Un blog personnel ? Quelle drôle d'idée !

Est-ce pertinent de faire créer un blog personnel
à des élèves de primaire en difficulté dans la maîtrise de la langue ?

Stéphanie de Vanssay
 

   Enseignante spécialisée chargée d'aider des élèves en difficulté, j'ai eu l'idée d'utiliser comme support la création d'un blog personnel pour des élèves de cycle 3 ayant une mauvaise maîtrise de la langue.

   À travers cette expérience, je vais tenter d'exposer les richesses et les limites de la création d'un blog dans ce cadre.

Un blog, qu'est ce que c'est ?

   Le mot blog est la contraction de « web log » que l'on pourrait traduire par « journal de bord sur la toile ». Il s'agit d'un site web, que l'on crée facilement sans aucune connaissance technique à partir d'une interface d'édition. Les articles sont ordonnés antéchronologiquement (du plus récent au plus ancien) et chaque visiteur peut réagir à un article en laissant des commentaires et ainsi faire part de son avis au blogueur. Les premiers blogs sont apparus aux États-unis à la fin des années 90.

   Le nombre de blogs a explosé depuis leur apparition, même s'il est difficile de les quantifier de façon précise, d'autant plus que nombre d'entre eux sont laissés à l'abandon.

   En 2008, Technorati déclare indexer 133 millions de blogs dans le monde [1], et à elle seule, Skyblog, la plate-forme favorite des jeunes, revendique plus de 20 000 000 de blogs [2] aujourd'hui.

   La plateforme Skyblog constitue un phénomène générationnel de grande ampleur, elle domine aujourd'hui numériquement la blogosphère. Cédric Fluckiger [3] explique son succès dans la période où les élèves passent du primaire au secondaire en s'écartant des normes de l'institution scolaire par une affirmation de soi face à l'univers culturel parental en adhérant aux normes du quartier. Le skyblog est le plus souvent un blog qui permet de rester en contact avec la bande de copains du collège ou du lycée, l'adolescent s'y montre, affirme ses goûts, publie des photos le mettant en scène avec ses pairs. Bien que public, il est avant tout destiné à un groupe d'adolescents connus, il sert comme le mobile ou la messagerie instantanée à « garder le contact » mais de façon différée, il enregistre les moments forts de la vie de l'adolescent et permet par le biais des commentaires de mesurer sa « popularité », il participe à la sociabilité du jeune [4]. La plupart du temps, le skyblog comporte des textes courts rédigés en langage SMS.

   En ce qui concerne les jeunes Français âgés de 8 à 12 ans et les blogs on a quelques éléments issus de l'étude Ado Techno Sapiens de TNS Media Intelligence [5] :

  • 82 % des 8-12 ans se sont connectés à Internet lors du dernier mois ;
  • 16 % d'entre eux ont déjà créé un blog ou en gèrent un de façon régulière (28 % si on prend en compte les 8-19 ans) ;
  • 20 % consultent des blogs ;
  • 18 % postent des commentaires sur des blogs.

   On peut donc en déduire que les élèves de l'école primaire découvrent les blogs et commencent à en créer, même si cette pratique est plus fréquente dans les années collège et lycée.

Quels types de blog en milieu scolaire ?

   Le blog en milieu scolaire a deux formes principales :

- Le blog de l'enseignant 

   L'enseignant peut y proposer, sous forme de journal ou non, une réflexion sur son métier, des contenus d'enseignement, des ressources en ligne, des idées d'activités à réaliser en classe, une description de ce qu'il met en oeuvre avec ses élèves. Il peut aussi mettre en ligne, par le biais de son blog, des activités pour ses élèves (devinettes, recherches, banques d'exercices...), donner des informations comme les devoirs à faire ou des liens vers des ressources permettant de compléter un travail fait en classe...

- Le blog de la classe

   Il peut raconter la vie de la classe, être un moyen de mettre en valeur et de faire connaître le travail effectué en classe ou servir d'outil dans le cadre d'un projet pédagogique précis (échanges avec d'autres classes, création du journal d'un voyage scolaire, projets d'écriture, club lecture avec critiques de livres...)

   Ces deux types de blogs existent dans le primaire et dans le secondaire, il est difficile d'avoir une idée juste de leur nombre et de leur répartition.

   Sur la plate-forme du Webpédagogique [6], utilisée quasi-exclusivement par des enseignants, on compte en décembre 2008 :

  • 82 blogs classés dans la rubrique primaire
  • 11 blogs dans la rubrique maternelle
  • 347 dans la rubrique collège
  • 221 dans la rubrique lycée
  • et 1 083 blogs classés par discipline donc issus du secondaire (dont les 347 collège et les 221 lycée)

   Cela tend à montrer que la pratique du blog scolaire est largement plus répandue dans le secondaire que dans le primaire.

   À ma connaissance, la pratique de blogs individuels d'élèves dans le cadre scolaire est quasi-inexistante, je n'ai pas trouvé à ce jour d'autres expériences que la mienne même s'il en existe sûrement.

Qu'est ce qu'un blog « personnel » ?

   Il existe deux grands types de blog « personnel », c'est-à-dire avec un seul auteur :

  • les blogs « journal intime », où le blogueur raconte sa vie, ils « recensent principalement les évènements personnels et les états intérieurs et/ou réflexion du blogueur » [7]

  • les blogs thématiques ainsi définis par Thierry Soubrié : « les carnets de notes, ou k-log, dont le contenu est en relation avec un thème (l'utilisation des TIC en pédagogie par exemple), un projet ou une production dans lequel l'auteur est partie prenante. » [8]

   C'est cette seconde catégorie de blogs, articulés autour d'un centre d'intérêt de l'auteur que j'ai retenu pour ce travail.

Retour sur une expérience

Avec quels élèves ?

   J'ai accompagné dans la création d'un blog personnel depuis 2005 des élèves de cycle 3 (CE2-CM2) rencontrant des difficultés dans la maîtrise de la langue écrite. Il y a eu des élèves non francophones arrivés quelques années auparavant en France, des élèves rencontrant des difficultés en production d'écrit (syntaxe, orthographe grammaticale et lexicale) et un élève quasi non-lecteur de 10 ans pour lequel il était hors de question de reprendre une méthode de lecture « classique » pour le faire travailler car il se serait senti traité « comme un petit », la forme du blog au contraire était valorisante.

   Ces élèves sont scolarisés dans une école classée ZEP (Zone d'Éducation Prioritaire) dans un quartier populaire à forte population immigrée.

Dans quel contexte ?

   Quand je travaille avec un petit groupe d'élèves en difficulté (ou exceptionnellement en individuel), c'est dans le cadre d'une prise en charge du RASED (Réseau d'Aide Spécialisée aux Élèves en Difficulté) comme enseignante spécialisée à dominante pédagogique (autrement appelée « maître E »). Ces interventions se font à la demande de l'enseignant de la classe, avec l'accord des parents sur le temps scolaire. Généralement il s'agit de 2 séances par semaine de 45 minutes, la prise en charge peut aller de quelques semaines à la totalité de l'année scolaire. Le but de cette aide est de mettre l'élève en confiance, de lui montrer ce qu'il sait afin qu'il puisse s'appuyer sur ses compétences pour dépasser ses difficultés. Pour cela, j'utilise le « détour pédagogique », c'est-à-dire que je m'appuie sur d'autres supports que ceux de la classe pour relancer la motivation des élèves et redonner du sens aux contenus enseignés. Je suis donc perpétuellement à la recherche de situations motivantes et vraies, au sens où ces situations doivent permettre la mise en oeuvre des contenus scolaires, non pour eux-mêmes, mais parce que les situations l'exigent. Ceci afin de contourner les obstacles cognitifs et de faire évoluer les représentations « bloquantes » des élèves.

   Le petit groupe facilite le travail sur l'ordinateur car il est aisé d'avoir un poste par élève, cela renforce leur motivation et change du travail habituel de la classe. Ils ont en effet appris à utiliser un traitement de texte à l'école et, au mieux, ont eu quelques séances nécessitant de faire des recherches sur Internet. En règle générale ces élèves vont rarement en salle informatique avec leur enseignant. La plupart d'entre eux ont un ordinateur à la maison, pas toujours connecté à Internet, et ils l'utilisent essentiellement pour jouer.

   De plus, dans le cadre du très petit groupe (deux élèves) et pire d'une prise en charge individuelle, l'ordinateur sert de tiers dans la relation pédagogique et allège le poids du tête-à-tête élève/enseignant qui peut être difficile à supporter pour des élèves déjà fragilisés.

La mise en oeuvre

   Dans un premier temps, je montre aux élèves quelques blogs traitant d'un thème, dont ceux faits précédemment par mes élèves :

   Ils sont généralement fort impressionnés de découvrir que tel blog a été fait par un élève ou un ancien élève de l'école qu'ils connaissent. Il m'est arrivé de glisser aussi parmi les blogs à visiter un des miens, ce qui ne manque pas de les surprendre quand ils découvrent que la maîtresse aussi a un blog !

   Nous échangeons sur ces blogs, de quoi ils parlent, qui les a fait et dans quel but. Ensuite, je leur propose de choisir un thème pour fabriquer à leur tour un blog. Pour les y aider, j'ai fait un petit questionnaire sur leurs centres d'intérêts (ce qu'ils aiment faire, leurs sujets de discussion favoris...) qu'ils remplissent tout en échangeant entre eux et avec moi autour de ce qui les intéresse. Il s'agit d'aider l'élève à choisir un sujet qu'il aime, qu'il connaisse, qu'il a envie de partager avec d'autres. Il est essentiel que le thème choisi lui tienne à coeur, peu importe qu'il plaise ou non à l'enseignant !

   Ensuite il faut créer, avec eux ou non, une adresse mail pour chaque élève, puis vient l'étape de la création du blog proprement dit. Pour cela je fournis aux élèves un « mode d'emploi » que j'ai rédigé afin qu'ils puissent être en vraie situation de « lire pour faire », ce qui n'empêche pas l'accompagnement de l'adulte, car les élèves de primaire sont peu familiers des formulaires à remplir en ligne.

   Une fois que le blog est créé, il est important que l'élève se l'approprie en rédigeant une présentation ou son premier article, toujours guidé par un « pas à pas » écrit et qu'il choisisse et insère une illustration. Un document intitulé « Comment mettre une image sur un blog » a été rédigé par mes deux premiers élèves blogueurs Tiger et Maria.

   Bien sûr j'ai veillé à quelques points importants :

  • ne pas mettre le nom de l'enfant, seulement son prénom ;
  • ne citer ni le nom de l'école, ni celui de la ville ;
  • ne mettre aucune photo d'élève ;
  • mettre en place une modération des commentaires passant par mon adresse e-mail.

...et bien entendu veiller au contenu publié.

   Une fois l'activité lancée, les choses s'enchaînent assez naturellement, l'élève continue, complète, enrichit, explique... Il répond aux éventuels commentaires, de son enseignant de classe que j'incite à découvrir le blog, d'autres élèves ou d'inconnus. En cours de travail, l'utilisation d'Internet vient logiquement au secours de l'élève qui recherche un élément qui lui manque, qui veut vérifier une information, trouver une image adaptée à son propos... C'est une excellente occasion d'utiliser en situation réelle la recherche sur Internet, d'apprendre à utiliser un moteur de recherche, déterminer les mots clés pertinents... Les élèves ont aussi eu recours à d'autres supports pour rédiger leurs articles : livres documentaires, bandes dessinées, images du héros choisi, revues... Non seulement ils ont été amenés à produire de l'écrit mais aussi à en lire, ils ont travaillé la lecture ciblée sur un but précis, fait des synthèses, des reformulations de choses lues sur Internet ou ailleurs. On n'imagine pas, avant de se lancer dans ce travail, tout ce qu'il permet de faire travailler aux élèves, qui en plus le font volontiers car ils savent dans quel but ils fournissent ce travail.

Quels effets observés sur les élèves ?

   Le premier effet est une motivation importante des élèves qui s'engagent beaucoup plus volontiers que d'ordinaire dans l'écriture. Cette activité leur a permis de faire un lien entre leur « monde personnel » et leur travail à l'école. Pour certains, le fait de se savoir lus et de devoir répondre à des commentaires a été déterminant. Ils ont fait l'expérience du plaisir d'être lu, compris, sollicité comme « expert » dans un domaine qu'ils connaissent bien. Ils ont aussi appris à utiliser divers supports (livres, images de leurs héros, sites Internet...) pour trouver ou confirmer des informations et pour enrichir leurs posts. Ils ont progressé en lecture ciblée, en reformulation et synthèse, ont appris à formuler oralement puis en langage écrit correct ce qu'ils souhaitaient rédiger.

   Ce fort investissement dans l'acte d'écrire a favorisé des progrès et une meilleure aisance en lecture/écriture ainsi que dans l'utilisation de l'ordinateur.

   Pour l'un d'entre eux, cela a permis de prendre conscience d'un problème de dysorthographie nécessitant une prise en charge orthophonique. Cette prise en charge, conseillée par l'école depuis plusieurs années, s'est alors mise en place sur l'initiative de l'élève.

   Enfin ce travail leur a aussi donné l'occasion d'être fiers de leurs productions et d'affirmer leurs goûts, ce qui ne peut être que bénéfique pour ces élèves en difficulté à l'estime de soi fragilisée.

Une nouvelle posture pour l'enseignant

Position de l'enseignant 

   Dans la situation ainsi proposée il y a d'une certaine manière un « renversement des rôles », l'élève devient l'expert, celui qui connaît son sujet et l'enseignant prend la position du « candide » qui pose des questions, demande des éclaircissements. Mettre un élève en difficulté dans cette position est particulièrement intéressant pour restaurer son estime de soi et sa confiance en lui. Les interactions enseignant-élève se déroulent alternativement dans les deux sens où « celui qui sait » n'est pas toujours le même. Il s'agit de l'élève quand il élabore le contenu de ce qu'il veut communiquer, et du maître quand il s'agit de vérifier la cohérence, de respecter la syntaxe, l'orthographe et d'utiliser l'interface d'édition. L'enseignant se met alors en quelque sorte au service de l'élève, de l'auteur, l'aidant à préciser sa pensée et à la mettre en forme. Comme le dit le groupe GAULE (Groupe d'Aide à l'Utilisation de Logiciels Éducatifs) l'usage de l'ordinateur permet de « passer du "face à face" au "côte à côte", de passer de ce que les élèves présentent souvent comme un "conflit rituel" à de la complicité maître-élève... » [9].

Mise en projet de l'élève

   Dans cette situation c'est l'enseignant qui accompagne l'élève dans la réalisation de son projet.

   La pédagogie de projet consiste à associer l'élève de manière contractuelle à l'élaboration de ses savoirs. Le moyen d'action de cette pédagogie est fondé sur la motivation des élèves, suscitée par l'aboutissement à une réalisation concrète.

   Pour Suzanne Francoeur-Bellavance, « travailler en projet, c'est se projeter dans le temps, avancer vers un but qu'on s'est fixé, prévoir un certain nombre de moyens et d'opérations pour l'atteindre, anticiper la démarche à utiliser et, finalement, aboutir à une production à présenter ou à une action à mener » [10].

   Ici, c'est l'enseignant qui propose le projet mais, pour que les élèves adhèrent, il va leur laisser une part d'initiative, un espace de liberté, des décisions à prendre. L'élève va pouvoir déterminer le thème qu'il veut traiter, comment il va le traiter, et aussi certains aspects de la forme : type de textes, habillage du blog et choix des illustrations. L'élève va progresser dans sa maîtrise de la langue parce qu'il en a besoin pour mener à bien son projet de blog, parce qu'il veut communiquer sur un sujet qui lui tient à coeur et qu'il tient à sa mise en valeur : il veut être compris, présenter un texte sans faute et impeccablement mis en forme.

Apprendre en pratiquant

   C'est en faisant son blog, en écrivant des articles sur un sujet qui l'intéresse que l'élève va être amené tout naturellement à progresser dans sa maîtrise de la langue écrite.

   John Dewey, philosophe et psychologue américain, initiateur des méthodes actives, est partisan d'apprendre en faisant, en s'ancrant dans une expérience authentique, et non en écoutant simplement le maître comme dans la pédagogie traditionnelle. L'élève doit agir, construire des projets, les mener à leur terme, vivre des expériences et apprendre à les interpréter. L'activité est alors médiatrice des apprentissages. Dewey écrit : « Apprendre ? Certainement, mais vivre d'abord, et apprendre par la vie et dans la vie. » [11]

   L'usage des TICE est particulièrement propice à l'« apprendre en pratiquant », comme le dit Jacquinot : « Ce sont donc deux champs de recherches pluridisciplinaires qui sont amenés à se rencontrer et à dialoguer autour de ces questions concernant l'accès aux connaissances. Plus que jamais, les Sciences de l'Éducation et les Sciences de l'Information et de la Communication tendent à s'interpénétrer car elles possèdent en commun un certain nombre d'éléments (objets, concepts, instances). Les différents courants de pensée (behaviorisme, cognitivisme, constructivisme...) qui se sont développés au sein des Sciences de l'éducation et les recherches sur les usages des technologies sont étroitement liés. Le paradigme de la "transmission" a laissé peu à peu la place à celui de la "médiation", entendu comme modèle interprétatif et relationnel de l'appropriation des connaissances. » [12].

Rôle de l'enseignant dans cette situation ?

   L'enseignant a un rôle délicat dans ce genre d'activité où de nombreux paramètres sont à prendre en compte. Il doit tout à la fois :

  • Maintenir l'intérêt, la motivation de l'élève : l'inviter à explorer de nouveaux aspects à aborder sur le thème qu'il a choisi, relancer l'activité en s'appuyant sur les commentaires (en susciter auprès d'autres élèves, des enseignants...), aider l'élève à s'approprier des nouveaux supports pour enrichir son sujet...

  • Réduire la tâche si nécessaire pour éviter tout découragement : la tâche peut paraître à l'élève trop ardue ou trop complexe, l'enseignant peut alors décharger l'élève d'une partie de la tâche en fonction des objectifs prioritaires (aide technique, saisir une partie du texte sous dictée, formuler en français correct une idée verbalisée maladroitement par l'élève, trouver un document pertinent comme support pour un post...) ceci afin de rester dans la zone proximale de développement de l'élève et d'éviter toute surcharge cognitive inutile. Le but reste ambitieux mais l'élève est accompagné vers une autonomie de plus en plus grande.

  • Favoriser les échanges et l'entraide entre élèves : en effet, une remarque, un conseil, une astuce venant directement d'un pair aura un tout autre impact que si elle venait de l'enseignant. De plus ces échanges permettent de « tester » un premier lecteur, de vérifier si l'écrit produit est bien compris.

Intérêts et limites

Développement personnel par l'écriture, la création

   Le blog est une occasion pour l'élève en difficulté de produire quelque chose de valorisant permettant de retrouver de la confiance en soi. Il permet à l'élève de s'exprimer sur un sujet qui lui tient à coeur, de créer un lien entre son « monde personnel » et ce qu'il apprend à l'école, ce qui lui donne une occasion de s'investir davantage comme « personne » et non seulement comme « élève ».

   C'est aussi une occasion d'élargir l'horizon des possibles de l'élève, de l'aider à se sentir un jour capable de créer seul un blog. Jusqu'à maintenant, les élèves avec lesquels j'ai mené ce travail n'avaient que peu de pratique de l'utilisation d'un ordinateur (pour jouer, un peu de traitement de texte, rarement un peu de recherche sur Internet) et je fais l'hypothèse que réaliser un blog est pour eux une nouvelle expérience susceptible d'élargir leurs horizons, voire de les aider à se projeter dans une pratique adolescence qu'est le blog personnel.

   À ce sujet, dans un article des Cahiers Pédagogiques, Françoise Meignié [13] propose de s'intéresser davantage aux rencontres des élèves avec les systèmes informatisés qu'aux contenus à transmettre ou aux compétences à acquérir. L'essentiel est, à travers des moments où l'élève utilise un système informatisé afin de réaliser une opération (communiquer, publier...), de l'amener à la construction d'une organisation logique sur la technologie de l'information. « Ainsi, créer un blog chez lui ou un site à la demande de son professeur de technologie, sont deux activités qui peuvent apparaître au collégien comme foncièrement différentes. Pourtant, elles font intervenir les mêmes matériels et logiciels (les engins), des techniques numérisées communes, l'infographie et des procédés numériques, le traitement, le stockage et la transmission de l'information, composante d'une même technicité. Ces éléments invariants sont alors susceptibles de permettre à l'élève d'établir des liens entre les différentes rencontres qu'il réalise avec ces systèmes informatisés. [...] Il est donc possible de faire saisir aux élèves l'unité parmi la diversité de leurs rencontres avec des systèmes informatisés. »

   On peut supposer que ces liens peuvent se tisser dans l'autre sens, d'une pratique découverte à l'école vers une pratique ultérieure plus personnelle. En ce sens, cette expérience scolaire pourrait être un facilitateur d'une appropriation par l'élève des technologies de l'information.

Engagement et motivation

   L'ordinateur occupe une place particulière, il fascine les élèves et cet outil valorisant pour eux est encore assez peu utilisé à l'école primaire. Il est donc un formidable vecteur d'engagement dans les apprentissages. Dany Hamon dans une intervention au colloque « Ce que l'école fait aux individus » [14] l'exprime ainsi : « L'engagement des élèves dans leurs apprentissages n'est qu'une étape dans le processus d'appropriation des savoirs, mais il revêt un éclairage particulier aujourd'hui alors que les élèves se détournent de cette culture dite " légitime". Leurs aspirations s'inscrivent bien dans le courant d'individualisation décrit par F. De Singly comme appartenant à la Seconde modernité de la société française. Il se caractérise par le temps de la différenciation personnelle (après celui de l'émancipation), dans lequel les individus oscillent entre un fort désir de liberté et un besoin de sécurité. La culture inscrite dans le réseau Internet va apparaître comme une réponse à cette demande, particulièrement chez les adolescents. »

Élève acteur

   Créer un blog rend l'élève acteur, en effet travailler avec la « machine ordinateur » est une activité instrumentée où il y a un partenariat intellectuel entre le système et l'apprenant avec l'initiative plutôt du côté de l'apprenant. D'autant qu'ici on a une situation suffisamment ouverte pour permettre à l'élève de personnaliser son travail. Et en même temps, comme le dit Bernard Michonneau : « L'ordinateur est une machine logique qui impose aux élèves un travail analytique et méthodologique strict. Les différentes phases d'enrichissement de leur travail les conduisent à abandonner la croyance en la spontanéité du discours pour la notion (manuellement acquise) de la fabrication d'un texte. Il s'agit là d'un point capital. » [15]

   L'élève est donc acteur mais il est en même temps contraint à produire un travail rigoureux.

Élève auteur

   Ici l'élève devient un vrai auteur, il écrit dans un contexte authentique et peut potentiellement être lu par des destinataires non traditionnels, inconnus de lui, voire « le monde entier ». Pour Thierry Soubrié, faire faire un blog aux élèves c'est « Donner en effet la possibilité aux apprenants de s'exprimer en tant qu'auteur, de construire par eux-mêmes, individuellement et collectivement, des connaissances, c'est réévaluer les statuts et les rôles de l'enseignant et des apprenants. [...] De par ses caractéristiques sémiopragmatiques mêmes, qui confèrent à l'auteur un rôle de premier plan et substituent à la logique conversationnelle des forums et des chats un modèle proche de la publication éditoriale, tout en intégrant une dimension sociale forte, le blog rend possible soudainement, et sans que cela nécessite de déployer des efforts ingénieriques particuliers, la mise en place d'une nouvelle pédagogie de l'écrit » [16].

Se familiariser avec les TIC

   Réaliser un blog est une excellente occasion pour l'élève de se familiariser avec les nouvelles technologies de la communication, d'acquérir de nouveaux « savoir-faire ». Il va prendre de l'aisance avec l'utilisation d'une interface d'édition, d'un traitement de texte, la recherche de renseignements et d'image sur Internet... En effet, surtout pour des élèves en difficulté, il est très valorisant de savoir utiliser un ordinateur, voilà ce qu'en dit René Jaffard : « Ils commandent un objet qui plus est, moderne (ils n'ont pas si souvent l'occasion d'être valorisés) – il se crée aussi une intimité entre "l'élève et la machine", une espèce de "bulle" dans laquelle d'une part la faute change de statut social (elle devient erreur car elle peut être corrigée proprement sans laisser, en apparence, de trace) et d'autre part l'enseignant voit son rôle évoluer et peut-être, en apparence là aussi, ignoré par l'élève. » [17]

Faire évoluer le rapport à l'erreur

   Comme nous venons de le voir avec René Jaffard, la faute change de statut dans ce contexte. En effet, l'élève qui a du mal à produire de l'écrit, parfois même physiquement (nombre de mes élèves en difficulté ont des douleurs dans la main quand ils écrivent beaucoup) se retrouve devant un clavier et surtout peut se corriger sans que cela se voit et sans être obligé de tout recopier. La facilité d'exécution et l'invisibilité des corrections sont pour beaucoup d'élèves une délivrance et un facteur facilitant une production d'écrit moins stressante et souvent plus abondante.

   Éric Chevanier qui décrit une utilisation de l'ordinateur pour faire créer aux élèves des histoires dont ils sont le héros en parle ainsi : « Le traitement de texte, en permettant de produire un texte manipulable, remodelable, toujours présentable, autorise et favorise le travail de réécriture dans sa phase de " mise en texte ", sans pour autant bloquer l'élève sur les problèmes de correction et d'accumulation de traces d'erreurs. Il facilite également la mise en forme des textes. » [18]

Ouverture culturelle

   Enfin, cette création de blog personnel peut favoriser une ouverture culturelle des élèves. C'est l'occasion pour eux, en partant d'un sujet qu'ils connaissent, de le creuser, de faire des recherches, des liens avec d'autres informations et d'échanger avec d'autres. À l'école primaire peu d'élèves perçoivent à quel point Internet est une « fenêtre ouverte sur le monde » comme on le dit communément. Le groupe GAULE souligne cet aspect : « Facilitant l'apprentissage personnalisé, l'ordinateur permet d'élargir le champ des compétences. L'ordinateur n'est pas seulement un outil efficace en termes de remédiation. Certes, il aide des élèves en difficulté avec une compétence particulière, à combler des lacunes, consolider des acquis, mais il permet aussi, à d'autres moments, à tous les élèves, une véritable ouverture. Cet élargissement prend souvent la forme de l'ouverture culturelle, la bouffée d'air pur... » [19]

Limites

   Que peut-on tirer de cette expérience ? Serait-il intéressant de la reproduire dans d'autres contextes que l'aide spécialisée d'un enseignant du RASED ? Si oui comment ?

   Je pense que la richesse de cette situation pédagogique et son aspect « atypique » sont vraiment intéressants pour aider des élèves en difficulté dans la maîtrise de la langue à se remobiliser, à se remotiver pour produire de l'écrit. J'ai d'ailleurs décidé d'utiliser à nouveau la création de blog cette année avec deux élèves de CM2.

   Après ce n'est pas si simple, la motivation a ses limites, travailler sur l'ordinateur et sur un sujet que l'on aime ne fait pas tout surtout une fois l'« effet de nouveauté » dépassé. Il faut être très attentif à chaque élève, à ses réactions, à ce qui le gêne ou l'encourage, tout cela sans perdre de vue les objectifs d'apprentissages fixés pour chacun en fonction de ses difficultés. J'ai aussi constaté qu'aucun des élèves qui a commencé un blog avec moi ne se l'est approprié au point de le continuer ensuite seul (problème de moyens à disposition à la maison, d'envie ?), ce n'était pas le but mais une possibilité. Peut-être ce blog est-il pour eux ensuite trop connoté « scolaire ». Il serait intéressant de chercher à savoir s'ils ont ensuite créé d'autres blogs, si cette expérience a été réinvestie à titre personnel ou dans un travail scolaire ultérieur.

Comment pourrait-on envisager cette activité dans d'autres contextes ?

   En classe, même en groupe, cela me parait très difficile au niveau matériel de gérer des créations de blogs individuels, peut-être pourrait-on envisager de regrouper plusieurs élèves sur un centre d'intérêt commun. Je pense que le côté investissement personnel serait moins présent, par contre les échanges et la répartition des tâches dans le petit groupe pourraient être fort intéressants... Il y a là d'autres dispositifs à inventer et à expérimenter.

Sinon, il reste bien sûr le blog collectif de classe, encore assez peu répandu en primaire, qui permet de créer collectivement ou individuellement, des textes destinés à être mis en ligne.

Pour conclure

   Mener cette activité, certes complexe, n'est pas aussi difficile que cela peut en avoir l'air. Il faut se lancer, voir ce qui se passe et réajuster en fonction des réactions de l'élève. Elle a l'énorme avantage de permettre une individualisation « sur mesure », au plus proche de l'élève, de ses besoins tant au niveau des compétences scolaires à acquérir ou à renforcer qu'au niveau de sa construction personnelle. Je serais intéressée d'avoir des retours sur vos expériences avec des élèves blogueurs et discuterais volontiers avec ceux qui souhaiteraient se lancer dans l'aventure.

Stéphanie de Vanssay
stephanie.devanssay@laposte.net
http://lewebpedagogique.com/devanssay

NOTES

[1] Technorati - State of the Blogosphere / 2008
http://www.technorati.com/blogging/state-of-the-blogosphere/.

[2] http://www.skyrock.com/blog/.

[3] Fluckiger, C. « La sociabilité juvénile instrumentée. L'appropriation des blogs dans un groupe de collégiens », Réseaux 2006/4, n° 138, p. 109-138.

[4] Cardon, D. et Delaunay-Teterel, H. « La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux 2006/4, n° 138, p. 15-71.

[5] L'étude Ado Techno Sapiens est issue en exclusivité des 2 premières vagues d'interrogation de Consojunior 2008 (de mars à juin 2007) et porte sur les comportements multimédia des 8-19 ans. Échantillon : près de 2 000 individus âgés de 8 à 19 ans.
http://www.maisnonjeblogue.com/2008/03/19/jeunes-blogueurs-mais-combien-sont-ils/,
http://www.afjv.com/press0802/080215_ado_techno_sapiens.htm.

[6] http://lewebpedagogique.com/annuaire/.

[7] Herring, S. C., Scheidt, L. A., Bonus, S. & Wright, E. (2004). Bridging the gap: A genre analysis of weblogs. Proceedings of the Thirty-seventh Hawaii International Conference on System Sciences (HICSS-37). Los Alamitos: IEEE Press.

[8] Soubrié, T. (2006). Le blog : retour en force de la « fonction auteur», colloque JOCAIR'06 : Premières Journées Communication et Aprentissage Instrumentés en Réseau, Amiens, 6-7 juillet 2006, Retrieved 25 novembre 2008 from http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/13/84/62/PDF/16-_Soubrie.pdf.

[9] Groupe GAULE (1994). L'ordinateur, les lettres et les sciences humaines - 2e partie : l'élève et l'ordinateur. Revue de l'EPI (Enseignement Public et Informatique), (76), 77-95.
[29/12/08] http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/34/93/PDF/b76p077.pdf.

[10] Francoeur-Bellavance, S. (n.d.). Le travail en projet.
[30/11/08] http://www.centre-integra.com/projet/projet.htm.

[11] Dewey cité dans Clarapède, E. (1926). Psychologie de l'enfant et pédagogie expérimentale, Genève, Éditions Kunding, p. 16.

[12] Jacquinot, G. (2001). « Les Sciences de l'Éducation et de la Communication en dialogue à propos des médias et des technologies éducatives », L'année sociologique, vol 51, 2, p. 391-410.

[13] Meignié, Françoise (octobre 2006). « Le cours de technologie au secours des TIC », Cahiers Pédagogiques, n° 446, p. 10.

[14] Hammon, D. (octobre 2008). Une nouvelle génération face aux apprentissages scolaires. L'usage d'Internet pour créer du lien, Actes du colloque « Ce que l'école fait aux individus », CENS & CREN, p. 9.
[0301/09] http://www.cren-nantes.net/IMG/pdf/Hamon.pdf.

[15] Michonneau, B. (1990). « Traitement de texte et pédagogie du projet : un mariage réussi », Le bulletin de l'EPI n° 59, p. 95-102.
[03/01/09] http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/27/41/PDF/b59p095.pdf.

[16] Soubrié, T. (2006). Le blog : retour en force de la « fonction auteur », colloque JOCAIR'06 : Premières Journées Communication et Aprentissage Instrumentés en Réseau, Amiens, 6-7 juillet 2006.
[03/01/09] http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/13/84/62/PDF/16-_Soubrie.pdf.

[17] Jaffard, R., (1991), « Les utilisations pédagogiques de l'ordinateur (U.P.O.) / Pourquoi, comment ? », La Revue de l'EPI n° 104, p. 49-59.
[03/01/09] http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/03/09/10/PDF/ba4p049.pdf

[18] Chevanier, E., (1998), « Utiliser l'ordinateur pour créer ou vivre des histoires dont on est le héros », La Revue de l'EPI n° 95, p. 155-168.
[03/01/09] http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/43/31/PDF/b95p155.pdf

[19] Groupe GAULE (1994). « L'ordinateur, les lettres et les sciences humaines - 2e partie : l'élève et l'ordinateur », La Revue de l'EPI (Enseignement Public et Informatique), (76), 77-95.
[29/12/08] http://edutice.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/34/93/PDF/b76p077.pdf.

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Avril 2009

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