MODÉLISATION - SIMULATION

Introduction au thème

Jacques Baudé
Secrétaire général de l'EPI
 

     Cet atelier a réuni 20 participants appartenant aux disciplines suivantes Biologie-Géologie, Histoire-Géographie, Informatique, Langues vivantes, Lettres, Mathématiques, Physique-Chimie, Sciences Économiques et Sociales, Sciences et Techniques Industrielles.

     Après une déclaration liminaire du responsable de l'atelier, il s'est articulé autour d'exposés alternant avec des périodes de débat.

     Le texte suivant n'est pas le compte-rendu chronologique des échanges mais plutôt le relevé d'un certain nombre d'idées-force qui se sont dégagées au cours de cette demi-journée. Il se termine par des recommandations à l'usage des responsables de la formation des enseignants et des futurs enseignants.

     La réflexion sur l'utilisation de la simulation dans l'enseignement ne date pas d'hier. Dès le début des années 70, dans plusieurs pays - États-Unis, Grande-Bretagne, France - un certain nombre de tentatives sont faites. Pour prendre un exemple concret, le premier contact avec la simulation pédagogique pour ce qui concerne le groupe « Informatique et Sciences naturelles » de l'INRP, s'est fait par l'intermédiaire de logiciels anglo-saxons portant sur la génétique et l'écologie. Ces logiciels simples ont été traduits en LSE et ont servi de point de départ à la réflexion du groupe qui par la suite a été à l'origine de logiciels bien connus comme MENDEL, NUT, DICO...

     Les autres groupes de recherche ont également travaillé très tôt dans cette voie. Des logiciels et des articles sont parus dans la revue de la section « informatique et enseignement de l'INRP » (cf. notamment le numéro spécial « informatique et enseignement secondaire » de 1976) [1].

     Dans ce numéro spécial, un important article de J. Hebenstreit insistait sur l'apport privilégié de l'ordinateur pour ce qui concerne la manipulation de modèles, c'est-à-dire du réel à travers différentes représentations symboliques.

     Dans le droit fil du Congrès de Sèvres de mars 1970 [2], dont une des conclusions insistait sur l'apport de l'informatique au renouvellement des méthodes pédagogiques, la réflexion était largement amorcée sur l'intérêt pédagogique de la simulation. Au cours de la décennie 80, les intuitions de départ ont été confortées. La richesse des possibilités offertes s'est confirmée. Il est par exemple possible d'insister sur la démarche modélisante ou sur la simulation. Le modèle peut être construit par l'élève, ou redécouvert par lui, ou rester implicite, le but de la simulation étant alors de découvrir la richesse des interactions d'une réalité complexe (par exemple, en Économie ou en Écologie).

     Le comportement actif de l'élève est continuellement sollicité. Il voit rapidement les conséquences de ses choix en fonction des différentes hypothèses émises. Peu à peu, la simulation sur ordinateur s'est imposée comme un outil permettant des démarches didactiques et pédagogiques originales, outil nouveau ayant sa propre spécificité qui doit lui être reconnue.

Modèle-modélisation

     Alors que tout processus d'acquisition cognitive aboutit à un modèle [3] et que nous modélisons (et simulons) comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans le savoir, le concept même de modèle est mal connu d'un élève de Terminale. Même l'enseignement de la physique a du mal semble-t-il à faire passer la notion de modèle comme étant une certaine représentation de la réalité (M.-C. Milot) [4].

     De façon générale, la démarche modélisante est insuffisamment développée dans l'enseignement actuel, or l'ordinateur permet de donner un support concret à sa pratique.

     À quel niveau de complexité faut-il se placer ? Les modèles (qu'ils soient construits par les élèves ou qu'ils leur soient proposés) doivent être suffisamment élaborés - tout particulièrement dans les sciences humaines et naturelles - pour ne pas donner de la réalité une image trop simpliste. Le travail sur des modèles simples permet néanmoins de prendre conscience de la limite de ceux-ci et du fait qu'il est nécessaire de les perfectionner et de les relativiser.

     Dans tous les cas, il est important de faire comprendre que la notion de modèle est une notion opératoire, tout modèle s'inscrivant dans une finalité donnée par rapport à un objectif précis. Ainsi, pour l'enseignement chaque modèle est valide, a un sens, dans une stratégie pédagogique donnée.

Simulation

     L'ordinateur a donné à la simulation une dimension nouvelle. C'est de plus en plus un outil de la recherche scientifique aussi bien dans les sciences exactes que dans les sciences humaines. L'enseignement doit en tenir compte.

     Ainsi en Physique le recours à la simulation numérique permet d'explorer le comportement d'un modèle mais aussi d'obtenir des résultats qui seront comparés aux données expérimentales. Dans les deux cas le modèle peut être amélioré ou remis en question ; son domaine de validité peut être clairement perçu (D. Beaufils). Les expériences simulées sont intéressantes à plusieurs titres. Il peut s'agir de redécouvrir, par une démarche inductive, le modèle sous-jacent, ou au contraire, le modèle étant connu de l'élève, l'appliquer à la résolution de problèmes liés au phénomène étudié (J.-Y. Dupont).

     Certaines expériences sont infaisables dans le cadre des enseignements primaire et secondaire. C'est le cas par exemple des célèbres expériences de Karl von Frisch sur la vie des abeilles. Pourquoi refuser aux élèves toute possibilité de connaissance de ces magnifiques travaux autrement que par le cours ou la lecture de documents ?

     La simulation se révèle là tout à fait irremplaçable. Des logiciels existent qui permettent à l'élève « d'observer des comportements, d'émettre des hypothèses, d'imaginer un protocole expérimental, de l'appliquer, de consigner les résultats, de construire un modèle explicatif. » (H. Ormières).

     Mais on voit bien que la simulation n'est pas que cela ; loin d'être un ersatz de l'expérience réelle, elle permet de répondre à des objectifs didactiques précis. « Considérer un logiciel de simulation comme une aide didactique et non comme un substitut du réel, c'est lui donner un véritable statut dans l'enseignement de la Biologie-Géologie. » (C. Orange).

     J. Hebenstreit dans son exposé montre très clairement que la simulation est un outil nouveau permettant non seulement des types d'activités jusque-là impossibles mais aussi capable d'améliorer les processus d'apprentissage.

« Grâce à la simulation, l'usager peut étudier le comportement du modèle sous des aspects qui ne sont pas directement accessibles dans les phénomènes réels :

- aucun phénomène réel ne permet de contracter ou de dilater l'échelle des temps pour procéder à une étude détaillée,

- aucun système réel ne répondra instantanément à la question "que se passe-t-il si...?" mais exigera des procédures longues et difficiles pour modifier les conditions d'une expérimentation, ce qui aura pour effet de décourager l'observateur.

Parce que la simulation permet l'affichage d'une quantité importante d'informations significatives sous les formes les plus appropriées à une compréhension rapide, et ce en mode interactif, les usagers sont naturellement portés à poser des questions pour voir "qu'est-ce qui se passe si...?" et donc à se livrer à une exploration plus complète du phénomène en vue de parfaire leur compréhension. »

     La modélisation-simulation dans le domaine littéraire n'est pas simple, pourtant dans le domaine de l'enseignement elle pourrait conduire à des activités intéressantes ; se demander par exemple : « quelles règles il faudrait installer dans un programme pour que la machine soit en mesure de produire une phrase qui ait une signification pour celui qui regarde l'écran où elle s'affiche. » (J.-L. Malandain).

     En langues, s'il n'existe pas à l'heure actuelle de modèle convaincant de la langue, il existe cependant une multitude de petits modèles simples qui peuvent faciliter l'approche des mécanismes d'une langue (A. Cazade).

Intérêt de la simulation pour l'apprenant

     La simulation permet des activités parfaitement ciblées en rapport avec des compétences précises qu'il s'agit de mettre en jeu. « Elle présente une bonne adéquation avec les démarches mises en oeuvre dans les disciplines expérimentales. » (J.-Y. Dupont).

     Un intérêt pédagogique puissant de la simulation de situations complexes dans différentes disciplines dont l'économie, la géographie, l'écologie... est sa dimension ludique ; l'élève y est actif, en situation de recherche. Il mobilise des connaissances souvent acquises par ailleurs pour aboutir à d'autres connaissances ou à d'autres questions.

     La simulation motive et stimule l'élève qui peut prendre des initiatives, des décisions et voir rapidement les conséquences de celles-ci.

     « La simulation, lorsqu'elle est convenablement mise en oeuvre, peut stimuler la pensée créatrice ce qui est rarement le cas des expériences réelles dans lesquelles la réflexion théorique est trop fréquemment interrompue par les multiples actions de détail qu'il faut exécuter avec soin pour réussir l'expérience » (J. Hebenstreit).

Précautions d'usage

     La simulation n'est pas pour autant la panacée. Elle doit être utilisée au bon moment, dans un but précis, dans une stratégie pédagogique, par des enseignants correctement formés.

     « Le principal danger résulte peut être de la difficulté de faire comprendre aux élèves l'écart entre la réalité et le modèle » (C. Duvernet). Pour y arriver il faut que le modèle soit bien perçu pour ce qu'il est, c'est-à-dire une approximation de la réalité. Une bonne méthode consiste - notamment dans les sciences humaines - à proposer plusieurs modèles explicatifs d'un phénomène donné.

     Il faudra toujours éviter le double écueil de la trop grande simplicité réductrice et de la trop grande complexité, de nature à dérouter l'apprenant, même si la réalité que nous essayons de cerner est le plus souvent complexe.

     La prudence dans l'interprétation des expériences simulées sera de rigueur mais ne pourrait-on en dire autant de quelque expérience que ce soit ?

Recommandations

- Programmes officiels

     Que les programmes des différentes disciplines (et les recommandations) intègrent de façon explicite les apports didactiques et pédagogiques de la modélisation-simulation.

- Formations et validation

     Que la maîtrise de la modélisation-simulation et la compréhension de ses apports didactique et pédagogique spécifiques soit intégrée aux formations initiale (DEUG, Licence, IUFM) et continue des enseignants. Que les compétences correspondantes soient validées dans les examens et concours.

- Formation initiale

     Que l'on fasse résolument appel aux enseignants en exercice connaissant les avantages mais aussi les limites de ces approches.

     Que la modélisation-simulation soit proposée comme thème possible de mémoire professionnel en 2e année d'IUFM, en mettant l'accent sur les objectifs didactiques et pédagogiques à atteindre.

- Formation continue

     Il faut résolument intégrer les apports de l'informatique, et notamment de la modélisation-simulation, à la didactique dans tous les stages de formation disciplinaire.

     Il faut faire également appel aux compétences « du terrain » qui pourront proposer des séquences d'utilisations pédagogiques à partir des logiciels existants.

- Recherche pédagogique

     Les efforts doivent être amplifiés compte tenu des évolutions rapides auxquelles nous assistons dans les domaines matériels et logiciels.

     Ainsi, des recherches actives sur les possibilités des environnements hypermédia et hypertexte sont indispensables notamment pour les enseignements littéraires et linguistiques.

     Il faut promouvoir la recherche-action dans le cadre des « mémoires professionnels » (seconde année d'IUFM) et dans celui de la formation continue.

Logiciels

- De nombreux logiciels existent déjà, il faut apprendre à les connaître pour les pratiquer et être en mesure de proposer des idées nouvelles.

- Certains logiciels issus de la recherche pédagogique (exemple de BIOL en Sciences naturelles) mériteraient - après adaptation aux programmes actuels - d'être mis à la disposition des enseignants.

- Que de nouveaux logiciels soient produits (ou achetés à des laboratoires de recherche ou dans le monde professionnel) de telle sorte qu'un choix soit possible dans un ensemble cohérent correspondant aux programmes et aux référentiels des différentes disciplines aux différents niveaux.

- Des sous-ensembles simples - donc peu coûteux - de logiciels professionnels peuvent être largement suffisants pour une approche pédagogique à un niveau scolaire donné.

- Il ne semble pas souhaitable d'avoir une progression pédagogique intégrée au logiciel. Les logiciels offrant le maximum de liberté et d'initiative à l'apprenant sont à privilégier.

- Promouvoir la création de manuels accompagnés de disquettes de démonstrations et/ou d'exercices.

- Les « bons » logiciels de simulation restent encore à créer dans de nombreux domaines. Ne serait-ce pas le rôle d'un Atelier National des Logiciels ?

Matériels

     L'insuffisance des matériels (en quantité et en qualité) et leur hétérogénéité complique la tâche déjà lourde des formateurs. Un effort d'équipement en matériels performants est indispensable.

     Dépassant largement le seul cadre de la simulation, une mesure générale de nature à faciliter la formation des futurs enseignants serait que chaque étudiant se voie prêter, pour la durée de ses études en IUFM, un ordinateur portable. Les logiciels figurant à l'inventaire de l'IUFM pourraient faire également l'objet de prêts selon des modalités à définir.

Conclusion

     Il est vital pour le système éducatif de préparer les nouveaux enseignants (dont l'essentiel de la carrière se déroulera au 21e siècle...) à l'utilisation, avec leurs élèves, des ressources de l'informatique et des technologies associées. D'ici peu d'années les élèves disposeront d'ordinateurs très performants comme ils disposent aujourd'hui de calculatrices. La simulation notamment par le biais des mondes virtuels deviendra une réalité quotidienne. Il sera bien difficile aux enseignants de l'ignorer.

Référence

     Répertoire informatisé (disquette PC, MS-DOS), consultable par mots-clés, des articles parus dans l'ensemble des publications EPI de 1971 à 1992. Disquette et articles disponibles au Secrétariat national de l'EPI, 13 rue du Jura, 75013 Paris.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 73-79.

NOTES

[1] L'informatique dans l'enseignement secondaire (numéro spécial), INRP, 1976.

[2] L'enseignement de l'informatique à l'école secondaire, CERI-OCDE, 1971.

[3] Défini ici au sens large comme un ensemble de relations dynamiques entre des connaissances.

[4] Les noms placés entre parenthèses correspondent aux intervenants.

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