEN, depuis des décennies, d'intégrer l'informatique dans la culture scientifique et donc dans la culture générale, avec une discipline scolaire en tant que telle pour tous les élèves et des professeurs spécialisés titulaires d'un Capes ou d'une agrégation d'informatique. Résultat, concernant la science en général et l'informatique en particulier, le compte n'y est pas malgré des avancées suite aux actions menées.

   Dans son exposé au CNAM « Éléments pour une histoire de l'enseignement de l'informatique dans l'enseignement général (école, collège, lycée) Un développement chaotique et inachevé », le 15 juin 2017, Jacques Baudé, Président d'honneur de l'EPI, dira notamment le temps perdu, le retard pris, le cheminement chaotique de l'enseignement de l'informatique en France [8]. Dans son rapport paru en mai 2013, « L'enseignement de l'informatique en France », l'Académie des sciences indiquait « Il est urgent de ne plus attendre » [9].

   L'EPI va demander une entrevue au Ministre de l'Éducation nationale pour l'alerter sur cette question essentielle pour l'avenir du pays de la formation en informatique des élèves et des enseignants.

Jean-Pierre Archambault
Président le l'EPI

NOTES

[1] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/05/16052017Article 636305160274839331.aspx

[2] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/jeandronmail.pdf

[3] http:/www.epi.asso.fr/revue/articles/a1706g.htm

[4] http://www.enseignerlinformatique.org/2017/05/25/communique-de-lassociation-enseignement-public-et-informatique-epi/

[5] http://www.education.gouv.fr/cid96030/numerique-a-l-ecole-partenariat-entre-le-ministere-de-l-education-nationale-et-microsoft.html&xtmc=partenariatmicrosofteacuteducationnationale &xtnp=1&xtcr=1

[6] https://www.cnil.fr/fr/la-cnil-appelle-un-encadrement-des-services-numeriques-dans-leducation

[7] https://degooglisons-internet.org/

[8] Éléments pour une histoire de l'enseignement de l'informatique dans l'enseignement général (école, collège, lycée) Un développement chaotique et inachevé.
http://www.epi.asso.fr/blocnote/cnam.pdf

[9] http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_0513.pdf

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Association EPI
Juin 2017

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