Internet et plagiat :
comment conserver les fondements de base
de l'esprit scientifique ?

Aziza Aboufirass, Mouna Aboufirass, Ahmed Bennamara et Mohammed Talbi
 

   Dans le cadre de cette intervention, on va aborder une problématique très complexe qui constitue une préoccupation majeure des acteurs universitaires au sein des facultés scientifiques, il s'agit des compétences linguistiques et communicatives des étudiants scientifiques. C'est un public qui se caractérise par des capacités de compréhension qui sont supérieures à leurs possibilités d'expression. Ils ne maîtrisent pas les outils linguistiques qui sont nécessaires pour mener à bien leurs études et se préparer à la vie active bien que le savoir scientifique soit facilement accessible, ils sont dans l'incapacité d'exécuter des travaux universitaires qui sont demandés surtout ceux qui nécessitent rédaction et méthode.

   Au lieu de chercher à développer leurs compétences communicatives et langagières et de chercher à affermir un certain savoir-faire qui peut les conduire vers une certaine autonomie et un développement de leurs modes de raisonnement scientifiques, ils cherchent à compenser ce manque et ces lacunes par le recours aux nouvelles technologies de communication. Mais au lieu de faire le bon usage de l'Internet et des outils de communication, ils s'appuient plus particulièrement sur la culture du plagiat qu'ils ont tendance à la légitimer vu la facilité d'accès et la simplicité du processus puisqu'il suffit de cliquer et de copier coller.

   Malgré les efforts fournis pour l'acquisition des compétences méthodologiques quant à la bonne exploitation des informations, à travers les techniques de recherches bibliographiques, et celles du bon usage des citations, les étudiants n'arrivent pas à établir la frontière entre faire référence tout en citant les sources et faire du plagiat. Vu que le volume horaire consacré à l'encadrement méthodologique pour les étudiants scientifiques reste très limité, cet objectif de sensibilisation est loin d'être atteint. L'acquisition de la rigueur et de la précision paraît comme une forme d'utopie scolaire difficile à concrétiser.

   Plutôt que de développer les modes de raisonnement scientifiques nécessaires propre au développement de l'esprit scientifique, ces étudiants développent la culture du bricolage qui massacre tous les aspects de l'honnêteté scientifique. En l'absence de tout code de déontologie réglementant l'usage des NTIC et en l'absence de logiciels de contrôle de plagiat dans le cadre des travaux académiques la situation empire à tel point que les étudiants éprouvent énormément de difficultés dans tout travail de production aussi simple soit-il.

   Dans ce qui suit, on va commencer par définir la notion de plagiat dans le cadre de l'usage des NTIC et son impact négatif sur le processus d'enseignement apprentissage.

   On va présenter les résultats d'une enquête menée dans le cadre de la structure universitaire scientifique et plus particulièrement dans une classe de langue et de communication.

   Le plagiat ne dérange pas les étudiants, ils ont tendance à le normaliser surtout en l'absence de mesures disciplinaires contre la quasi-totalité des tricheurs, puisque le nombre de tricheurs sanctionnés reste très limité.

   Le profil type du plagieur universitaire marocain : il s'agit d'un étudiant de la génération de l'arabisation qui a suivi son enseignement scientifique jusqu au bac en langue arabe et qui est obligé de suivre les conséquences de la politique éducative marocaine qui a décidé de ne pas poursuivre l'arabisation dans le cadre du supérieur. Incapable d'assurer cette transition et d'apurer ses engagements, il ne peut pas exprimer son savoir scientifique avec aisance, sans faire référence au copier coller. Cette situation s'est compliquée davantage à cause du comportement négatif de la plupart des étudiants qui sont dominés par un manque de confiance en soi et un profond sentiment d'échec qui se traduisent par un véritable refus psychologique de s'approprier un nouveau savoir-faire notamment en matière de communication en langue étrangère.

   Conscient de la complexité de ce phénomène sociopédagogique qui freine toute tentative de développement de l'autonomie dans le processus d'enseignement apprentissage et tout esprit de créativité et de rigueur, on a pensé à donner la parole aux concernés et plus particulièrement aux étudiants de première année, dont la catégorie d'âge varie entre 18 ans et 22 ans, dans le cadre d'une faculté scientifique pour avoir une vision précise de leurs points de vue sur la question.

   Au cours des entretiens, on était dans l'obligation de commencer par définir la notion de plagiat et de leur montrer ses impacts négatifs puisque les étudiants paraissent complètement inconscients du caractère illégitime de cette procédure dans le cadre de la structure universitaire. En plus, ils n'arrivaient pas à admettre le fait que le plagieur est un tricheur dans la mesure où l'information est disponible et mise à la disposition de tous.

   La plupart considèrent, d'après leurs propos, que le copier coller « c'est légitime, c'est courant et naturel, il facilite la vie et les tâches et fait gagner du temps, de l'énergie et bien sûr des notes ». Même ceux qui se disent contre affirment clairement qu'ils n'hésitent pas à le faire par paresse et négligence parce qu'ils ne veulent pas « se casser la tête à synthétiser et à subir la corvée de la collecte d'information même dans le cadre des rapports de fin d'études ».

   Sans oublier ceux qui considèrent que la cause majeure du plagiat est étroitement liée au laxisme des enseignants, le manque de contrôle des encadrants « qui ne jettent même pas un coup d'oeil sur certains travaux ».

   Considéré comme un passage obligatoire pour effectuer un travail demandé dans le cadre universitaire, le copier coller est même légitimé dans la mesure où il aide la personne à avoir plus de confiance et plus d'assurance surtout dans le cadre des évaluations orales, exposés, soutenances, etc.

   Il est loin d'être considéré comme une forme de tricherie dans la mesure où, comme le déclare un étudiant, « le propriétaire de l'information l'a publiée sur Internet donc c'est une manière d'autoriser son usage par tout le monde, sinon, il l'aurait gardée pour lui ».

   L'étudiant n'arrive pas à voir les aspects négatifs du plagiat et considère qu'il n'y a aucune forme de tricherie tant que l'usage des informations reste limité au niveau académique et non pas pour un usage personnel qui serait commercialisé.

Comment lutter contre ce phénomène ?

   L'enquête menée nous a mis devant une évidence :

  • La structure universitaire marocaine ne réglemente pas l'usage des NTIC dans le cadre des travaux académiques ;

  • Les enseignants ne sensibilisent pas suffisamment les étudiants à la nécessité de la rigueur scientifique dans le cadre de l'usage des informations, la précision des références, l'identification des sources ;

  • Les étudiants n'arrivent pas à s'approprier des comportements positifs quant à l'usage des NTIC dans le cadre des travaux exécutés. Même ceux qui sont conscients de leur passivité et de leur dépendance, n'hésitent pas à faire l'éloge du plagiat et du copier coller ;

  • Le plus dramatique, c'est que la quasi-totalité des enquêtés n'accepte pas d'associer plagiat et copier coller à tricherie puisque le plagiat ne fait du mal à personne ;

  • Déjà nous étions dans l'obligation d'expliquer le mot plagiat à l'ensemble des enquêtés, ce qui indique que le sujet n'est pas évoqué suffisamment avec les étudiants.

Que faire pour sauvegarder les principes de base de l'esprit scientifique à savoir : rigueur, précision, objectivité et neutralité ?

   Il s'agit de faire preuve de beaucoup de rigueur dans le cadre de l'usage des NTIC pour faire ressortir l'étudiant de sa passivité et de son manque d'autonomie et le pousser à développer sa créativité et ses compétences communicatives et langagières. Cette rigueur ne peut être concrétisée que par la mise en place d'un code réglementant l'usage et de mesures disciplinaires contre les concernés, surtout pour tout travail évalué qui nécessite un travail de recherche et de production

Vers l'élaboration d'une charte de l'utilisation des NTIC dans le cadre des travaux académiques au sein des universités marocaines

   La dite charte doit obligatoirement sensibiliser les étudiants à des notions telles que : les fraudes, les droits de l'auteur, pour expliquer à cette génération d'étudiants que tout ce qui figure sur Internet est propriété. Et ce, pour aller vers l'élaboration d'un code de conduite.

   Aussi l'université marocaine doit-elle se doter, à l'instar des autres universités européennes et américaines, de logiciels de détection du plagiat sur les travaux académiques, comme le logiciel français Compila. En sachant d'avance que tous ces travaux vont être contrôlés dans le cadre de systèmes professionnels et que toute infraction sera sanctionnée, l'étudiant changera sûrement de comportement, développera automatiquement plus de rigueur dans le cadre de sa relation avec les informations.

   De même, cette rigueur va le pousser à maîtriser les modes de raisonnement scientifiques pour l'élaboration de travaux conformes aux normes scientifiques.

   La charte précitée doit comporter des règles de déontologie, d'écriture, de contenu et de gestion et aussi de bonne conduite pour garantir le bon usage de l'Internet.

   La charte doit également sensibiliser les étudiants au fait que l'Internet est un moyen de communication, mais qu'il n'est pas le seul, il existe d'autres moyens, et ce pour l'encourager à l'usage du livre, pour développer ses stratégies de lecture et de collecte d'information et de précision de ses sources.

   Et enfin, la charte doit clarifier pour les étudiants la notion de la liberté quant à l'usage de l'Internet. Il s'agit de leur montrer qu'ils ont le droit de consulter, de synthétiser et de préciser les références et non pas de s'approprier les travaux des autres.

Conclusion

   L'analyse de la problématique de l'usage du plagiat nous a permis de voir de près dans quelle mesure la méconnaissance des droits et devoirs peut être néfaste et peut influencer très négativement le développement personnel d'une génération d'étudiants qui légitime la culture du bricolage et n'arrive pas à faire le bon usage de ces nouvelles technologies de l'information qui sont sensées être des sources de richesses et d'amélioration continue.

   Le manque de sensibilisation des étudiants aux normes de bon usage complique la situation davantage et bloque le mécanisme de développement de comportements positifs dans le cadre du processus d'enseignement apprentissage. Il s'agit donc de prendre les choses en main et de penser d'urgence à la réglementation rigoureuse de l'usage des NTIC pour pouvoir améliorer la qualité de l'enseignement et la qualité du profil personnel et professionnel des lauréats des universités.

Aziza Aboufirass 1, 3, 4
Mohammed Talbi 2, 3, 4
Ahmed Bennamara 2, 3, 4
Mouna Aboufirass 2, 3, 4


  1. Doctorante à la Faculté des Sciences Ben M'Sik, Casablanca.
  2. Professeurs à la Faculté des Sciences Ben M'Sik, Casablanca.
  3. Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches : Apprentissage, Didactique, Évaluation & Technologies de l'Information pour l'Éducation (LIRADE-TIE) de la Faculté des Sciences Ben M'Sik, Casablanca. http://pestef.africa-web.org.
  4. Observatoire de Recherches en Didactique et Pédagogie Universitaire (ORDIPU), Université Hassan II Mohammedia. http://ordipu.africa-web.org.

 

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Association EPI
Décembre 2006

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