Los OXCARS, une semaine d'événements libres

Frédérique Muscinési
 

Photo : Edu Bayer   Du 28 octobre au 1er novembre, ont eu lieu à Barcelone les OXCARS, qui, organisés pour la première fois sur initiative de la EXGAE [1], ont récompensé des oeuvres de tous les disciplines en rapport avec la culture libre. Des artistes des plus connus comme Wu Ming [2] et Leo Bassi [3] à des « buzz » internationaux tel Brent Simon [4], des performances et des concerts à un karaoké collectif où sur des airs très populaires avaient été ajoutées des paroles en faveur de la création collective, les OXCARS ont été l'occasion de réunir des acteurs de la culture libre aussi différents que possible, applaudis par un public parfois là par hasard qui a ainsi pu découvrir ce qui pouvait se cacher derrière l'expression de culture libre.

   Bref ce fut une entrée en matière utile, festive et drôle. Mais ce ne fut pas le tout.

   En effet, autour de cette célébration, furent organisées d'autres activités qui prirent place dans la salle de la EXGAE, la sala Conservas [5], permettant l'expression d'approches et de points de vue fort différents tant selon les disciplines que les options idéologiques. Il y eut une réunion citoyenne pour réfléchir à des « stratégies d'expression digitale », la présentation du dernier roman de Wu Ming 1, New thing, la projection du documentaire Steal this film II suivie d'une discussion intitulée « du consommateur ou du producteur : qui tuera qui ? », et un exceptionnel cycle de conférences intitulé « Barcelone marque copyleft : la société réseau en tension » [6] organisé par l'Universidad Nómada [7] et l'Ateneu Candela [8], où la présence de Montserrat Galcerán [9], Emmanuel Rodríguez [10], Raúl Sánchez Cedillo [11] et un représentant du centre culturel autogéré de Malaga la Casa Invisible [12], celle de Felipe Brait [13], de Jeanne Revel [14] et de Gigi Roggero [15], Andrea Fumagalli [16] et Mateo Pasquinelli [17] donnèrent un contenu théorique remarquable à la culture libre associée au Commun. Le tout se termina par une dernière série d'ateliers et une fête de clôture comme dans tout festival qui se respecte. C'est donc là, dans la variété des propositions, que résidait surtout la force et l'intérêt, peut-être involontaires, de cet événement.

   En effet, en organisant une série d'activités si diverses dans un laps de temps relativement long pour un festival (5 jours), et encore plus pour un festival de culture libre, les organisateurs ont mis en présence de forme peu habituelle des acteurs dont l'engagement en faveur de la culture libre provient de présupposés souvent très éloignés : en effet, que dire du rapport entre Brent Simon, buzz musical aux États-Unis et Gigi Roggero, philosophe de mouvance post-opéraïste à l'origine d'un centre d'auto-formation à Rome ?

   Et bien cela : leur intérêt pour la culture libre. Il devient ainsi possible d'observer que l'intérêt pour la culture libre provient d'options politiques très diverses, puis que cette multiplicité indique que la culture libre est un cadre d'action et de pensée capable de remplacer entièrement le cadre de la culture propriétaire, enfin que son avènement est loin de correspondre à un quelconque grand soir, mais que l'unité apparente qui existe a pour origine la situation de transition que nous vivons, l'identification assez claire des « opposants », ainsi que la position offensive et encore minoritaire de la culture libre, mais qu'une fois acquise, les luttes vont sans aucun doute réapparaître en son sein. Or, loin d'être regrettable, cette perspective montre au contraire l'importance de la culture libre, sa validité et sa maturité puisqu'en son cadre s'élaborent déjà des critiques et apparaissent de fortes divergences. Plusieurs débats sous-jacents se sont fait sentir au long de cette semaine : celui de la place de la représentation dans la défense de la culture libre, lancé surtout par les participants des conférences plus ou moins directement à ceux qui organisèrent les OXCARS dont le slogan jouait avec le glamour et la mode dans une ville, Barcelone, où la représentation de la culture est une des raisons principales de la spéculation immobilière et de la destruction du tissu social, devenue terrain de jeu et de représentation de jeunes européens aisés à la mode. De là, apparut le débat du rapport entre art et changement politique évoqué par Wu Ming 1 qui en a fait le thème de son dernier livre New Thing explorant la relation entre Free Jazz et Black Panthers, et remettant en question la valeur d'un art auto-référentiel, raffiné et cynique pour prôner le retour à un art « ingénu », « romantique », qui ne craint pas d'être moqué pour son aspect utopique, engagé ou démodé, tournant aussi le dos aux discours ou aux actes artistiques de dénonciation qui s'accommodent des conditions fournies par le système qu'ils dénoncent. On put aussi clairement apercevoir les diverses options politiques des défenseurs de la culture libre, alors que les degrés variés de maturité intellectuelle des différents acteurs face à la culture libre comme leur degré d'opposition au système capitaliste provoquèrent à un moment donné un débat étrange où le positionnement moral comme défenseur de la culture libre valut un instant comme garantie de la validité des actions menées sous le prétexte que la culture libre était un tout composite mais existant.

   Or la culture libre, au-delà de la définition concrète de ses outils, bien que l'on puisse douter de l'appartenance de certaines licences à la culture libre (notamment les creative commons les plus restrictives), est loin d'être un ensemble homogène. La culture libre ne se définit pas en soi et ses modalités de mises en pratique sont celles qui déterminent son orientation. De la tendance anarchisante appelant l'autogestion à un capitalisme cognitif cherchant l'exploitation d'un nouveau modèle économique en passant par un mouvement néo-communiste dont le but est de réactiver la lutte de classes au sein de l'espace du Commun par l'utilisation du trait commun de la précarité des travailleurs actuels, derrière la culture libre les objectifs divergent et la mise en pratique de la liberté est loin de signifier la même chose.

   Ainsi, ce festival, en plus d'avoir eu le mérite de mettre en valeur de forme assez éclatante et médiatique un thème qui reste néanmoins encore confidentiel auprès d'une grande partie de la société, a montré, contrairement à l'impression que m'avait laissée le festival Ars Electronica, une grande maturité intellectuelle et une conscience critique de soi ample, complexe et active.

Frédérique Muscinési

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Photo : Edu Bayer, http://www.edubayer.com/fra/
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NOTES

[1] http://exgae.net/. L'EXGAE est né de l'initiative du groupe Conservas afin de promouvoir l'utilisation des licences copyleft.

[2] http://www.wumingfoundation.com/. Wu Ming est un collectif d'écrivains italiens constitué depuis 1994. Outre l'écriture collective de différents romans, ils mettent en ligne leurs textes sur leur page web et en permettent l'utilisation. Leurs romans collectifs Q, 54, et Manituana ont tous connu de grands succès en librairie.

[3] Artiste de théâtre, il est connu pour ses nombreuses provocations notamment contre l'église et l'État.

[4] http://www.nerdpunk.com/. Brent Simon est un « nerd ». Sa musique domestique sur synthétiseur a été un immense succès.

[5] Rue San Pau, (Raval), Barcelone.

[6] Le titre de ce séminaire porte déjà les tensions qui existent au sein de la culture libre.

[7] http://www.universidadnomada.net/. Depuis 2000, l'universidad Nomada constitue un laboratoire d'organisation de production et de transmission théoriques et intellectuelles.

[8] http://www.communia.info/candelaup/. L'Ateneu Candela est un espace d'initiative citoyenne et culturelle situé dans la périphérie de la ville de Barcelone.

[9] Monsterrat Galcerán est professeur de philosophie à l'Universidad Complutense de Madrid et fait partie de l'Universidad Nómada.

[10] Emmanuel Rodríguez est philosophie, participant à l'Universidad Nómada et responsable de la maison d'édition Traficante de Sueños, dont l'ensemble des publications est sous licence copyleft.

[11] Raúl Sánchez Cedillo a suivi une formation de philosophie. Il est le traducteur de textes de Negri notamment, participe à l'Universidad Nómada et appartient au mouvement des précaires Mayday Madrid.

[12] Avec d'autres artistes, il est à l'origine de la Casa Invisible, un centre culturel autonome et autogéré qui a investi une maison abandonnée et pourtant patrimoniale de la ville de Malaga. Forts de la reconnaissance de la qualité de leurs propositions et de leur prestige ils sont aujourd'hui en mesure de négocier à leur avantage avec la mairie de droite en place, de façon à rester un centre autogéré mais à ne pas être expulsé. Leurs modes de financement est un mélange de mécénat, de donations et de travail volontaire.

[13] Felipe Brait est un artiste brésilien. Il fait partie du collectif Frente 3 de Fevereiro. Il a présenté l'une de leurs actions de résistance et animation artistique en rapport avec une situation sociale particulière. Dans un premier temps, il a présenté leur participation à un squatt de plus de 4 ans de plusieurs centaines de familles et leur collaboration politique et artistique. Il a ensuite montré les actions qu'ils ont développées contre le racisme au Brésil.

[14] Jeanne Revel est chercheuse, écrit pour les revues Multitudes et Vacarme et appartient à la coordination des intermittents et précaires depuis 2006.

[15] Gigi Roggero est théoricien, écrit dans la revue Posse, est animateur d'un centre social à Rome, et se trouve au sein des projets Edu Factory et d'AtelierOccupato ESC.

[16] Andrea Fumagalli est professeur d'économie à l'université de Pavie et fait partie d'Uninomade.

[17] Matteo Pasquinelli est média activiste et anime le site www.rekombinant.org.

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Association EPI
Décembre 2008

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