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Se former aux TICE - Discours et représentations

Jacques Béziat
 

Résumé
Dans cette étude, nous nous intéressons aux représentations sur les TICE d'étudiants de licence en sciences de l'éducation, en formation à distance. Le corpus d'analyse est constitué des échanges sur le forum de discussion du cours « Technologies et médias pour l'éducation et la formation » proposé dans la licence à distance de l'université de Paris 8, sur six années universitaires. L'analyse des cooccurrences que nous présentons fait état de différents types de représentations selon que les étudiants participent beaucoup ou peu aux discussions sur le forum. Les étudiants qui participent le plus développent des représentations complexes, nuancées, problématisées sur l'intégration des TICE, les étudiants qui participent très peu proposent des représentations stéréotypiques sur les TICE, plus éloignées des réalités scolaires.

Mots-clés : TICE, outil, formation, représentations, complexité.

 
Introduction

   En formation aux métiers de l'enseignement, il peut paraître évident de ne pas avoir à penser l'usage professionnel d'instruments numériques qui n'auraient à prendre leur place dans la classe que par rapport aux disciplines d'enseignement, à leur service... Dans les discours communément partagés, circule un certain nombre de représentations sur les TICE qui relèvent davantage du lieu commun que de la représentation professionnelle ancrée dans les réalités scolaires. Pour la plupart des étudiants en formation aux métiers de l'enseignement, ces représentations de sens commun font souvent office de cadre interprétatif pour une intégration des TICE dans leurs futures pratiques professionnelles.

   Cette communication explore les représentations d'étudiants en licence à distance de sciences de l'éducation (IED-Paris 8) [1] suivant le cours « Technologies et médias pour l'éducation et la formation ». Pour ce faire, nous nous appuyons sur une analyse lexicographique des échanges des étudiants sur le forum de discussion du cours, et ce, sur 6 années universitaires, de 2005 à 2011.

   Dans cette communication, nous cherchons à discuter des modes de construction et de partage des représentations sur les TICE par des étudiants qui ont à se projeter dans les métiers socio-éducatifs et leurs environnements instrumentaux.

Discours et représentations en formation

   L'évolution des modèles et scénarios éducatifs liés à l'intégration des TIC dans le monde scolaire restent une énigme pour l'éducation (Barbot et Combès, 2006). L'approche apparemment la plus commune pour discuter des TICE relève d'une argumentation positive ou négative de sens commun, non problématisée, et ce, aussi chez certains acteurs éducatifs. A plus forte raison, les étudiants qui se destinent aux métiers de l'éducation et qui ont à débattre des TIC en classe ont recours à leurs propres représentations issues de leur expérience privée et du discours social ambiant.

   Pourtant, se représenter sa future pratique d'enseignant avec les TICE ne peut pas seulement relever de simples injonctions sociales ou de vérités toutes faites, à l'emporte-pièce. L'exercice du métier est complexe en soi, les objets numériques aussi sont complexes. Barbot et Combès soulignent que les trois mouvements de rationalisation de l'action éducative, d'idéologie sur les technologies et d'instrumentation des pratiques sont interdépendants. Autrement dit, sur le terrain scolaire, la mise en oeuvre pédagogique et les choix techniques sont directement liés aux représentations que l'on se fait des technologies numériques pour l'école mais aussi hors l'école.

   Ainsi, la représentation est au service de l'action, elle « est donc le fruit d'un travail, d'une action concrète ou abstraite » (Teiger, 1993). En retour, l'action fait évoluer les représentations sur l'objet. Dans cette double relation, se construisent un certain nombre de représentations complexes, problématiques, plus proches des réalités et des contraintes liées à l'intégration des TICE en classe que ne le sont les discours de sens commun.

   Vergnaud (2004) repère cet écart entre les intentions de communication – le discours social, commun – et les intentions de formalisation, d'anticipation, de compréhension – discours théorique, expert, problématisé : « En fait, le discours théorique relève moins de la fonction de communication, que de la fonction de représentation des objets et de leurs relations. La théorie est la forme prédicative de la connaissance par excellence (...) »

   Les enjeux d'une formation aux TICE relèveraient donc d'un processus de prise de conscience de la complexité des objectifs et des contextes d'intégration, et de la diversité des contraintes et des possibles. Former aux TICE reviendrait, pour une bonne part, à travailler sur les représentations de départ, et à les faire évoluer en intégrant les exigences du milieu scolaire et de ses finalités.

Discours et représentations sur les TICE

   Nous venons de le voir, le discours est une forme d'action structurant la réalité et les représentations que l'on s'en fait. Plusieurs auteurs ont ainsi discuté des différentes représentations sur les TICE (Felder, 1989 ; Berney et Pochon, 2000 ; Rinaudo, 2002 ; Chenu et al., 2003, Peliks, 2011). Les représentations peuvent être négatives ou positives, elles préforment notre capacité d'interprétation des enjeux et des réalités liées à l'intégration des TIC à l'école. Ces représentations peuvent porter sur : les mutations inévitables auxquelles il faut s'adapter, les risques d'illectronisme, les compétences supérieures des jeunes, la mise en concurrence du secteur publique et du secteur privé, le retard national, la forte dimension pédagogique des TICE, les nouvelles façons de communiquer, la révolution dans l'enseignement, l'évidence de l'internet scolaire et de ses nombreuses ressources, la pression économique sur l'école, l'espoir d'un changement socioculturel, les enjeux éthiques... D'une manière générale, que ces mythes soient favorables ou pas aux TICE, on observe une priorité donnée à la croyance sur la réalité des pratiques et des contextes d'accueil des TIC en classe.

   Les étudiants se formant aux métiers de l'enseignement ont des représentations – ou une absence de représentation – déterminante sur leur manière d'appréhender les instruments numériques pour la classe. Ainsi, dans les années 1990, les étudiants d'IUFM n'avaient que peu d'attentes de l'informatique (Baron et Bruillard, 1996). Celle-ci n'était considérée davantage comme un « outil pédagogique », non indispensable dans les matières enseignées. Plus récemment, Aoudé (2007), fait un constat proche en remarquant que les étudiants d'IUFM imaginent les TICE à leur service en terme de préparation de la classe, mais assez peu intégrées dans leurs pratiques de classe avec les élèves. Pour ces étudiants, les compétences TICE jugées nécessaires chez un professeur des écoles ne servent qu'au travail de l'enseignant.

   Cette vision réductrice des TICE conduit à n'en considérer que quelques aspects, à la marge de la pratique de classe. Dans cette ligne, les TIC seraient de simples outils pour le maître, elles ne changent pas réellement la pratique de classe ni la manière d'apprendre. Il ne serait pas réellement nécessaire d'en enseigner la maîtrise d'usage, technique, éthique. Archambault (2011) pointe ce mythe sur l'inutilité d'une discipline informatique dans l'enseignement général. Ces différentes postures, minimalistes ou franchement hostiles, relèvent d'un même refus de poser les questions liées aux enjeux et aux conséquences d'une intégration des TIC dans les pratiques de classe.

   Nous avions déjà relevé (Béziat, 2003) que ce mythe du « simple outil » laisse entendre que les TIC, « cela marche tout seul en classe, avec ou sans, cela ne change rien ». Cette posture obère toute capacité d'appropriation réelle des TIC dans sa pratique de classe. En réalité, utiliser les TIC en classe revient à intégrer un objet complexe dans des pratiques complexes. L'enjeu est donc d'ouvrir la réflexion, d'admettre la complexité du processus et son caractère incertain.

   Linard (1996) a déjà relevé cette ignorance de la différence qui sépare l'outil perçu comme un « simple instrument technique » et l'outil comme un « dispositif complexe qui organise les modes de relations particuliers entre une technique donnée et ses utilisateurs ». Les compétences de l'enseignant se construisent par la compréhension des enjeux liés à l'intégration d'objets techniques dans les pratiques pédagogiques. La perception individuelle (commune, naïve ou experte) détermine la façon dont l'enseignant intégrera ou pas les TIC dans ses pratiques professionnelles. Les systèmes de représentations fonctionnent comme des cadres d'accueil pouvant faciliter ou empêcher l'appropriation professionnelle des TIC.

Le cours à distance

   Le cours à distance qui nous sert d'appui pour cette étude est encadré en ligne par les deux enseignants auteurs du cours. Nous sommes nous-mêmes un des deux enseignants du cours. Le cours Technologies et médias pour l'éducation et la formation est composé de dix séquences au format PDF. Chaque séquence est constituée d'un cours écrit d'une dizaine de pages, de ressources et de liens sur internet, d'activités et des questions d'entraînement en fin de chaque chapitre. Le forum sert à animer les échanges entre et avec les étudiants, sur le cours et ses activités. Il est le seul mode de contact avec les enseignants. Une des fonctions du forum du cours est d'être centré sur le cours et sa compréhension. Le cours est un « enseignement appliqué » et aborde les thèmes : d'éducation aux médias, d'usage des TIC en classe, de formation à distance. Le cours est placé au premier semestre de l'année universitaire.

   En tout, 2 622 messages ont été postés sur le forum du cours, sur six années universitaires. Sur ces six années d'échanges, nous ne nous intéressons qu'aux fils de discussion sur le cours. Huit catégories ont été identifiées : 1/ échanges conviviaux ; 2/ échanges de ressources ; 3/ inscription pédagogique au cours ; 4/ régulation technique de prise en main du cours et de ses ressources ; 5/ questions générales sur le cursus suivi, sur l'usage d'une licence en sciences de l'éducation... ; 6/ annonces de manifestations, d'évènements, de sortie d'ouvrage... ; 7/ questions sur la validation du cours, gestion de l'évaluation du cours ; 8/ échanges sur le cours, sa compréhension, réponse aux exercices d'auto-évaluation. La méthodologie de travail pour le cours proposée aux étudiants les a incités à ne pas mélanger les thèmes de discussions. Dans cette étude, nous allons donc nous intéresser aux fils de discussion du forum qui se sont centrés sur le cours, ses activités, ses ressources [2]. Ce corpus d'analyse est ainsi constitué de 970 messages, soit 37 % des messages sur l'ensemble des échanges sur le forum de discussion du cours, sur les six années universitaires.

   Les six promotions ont comporté entre 50 et 120 étudiants, de 2005 à 2011. Les étudiants suivant ce cours ne sont pas spécialistes des TICE, ils viennent se préparer aux métiers de l'enseignement ou de l'intervention sociale. Les représentations qu'ils se font majoritairement sur l'intégration des TICE en classe relève de représentations sociales communes, de sens commun, non problématisées, simplistes.

   Une première analyse thématique [3] sur le corpus de messages a déjà permis de relever trois aspects caractéristiques dans les échanges écrits des étudiants sur les TICE :

  • Les échanges de sens commun, banals, encouragent la production de banalités sur les TICE.

  • Les étudiants s'appropriant les activités proposées par le cours et participant plus sur le forum ont tendance à problématiser davantage sur l'usage des TICE en classe.

  • Le processus réflexif semble s'amorcer quand l'étudiant accepte la complexité des enjeux et des contextes liés à l'intégration des TIC dans l'enseignement.

   L'analyse de cooccurrences que nous proposons dans la présente étude appuie ces observations – nous le verrons plus bas –, elle a aussi pour objectif de se focaliser sur certains traits saillants dans la construction du discours des étudiants, quand ils échangent sur les TICE, selon qu'ils participent beaucoup ou peu aux activités du cours et aux échanges sur le forum de discussion. Notre objectif principal ici est de regarder l'environnement thématique du terme TICE dans les discours et les représentations des étudiants de l'échantillon retenu.

Cadre de recherche

   Nous travaillons sur les représentations initiales sur les TICE d'étudiants qui se destinent majoritairement aux métiers de l'éducation. Certains d'entre eux en sont issus, d'autres découvrent le monde scolaire à travers la formation suivie. Pour ce faire, nous nous appuyons sur un des cours de la licence à distance en sciences de l'éducation de l'université de Paris 8. Ce cours porte sur les TICE.

   Chaque cours de cette licence est doté d'un forum de discussion. Pour le cours qui nous intéresse ici, sur les TICE, le forum est le mode essentiel de communication avec les deux enseignants du cours et avec les autres étudiants. Il porte donc trace de toute l'activité du cours : organisationnelle, pédagogique, technique, sociale, et sur les contenus de formation proprement dit (lecture du cours, activités, ressources...). Pour travailler sur les discours et représentations des étudiants, nous ne prenons en compte ici que les échanges portant sur les contenus de formation, sur le cours.

   Le choix d'une analyse des cooccurrences pour cette étude porte sur l'idée que, dans leurs discours, l'association des mots entre eux caractérise en partie les représentations que se font les étudiants des TICE. L'hypothèse de travail principale porte ici sur le niveau d'implication des étudiants dans les échanges sur le forum, sur leur assiduité aux débats sur les TICE : plus un étudiant s'implique dans les échanges, plus il a tendance à produire des représentations sur les TICE complexes, contextuées, réalistes, utiles pour l'action éducative. Un étudiant qui s'implique peu ou pas reste davantage sur une approche naïve – consensuelle ou caricaturale – de la question, et produit davantage de généralités, inopérantes sur le terrain scolaire.

   Cette approche peu paraître simpliste, mais elle est bien présente dans les discours sociaux promoteurs et dans la communication d'entreprise auprès du public qui proposent le plus souvent une vision enchantée de l'usage des TICE en classe. D'une manière générale, nous sommes dans le champ de questionnement sur le sens d'une formation aux TICE, et de manière plus spécifique, celui de la fonction de la communication, des échanges et des débats par voie numérique en formation.

Éléments méthodologiques

   Nous avons réalisé notre analyse lexicographique et de cooccurrences sous Modalisa [4]. Nous avons organisé nos données en suivant ce mode opératoire :

  • Nous ne nous sommes intéressés qu'aux messages des fils de discussion traitant du cours, de ses activités et de ses ressources (sur le cours : débats, réponses aux exercices, questions, commentaires...).

  • Nous avons retenu les termes les plus fréquemment utilisés (analyse lexicographique) – présentés dans le tableau 2.

  • Nous avons pratiqué une analyse de cooccurrences entre ces termes à forte occurrence et nous avons retenu les cooccurrences de plus de 10 % (sur le nombre d'occurrences des termes retenus) – figures 1 et 2.

Le corpus

   Sur les 970 messages constituant les fils de discussion sur le cours et ses activités, 835 sont porteurs des termes les plus fréquemment utilisés. Sur les 444 étudiants qui ont fréquentés le cours pendant six ans, 173 ont posté des messages porteurs des termes les plus fréquemment utilisés dans les fils de discussion portant sur le cours et ses activités. Pour cette étude, notre corpus est donc constitué de 835 messages postés sur 6 ans par 173 étudiants.

   Pour notre analyse, nous avons répartis ces 173 étudiants en 4 groupes. La description de ces groupes est donnée dans le tableau 1.

Tableau 1 : Description des 4 groupes d'étudiants

 

nombre d'étudiants

nombre de messages postés

nombre moyen de messages postés

plus de 10 messages postés

G1

21

344

16,5

de 6 à 10 messages postés

G2

30

222

7,5

de 2 à 5 messages postés

G3

69

216

3

1 message posté

G4

53

53

1

   Le traitement lexicographique a fait apparaître les termes les plus utilisés pour chacun des 4 groupes. Certains de ces termes – utilisés pour l'analyse de cooccurrences [5] – sont présentés dans le tableau 1. Chaque terme est générique des différentes variations orthographiques d'un même mot (pluriel, faute d'orthographe, conjugaison...). Dans ce tableau, les termes sont classés par effectifs décroissant (sur le nombre total d'occurrences par terme).

Tableau 2 : Nombre d'occurrences par terme, dans chacun des 4 groupes,
pour les termes les plus utilisés.

 

Groupe 1

Groupe 2

Groupe 3

Groupe 4

Total occ.

TICE

103

85

90

30

308

EDUCATIF

104

87

75

24

290

ECOLE

86

84

67

9

246

ENFANT

104

72

60

8

244

OUTIL

68

61

67

20

216

APPRENDRE

78

66

47

13

204

PEDAGOGIE

73

62

51

11

197

ELEVES

57

49

39

16

161

COMMUNICATION

45

46

45

19

155

DISTANCE

39

23

33

9

104

Nbre messages

344

222

216

53

 

L'analyse des cooccurrences

   Dans cette étude, pour observer le type de représentations sur les TICE des étudiants participants au forum de discussion du cours, nous retenons deux termes : TICE et OUTIL. Le terme TICE est évident : c'est le thème central du cours pour lequel nous analysons les échanges d'étudiant, c'est aussi la plus forte occurrence (en dehors des mots fonctionnels pour l'écrit). Nous regardons quel est l'environnement thématique de ce terme dans les discours des étudiants. Nous retenons aussi le terme OUTIL car il se comporte de manière différente que les autres termes à forte occurrence :

  • Le mot le plus co-occurrent à OUTIL est TICE (dans les quatre groupes d'étudiants, de 40 % à 80 % des cooccurrences). Autrement dit, l'usage du terme OUTIL, dans les échanges entre étudiants, est fortement lié au terme TICE. C'est le seul terme à forte occurrence dans ce cas.

  • Le terme OUTIL est plus faiblement co-occurrent avec le terme TICE pour le groupe 1 (étudiants participant fortement aux échanges), c'est aussi le terme le plus fortement co-occurrent avec le terme TICE dans le groupe 4 (étudiants n'échangeant que très peu) - du groupe 1 au groupe 4, en pourcentage sur le nombre de cooccurrences : 33 %, 45 %, 44 %, 53 %). Là encore, c'est le seul terme à forte occurrence dans ce cas.

   Les fréquences (en pourcentage sur le nombre d'occurrences de OUTIL et de TICE) sont données dans les graphiques 1 et 2. Chaque radar présente les cooccurrences des plus importantes aux plus faibles. Nous faisons ce choix de présentation – par ordre d'importance - pour mettre en valeur, de manière graphique, l'environnement thématique des deux termes retenus pour l'analyse des cooccurrences. Cela nous permet aussi de montrer visuellement l'éventail thématique utilisé dans l'environnement des deux termes retenus, dans chaque groupe, des plus participants aux moins participants au forum de discussion.

Figure 1 : Cooccurrences dans les messages avec le mot OUTIL,
en pourcentage sur le nombre d'occurrences de ce mot (229).

   Pour un premier relevé sur les cooccurrences avec le terme OUTIL, nous pouvons noter une structuration comparable du discours sur les 3 premiers groupes : Le terme OUTIL est le plus souvent associé à des termes qui font référence aux questions scolaires : PEDAGOGIE, EDUCATIF, ECOLE, ENFANT, APPRENDRE. Dans le groupe 3, les termes plus éloignés du terrain scolaire mais souvent utilisé dans les discours sociaux sur les TICE sont plus souvent associés à TICE. Les étudiants qui ne postent qu'une fois, ne travaillent pas sur leur représentation sur les TICE, ils énoncent une banalité, un lieu commun : « les TICE servent à communiquer », « on peut être en contact en étant loin l'un de l'autre, c'est bien »... Ce que l'on peut aussi dire : dans les 4 groupes, OUTIL est souvent associé à TICE (dans l'ordre : 50 %, 60 %, 60 %, 80 %). A la fois, on retrouve cette idée assez générale que les « TIC sont un outil » (un simple outil ?), et, de manière tendancielle, avec une forme de saturation du discours par cette idée pour les étudiants qui s'impliquent le moins dans les débats et les échanges. Cette association OUTIL/TICE est probablement le marqueur d'une représentation banale, de sens commun sur les TICE. Dans le groupe 1, où l'on discute le plus, ce lieu commun semble être minoré. Les étudiants qui échangent le plus, problématisent davantage.

   Dans l'analyse des cooccurrences avec le terme TICE, plus forte occurrence dans les quatre groupes, nous retrouvons cette tendance dans l'organisation du discours, selon que l'on participe fortement ou pas aux échanges sur le forum de discussion.

Figure 2 : Cooccurrences dans les messages avec le mot TICE,
en pourcentage sur le nombre d'occurrences de ce mot (343).

   Sur les cooccurrences avec le terme TICE, dans le groupe 4, le terme OUTIL reste fortement associé à TICE, le terme COMMUNICATION est plus souvent associé que dans les 3 autres groupes, le terme DISTANCE est plus souvent associé que ENFANT, APPRENDRE, PEDAGOGIE. Les étudiants qui postent peu (une seule fois dans le groupe 4), énoncent des généralités, ne problématisent pas, prennent moins souvent en compte les réalités du terrain scolaire. Dans ce groupe, que l'enfant soit plus souvent un élève qu'un enfant à l'école participe de cette tendance. L'approche est distanciée.

   Sur l'association TICE-OUTIL, elle faiblit en remontant vers le groupe 1. Les premiers groupes restent proches sur la plus faible association avec TICE, des 3 termes DISTANCE, COMMUNICATION et ELEVES. Les étudiants qui échangent le plus sur le forum, contextualisent davantage leur discours sur les TICE. Dans le groupe 1, les termes ECOLE, EDUCATIF, ENFANT, APPRENDRE, PEDAGOGIE sont plus souvent associés (un peu moins ou plus de 40 %) au terme TICE. Dans ce groupe, les échanges portent davantage sur les effets de contextes, les apprentissages, les pratiques pédagogiques... autrement dit, sur les réalités scolaires avec les TICE.

   D'une manière générale et tendancielle, nous relevons des effets de stéréotypie plus importants chez les étudiants qui échangent moins souvent sur le cours. Leur discours est plus distancié des réalités du terrain et se fait l'écho des discours sociaux de sens commun. Les étudiants qui échangent davantage relativisent les représentations de sens commun en contextualisant leur discours. Ils problématisent davantage les TICE, en termes d'usage, de contextes, d'objectifs, de publics...

De quelques absences...

   Nous avons présenté les termes fortement occurrents, en dehors des mots fonctionnels de la langue. Certaines absences sont peut-être à interroger. On aurait pu s'attendre à voir apparaître des échanges sur les notions de culture scolaire, culture informatique, discipline informatique, science informatique... Ces notions sont à la croisée des questions liées à l'évolution des finalités éducatives dans un monde de plus en plus informatisé et des questions institutionnelles, sur la place à accorder à la formation aux TIC des élèves.

   Nous avons donc relevé les occurrences pour les termes génériques SCOLAIRE, CULTURE, SCIENCE, DISCIPLINE – dans l'ordre : 133, 83, 64 et 47 occurrences – dans les messages des étudiants. Nous avons ensuite fait une recherche de cooccurrences entre chacun de ces termes et le terme INFORMATIQUE. Les résultats sont donnés dans le tableau ci-dessous.

Tableau 3 : Cooccurrences avec le terme INFORMATIQUE dans les messages des étudiants,
en pourcentage sur le nombre de messages postés par groupe.

 

INFORMATIQUE

G1

G2

G3

G4

CULTURE

0,90 %

5 %

2,30 %

2 %

DISCIPLINE

2,60 %

2,70 %

2,80 %

3,70 %

SCIENCE

3,20 %

3,60 %

0,50 %

2 %

SCOLAIRE

5,50 %

6,30 %

6 %

5,70 %

   Les cooccurrences sont ici faibles. Seule la paire INFORMATIQUE-SCOLAIRE émerge un peu dans les quatre groupes avec une présence d'au moins 5,50 % dans les messages. On ne peut pas parler d'effet de groupe pour ce jeu de cooccurrences. Ces associations de termes sont tout simplement peu utilisées dans les messages des étudiants, quelle que soit leur participation au forum de discussion. Les étudiants ne parlent pas des enjeux institutionnels ou axiologiques liés aux TICE. Ils se focalisent sur ce qu'ils perçoivent du métier enseignant et des TICE : les élèves, la vie de l'école, la pratique de classe, les appareils numériques et leurs usages...

Former/se former aux TICE

   Pour ce cours de licence à distance, le forum de discussion est le seul lien avec les deux enseignants du cours. Le forum est utilisé, à la fois, pour des communications d'ordre technique, général ou social, et à l'apprentissage du cours. Les échanges entre pairs et avec les deux enseignants ont une place importante, en tant que ressources de cours. Même si une majorité des étudiants est silencieuse, le forum est consulté (56 % des messages postés par 13,5 % des étudiants - Béziat, 2011 à paraître [3]), ce que montrent les logs de connexion de la plate-forme numérique de formation.

   Les étudiants qui entrent en formation aux métiers de l'enseignement n'ont qu'une représentation très partielle, très incomplète, voire tronquée, des difficultés, des leviers, des enjeux et des possibles pour une intégration des TIC en classe. Le discours social, souvent stérétotypique, fait office de cadre interprétatif pour une intégration des TICE, même pour de futurs enseignants. D'une manière générale, l'usage des lieux communs fait écran au travail d'appropriation professionnelle des TICE. Alors que se joue actuellement une évolution nécessaire dans la pratique enseignante : intégrer et anticiper dans la préparation et la conduite de classe les technologies numériques en termes de moyens, de scénarios, de compétences et d'objectifs.

   Construire une représentation des TICE au service de sa pratique professionnelle, suppose que l'on engage un processus de représentations proches des réalités scolaires. Dans le cas des étudiants de notre étude, certains sont enseignants ou acteurs socio-éducatifs, d'autres en formation initiale. Ces derniers ont à se projeter dans des contextes qu'ils ne connaissent pas, les autres ont à faire un travail d'interprétation des réalités qu'ils vivent. Dans tous les cas, le travail de problématisation qu'ils ont à effectuer renvoie à une certaine capacité à intégrer des éléments de la réalité dans leur discours. L'action, en acte ou en pensée, permet de conceptualiser le champ cible (Vergnaud, 2004) – pour nous, les TICE. Refuser de penser les TICE revient à se mettre en incapacité d'en avoir la maîtrise pédagogique. Les arguments de sens commun, largement partagés socialement, prennent alors la place du discours pédagogique, du discours expert.

Des représentations en chantier

   À la suite de cette étude, nous pouvons dire que certains étudiants ont des modes d'entrée dans les débats qui relèvent du lieu commun, de la banalité ou du préjugé. Ce type de représentations ne permet pas d'appréhender la complexité des enjeux liés à l'intégration des TICE dans les pratiques professionnelles.

   Le terme OUTIL peut servir à qualifier positivement ou négativement les TICE. Il supporte une grande variabilité d'association, en plus des cooccurrences présentées dans ce texte : outil précieux, outil de visioconférence, outil qui trône, outil informatique, le jeu n'est qu'un outil, outil d'expression, l'outil internet, outil supplémentaire, outil éducatif, outil de créativité, outil formateur, outil de recherche, outil média, outil de travail, outil d'aide à l'enseignement, outil utile... Les exemples pris ici sont issus d'énoncés plutôt favorables aux TICE.

   Pour des exemples de représentations plutôt défavorables :

  • « Le danger est de tomber au travers de cet outil dans une démagogie du savoir. »

  • « C'est vrai que, mal géré, cet outil risque d'induire en erreur la pratique pédagogique qui l'accompagne. »

   Pour ce deuxième extrait, les TICE ne sont pas pensées comme faisant partie intégrante de l'action éducative, mais à côté, en plus, et donc potentiellement parasitaire. Il semble difficile de penser l'action éducative en mouvement, de manière évolutive. De ce point de vue, une posture béate ou réfractaire vis-à-vis des TICE surdéterminera la façon dont l'étudiant va appréhender la question quand il sera devant une classe. Se joue ici un enjeu fondamental d'une formation aux TICE pour de futurs enseignants : aider à décrocher de ses représentations premières et naïves pour entrer dans un processus de questionnement. Autrement dit : aider l'étudiant à se représenter et à s'adapter à un métier en mouvement et fortement instrumenté.

   D'une manière générale, l'observation sous Modalisa des contextes d'apparition des termes OUTIL et TICE montre que, pour les étudiants du groupe 4 (très faiblement participants), leur usage est plus stéréotypique, et que, pour les étudiants du groupe 1 (plus fortement participants), leur usage est plus nuancé, plus riche aussi. Les figures 1 et 2 le montrent : les associations de termes sont plus diversifiées, plus réparties, pour les étudiants qui échangent sur le forum, beaucoup moins pour les étudiants qui n'échangent qu'une fois.

   Cette vision sensiblement dominante TICE-OUTIL fonctionne différemment, selon que l'étudiant développe un questionnement ou non, entre dans le débat ou non. Pour ces derniers, les rares messages postés servent à appuyer un point – positif ou négatif –, de manière péremptoire, naïve. Pour les étudiants participatifs aux échanges, le terme OUTIL sert un peu à tout, les quelques exemples donnés plus haut en sont le témoin. OUTIL est utilisé pour qualifier l'objet dans son travail de compréhension, d'élaboration, de conceptualisation, de problématisation. L'objet est complexe à appréhender, les mots pour le dire peuvent manquer.

   Pourtant, le cours est porteur (dans les supports de cours, mais aussi dans les interventions des enseignants) de notions sur les approches instrumentales, les taxonomies d'usage des TICE, d'analyses de pratiques et d'éléments sur les théories de l'innovation. Ces aspects sont peu repris par les étudiants dans leurs discours. Ceux-ci sont produits à partir de leur expérience privée et/ou professionnelle, des échanges qu'ils ont entre eux ou avec les enseignants, et de ce qui retient leur attention dans le cours. Ces représentations en cours d'élaboration dans les discours marquent, chez les étudiants les plus impliqués, un travail de questionnement, de conceptualisation, de formalisation sur les TICE.

Des discours communs à construire

   Les étudiants qui se préparent aux métiers de l'enseignement, arrivent en formation avec leurs représentations propres sur l'école, sur l'éducation des enfants, et, pour ce qui nous concerne ici, sur les technologies de l'information et de la communication. Les représentations observées dans cette étude, à travers les indicateurs choisis, laissent entrevoir cette élaboration du discours quand on s'implique dans les débats, plus complexe, plus apte à appréhender l'objet, donc plus utile en termes d'anticipation de l'action.

   Le cours à distance cité dans cette étude présente un certain nombre de faits, de pratiques, de notions, d'informations, de cadres théoriques, de réflexions sur les TICE. Les étudiants se les approprient – ou pas – à leur manière, à partir de leur point de vue, de leur expérience et de leurs idéaux. Sur la base d'un mode d'appropriation en autoformation, le cours ne fonctionne pas nécessairement comme un lieu d'analyse et d'interprétation critique des enjeux et des effets liés à l'intégration des TIC à l'école. Les échanges avec les enseignants et entre pairs sur le forum de discussion doivent remplir cette fonction. En s'écartant de l'échange, la lecture du cours peut se réduire à s'assurer de ce que l'on sait, de ce que l'on croit sur les TICE, par adhésion ou négation aux contenus proposés. En entrant dans l'échange, les étudiants mettent à l'épreuve leurs propres représentations pour, éventuellement, en appréhender de nouvelles.

   Les auteurs qui s'inscrivent dans le courant socioconstructiviste ont déjà largement débattu de cette fonction formative de l'échange dialectique et du partage d'expérience, permettant d'évoluer vers de nouvelles représentations, de nouvelles connaissances. Sous cet angle, la formation est un lieu d'élaboration intellectuelle et de compréhension des enjeux d'adaptation aux terrains d'exercice. Dans le cas des TICE – toujours de nouveaux instruments pour l'école –, il est nécessaire de proposer aux étudiants des approches en termes d'analyse de pratique, d'ingénierie éducative, de formalisation théorique du champ, pour les aider à décrocher de leurs représentations initiales et les inviter à ouvrir le champ des possibles.

Jacques Béziat
jacques.beziat@unilim.fr
Université de Limoges, E.A. 4246 DYNADIV

Paru dans Sciences et technologies de l'information et de la communication en milieu éducatif : Analyse de pratiques et enjeux didactiques. Actes du quatrième colloque international DIDAPRO 4 - Dida&Stic, 24-26 octobre 2011, Université de Patras, Georges-Louis Baron, Éric Bruillard, Vassilis Komis (éds), Athènes : New Technologies Editions, 2011, p. 109-123. http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00676176

Toutes les contributions à de ces actes ont été versées à l'archive ouverte Edutice, où ils font, avec les posters et autres présentations, l'objet de la collection Didapro 4 - Dida&Stic 2011. http://edutice.archives-ouvertes.fr/DIDAPRO4

Bibliographie

Aoudé, P. (2007). Formation initiale aux TIC des futurs professeurs d'école : entre représentation et évaluation, Revue électronique EpiNet, 100.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0712a.htm

Archambault, J.-P. (2011). Le mythe de l'inutilité d'une discipline informatique dans l'enseignement général, dans G. Peliks (dir.) : Mythes et légendes des TIC. Forum ATENA.
http://www.forumatena.org/

Barbier, J.-M. et Galatanu, O. (2004). Les savoirs d'action : une mise en mots des compétences ?, Paris : L'Harmattan.

Barbot, M.-J. et Combès, Y. (2006). Penser le changement de paradigme éducatif lié aux TIC, Education permanente, 4(169). p. 133-152.

Baron, G.-L. et Bruillard, É. (1996). L'informatique et ses usagers dans l'éducation, Paris : PUF.

Berney, J., Pochon, L.-O. (2000). L'internet à l'école : analyse du discours à travers la presse, Neuchâtel : IRDP.

Béziat, J. (2003). Le B2i : outil transparent pour un contenu transparent ? Actes en ligne des 1res journées DIDAPRO.
http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/14/45/91/HTML/

Chenu, F., Mattar, C., Mélotte, C. (2003). Comment ont évolué les représentations des publics demandeurs d'une formation professionnelle en informatique au cours des 15 dernières années ? Actes en ligne des 1res journées DIDAPRO.
http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/14/45/93/HTML/

Felder, D. (1989). L'informythique ou l'évolution des idées reçues sur l'ordinateur à l'école, Genève : Service de la recherche sociologique, cahier n° 22.

Galvani, P. (2009). L'exploration des moments d'autoformation, une ingénierie plurielle des modes de réflexivité, dans C. Guillaumin, S. Pesce et N. Denoyel (dirs) : Pratiques réflexives en formation. Ingéniosité et ingénieries émergentes (p. 37-55), Paris : L'Harmattan.

Linard, M. (1996). Des machines et des hommes. Apprendre avec les nouvelles technologies, Paris : L'Harmattan.

Rinaudo, J.-L. (2002). Des souris et des maîtres. Rapport à l'informatique des enseignants, Paris : L'Harmattan.

Teigier, C. (1993). Représentation du travail. Travail de la représentation, dans A. Weill-Fassina, P. Rabardel, D. Dubois (coords.) : Représentations pour l'action, Toulouse : Octares Éditions, p. 311-344.

Vergnaud, G. (2004). Au fond de l'action, la conceptualisation, dans J.-M. Barbier (dir) : Savoirs théoriques et savoirs d'action, Paris : PUF.

NOTES

[1] Institut d'enseignement à distance - http://www.iedparis8.net/ied/
Plateforme de formation : Claroline

[2] Certains fils de discussion n'ont servi qu'à la gestion des inscriptions pédagogiques des étudiants dans le cours, aux aspects techniques dans l'usage des ressources et des supports de cours, aux aspects liés à la validation du cours... Nous les avons écartés de notre étude.

[3] Béziat, J. (2011). À distance d'un objet proche – Stéréotype et réflexivité en se formant aux et par les TICE, Recherches et Éducations (à paraître).

[4] http://www.modalisa.com/

[5] Certains termes à forte occurrence n'ont pas été retenus pour cette étude : à caractère trop général, une trop grande multiplicité des sens d'usage, grande variation de formes..., c'est le cas, par exemple, pour les termes SCOLAIRE, PRATIQUE, INFORMATION, INFORMATIQUE et TECHNOLOGIE. Pour ces trois derniers, en plus, ils sont quasiment conjoints à TICE.

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Mai 2012

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