L'informatique, une discipline à part entière !

Thierry Viéville
 

Résumé : Pour montrer en quoi l'informatique est une discipline à part entière, adressons-nous d'abord aux natives et aux natifs du numérique. Cette génération qui ne pourra être citoyennes et citoyens à part entière sans connaître les fondements de cette discipline nouvelle qui a conduit à la révolution du numérique. Osons le faire de manière provocative : pour bouger il faut parfois bousculer. Adressons nous ensuite à l'autre génération, parfois bloquée par quelques idées reçues. C'est le démontage de ces idées reçues qui permet de lever les blocages pour que l'informatique trouve sa place naturelle : celle de discipline à part entière.

Pose ton stylo, mon enfant... et prends ton clavier

   L'Histoire a retenu le nom de Gutenberg. Ce n'est pas faux, mais c'est forcément réducteur. En fait, entre 1450 et 1500, ils furent plusieurs à être à l'origine de l'imprimerie et ils s'inspirèrent de bien plus anciens [1]. Et surtout, il y eut différentes technologies avant d'obtenir le bon papier, la bonne encre, et il fallut de nombreux essais avant de pouvoir utiliser les matrices de caractères en fonte qui allaient conduire à la diffusion en masse de l'information à travers le monde, permettre de stocker le savoir, de démultiplier la connaissance, de créer des textes et des images à volonté. Ce que l'Histoire n'a pas minimisé, en revanche, c'est l'incommensurable révolution sociétale et économique qui a fait basculer l'humanité vers les temps modernes : des métiers ont changé, des organisations (par exemple celle des copistes du clergé régulier) ont disparu, les rapports au savoir se sont démocratisés, la communication entre les gens s'est bouleversée. L'imaginaire, d'oral, est devenu écrit. La musique s'est mieux codifiée. L'école de la lecture et de l'écriture ne s'est vraiment inventée, n'en déplaise à Charlemagne, que lorsque le parchemin est devenu papier. Ce que l'Histoire oublie de nous dire, c'est à quel moment les gens ont vraiment réalisé qu'ils sortaient du « moyen âge » ? Combien d'années pour que la mère et le père disent à l'enfant : « Ce ne sera plus jamais pareil, ta vie sera en partie à re-concevoir car le monde que nous te léguons est "autre", un monde qui ne sera ni pire, ni forcément meilleur, juste à réinventer. » En effet, qui connaissait Gutenberg en 1450 ? Qui pouvait dire sans ce recul de l'Histoire : une révolution est passée.

   Il y a 500 ans, prendre conscience d'un tel changement, c'était difficile. Aujourd'hui c'est différent.

   L'Histoire retiendra peut-être le nom d'Alan Turing, qui formalisa ce que « machine à computer » veut dire, ou celui de John von Neumann, qui conçut l'architecture d'ordinateurs ressemblant déjà à ceux d'aujourd'hui, ou celui d'une femme, Ada Lovelace, qui écrivit le « premier programme ». L'Histoire pourra retenir des noms plus anciens [2] encore, ou des pires, comme celui de Bill Gates, qui gagna tant d'argent avec l'informatique, faisant passer l'Amérique de la période des hippies à celle des yuppies. Et puis l'Histoire choisira une date, peut-être à l'aube des années 1950, juste 500 ans après ce Johannes Gensfleisch que l'on nomme Gutenberg. À moins que l'Histoire ne soit moins caricaturale et accepte de verser au patrimoine de l'humanité la diversité des avancées et des découvertes qui mènent à l'informatique. Mais une chose est sûre : nous sommes aussi mère et père, et pouvons dire à l'aube de ce 21e siècle : « Mon enfant, la révolution numérique est passée. Ton monde ne sera pas pire, pas forcément meilleur, mais il sera en partie à réinventer. Tu es un natif du numérique et ce que nous te léguons ici fait du monde qui est le tien quelque chose qui est "autre". »

   Tu n'ouvriras plus d'annuaire téléphonique, ni de carte routière. Tu regarderas avec étonnement les téléphones à fil et tu chercheras vainement où est leur caméra intégrée. Tu te demanderas bien pourquoi les gens ont pu faire la queue à des guichets pour acheter des services (oui, tu diras « service », le mot de « billet » te semblera délicieusement désuet). Tu seras bien intrigué devant un appareil photo « argentique » ou un tourne-disque « vinyle » : pourquoi diable les gens s'acharnaient-ils à stocker images, sons et textes sur des supports différents alors que tout est numérique ? Tu comprendras sûrement comment, dans un autre monde, nos propres parents aient pu être rémouleur ou vitrier ; mais que nos cousins puissent avoir été imprimeurs de journaux ou de documents sur papier jetés sitôt leur lecture faite au mépris de la déforestation tandis que tout est « en ligne » te sidérera. Comment t'expliquer aussi ce que le métier de « dactylo » a pu quelques années signifier et pour quelle vaine raison d'aucun(e) était payé(e) à taper un texte sur une soi-disant « machine à écrire » qui, j'ose à peine te le dire, imprimait sans rien mémoriser ? Il te semblera bien étrange que des gens aient pu des années durant se rendre dans des salles de réunions d'aéroports, dilapidant ainsi des mètres cube de kérosène : tu en rigoleras bien avec tes copains des réseaux sociaux que tu contacteras avec ta visioconférence domestique. Certes, nous ne manquerons pas de t'apprendre, juste pour ta culture, that this language everybody speaks, with many dialects, but with no care about any grammar, était originairement très codifié et parlé dans un seul pays, une île, dite britannique. Cependant, nous ne te l'apprendrons sûrement pas avec des livres et des cahiers, plutôt avec des documents multimédias, sur ton portable (je ne parle pas bien sûr de ton ordinateur portable, qui sera dépassé, mais de ton cartable portable où tout sera intégré). Il te sera certes aussi bien fastidieux d'écrire à la main, tu le feras sûrement uniquement dans les cours de dessin. Néanmoins, tu liras dans bien plus de langues et bien plus efficacement que nous ne le saurons jamais. Et quand tu croiseras un chinois, de même que les sourds du monde entier savent se parler en langue des signes, tu sauras en quelques heures te mettre dans son référentiel pour communiquer. Ne cherche pas à nous expliquer exactement ce que cela veut dire, nous sommes encore de la génération où l'on « parle des langues » au lieu de « changer de référentiel », que veux-tu, c'est ce que l'on nous a enseigné.

   Ah oui. Enseigner.

   Mon Dieu ! Mais que vas-tu devenir si nous sommes assez fous, dans ce monde qui émerge, pour continuer de t'apprendre à écrire uniquement « à la main » et au stylo ? Vers quel échec cours-tu si nous ne commençons pas, dès ton plus jeune âge, à t'apprendre cette discipline qui a fait la révolution du numérique : l'informatique ? Qu'importe que nous commencions à l'apprendre ensemble, élèves et professeurs, ce n'est même peut-être pas si mal du point de vue pédagogique ! Qu'importe si nous commençons à te l'apprendre un peu maladroitement, nous apprendrons à l'apprendre, assurément.

   Mais si par malheur, oui, si jamais nous ajoutons à la liste de nos erreurs historiques celle de ne pas te donner les bonnes méthodes, les bons fondamentaux, les bonnes bases de l'informatique, alors tu seras un paria dans ce monde du numérique qui t'attend. Tu subiras ce monde sans le maîtriser. Tu apprendras à dire « l'ordinateur est en panne » pour « je n'ai pas compris les fondements de l'informatique, j'ai juste appris à m'en servir, alors, dès que quelque chose change, je ne sais pas m'adapter à ce que l'ordinateur a de nouveau ». Tu prétendras « il y a un bug informatique » pour plutôt que d'affirmer « comme j'ai seulement appris à me servir d'un ordinateur sans comprendre comment m'en servir, alors je ne cesse de buter sur les éléments clés ». Tu affirmeras « oh le virtuel ne remplace jamais les rapports humains » plutôt que de reconnaître « je n'ai pas su adapter mes méthodes de travail aux nouvelles technologies, ni appliquer celles-ci au moment crucial de la crise énergétique et climatique ». Tu ne pourras plus être ni plombier ni médecin car tu ne sauras ni gérer ta comptabilité ni tes rendez-vous. Tu ne comprendras plus le nouveau monde qui t'entoure. Tu seras, comme ceux, parmi nos aînés qui ne savaient pas compter et tendaient leur main pleine de pièces au boulanger en espérant qu'il leur rendrait bien la monnaie, ou signait leur nom d'un trait tremblotant, voir d'une croix, en gardant les yeux baissés.

   Attention ! Tu as bien lu : Il ne s'agit pas uniquement ici d'« apprendre les usages de l'informatique ». Il s'agit bien d'« apprendre les fondements de l'informatique » (bases théorique, programmation, etc.) pour pouvoir maîtriser ces outils sans les subir.

   Et dans un monde où nous ne t'apprendrions pas l'informatique, pour quel dirigeant irais-tu (sur papier ou sur clavier) voter ? Pour celui d'un bord qui se demande encore si tu dois commencer à apprendre le plus-que-parfait du subjonctif ou quelque futur ou passé antérieur alors que lui-même ne sait plus vraiment les employer (ce qui est bien dommage), ou pour celui de l'autre bord qui approuve tout ce qu'on dit ici mais n'améliorera rien.

   Ces connaissances anciennes sont elles aussi bien précieuses, mais parlons au présent : Il est déjà plus que temps de te faire poser ton stylo d'écolier, cher enfant, et de te donner aussi un clavier. Pour que ton futur ne soit pas antérieur, pour que ton futur soit simple.

Les pires obstacles à l'enseignement de l'informatique : les idées reçues

   Lors de la session de travail du Colloque ePrep 2008 (Supélec, 16 et 17 mai 2008) intitulée « L'informatique, une discipline à part entière ! Culture, fondamentaux et usages » il est apparu que les pires obstacles à l'enseignement de l'informatique étaient de bien piètres idées reçues. Démontons-les ensemble ici.

* L'informatique est omniprésente dans toutes les matières (mathématiques, technologie, humanités..). Quel est l'intérêt de l'apprendre « en plus » ?

Transposition : Les mathématiques étant présentes dans toutes les matières, inutile de les enseigner en soi : apprenons la géométrie en cours de dessin, l'algèbre avec la civilisation perse, la résolution d'équations avec celles de physique... (!)

Discussion : Il est évident qu'un savoir fondamental ne s'apprend que sous la forme d'une matière identifiée. L'informatique a des bases théoriques indispensables à connaître pour maîtriser le monde numérique, de même que la physique et la chimie permettent aux futurs ingénieurs de maîtriser les technologies qu'ils seront amenés à utiliser et développer. Ce sont ces notions fondamentales qu'il faut diffuser à tous les citoyens quel que soit leur futur métier. Et comme toutes les matières à enseigner, l'informatique se découvre par en plusieurs étapes :

  • celle de l'usage : apprendre à utiliser les outils d'édition, de communication, à profiter des ressources de l'internet, etc. (on y accède dès le primaire et le collège),

  • celle de l'apprentissage : dans le cas de l'informatique, c'est l'apprentissage des algorithmes et de la programmation (on y accède dès le collège et lycée à travers des exemples, des logiciels intégrés),

  • celle de l'approfondissement : ici c'est la théorie de l'information, de la compilation, du traitement des données, etc. (on y accède en fin de lycée),

sans oublier

  • celle des savoirs et de la culture : apprendre d'où vient l'informatique, ce qu'elle change dans la société, etc.

* L'informatique n'est pas une science, c'est de la technologie. Pourquoi apprendre à programmer pour simplement utiliser un programme ?

Transposition : La thermodynamique n'est pas une science, c'est de la technologie (celle des machines thermiques). Pourquoi l'apprendre pour simplement utiliser un réfrigérateur ou un moteur ? (!)

Discussion : Ce sont des mathématiciens, des logiciens et des physiciens théoriques du siècle dernier qui sont à l'origine de l'informatique, et ce n'est pas une coïncidence car ce qui fait « marcher les programmes » est bien de la théorie à l'état pur : logique et algorithmique ou mathématiques combinatoires pour ne citer que ces domaines. Il est impossible, pour une nation, de continuer à maîtriser l'informatique et la faire progresser sans maîtriser collectivement ses savoirs. Les ordinateurs ne marcheraient pas sans cette science nouvelle et ils ne progresseront pas sans elle. Une nation qui néglige [3] de former ses ingénieurs à cette science barre son avenir technologique et se condamne à être vassal des nations qui ont compris cet enjeu (dans bien des pays émergents il va de soi que l'informatique soit enseignée en priorité).
Les « bugs » constituent un exemple édifiant ! Ils sont le plus souvent le fait de la programmation « au feeling » par des techniciens (certes extrêmement vertueux mais toujours faillibles) et non par des scientifiques, et ces bugs coûtent cher en terme d'argent, de temps ou de santé... fusée Ariane ? régulateur de vitesse ? équipement médical ? choisissez. C'est de l'étude scientifique des logiciels qu'émergent aujourd'hui les logiciels sûrs, ceux pour lesquels il est possible de savoir s'ils sont justes ou risqués.

* Pas besoin d'apprendre l'informatique, cela s'apprend tout seul. La preuve : ce sont les enfants qui apprennent l'informatique aux enseignants !

Transposition : Pas besoin d'apprendre le karaté ou la boxe, les jeunes savent se bagarrer tout seuls ! Pas besoin de faire des gammes ou du solfège pour être virtuose !

Discussion : Cette double idée reçue est la conséquence d'une confusion entre l'apprentissage des usages (la bagarre) et l'apprentissage des fondements (les arts martiaux). Cette idée reçue néglige aussi le fait que, depuis 40 ans, l'informatique s'est stratifiée et complexifiée : on ne peut plus y « bricoler ». Le mythe de l'auto-apprentissage de quelques « Mozart du clavier » se brise devant la nécessité d'apprendre au plus grand nombre des savoirs et des pratiques qui doivent être intégrés à l'échelle d'une société entière. L'analogie avec la boxe est profonde : le risque de mal apprendre (et de devoir passer des heures à se corriger), les risques liés aux mauvaises méthodes (perte de données, logiciels non fiables...) deviennent majeurs : l'enseignement de l'informatique en tant que matière rigoureuse est une nécessité.

Plus précisément il est indispensable d'apprendre la « programmation » (et les fondements théoriques qui y conduisent), c'est le levier pour pouvoir adapter les logiciels et pas uniquement les subir.

* On est bloqué par la formation des enseignants ! Comment leur apprendre à apprendre ce qu'ils n'ont pas appris ?

Transposition : La poule et l'oeuf. La poule n'existe pas car il faut un premier oeuf pour faire une première poule et une première poule pour faire un premier oeuf... (!)

Discussion : Il faut simplement créer des diplômes d'enseignement en informatique (CAPES, Agrégation). Les postes seront pourvus progressivement, lycée par lycée, comme ce fut le cas pour l'apprentissage de la technologie au collège il y a quelques années. Comme pour l'apprentissage du calcul formel en classes préparatoires [4]. La situation actuelle est particulièrement favorable, car nous avons désormais au niveau universitaire le plein d'étudiants en informatique, et beaucoup seraient candidats. Ce sont des étudiants dits de « maths-info », heureux mariage de compétences pour apprendre l'informatique fondamentale dont on parle ici. Par ailleurs la situation démographique va créer une jouvence dans les carrières des enseignants dont il faut profiter dans les mois et années qui viennent.

* L'informatique, ce n'est pas très féminin.

Transposition : Embarras du choix parmi les clichés !

Discussion : C'est bien la mixité des genres qui a aidé à créer la mixité des idées et l'ouverture... et l'informatique n'est pas qu'une « affaire de mecs » ! Certes il n'est pas toujours facile d'être une femme scientifique ! En cachant son genre sous le sigle A.A.L. pour faire « sérieux », dès 1820, Augusta Adelaïde (Ada) Lovelace, affirmait, dans une vision juste de l'informatique, « La machine analytique n'a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même. Elle peut exécuter tout ce que nous saurons lui ordonner d'exécuter [...] Son rôle est de nous aider à effectuer ce que nous savons déjà dominer. [...] Des opérations numériques et aussi symboliques ». Comme Ada, des femmes scientifiques jouaient déjà au siècle passé un rôle essentiel, encore que discret : elles traduisaient des écrits, corrigeant, complétant. Très souvent aussi elles apportaient un regard neuf, plus ouvert et moins « mécaniste » aux disciplines scientifiques qui les accueillaient. Ainsi Amélie Noether, mathématicienne et physicienne, expulsée d'Allemagne par les nazis en 1933, a fourni des bases mathématiques à la relativité générale et a conçu, entre autres, des processus algébriques permettant de « mécaniser des calculs ». Grace Hopper, amirale de la marine américaine et mathématicienne, a conçu en 1949 un algorithme qui permet de « programmer » les ordinateurs, en traduisant de l'anglais (codifié) en langage machine ; à ce moment là, le logiciel ne valait rien, et le prestige revenait d'abord aux très masculins constructeurs de machine, pourtant, cette invention féminine capitale a ouvert l'accès à l'informatique à un large public, à travers un langage informatique célèbre, le COBOL. En 1951, Grace Hoper encore mit au point avec son équipe le premier calculateur à disposer d'une mémoire tampon. Elles sont plusieurs ainsi à avoir fondé la science de l'informatique, certaines oubliées aujourd'hui.

Toutes ces femmes ont ajouté à leur génie de savantes le courage de leur lutte pour s'imposer dans le monde masculin des sciences. Aujourd'hui, en France, 15 à 20 % des scientifiques de l'informatique sont des femmes, c'est encore bien peu. Odile Macchi est la seule femme du domaine à entrer à l'Académie des Sciences, en 2004 (Pierre Curie fut académicien, mais pas Marie !), menant, entre autres, un travail exceptionnel sur les systèmes adaptatifs, ces systèmes qui s'adaptent aux évolutions de l'environnement en optimisant leur fonctionnement en temps réel, sans apprentissage extérieur et sans s'interrompre.

Dans les pays émergents, la situation est différente, comme le relate Isabelle Collet dans un article intitulé « L'informatique a-t-elle un sexe ? » paru dans Le Monde diplomatique de juin 2007. À cette date, en Malaisie, à la faculté d'informatique et des technologies de l'information de Kuala Lumpur, tous les responsables de département sont des femmes ; à Penang, il y a 65 % d'étudiantes en informatique, et sept de leurs professeurs (sur dix) sont des femmes, leur responsable aussi. L'exemple de ces femmes montre la grande diversité des métiers de l'informatique et l'imbrication, au sein de multiples secteurs professionnels, de cette science exigeante qui pousse à apprendre toujours de nouvelles choses, à répondre à des défis intellectuels et à apprécier l'importance du relationnel et du travail en équipe.

* L'informatique, un pensum indispensable pour comprendre l'univers numérique ? Peut-être... mais quel piètre intérêt pour la formation de l'Esprit Humain !

Transposition : Ce qu'on apprend au lycée, ça ne sert qu'à passer le baccalauréat. (!)

Discussion : Apprendre les fondements de l'informatique ouvre des perspectives à trois niveaux :

  • Perspectives pédagogiques :
    apprendre l'informatique c'est tout autant apprendre des méthodes que des savoirs, des usages que des pratiques éclairées par des fondements théoriques.

    • L'informatique se prête à une pédagogie participative, avec un enseignement par mini-projets qui peut être moins magistral, plus orienté vers le travail en groupe. Apprendre à programmer un petit logiciel, c'est donner à l'élève des clés, mais aussi la liberté de s'approprier ces clés et de les mettre en pratique de manière diverse (il y a plusieurs possibles dans la manière de mettre en oeuvre la solution).

    • L'informatique conduit aussi à un apprentissage de la rigueur par un mécanisme très spécifique : celui des essais-erreurs avec une machine « neutre » qui ne donnera un résultat que si tout est correct, mais qui donnera indéfiniment une chance de corriger, de reprendre, de re-tester (la machine est un outil qui permet d'apprendre de manière incrémentale, sans jamais porter de jugement de valeur).

    • L'informatique favorise l'apprentissage par l'utilisation, ce qui correspond bien à l'esprit humain (ex : découvrir un algorithme avant d'en abstraire la notion sous-jacente).

  • Perspectives intellectuelles :

    • L'informatique est un levier pour les sciences car elle permet de mieux comprendre des notions universelles (par exemple la notion d'information) ou fondamentales (par exemple le calcul « mécaniste » par opposition à d'autres formes de raisonnement).

    • L'informatique offre la découverte de notions nouvelles (ex : suites aléatoires, fonctions récursives distinguées, récurrence...).

    • L'informatique fait entrevoir aux jeunes l'immense intérêt des sciences théoriques qui permettent de « toucher » (opérer avec, énumérer, visualiser...) des objets abstraits (si l'informatique est une forme de mathématiques, alors il s'agit de mathématiques « incarnées »).

  • Perspectives sociétales :

    • C'est en apprenant l'informatique le plus tôt possible qu'on tirera le meilleur profit de son rôle transversal à la quasi-totalité des autres disciplines universitaires et socio-économiques.

    • C'est en donnant aux citoyens les clés de ce qui émerge ici qu'on pourra, avec eux, découvrir comment les nouvelles technologies aideront à relever les grands défis de notre planète et de l'humanité. C'est en expliquant les fondements de l'informatique que chacun deviendra actif dans les débats et les enjeux sociétaux liés à l'avènement du numérique (ex : droit logiciel, GreenIT - technologies de l'information « vertes »...).

Conclusion [5]

   Enseigner l'informatique au lycée apparaît comme une nécessité, du fait de la place de cette discipline aussi bien dans notre économie et dans notre société que parmi les outils qui nous permettent de comprendre le monde (1). Nous proposons l'idée que l'enseignement de l'informatique au lycée devrait avoir comme but principal l'apprentissage d'un langage de programmation et d'algorithmes de base, avec l'objectif de savoir écrire un programme au moment de passer son baccalauréat. L'apprentissage de la programmation et de l'algorithmique est de nature à apporter beaucoup aux lycéennes et lycéens dans leur développement intellectuel, car il permet un travail par projets et demande de mettre en application des connaissances acquises. Et également car il permet de construire un pont entre le langage et l'action et montre l'utilité de la rigueur scientifique.

Thierry Viéville
Directeur de recherche à l'INRIA
http://www.inria.fr/Thierry.Vieville

Le présent texte s'inscrit dans le cadre de la session 1 « L'informatique, une discipline à part entière ! Culture, fondamentaux et usages » du colloque international ePrep 2008.
http://www.eprep.org/colloques/colloque08/colloque08.php.

Référence

(1) « Quelle informatique enseigner au lycée ? », Gilles Dowek, mars 2005.
http://www.lix.polytechnique.fr/~dowek/lycee.html.

NOTES

[1] C'est en 1234 que l'on commença à utiliser, en Corée, la typographie, avec les premiers caractères métalliques amovibles, pour la publication de vingt-huit exemplaires du code complet et détaillé de l'étiquette. La plus ancienne oeuvre, conservée et imprimée avec ces caractères, est une collection de sermons du bouddhisme Zen, réalisée en 1377, dont une copie se trouve à la Bibliothèque nationale de France.

[2] Le fondement de l'informatique est l'algorithmique et ce mot vient du nom du mathématicien arabe, d'origine perse, Al Khuwarizmi, qui, au IXe siècle écrivit le premier ouvrage systématique sur la solution des équations linéaires et quadratiques.

[3] Aujourd'hui, moins d'un polytechnicien sur trois sortira avec une formation de plus de trente heures en informatique ! La cause principale ? L'absence de formation avant, dès le lycée, conduit ces jeunes à ne plus avoir le temps et la disponibilité d'esprit pour se plonger dans cette matière difficile (1).

[4] En classe préparatoire aux grandes écoles, le calcul formel ou symbolique est enseigné depuis plusieurs années. C'est un outil précieux en mathématiques. Il ne faut pas le confondre avec l'apprentissage de la programmation informatique. À ce jour, la mise en oeuvre de la programmation n'est pas séparée de l'utilisation du logiciel de calcul formel en tant qu'outil. L'option informatique proprement dite, elle, démarre en deuxième période de MPSI (1re année) et se poursuit en MP/MP* (2de année).

[5] Cette conclusion est empruntée à Gilles Dowek dont les idées nous ont permis de rédiger cet article et que nous remercions bien sincèrement ici.

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Association EPI
Septembre 2008

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