SIMULATION, MODÉLISATION ET PÉDAGOGIE EN BIOLOGIE-GÉOLOGIE

Jean-Yves Dupont
Professeur de Biologie-Géologie, Lycée P.L. Courier, Tours
 

1. MODÈLE, MODÉLISATION ET ACTIVITÉS D'INVESTIGATION

     On peut définir un modèle comme étant une représentation d'un système réel utilisant des symboles divers : texte, logos, flèches, couleurs, etc. Cette schématisation résulte de la découverte de ce système avec ses composants et les relations qui les unissent.

     Ce modèle révèle et accentue, par la nature des symboles utilisés (mots, traits, couleurs) une partie ou certains aspects de la réalité externe. Il est, avec un certain niveau d'élaboration, la représentation d'un concept ou d'une partie d'un concept ; il peut aussi relier plusieurs concepts (ex : flux de matière dans l'organisme). Toutefois, avant d'être matérialisé sur le papier, c'est l'existence d'un modèle, dans la pensée, qui est le témoin de la compréhension du phénomène étudié. De ce fait, un processus d'acquisition cognitive aboutit à un modèle.

     C'est à travers des activités d'investigation qu'on pourra progressivement élaborer le modèle (figure 1).

     Le problème biologique ou géologique est dégagé à partir de faits ou de données mises en relation. Sa résolution peut passer par plusieurs types d'activités dont deux sont particulièrement intéressantes :
- une recherche d'informations (données textuelles, images, données numériques, échantillons) suivie d'un tri (recherche des informations pertinentes) puis d'une mise en forme et d'une mise en relation (traitement). Elle débouche sur une réponse totale ou partielle au problème posé ;
- l'émission d'une hypothèse explicative, la conception d'un protocole expérimental, sa réalisation et collecte des résultats qui valident ou non l'hypothèse.

     Ces activités font partie d'une démarche synthétisante et assurent le passage de la perception d'un phénomène à sa représentation.


Figure 1

     L'un des objectifs de notre enseignement est de faire acquérir à l'élève les capacités d'analyse et les aptitudes à construire le modèle à modéliser. À travers cette modélisation, les objectifs cognitifs sont atteints. Il est donc évident que la modélisation est une démarche très formatrice.

     Elle est possible à travers une exploration de données mais surtout à travers une expérimentation.

2. SIMULATION, DÉMARCHE SYNTHÉTISANTE ET PÉDAGOGIE PAR OBJECTIFS

     L'ordinateur, machine à traiter l'information, c'est-à-dire des symboles, peut manipuler un modèle. La simulation sur ordinateur, grâce au jeu simultané de ses variables, donne au modèle par l'élève, sa recherche de validation et son affinement. Les expériences simulées me paraissent intéressantes dans deux situations.

2.1. La contribution à l'acquisition du modèle par découverte

     Dans ce cas, le modèle est une boîte noire. L'objectif est la découverte du modèle et son appropriation par l'élève. La démarche est essentiellement inductive. Cette dernière est d'autant plus réalisable que la découverte est faite à l'initiative de l'élève.

     Pour atteindre cet objectif, il faut mettre en place une démarche structurée analyse de faits, émission d'hypothèses explicatives, formulation des implications des hypothèses débouchant sur des objectifs opérationnels, actions simulées permettant d'obtenir des résultats.

Exemple : le logiciel CARVI (figure 2).


Figure 2

     La simulation contribue donc à un développement structuré des savoir-faire : cette contribution est favorisée par les caractères même de la simulation ; dans une simulation, toutes les actions ne sont pas possibles ; celles qui sont possibles et les résultats qui en découlent sont autant de guides dans la découverte. De plus, la simulation élude les aspects de détails (le cadre scientifique étant posé) : elle favorise les activités d'analyse et de réflexion. Enfin, elle autorise l'exploration possible d'un grand nombre de situations en un temps très court : en acquérant une quantité importante d'informations significatives, on facilite l'accès à une compréhension rapide.

     Depuis quelques années, des recherches ont abouti à la mise en place, d'abord en classe de Seconde, et actuellement en Première, d'une pédagogie de contrat : celle-ci, notamment en Sciences expérimentales repose sur un certain nombre de capacités que l'élève doit acquérir progressivement ; cette acquisition se fait à travers des activités requérant une compétence : activités mono-objectif. Elle passe nécessairement par deux phases soumises à évaluation : une phase FORMATIVE (on apprend) et une phase SOMMATIVE (on vérifie l'acquis). Ceci se fait parallèlement à la réalisation d'objectifs cognitifs eux aussi parfaitement ciblés (figure 3).

Figure 3

     L'utilisation pédagogique de la simulation va dans ce sens : elle permet ce ciblage en ne mêlant pas pour l'élève, placé dans une situation de recherche, un nombre trop important ou disparate d'activités (pourvu que la maîtrise de l'appareil soit acquise - ce qui est réalisé très tôt - et que le logiciel soit très convivial). Elle permet la mise en oeuvre de compétences bien cernées en favorisant un suivi de l'acquisition de ces compétences.

2.2. L'application du modèle élabore par d'autres voies (donc connu) à le résolution de problèmes liés ou phénomène étudié

     Il s'agit de mettre en jeu un raisonnement déductif. La simulation, à travers la manipulation du modèle, permet ici encore une appropriation de celui-ci par l'élève, et ceci en modifiant le niveau d'abstraction puisqu'on passe du qualitatif (modèle connu) au quantitatif.


Figure 4

     La simulation met donc l'élève en situation de recherche et lui permet de mener une démarche synthétisante. Elle ne saurait se substituer à l'expérimentation réelle. Elle constitue un outil permettant des types d'activités pédagogiques parfaite ment cernées et étroitement en rapport avec des compétences précises. Elle présente une bonne adéquation avec les démarches mises en oeuvre dans les disciplines expérimentales. Elle n'est pas en contradiction avec la pédagogie de ces disciplines, mais au contraire en élargit les possibilités.

3. À PROPOS D'UNE UTILISATION PERTINENTE DE LA SIMULATION DANS NOTRE ENSEIGNEMENT

     Cette utilisation est soumises à deux exigences : disposer de produits, les connaître et être formé à leur utilisation.

3.1. Avoir des produits

     Depuis plus de vingt ans, la réflexion menée dans le cadre de recherches pédagogiques a dégagé quelques pistes et abouti à la réalisation d'un certain nombre de produits logiciels montrant l'intérêt de la simulation.

- Des produits pour simuler

     L'un des problèmes majeur est celui du modèle : il doit être suffisamment affiné, scientifiquement validé et accessible dans ses implications. Il ne doit pas être trop compliqué pour qu'il reste explicatif et permettre une véritable activité d'investigation.

     Ces exigences me semblent exister dans les modèles utilisés au niveau de la recherche et dans le monde professionnel.

     Dans cet ordre d'idée, une recherche a été menée depuis deux ans à l'INRP, ayant pour objectif de voir si des logiciels d'aide à la décision (donc utilisés en milieu professionnel) pouvaient être le support de démarches pédagogiques : deux produits ont été expérimentés en classes de Seconde, l'un concernant la fertilisation des sols (Isafumure), l'autre l'alimentation du bétail (Diétal). L'expérience a montré que ces logiciels étaient intéressants par deux aspects essentiels : la richesse des données et des modèles qu'ils renferment, l'approche systématique du réel qu'ils proposent.

     À la lumière de cette recherche, une stratégie d'ensemble peut être proposée :
- repérer les domaines scientifiques enseignés et rechercher pour chacun d'eux l'existence des produits intégrant des modèles exploitables ;
- explorer ces produits, en dégager les intérêts, construire des progressions pédagogiques intégrant ces outils et les expérimenter ;
- proposer des aménagements, refontes ou réécritures afin qu'ils répondent à des critères d'utilisation pédagogique ;
- réaliser effectivement ces aménagements et mettre les produits à la disposition des enseignants.

     L'autre problème est celui de la forme du logiciel : il ne me paraît pas souhaitable d'avoir une progression pédagogique intégrée au logiciel : celle-ci est du ressort de l'enseignant. Au contraire, le logiciel doit être pourvu d'un nombre suffisant de fonctionnalités permettant plusieurs entrées possibles par rapport au modèle et correspondant à un certain nombre de problèmes abordables avec ce produit.

- Des produits pour suivre la cohérence d'une démarche

     Un logiciel, élaboré il y a quelques années dans le cadre d'un recherche de l'INRP cherche à atteindre cet objectif : conçu comme un logiciel d'aide au diagnostic, il assure le suivi de la cohérence de la démarche d'investigation menée par l'élève amené à découvrir la nature des déficiences hormonales chez des têtards à métamorphose anormale (logiciel BIOL).

     Il serait intéressant de reprendre cette tentative en le restituant dans le contexte de l'utilisation des objectifs de références.

3.2. La formation des enseignants à l'utilisation de logiciels de simulation

     Elle doit s'inscrire dès l'IUFM et se poursuivre dans le cadre de la formation permanente des enseignants.

     Elle devrait revêtir les aspects suivants :
- formation plus importante à la didactique de la discipline : les processus d'apprentissage, la démarche expérimentale, la pédagogie par objectifs ;
- réflexion autour de thèmes avec une mise à niveau scientifique sur les domaines considérés, exploration des produits, réflexion sur leur utilisation concrète au cours de progressions pédagogiques.

     C'est à travers cette approche que s'acquerra la maîtrise de l'outil informatique (l'acquisition de connaissances en informatique en dehors d'un contexte d'utilisation n'étant pas favorable).

CONCLUSION

     Ne se substituant pas à l'expérience réelle, la simulation constitue un outil pédagogique : elle peut être le support d'une démarche synthétisante aboutissant à la découverte d'un modèle sous-jacent ou d'un raisonnement déductif à partir de données nouvelles.

     En tous les cas, elle favorise la mise en oeuvre de capacités qui font partie des objectifs méthodologiques.

     L'utilisation de logiciels de simulation implique, au delà de la disponibilité de produits intéressants une formation des enseignants en relation avec les aspects didactiques et scientifiques de la discipline.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 109-115.

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