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D'un partenariat avec Microsoft
à la formation des professeurs
de la discipline informatique
par l'Éducation nationale
 

   Dans l'éditorial du mois d'octobre nous évoquions le partenariat Microsoft-Éducation nationale signé il y a un an, accord aux termes duquel les établissements d'enseignement scolaire, leurs élèves et leurs enseignants ont accès, pour 18 mois, aux logiciels de l'éditeur et à son informatique en nuage.

   Dans un article paru récemment [1], Laurent Bloch rappelle que « cet accord a suscité, à juste titre, de nombreuses protestations ». À la question « et que se passe-t-il à l'issue des 18 mois ? », il répond « Si l'on a commencé à travailler avec certains logiciels, il sera difficile de changer. », ajoutant que l'objectif essentiel est « d'accoutumer la population scolaire aux logiciels de l'éditeur, qu'ils voudront continuer à utiliser pendant leur vie active. C'est un investissement hautement profitable ».

   Parmi les protestataires, l'APRIL. Dans un communiqué intitulé « Un partenariat indigne des valeurs affichées par l'Éducation nationale » [2], l'association regrettait cet accord « tendant à renforcer la position dominante de Microsoft au détriment des logiciels libres et des formats et standards ouverts, qui pourtant respectent les principes élémentaires de neutralité et d'interopérabilité ». Accord « d'autant plus navrant qu'il faisait suite aux révélations sur l'espionnage facilité par Microsoft et sa politique de collecte d'informations personnelles de l'utilisateur ». Sans oublier que Microsoft se dérobe à l'impôt en domiciliant ses filiales européennes en Irlande. Sans oublier, plus généralement, la dépendance des ministères, comme celui de la Défense, aux produits de la multinationale.

   L'accord comporte un volet formation : accompagnement des chefs d'établissement et des cadres académiques des établissements utilisant les technologies Microsoft, des enseignants dans l'utilisation des équipements mobiles avec les dites technologies ; fourniture d'une plate-forme de formation ; expérimentation pour l'apprentissage du code à l'école et ateliers de formation afin de préparer les enseignants à l'« animation » des cours d'initiation au code [3]. Une question vient immédiatement à l'esprit. N'y aurait-il pas dans l'Éducation nationale des enseignants en mesure d'assurer de telles formations ? Quid des ESPE qui ont en charge la formation initiale et continue de tous les enseignants, notamment pour les usages du numérique, et des professeurs qui enseignent l'informatique ? Quid du Capes et de l'agrégation d'informatique qu'on ne voit toujours pas venir ? Comment espérer assumer tous les enjeux et défis d'une société où l'informatique est omniprésente sans enseignants spécialisés comme il en existe dans les autres disciplines ? Car, répétons-le, l'informatique, composante de la culture générale de tous les élèves, doit être une discipline en tant que telle. La SIF (Société Informatique de France) vient de proposer le programme que des professeurs d'informatique, maîtrisant les différents domaines de l'informatique, doivent enseigner. À lire [4].

   Discipline en tant que telle ne veut pas dire que l'informatique soit absente des autres disciplines qui évoluent pour des raisons diverses. C'est par exemple vrai pour les enseignements techniques et professionnels où le traitement de texte s'est substitué à la machine à écrire, la base de données au fichier-carton, le logiciel de DAO à la planche à dessin, la machine à commandes numériques à l'étau-limeur. Les mathématiques ont commencé à changer en fonction des besoins de l'informatique avec l'arrivée de l'algorithmique au collège et au lycée. Ce n'est pas nouveau. Dans les années soixante, les programmes de mathématiques du lycée, au service traditionnellement des sciences physiques, ont intégré les probabilités pour les sciences économiques et sociales, discipline nouvellement créée. Au fil des années, la géométrie, qui pourtant n'a pas son pareil, par les situations qu'elle offre, pour l'apprentissage de la démonstration, a vu son importance diminuer. Les mathématiques sont au service des autres disciplines, pour autant ces autres disciplines existent en tant que telles avec leurs enseignants spécialisés. Il doit en aller de même pour l'informatique.

   L'arrivée de l'informatique pose la question des contenus des autres disciplines mais aussi celle de leurs places relatives. L'enseignement des sciences dans les écoles du Moyen Âge était organisé selon le quatrivium de Boèce : arithmétique, musique, géométrie et astronomie. Les choses ont bien changé depuis cette époque. Heureusement ! Les sciences physiques dont devenues matière scolaire au début du siècle dernier car elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle. La place du latin n'est plus ce qu'elle était jusque dans les années cinquante. Nous avons vu que la discipline sciences économiques et sociales a été créée dans les années soixante. La société change. Le panorama scolaire avec ses disciplines ne peut donc que changer. Aujourd'hui l'informatique sous-tend les réalisations de la société numérique. Science majeure du XXIe siècle (30 % de la R&D de par le monde), elle doit être une discipline scolaire à part entière avec, comme les autres disciplines, ses propres enseignants.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] http://www.laurentbloch.org/MySpip3/L-accord-de-partenariat-Education-Nationale-Microsoft
http://www.epi.fr/revue/articles/a1611e.htm

[2] https://www.april.org/microsoft-educ-nat-partenariat-indigne/

[3] http://cache.media.education.gouv.fr/file/Partenaires/17/7/convention_signee_506177.pdf
http://www.education.gouv.fr/cid96030/numerique-a-l-ecole-partenariat-entre-le-ministere-de-l-education-nationale-et-microsoft.html

[4] http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2016/10/1024-no9-Enseigner-linformatique-de-la-maternelle-à-luniversite-a-paraitre.pdf

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Novembre 2016

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