Rapport Fourgous, enseignement de l'informatique et B2i
 

   Le rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l'école par le numérique, Réussir l'école numérique, a été remis au Ministre de l'Éducation nationale Luc Chatel le 15 février dernier [1]. Ce rapport est dense, documenté et approfondi. Il traite un ensemble de problématiques larges et variées.

   Dans sa lettre de mission, le Premier Ministre François Fillon soulignait « le retard de la France en matière d'équipements informatiques et d'usages des technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement dans les établissements, particulièrement dans le premier degré. » Parmi les raisons, le rapport pointe « les problèmes de maintenance et de formation qui représentent des freins importants ». La formation, bien sûr. À ce propos Maurice Nivat nous invite opportunément à relire André Leroy Gourhan qui nous a appris que l'outil n'est rien sans le geste qui l'accompagne et l'idée que se fait l'utilisateur de l'outil de l'objet à façonner [2]. Et d'ajouter : « Ce qui était vrai de nos lointains ancêtres du Neanderthal, quand ils fabriquaient des lames de rasoir en taillant des silex est toujours vrai : l'apprentissage de l'outil ne peut se faire sans apprentissage du geste qui va avec ni sans compréhension du mode de fonctionnement de l'outil, de son action sur la matière travaillée, ni sans formation d'une idée précise de la puissance de l'outil et de ses limites. »

   Le rapport Fourgous préconise un certain nombre de mesures en matière de formation des enseignants. Par exemple d'« introduire une épreuve mesurant les connaissances et les savoir-faire des candidats, dans le domaine des technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement (Tice), à chaque concours de recrutement des personnels » (mesure 4). Quant à elle, la mesure 61 est intéressante en ce sens qu'elle signifie également des obligations institutionnelles à intégrer les Tice : « aider à renforcer la place du numérique dans les programmes scolaires et à mettre en place des épreuves numériques dans les examens. »

   Le rapport Fourgous fait une référence remarquée à la création d'un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » en Terminale S à la rentrée 2012 : « En créant une matière "informatique et sciences du numérique" en terminale, le gouvernement français ouvre enfin la voie de l'apprentissage du numérique et redonne à l'école son rôle d'éducateur. » [3]. Selon le rapport European Schoolnet, « la plupart des nouveaux états membres enseignent l'informatique comme une matière à part entière. » [3]. La mesure 32 propose d'« impliquer davantage les élèves de collège et de lycée dans la compréhension de l'environnement informatique par la création de modules facultatifs et progressifs "informatique et société du numérique", pour découvrir et se former aux enjeux du numérique, mieux connaître l'informatique et mieux utiliser les outils ». Des élèves d'aujourd'hui étant les enseignants de demain, un enseignement de l'informatique en tant que tel est aussi un investissement sur les moyens et le long terme en matière de formation des futurs professeurs.

   Le rapport Fourgous pointe explicitement les limites du B2i, analysant ce qu'il est et ce qu'il n'est pas [4]. « Il est un début de réponse mais repose, entre autres, sur ce que l'élève apprend en dehors de la classe. L'utilisation des Tic, dans le domaine des loisirs peut-elle réellement conduire à des apprentissages implicites, exploitables en classe ? Le B2i est réparti de manière non exhaustive entre les différentes matières. Il ne fait l'objet d'aucun apprentissage à proprement parler ». La question est donc posée de savoir si « l'on peut noter un élève sur une « matière » non enseignée explicitement. » Et puis « il ne permet pas d'acquérir une culture informatique permettant de comprendre les techniques sous-tendant le fonctionnement des divers outils numériques ». En effet, « il ne prend pas en compte les connaissances techniques de base nécessaires (pour comprendre les outils numériques) ». Constatant également que « le B2i actuel ne peut qu'accentuer les inégalités entre les élèves, dues à leur origine sociale », le rapport Fourgous énonce sans la moindre ambiguïté que « la mise en place d'une matière informatique est une nécessité dans une société où tout fonctionne via le numérique ».

   Cette matière informatique correspond aux enjeux forts de la société et de l'économie au 21e siècle. Elle est une contribution à la culture scientifique contemporaine qui comporte trois grandes familles : les mathématiques, les sciences expérimentales et les sciences de l'information (l'informatique au sens large). Le 31 mars 2010, à Marseille dans le cadre des Rencontres de l'Orme, j'animerai une table ronde « Culture scientifique et culture informatique » dans laquelle interviendront Gérard Berry, professeur au Collège de France ; Gilles Dowek, professeur d'informatique à l'École Polytechnique, Maurice Nivat, Académie des Sciences [5]. L'occasion de débattre de cette question sociétale de la culture générale scolaire dont on sait d'expérience qu 'elle est à la fois essentielle et sensible, passionnante et passionnée.

Le 15 mars 2010

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] http://www.reussirlecolenumerique.fr/ ;
http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf ;
http://www.tagaro.fr/ecole_numerique/rapport.html.

[2] « L'informatique, science de l'outil », Maurice Nivat (à paraître dans EpiNet n° 124).

[3] Rapport Réussir l'école numérique, Partie III, II-1-3
http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf.

[4] Rapport Réussir l'école numérique, Partie III, II-5-3
http://www.reussirlecolenumerique.fr/pdf/Rapport_mission_fourgous.pdf.
On pourra consulter « Quelques notes de lecture sur le rapport Fourgous : Réussir l'école numérique »
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1003a.htm.

[5] http://www.orme-multimedia.org/r2010/index.php?option=com_content&view=category&id=15&Itemid=12.

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Association EPI
Mars 2010

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