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Thème 1

Les TIC : facteur de marchandisation de l'École
et/ou point d'appui pour le service public d'Éducation

Congrès national SNES 2003 à Toulouse
 

   Pour le service public, les enjeux liés aux TIC sont nombreux, de sa modernisation à la mise à disposition des citoyens d'informations indispensables en passant par la formation des personnels. De plus, le thème de la marchandisation de l'École est souvent abordé sous l'angle des TIC, du e-learning notamment, et de l'influence qu'on leur attribue en la matière. L'opinion la plus répandue voit plutôt en elles un facteur de privatisation de certains secteurs de l'Ecole qu'un point d'appui pour le service public d'Éducation. Elle est contestable. La question mérite donc d'être examinée.

   S'il existe des situations où Internet et les TIC peuvent faciliter des formes de marchandisation. (inscription d'un étudiant à la version en ligne d'une université prestigieuse plutôt qu'à une université éloignée de son domicile en raison des frais induits, « industrialisation » d'une offre privée en matière de cours particuliers...), une actualité récente n'en a pas moins tendance à montrer que le marché tant désiré n'est pas aussi juteux qu'espéré, que le « e-learning » ne semble pas rentable, malgré les attentes des professionnels de la formation continue, et d'importantes subventions versées par l'État. En fait, le développement des marchés de l'éducation requiert au préalable une action des pouvoirs publics : déréglementation, recul relatif des financements publics, effacement progressif de la volonté de contrôle et d'intervention de l'État. Une conversion au credo libéral va de pair avec une multiplication des arrangements locaux dans le cadre de la décentralisation et une substitution des budgets marketing des firmes à l'effort budgétaire de la nation. La décision est toujours politique. Par ailleurs, pour des raisons de « faisabilité » pédagogique, les véritables cibles restent, malgré les difficultés rencontrées, la formation permanente des entreprises, les études universitaires et le parascolaire, la formation initiale n'étant concernée qu'à la marge (malades, sportifs...).

   En revanche, si l'on s'intéresse aux changements que les TIC provoquent dans les processus techniques et économiques de création des richesses, et à la nature des ressources créées (part croissante de l'immatériel et de la connaissance, part croissante des ressources numériques et des biens informationnels classiques avec une version numérique), on constate qu'elles offrent des points d'appui solides pour le renforcement et l'élargissement de l'espace public, à savoir les logiciels libres et la modification du paysage de l'édition scolaire, auxquels doivent correspondre des revendications de nature syndicale.

   Concernant les logiciels libres, le point d'appui est double. D'abord, l'Éducation nationale est utilisatrice de logiciels. La marchandisation de l'École, c'est également la situation de rentes dont bénéficie une société comme Microsoft dont les comptes d'exploitation pour l'année 2000 font apparaître un chiffre d'affaires de 186 milliards de francs et un bénéfice net de 53 milliards de francs, marges inconnues des autres secteurs d'activité économique. Pourquoi acheter cher des produits informatiques dès lors que l'on peut s'en procurer d'autres, équivalents ou de meilleure qualité,  à très moindres coûts (suites bureautiques, distribution pédagogique libre Débian Éducation, systèmes d'exploitation...) ? Ensuite, l'Éducation nationale est productrice de logiciels : si elle reprend à son compte la démarche du libre, ses compétences internes en font de facto un acteur à part entière de la production des logiciels. C'est ce à quoi on assiste pour les intranets des établissements scolaires. Pour l'essentiel, les solutions retenues dans les académies (SLIS, EOLE, SambaEdu...) sont libres et issues du « sérail », au détriment des produits du privé.

   Autre point d'appui pour le service public d'éducation, les transformations qui s'opèrent dans la production des ressources pédagogiques numériques. Avec la banalisation des outils numériques et l'Internet, les enseignants peuvent mettre leurs documents pédagogiques directement en ligne, et leurs collègues ainsi y avoir facilement accès. L'éditeur n'est plus le passage obligé. En 2001, le CNDP a commandé une étude à l'OTE (Observatoire des technologies en éducation) sur la consultation des webs éducatifs par les enseignants. Sont arrivés en tête les sites personnels et ceux des associations, devant les sites institutionnels (ministère, CNDP, académies, CRDP)..., loin devant ceux de Vivendi et d'Hachette. Exemple parmi d'autres, Sésamath, une association de professeurs de mathématiques de collège, et le CRDP de Lille ont conclu un accord. Les ressources pédagogiques réalisées par l'association sont librement et gratuitement disponibles sur Internet. Des milliers d'enseignants les utilisent, les enrichissent et les proposent à leur tour à leurs collègues. Parallèlement le CRDP commercialise, à partir de ces travaux, cédéroms et manuels scolaires. Des partenariats nouveaux, avec des licences non exclusives, se font jour. Ils regroupent enseignants, service public, collectivités territoriales et éditeurs privés traditionnels, dans une espèce de « Napster éducatif » d'auteurs, et non de simples consommateurs comme dans le cas du Napster musical. L'Éducation nationale et les enseignants ont un rôle de premier plan à y jouer.

 
Thème 2

La fracture numérique

   Parmi les inégalités dénoncées figure en bonne place les inégalités devant les TIC, avec un risque bien réel de fracture numérique. Les logiciels libres permettent de favoriser une égalité d'accès puisque leur réponse originale en matière de propriété intellectuelle, la possibilité qu'ils offrent de copie et de diffusion sans limitation crée les conditions pour que les élèves retrouvent à la maison les environnements de travail du collège et du lycée (à la condition bien sûr de disposer d'un ordinateur).

   Mais le risque de fracture numérique réside d'abord dans le refus, récurrent depuis une dizaine d'années, de faire des TIC et de l'informatique une discipline scolaire à part entière, malgré leur présence croissante dans l'entreprise et la société. Quand une discipline scientifique et technique est « partout » dans les autres matières enseignées, elle doit être quelque part en particulier avec des contenus, cursus, progressions... identifiés et cohérents. Avec des enseignants correctement formés.

   Après une montée en charge de 1981 à 1992, l'option informatique dans les lycées d'enseignement général a été supprimée : un comble dans la période où l'on entrait de plain-pied dans la société de l'information ! L'informatique subsiste dans le cours de technologie au collège, mais plus comme un outil que comme un objet d'étude.

   La « réponse B2i » n'est pas satisfaisante pour différentes raisons. Elle est irréaliste sur les plans concrets de l'organisation et de la coordination dans le temps et l'espace scolaires (cette remarque ne vaut pas pour l'école primaire avec son maître unique). Elle crée un précédent dangereux : à quand un permis de conduire pour le français ou l'histoire ? Se substituant à des apprentissages spécifiques, elle prétend s'appuyer sur les usages des TIC dans les disciplines et la pédagogie : elle les handicape au contraire car les enseignants ne peuvent s'appuyer ni sur leurs propres connaissances conceptuelles, le plus souvent bien fragiles sinon inexistantes, ni sur celles de leurs élèves. Nous n'insisterons pas sur le paradoxe qui consiste à faire valider les compétences des élèves par des enseignants aux compétences non validées. Ce qui pourrait être acceptable dans une période de transition ou d'expérimentation, ne l'est plus en 2003.

   Le B2i ne peut que se réduire à des compétences presse-boutons. C'est ce que l'on constate et que l'on déplore, L'enseignement général ne joue pas le rôle qui devrait être le sien : installer et consolider progressivement tout au long de la scolarité des connaissances solides permettant une véritable maîtrise des TIC. Il se contente de singer ce qui se fait déjà hors de ses murs : le bidouillage généralisé... On connaît le résultat.

   Imagine-t-on un apprentissage des mathématiques confié d'une manière floue à l'ensemble des enseignants des autres disciplines ? À l'un l'addition des fractions, à l'autre leur multiplication – peu importe dans quel ordre d'ailleurs –, à un troisième le théorème de Pythagore... Comment espérer dans ces conditions arriver en fin de course à l'étude d'une fonction exponentielle sans, entre autres, des détours obligés par la dérivation ? On pourrait en dire autant du français. Pourquoi enseigner cette discipline, puisque le français est pratiqué par toutes les autres ? C'est pourtant ainsi que cela se passe pour les TIC. Dans la mise en place expérimentale du B2i pour les lycées (nième expérimentation, les enseignements du passé semblant ne pas exister), un inventaire à la Prévert associe des notions à des compétences : ressources partagées et architecture du réseau local (compétence « structurer l'environnement de travail »), type de données et notions élémentaires liées aux bases de données : table, champ, enregistrement, requête, état (compétence « consulter-acquérir »), services et protocoles (compétence « communiquer-échanger »), caractéristiques de volume des données (transformer-réutiliser)... Comme s'il s'agissait de notions simples voire évidentes, sans relations entre elles dans des progressions didactiques étalées d'une manière cohérente sur plusieurs années. D'une manière générale, les textes officiels comportent des objectifs « élevés », et de fait inaccessibles, dont on peut se demander s'ils n'ont pas comme fonction première de masquer l'absence de substance scientifique et technique, dans une démarche classique où le verbe se substitue à l'action réelle. Ainsi, à la fin de l'école primaire, un élève est-il censé « reconnaître et respecter la propriété intellectuelle ».

   Tout cela donne des internautes qui cherchent des informations sans savoir s'ils font une recherche selon des critères dans une base indexée ou une recherche plein texte. Sans savoir si les mots sont connectés avec le booléen « et » ou avec le booléen « ou » (exclusif, inclusif ?), dont la signification diffère de celle du langage courant. Et qui trouvent des résultats que le logiciel leur dit pertinents sans expliquer pourquoi ils le sont. Le manque d'ambition du système éducatif est ici patent, dans la mesure où il renonce aux indispensables exigences de rigueur et de cohérence qui caractérisent un enseignement de qualité.

   On pourrait multiplier les exemples. Les premières victimes de ces « odes à l'à peu près », de ces carences sont les élèves issus des milieux socioculturels défavorisés qui ne peuvent rencontrer qu'à l'École les notions leur permettant maîtrise et usage raisonné des TIC. Cette impasse sur les TIC en tant que composante de la culture commune, et donc de la formation initiale générale de base, hypothèque bien entendu la faisabilité d'une formation « tout au long de la vie ». Et, en définitive, cela coûte plus cher à la société, pour des résultats moindres.

   Rappelons ce que déclarait le Congrès de Strasbourg (mai 2001), en continuité avec les précédents Congrès nationaux :

« ... Les élèves doivent se faire une représentation mentale opérationnelle des machines et des systèmes, et pour cela doivent étudier l'informatique en tant que telle, pour elle-même, dans le cadre d'un enseignement spécifique.

Un enseignement de l'informatique et des technologies de l'information et de la communication doit être mis en place en classe de Seconde. Ce qui ne retire rien à la nécessité pour les différentes disciplines d'intégrer des savoirs et des savoir-faire dans ces domaines. En Première et Terminale, tous les élèves qui le souhaitent doivent pouvoir bénéficier d'un enseignement "Informatique et TICE", à travers des options diversifiées selon les séries. »

   Ce chapitre sur l'enseignement de l'informatique et des TIC était immédiatement suivi par celui sur la formation des enseignants qui « doit avoir pour objectif de donner la maîtrise conceptuelle des outils utilisés (machine et logiciel) et de leur utilisation pédagogique ».

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Association EPI
Septembre 2014

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