UTILISER L'ORDINATEUR
POUR CRÉER OU VIVRE
DES HISTOIRES
DONT ON EST LE HÉROS
(première partie)

Éric CHENAVIER

 

Les projets relatifs aux histoires dont on est le héros répondent à un double objectif pour l'école, en particulier au cycle III :

  • alimenter la diversité des lectures et des écrits,
  • faire un usage pertinent de l'informatique.

Les activités de réception et de production d'écrits, c'est-à-dire la lecture et l'écriture, doivent plus largement se conjuguer pour asseoir les apprentissages. Ces interactions entre lire et écrire qu'évoque "La maîtrise de la langue à l'école" (Éd. CNDP) trouvent ici tout leur sens car pour écrire des histoires dont on est le héros, il faut en avoir lu. Or une fois qu'on les a lues et qu'on s'est approprié leur structure, on a envie d'en écrire de nouvelles...

Pourquoi créer (écrire) ou vivre (lire) des histoires dont on est le héros ?

Après avoir explicité ce que sont ces histoires, les points communs et les différences qu'elles entretiennent avec d'autres écrits, nous mettrons en évidence les potentialités de l'ordinateur en rapport avec la lecture, l'écriture et la communication dans une perspective de production de récits d'aventures à parcours multiples.

L'ordinateur est-il vraiment indispensable pour écrire des histoires dont on est le héros ?

Ou plus précisément en quoi l'est-il ? Car il ne s'agit pas d'utiliser l'informatique parce qu'elle s'impose, mais pour ce qu'elle apporte.

Des éléments de réponses seront proposés notamment à travers trois années de productions d'élèves au cycle III, dont les deux premières seulement ont nécessité l'ordinateur. Une analyse du comportement et des travaux des élèves nous révélera les difficultés rencontrées dans les différentes situations de lecture ou d'écriture. Puis la présentation pas à pas de l'élaboration d'une histoire arborescente concrétisera les démarches entreprises au cours des expériences relatées.

Quels sont les enjeux pédagogiques ?

L'étendue des compétences développées soulignera pour conclure la pluridisciplinarité de ce travail d'écriture et de lecture d'histoires dont on est le héros.

I - QUE SONT LES "HISTOIRES DONT ON EST LE HÉROS" ?

Cette bande dessinée n'est pas comme les autres. Il y a, bien sûr, une aventure, pleine de surprises et de dangers. Il y a aussi un mystère. Mais l'aventure, c'est toi qui vas la vivre. Et le mystère, c'est toi qui va le résoudre.

Tu auras souvent des décisions à prendre, il te faudra choisir entre plusieurs solutions... À toi de choisir la meilleure et... attention aux pièges ! Si tu es coincé, prisonnier, perdu, ficelé, si tu ne parviens pas à te tirer d'affaire, n'hésite pas à recommencer : tu découvriras des épisodes passionnants que tu n'avais pas lu.

Cet extrait de Panique au cirque (Claude Delafosse Ed. Bayard Presse Création Astrapi - 1978) montre l'esprit dans lequel se déroule une histoire dont on est le héros et signale par ailleurs que cette conception de la lecture-aventure n'a pas attendu l'avènement des jeux vidéo pour apparaître. Très répandus dans les pays Anglo-Saxon, les premiers livres-jeux ont été écrits dans les années 60. Leur version informatique, les jeux vidéo d'aventure, seraient leurs descendants.

Nous adopterons durant ces quelques pages le terme générique d'"histoires interactives" pour qualifier les récits à parcours multiples (les histoires dont on est le héros), en référence à l'interaction directe entre le choix du lecteur et la suite de l'histoire.

a - Les genres narratifs rencontrés

Cette classification non exhaustive a pour unique source les histoires créées par les élèves. Elle reflète les aspirations des enfants de Cycle III dans un contexte de vie scolaire. Les productions des élèves s'inspirent certes de leurs connaissances livresques ou cinématographiques (plus fréquemment télévisées !) acquises, mais restent sous l'influence des récentes lectures d'histoires interactives qu'on leur a soumises avant de prendre la plume.

Le conte

En général, les enfants reconnaissent spontanément ce genre narratif qu'ils définissent selon les critères suivants :

  1. un monde irréel (pays lointain, il y a très longtemps) où règne la magie,
  2. des personnages typés (ou animaux personnifiés) : le héros, les "bons", les "méchants"...
  3. un événement perturbateur à l'origine de la quête soumise au héros,
  4. une succession d'épreuves terminées par un épilogue heureux.

La récit fantastique

Tout est permis ! La projection des enfants dans une vie future très lointaine brise toutes les barrières pour laisser s'exprimer leur imagination. De la soucoupe volante à l'immortalité, ils inventent et font intervenir sans complexe ni limite des personnages ou des phénomènes hors du commun.

L'enquête policière

Les histoires de cette catégorie répondent aux quatre règles proposées par des élèves de CM  [1] :

  1. À l'origine de l'histoire se produit un fait bizarre, un délit, un crime, dont on ne connaît pas l'auteur.
  2. Une ou plusieurs personnes mènent l'enquête.
  3. L'enquête se déroule dans le mystère, le suspens.
  4. L'histoire se termine bien.

La vie quotidienne

Les enfants se mettent en scène eux-mêmes (souvent en conservant leurs prénoms), dans une aventure qu'ils vivent en groupe, sans pour autant prendre en considération leur environnement proche (famille, amis...). Ils tiennent donc à préserver leur identité, tout en évoluant dans un monde contemporain qui ne leur est pas nécessairement familier.

b - Des formes plus ou moins évoluées

Livres, fiches, cartes, consoles de jeux, ordinateurs... le support de l'aventure dépend beaucoup de sa complexité. Mais la modélisation de ces récits les conduit directement à une adaptation informatique qui s'impose quand le micro-univers est peuplé d'objets et de personnages avec lesquels le lecteur interagit.

Le conte aléatoire ou pré-programmé

La structure des contes se prête particulièrement à ce type de récit où chaque composante, une fois isolée, fait l'objet d'un tirage au hasard. On fabrique ainsi un conte à l'aide d'un jeu de cartes réparties en huit tas : le héros, l'objet de la quête, les amis du héros, ses ennemis, les épreuves, les défaites, les victoires et les lieux. Le lecteur pioche une carte de chaque tas et construit son conte avec les indications qu'elles comportent.

Mieux (ou pire  !) encore, en prenant en charge sa mise en phrases, l'ordinateur rédige le conte en fonction des éléments apportés par l'auteur, qu'ils soient suggérés ou non par le logiciel. L'ordinateur permet ainsi de générer des textes isomorphes en mettant en relation une macrostructure et un lexique. Le lecteur-auteur privilégie alors le fond de l'histoire (ses événements) à sa forme.

Si le recours à ces histoires pré-programmées ne saurait représenter une fin en soi, il peut en revanche constituer une étape nécessaire à la découverte et l'imprégnation de la structure du conte dans une perspective de création intégrale. Les logiciels Conte et Story Write  [2], entre autres, illustrent ces propos.

L'histoire arborescente

Le lecteur progresse dans l'histoire en empruntant tel ou tel chemin d'une arborescence. Pour cela, il valide des choix qui lui sont proposés. La trame s'inscrit donc dans un arbre (version la plus simple) ou un organigramme (version plus évoluée qui autorise les boucles). Les réalisations des élèves de l'école Jean-Jaurès de La Verpillière (Histoires interactives et Les aventures de John Alpha) appartiennent à cette dernière catégorie, pour laquelle on ne trouve ni scores, ni objets à manipuler, ni épreuves. Seule la trace de navigation peut être enregistrée.

Les livres-jeux

De différents formats (Poche / Bandes Dessinées / Grand format illustré / Photocopies de réalisation d'élèves...), ils font parfois appel à la chance (lancé de dés) et comptabilisent des points de santé qu'il faut conserver pour poursuivre l'aventure. Guidé par les textes ou les images, le lecteur-joueur se rend à tel ou tel paragraphe selon les propositions qui lui sont faites. Mais indiscipliné ou trop pressé de découvrir la bonne issue, il peut malheureusement être tenté de feuilleter le livre pour dénicher le paragraphe gagnant. Il ne lui restera dès lors qu'à parcourir les événements à reculons pour reconstituer la partie victorieuse. A noter que l'adaptation puis la transcription sur ordinateur de ces livres-jeux annihile cette dérive (voir Lectures Enjeu).

Le jeu de rôle

Conçus à l'origine sur le modèle de jeux non informatisés baptisés "Donjons et Dragons", ils mettent en scène plusieurs personnages qui collaborent à une même aventure. Le joueur choisit son personnage et paramètre son courage, sa force, son adresse, son intelligence...

Les jeux d'aventure vidéo

D'un type et d'un intérêt très variables selon la part accordée aux textes, aux paroles, aux images, à la stratégie, aux connaissances, à la chance ou à la seule dextérité (voire l'agressivité !) du joueur, ils doivent leur mauvaise réputation à la multiplication des consoles de jeux qui avouons-le, ne placent pas toujours l'aspect éducatif au premier plan.

Dans les premiers jeux d'aventure, on devait saisir au clavier les ordres donnés au personnage. La syntaxe n'était guère prise en compte et le héros ne comprenait que les mots pour lesquels il avait été programmé. C'était au joueur d'écrire le mot juste pour faire avancer le jeu.

Aujourd'hui, la démarche d'exploration demeure, mais le joueur communique essentiellement à l'aide de la souris en pointant telle ou telle zone de l'écran, quitte à ouvrir des fenêtres l'invitant à lire un message. Ce qui a été acquis en ergonomie a d'une certaine manière déservi la pédagogie, car l'obligation d'écrire pouvait motiver des enfants peu enclins à le faire dans des circonstances plus scolaires.

c - Des caractéristiques spécifiques

Quels que soient leur forme ou leur genre narratif, outre la sollicitation conséquente de l'imagination inhérente à tous les récits de fiction, les histoires interactives présentent au moins trois caractéristiques communes.

La lecture arborescente

Contrairement aux récits traditionnels où l'auteur impose son déroulement (et son dénouement !), chaque lecteur construit son histoire au gré des choix qu'il valide. Cette forme de lecture s'oppose ainsi à la lecture linéaire, car l'enchaînement des pages diffère d'un lecteur à l'autre. Une histoire interactive engendre potentiellement autant d'histoires qu'il y a de parcours possibles. Au statut de spectateur conféré au lecteur d'un roman classique se substitue celui d'acteur dans une histoire interactive.

Le lecteur-acteur

En lisant (ou vivant) une aventure dont il est le héros, le lecteur se plonge dans un micro-monde qui comprend ses propres règles. Il s'identifie au héros, provoque puis contrôle l'aventure lui-même tout en assumant les joies ou les déboires consécutifs aux décisions qu'il aura prises. Il se transporte virtuellement dans le temps et l'espace où se situe l'action, s'approprie les composantes du héros pour finalement tenter de remporter le défi que lui soumet l'auteur.

L'accomplissement d'une mission

Pour gagner ou perdre, encore faut-il qu'il y ait une énigme à résoudre, une intrigue, un but à atteindre. Un récit sans mystère, prise d'initiative, ni surprise lassera le lecteur. De même, si l'aventure ne se termine pas parce qu'elle est mal construite ou incohérente, le lecteur reste sur sa faim. En conséquence, le problème à résoudre doit être bien posé dès le départ et le déroulement de l'histoire jalonné de rebondissements qui entretiennent et conditionnent la motivation du lecteur.

II - APPORTS DE L'ORDINATEUR

a - Potentialités de l'ordinateur

Nous n'aborderons ici que les fonctions de l'ordinateur en rapport avec la production d'écrits et plus particulièrement la création d'histoires interactives. Qu'il s'agisse de lire, d'écrire ou de communiquer, chacun constatera qu'un usage pertinent de cet outil accroît considérablement la motivation des élèves pour des tâches à fond scolaire, notamment s'ils sont en difficulté.

Lire avec l'ordinateur

L'ordinateur ne se prête pas à toutes les lectures. L'écran n'est pas un support confortable de lecture linéaire. Pour lire un texte long, il est nécessaire d'imprimer ou de répartir le texte sur plusieurs écrans par clics successifs. La quantité de texte lisible en une seule passe sans désagrément est de l'ordre de quelques lignes. Le texte à lire reste fortement lié au contexte d'utilisation. Il privilégie la recherche et la consultation.

Dans le cas particulier de la lecture d'histoires interactives, l'ordinateur offre des avantages indéniables sur le livre :

  • une navigation conviviale et intuitive,
  • une tricherie limitée (pas de feuilletage des pages, réel hasard),
  • donc une meilleure crédibilité de la réussite,
  • la sauvegarde des parcours (trace du texte ou de la navigation  [3]),
  • la gestion automatique des scores le cas échéant,
  • la gestion possible du temps de lecture,
  • la reprise (en l'état) d'une partie interrompue mais sauvegardée,
  • un accompagnement sonore le cas échéant,
  • un réel comportement de lecteur acteur (le zapping n'aboutit nulle part).

Le lecteur se trouve en situation de recherche active ; il découvre des indices qui représenteront des matériaux pour les choix futurs. Il ne doit pas perdre le fil de l'histoire. Outre la fatigue oculaire qu'elle peut provoquer, cette lecture est très mobilisante (efforts de mémorisation et de concentration). C'est pourquoi il convient de ne pas prolonger une même séance au-delà d'un quart d'heure.

Écrire avec l'ordinateur

L'outil informatique ne révolutionne pas l'apprentissage de la production d'écrits, mais peut parfois le faciliter, le rendre plus accessible et plus motivant.

Il suffit pour s'en convaincre de se mettre à la place de l'enfant qui doit recopier une deuxième fois son texte au propre à cause de quelques erreurs dans certains paragraphes. Imaginons maintenant que cet enfant, peu soigneux ou maladroit, ait du mal à former de belles lettres malgré toute l'application et le temps qu'il y consacre... Pourquoi ses textes sont-ils souvent si courts ? !

En situation de création d'histoires interactives, certains élèves (re)trouvent le goût d'écrire (et le disent !) dès lors que l'orthographe passe au second plan.

Le traitement de texte, en permettant de produire un texte manipulable, remodelable, toujours présentable, autorise et favorise le travail de réécriture dans sa phase de "mise en texte", sans pour autant bloquer l'élève sur les problèmes de correction et d'accumulation de traces d'erreurs. Il facilite également la mise en forme des textes.

Principales fonctions de "Mise en texte"

  • insertion/Déplacement (couper/copier/coller),
  • effacement,
  • remplacement/Recherche de mots ou expressions,
  • correcteurs orthographiques, grammaticaux, syntaxiques,
  • dictionnaires des synonymes, des contraires, des analogies,
  • importation/Exportation de documents.

Principales fonctions de "Mise en forme"

  • style de caractères : type, taille et couleur de police, effets (gras, italique, souligné),
  • mise en page : paragraphes, marges, retrait ; alignement, interlignage, colonne, césure,
  • intégration d'images, photos, schémas, tableau... pour agrémenter le texte,
  • pagination pour des textes longs, table des matières automatique.

Communiquer avec l'ordinateur

L'ordinateur suscite des échanges entre deux élèves placés devant un même écran. Ce rôle de médiateur modifie également la relation au savoir. Ce n'est plus l'enseignant qui inculque des connaissances prédigérées, mais une machine interactive qui suscite l'envie de connaître. D'autres systèmes rendent l'ordinateur communicant : les outils de visualisation collective et le réseau Internet.

Outils de visualisation collective

Des procédés techniques rendent simultanément observables par un même groupe le déroulement d'animations sur ordinateur.

  • la tablette de rétroprojection : placée sur un rétroprojecteur, elle diffuse les écrans de l'ordinateur comme elle le fait pour les transparents,
  • le boîtier PC-TV : il est connecté au port parallèle d'un ordinateur compatible PC et à la prise Péritel du téléviseur (plus grand qu'un écran standard d'ordinateur),
  • le vidéoprojecteur : beaucoup plus onéreux que le PC-TV, il offre une qualité d'image exceptionnelle et de grande taille,
  • le logiciel Grosalfa (CIEP-BELC) : il permet un affichage en gros caractères et éventuellement cyclique de l'information.

Du Minitel à Internet...

L'annuaire téléphonique, l'accès à des bases de données, les réservations ou paiements par carte bancaire, ... offerts par le Minitel ne peuvent laisser un consommateur moyen indifférent. Et ce ne sont pas les scandales déclenchés par Internet (sorte de Minitel mondial évolué) qui démentiront les conséquences de son intrusion dans notre vie quotidienne. Dans le domaine éducatif, la communication télématique enrichit et dynamise la correspondance scolaire de par sa rapidité de transmission de l'information, à la grande satisfaction des écoles rurales. Elle permet également l'interrogation de banques de données de tout ordre...

b - Hyperdocuments

Du volumen à l'hypermédia

En passant du volumen au codex, les supports textuels montraient déjà une évolution technologique notable. Au manuscrit enroulé autour d'un bâton se substituait le livre fait de feuillets cousus ou repliés ensemble. Un premier pas était franchi quant aux possibilités de consultation des documents écrits. Puis le recours aux tables des matières, aux index ou aux glossaires a grandement facilité la tâche du chercheur d'informations. Mais reste encore la manipulation de l'ouvrage et le temps nécessaire pour accéder à la page souhaitée... Grâce à l'ordinateur, l'hypermédia s'inscrit dans la continuité de cette évolution, sans pour autant prétendre remplacer le livre.

Les hypertextes

Dans sa forme la plus élémentaire, l'hypertexte est constitué d'un ensemble d'écrans connectés par des liens. La validation d'un bouton (mot, expression, nombre, symbole...) affiche un nouvel écran dans lequel figurent d'autres boutons ouvrant de nouveaux écrans, etc. Contrairement à une lecture (ou une écriture) linéaire, son principe de fonctionnement se rapproche de celui de l'esprit humain, dans sa capacité à stocker, organiser et retrouver l'information par des associations d'idées.

La problématique des hypertextes est liée à la notion d'interface, dans la mesure où il s'agit d'une manière nouvelle de présenter l'information. Selon M. Bernard  [4], l'hypertexte constitue la 3ème dimension du langage (les deux premières étant l'oral et l'écrit), car derrière la page d'écran (à deux dimensions) s'ouvre la perspective d'un empilement infini de pages.

Les hypermédias

Les hypermédias représentent une forme plus évoluée de l'hypertexte. Ils proposent une nouvelle forme d'accès au savoir, à la fois libre et guidée, où l'attitude active et la curiosité de l'apprenant constituent les moteurs de la connaissance. Conçues selon le même principe que les hypertextes, leur particularité est d'intégrer textes, images, vidéo et son. Ainsi, encyclopédies multimédias, dictionnaires interactifs, atlas, cartes, banques de données y trouvent un riche support convivial et hautement didactique.

Leurs spécificités

La lecture hypertextuelle. C'est une technique familière des élèves habitués à la recherche documentaire. En effet, les recherches en bibliothèque nécessitent une navigation entre index, table des matières, plan des rayonnages, titre des livres et mots-clés (quand la bibliothèque est informatisée).

La lecture hypertextuelle est à l'ordinateur ce que la lecture séquentielle  [5] est au livre. Porter le livre sur ordinateur s'avère stérile si on en reste à la seule reproduction. En revanche son adaptation sous forme hypertextuelle se justifie pour faire vivre des "histoires dont on est le héros". Plus que le texte en lui-même, c'est la navigation en son sein qui produit du sens.

L'interactivité implique l'action. L'utilisateur n'est plus spectateur comme dans la plupart des situations audio-visuelles, mais "interactant", dans la mesure où le déroulement du programme n'a lieu que s'il intervient sur celui-ci. On passe en quelque sorte d'une logique de fonctionnement à une logique d'utilisation. L'interactivité montre toutefois ses limites car ce n'est qu'une procédure informatique qui consiste à prévoir dans un programme, à certains moments, des interventions possibles d'un utilisateur. Elle ne remplacera jamais le dialogue pédagogique.

En pratique, qu'ils vivent une histoire interactive ou qu'ils travaillent dans un didacticiel, les élèves sont très sensibles aux réactions quasiment instantanées de la machine, réactions qui sont par ailleurs exemptes de toute dimension affective.

c - Outils de production d'histoires interactives

L'ordinateur n'est un outil que dans la mesure où il contient des logiciels adaptés à l'usage qu'on veut en faire. L'ensemble des logiciels brièvement décrits ici ne présente bien entendu aucun caractère exhaustif. Car l'évolution vertigineuse du matériel élimine des catalogues d'éditeurs certains programmes conçus pour des ordinateurs jugés aujourd'hui obsolètes. Les logiciels ci-dessous illustrent néanmoins leurs catégories respectives.

Logiciels d'histoires interactives

Lectures Enjeu. S'il est un logiciel à découvrir en priorité pour se familiariser aux "histoires dont on est le héros", c'est bien Lectures Enjeu (ACCES Editions). D'une sobriété manifeste, il fonctionne sur tous les ordinateurs compatibles PC, même les plus obsolètes. Outre l'intérêt des intrigues destinées à des enfants d'âge scolaire, son interface est parfaitement adaptée à un usage en classe (sélection d'un groupe d'élèves, d'un élève, sauvegarde des parties, paramétrage de la durée des séances, du son, de la zone sélectionnable, etc.). De nombreux romans d'aventure ont été transposés sur ordinateur à partir d'un travail écrit produit par le GLEM ou d'autres élèves de l'école primaire.

Un seul regret, mais qui découle en partie de la complexité de certains jeux : ce logiciel n'est pas ouvert, c'est-à-dire qu'il ne permet pas la création de nouvelles histoires sans notions de programmation. Il fait toutefois partie des outils de production pour le rôle qu'il peut jouer dans les activités de découverte et d'imprégnation d'histoires interactives, qui déclenchent ou dopent la motivation des élèves.

Suite. C'est un logiciel d'écriture d'histoires arborescentes "en temps réel", c'est à dire qu'après avoir saisi un paragraphe, l'auteur peut poursuivre son aventure selon deux, trois ou quatre suites possibles, etc. Ainsi, ce logiciel ne crée pas un texte, mais prépare une interaction. Par ailleurs, il ne permet pas de lire des histoires tirées au sort dans l'arbre. On peut écrire une histoire sans se soucier de l'arborescence, bien qu'il soit possible de visualiser l'arbre dans un mode spécial.

Logicée. Porté par la pédagogie Freinet, Logicée s'inspire des livres d'aventure dans lesquels le lecteur est un héros soumis à des épreuves, des prises de décisions qui détermineront son cheminement à travers l'histoire ainsi que sa réussite ou sa perte. Le lecteur peut rencontrer des épreuves (jeux de lettres, de logique ou de dés) qu'il faudra réussir pour atteindre le dénouement de l'histoire.

Logicée permet l'écriture individuelle des pages, des séquences, mais aussi le regroupement de ces séquences dans des histoires à chemins multiples. Toutes les formes d'organisation sont donc possibles pour préparer les éléments de bases de l'aventure, mais une mise en commun s'avère nécessaire pour générer la trame de l'histoire.

Selon son auteur, l'introduction d'épreuves et de cheminements logiques entraîne chez l'enfant un autre regard sur la lecture et la création.

Générateurs d'hypertextes

Sans être spécifiquement destiné à la production d'histoires interactives, le générateur d'hypertextes peut certes lier des zones de textes ou d'images à d'autres écrans, mais aussi lancer des programmes externes, à l'issue desquels on retourne à l'environnement initial (en l'occurrence l'écran ayant lancé le programme externe). Un enseignant compétent en programmation peut ainsi agrémenter d'épreuves le cheminement arborescent du lecteur.

À noter que les aides contextuelles de l'environnement Windows, également construites sur ce même principe, peuvent générer des histoires interactives.

Générateurs d'hypermédias

Présente. Ce logiciel (gratuit pour l'éducation !) permet de réaliser des présentations multimédias basées sur le principe du livre électronique interactif. L'utilisateur clique sur des éléments affichés à l'écran pour visualiser une nouvelle page, afficher une vignette, consulter un texte, écouter un son. Ce logiciel a été conçu volontairement comme un logiciel rustique, simple d'emploi, possédant peu de fonctions afin de pouvoir être mis entre les mains des élèves. Il est principalement destiné à mettre en valeur les travaux des élèves (suite à une activité de recherche, à une sortie, une classe transplantée...) et à faciliter l'échange avec d'autres classes.

Les outils Internet. La création de pages HTML organise la navigation en mettant en place des liens entre des pages, des applications ou des sites.

Les piles hypercard (ordinateurs Macintosh). Beaucoup utilisés pour concevoir des didacticiels, ces générateurs d'hypermédias constituent un très bon support de création d'histoires interactives.

Logiciels de bureautique usuels

Il est possible de "détourner" les traitements de texte courants pour obtenir une lecture arborescente en plaçant des signets au début des paragraphes correspondant à une page-écran dans un logiciel de lecture interactive. Un tel fonctionnement se rapproche de celui du livre, à la différence près qu'il ne faut pas tourner physiquement des pages, mais appeler un numéro de paragraphe en ouvrant un sous-menu. Cette alternative, même si elle amène scripteur et lecteur à se familiariser à une fonction du traitement de texte, ne gagnera pas être généralisée tellement elle sous-exploite les capacités de l'ordinateur à faire créer ou vivre des "histoires dont on est le héros".

Mars 1998
Éric CHENAVIER
Instituteur titulaire remplaçant
Président de l'association ORDI ECOLE
eric.chenavier@ordiecole.asso.fr

La suite de cet article, à paraître dans la prochaine Revue de l'EPI, abordera la pédagogie des histoires interactives.

Paru dans la Revue de l'EPI n° 95 de Septembre 1999.

 

ANNEXE

QUELQUES BONNES QUESTIONS POUR CHOISIR
UN LOGICIEL D'HISTOIRES INTERACTIVES

Achat et de diffusion

  • Combien coûte le logiciel de création ?
  • Quelle est la configuration minimum pour créer et lire les histoires ?
  • Les histoires créées, peut-on les diffuser indépendamment du logiciel de génération ?

Complexité

  • Autorise-t-il les boucles ou seulement le cheminement arborescent ?
  • Au terme d'un paragraphe, le nombre de pistes est-il limité ?
  • Les réponses du lecteur sont-elles ouvertes ou fermées (oui/non) ?
  • Est-ce la chance, les connaissances ou la réflexion qui conditionnent le gain de la partie ?
  • Peut-on insérer des images, des sons ?
  • Le parcours du lecteur peut-il comprendre des épreuves ?

Création

  • Les enfants peuvent-il prendre en charge la saisie et la mise en forme de l'histoire ?
  • La taille des textes est-elle limitée ?
  • Peut-on importer un texte saisi en externe ?
  • Le logiciel intègre-t-il des systèmes d'assistance (lexique, dictionnaire, correcteurs) ?
  • Permet-il de tester les histoires pendant qu'on les écrit ?
  • Le logiciel est-il adapté à un travail de création en réseau ?

Fonctionnalités

  • Peut-on sauvegarder les traces de navigation ?
  • Peut-on sauvegarder et exporter les parcours complets sous forme de texte ?
  • Comment accède-t-on aux histoires ?
  • Comment les scores sont-ils gérés ?
  • Peut-on sauvegarder et reprendre en l'état une partie commencée ?
  • Les épreuves soumises au lecteur sont-elles paramétrables ?

 

NOTES

[1]. Classe de CM2 de Monsieur Michel Bartocci (école d'application Clémenceau de Grenoble). Article d'Irène Laborde et Michel Bartocci lu dans la revue Lire et écrire n° 2 éditée par le CRDP et l'IUFM de Grenoble.

[2]. "Conte" était présent dans la valise pédagogique fournie avec le Nanoréseau dans le cadre du plan IPT de 1985. Sa 2ème version (pour PC et compatibles) est plus complète et conviviale. Story Write est un logiciel diffusé en shareware écrit par Michel Brun. Il en existe également d'autres (Saga par exemple ...) qui ne sont plus diffusés aujourd'hui.

[3]. On entend par navigation le chemin emprunté par le lecteur à l'occasion de sa lecture hypertextuelle.

[4]Hypertexte : la 3ème dimension du langage, éditions Trintexte, 1994.

[5]. Le traitement séquentiel de l'information consiste en un traitement des données dans l'ordre où elles se présentent, sans sélection , regroupement ou tri préalable.

 

Paru dans la Revue de l'EPI n° 95 de Septembre 1999.

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(10 avril 2000)