Morceaux choisis
sur la nécessité d'un enseignement de l'Informatique et des TIC
 

   L'EPI mène une action en faveur d'une culture informatique, de nature scientifique et technique, de la maternelle à la terminale, notamment sous la forme d'un enseignement informatique et TIC au lycée en tant que tel.
   Des textes intéressants sur la question, émanant de membres de l'Académie des Sciences, d'enseignants-chercheurs, et qui ont gardé toute leur actualité.

L'enseignement de l'informatique de la maternelle à la terminale

Conférence-débat à l'Académie des sciences, le mardi 15 mars 2005, coordonnée par Gérard Berry et Maurice Nivat, de l'Académie.

Pourquoi ce débat ?
par Maurice Nivat, membre de l'Académie des Sciences.

   « De nombreuses raisons militent pour que l'enseignement de l'Informatique à tous les échelons de la scolarité soit développé et généralisé. Brièvement il sera rappelé que :

1- l'informatique joue un rôle croissant dans la plupart des activités humaines et dans la vie des individus et ce rôle va augmenter dans les années qui viennent.

2- l'informatique est un outil que pratiquement tous les gens exerçant un métier sont amenés à utiliser et qu'il parait ainsi normal de faire utiliser aux enfants dès qu'ils sont en âge de le faire.

3- l'informatique offre par le biais d'Internet des possibilités d'accès à l'information presque illimitées et il convient à la fois d'encourager les enfants à utiliser ces possibilités et à développer leur sens critique pour les utiliser avec efficacité et discernement.

4- La désaffection pour la science constatée chez nos jeunes peut être partiellement corrigée par l'enseignement de l'informatique qui exerce un réel attrait sur nombre d'entre eux, notamment, sur de nombreux jeunes rebutés par un enseignement trop dogmatique ou trop abstrait.

   Au niveau primaire il est actuellement prévu une initiation conduisant à l'acquisition du Brevet Informatique et Internet, le B2I, qu'il n'y a pas de raison de modifier. Il faut seulement s'assurer que ce niveau de connaissance est bien atteint par les élèves qui rentrent en 6e, donc que la formation est bien donnée par des maîtres suffisamment compétents, pendant une durée assez longue.

   Au collège, plutôt que d'introduire un enseignement nouveau il semble raisonnable de faire utiliser des outils informatiques par les élèves dans leur travail quotidien et ce dans toute les matières. En particulier, pour collecter de l'information sur des sites Internet faits pour eux de façon aussi naturelle que d'aller la chercher dans un livre ou un dictionnaire, mais également pour écrire, qu'il s'agisse de prendre des notes ou de rédiger des devoirs, ou encore, en utilisant des logiciels appropriés pour faire de la géométrie ou du dessin. Des classes de Français, de Langue vivante, d'Histoire, de Géographie, de Sciences de la Vie et de la Terre devraient pouvoir constituer des bases de données plutôt que de prendre des notes voire meubler de sites Internet pour partager avec d'autres classes. Ceci suppose évidemment que les professeurs utilisent ces mêmes outils et donc les connaissent bien et aient avec eux une familiarité suffisante. Et, évidemment, que professeurs et élèves aient tous accès à des ordinateurs, à des imprimantes, aux logiciels utilisés et à Internet.

   Au lycée il sera proposé d'introduire un véritable enseignement d'informatique formant aux notions essentielles d'algorithme et de programme. Jusque-là, en effet, l'informatique utilisée par les élèves s'apparente plus à la conduite automobile qu'à une discipline d'enseignement. On ne dira, ni comment marchent les ordinateurs ni comment fonctionnent les logiciels, avant la classe de seconde où nous préconisons d'introduire un enseignement des bases de l'informatique, distinct des autres enseignements, notamment de celui des mathématiques.

   Le sujet du débat est clair, quel enseignement proposer, sur quels programmes, donné par quels professeurs, ayant reçu eux-mêmes quelle formation ? »

La révolution numérique
par Gérard Berry, membre de l'Académie des Sciences et titulaire de la chaire Informatique au Collège de France (extrait).

   « Nous pensons que l'enseignement informatique doit se faire en plusieurs étapes progressives. Tout d'abord, le concept de numérisation peut s'enseigner à de très jeunes enfants, donc en primaire. Il est très facile de donner des exemples concrets et intéressants, en montrant par exemple que rendre une photo plus claire ou plus contrastée se fait avec les quatre opérations, et que rendre un son plus fort ou plus aigus se fait avec exactement les mêmes opérations. Ici, un enseignement de type « la main à la pâte » est parfaitement approprié. Nous présenterons des expériences que nous avons personnellement réalisées sur plusieurs années en cadre scolaire avec des enfants de 6 à 12 ans.

   Expliquer comment marche un circuit ou un ordinateur et comment s'en servir efficacement est plus difficile et doit probablement se faire un peu plus tard, au moment où les processus analytiques se mettent en place chez les enfants. Là, on peut commencer à montrer comment diriger les calculs, donc comment programmer des algorithmes simples. Des outils comme les robots Lego ou autres fournissent un bon point d'entrée relié au monde physique. On peut aussi expliquer des algorithmes de base et les boucles assez tôt sur des exemples simples mais pertinents de traitement d'image. L'avantage de le faire très tôt est de montrer qu'un ordinateur ne réagit pas du tout comme un être vivant : il fait exactement ce qu'on lui dit, ni plus ni moins. On voit alors rapidement qu'une rigueur implacable est nécessaire pour faire des choses qui marchent, puisqu'on ne peut pas compter sur le lecteur pour corriger les imprécisions.

   Une fois ces bases posées, la véritable programmation doit suivre dans les années de lycée et au-delà. Les autres conférences y étant davantage consacrées, nous n'élaborerons pas ce sujet. Mais il nous paraîtrait très incomplet d'enseigner de l'informatique technique sans avoir d'abord posé le schéma mental du traitement de l'information numérique. Si l'on regarde attentivement pourquoi beaucoup d'adultes sont perdus face à l'informatisation du monde, on comprend que c'est précisément à cause de l'absence d'un schéma mental cohérent et adapté. L'auteur a donné plusieurs conférences en milieu adulte sur le sujet (y compris au cercle des Industriels de l'Académie des sciences), dont le contenu n'était pas différent des interventions qu'il faisait auprès des enfants. Peut-être ceci pourrait-il aussi donner des idées pour des formations continues d'adultes. »

Apprentissage de la programmation et de l'algorithmique
par Jean-Jacques Levy et Gilles Dowek, professeur d'informatique à l'École polytechnique.

   « Enseigner l'informatique au lycée nous paraît être une nécessité, du fait de la place de cette discipline aussi bien dans notre économie et dans notre société que parmi les outils qui nous permettent de comprendre le Monde. Nous proposons l'idée que l'enseignement de l'informatique au lycée devrait avoir comme but principal l'apprentissage d'un langage de programmation et d'algorithmes de base, avec l'objectif de savoir écrire un programme au moment de passer son bac. L'apprentissage de la programmation et de l'algorithmique sont de nature à apporter beaucoup aux lycéennes et lycéens dans leur développement intellectuel, car il permet un travail par projets, il demande de mettre en application des connaissances acquises, il constitue un pont entre le langage et l'action et il montre l'utilité de la rigueur scientifique. »

Voir également :

Informatique : moyen d'accès aux mathématiques
Pierre-Louis Curien,
directeur de recherche au CNRS, université Denis Diderot - Paris 7.

Universalité de la notion de calcul
Jacques Mazoyer,
professeur à l'IUFM de Lyon et à l'École normale supérieure.

Des mathématiques à l'informatique
Laurent Vuillon,
professeur à l'université de Savoie.

En guise de conclusion
Maurice Nivat.

http://www.academie-sciences.fr/conferences/seances_publiques/pdf/debat_15_03_05_programme.pdf.

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Rapport sur l'enseignement des sciences et sur l'environnement de travail des enseignants et enseignants-chercheurs

Jean-Pierre Demailly, professeur à l'université de Grenoble I, membre de l'Académie des Sciences, à Monsieur le Ministre de l'Éducation nationale, Monsieur le Ministre de la Recherche et de la Technologie, Monsieur le Secrétaire d'État à l'Industrie.
Saint-Martin d'Hères, le 30 juillet 2001. (extrait)

   « Il est à noter que l'on n'enseigne actuellement presque aucune "informatique sérieuse" au Lycée, juste une formation à l'usage de logiciels assez spécifiques comme les tableurs ou les instruments de calcul, en général dans des contextes qui réduisent les élèves à l'état d'utilisateurs passifs de techniques venues d'ailleurs, et qui leur restent totalement étrangères au plan de la compréhension des mécanismes. Bien sûr, une formation à l'usage de logiciels spécifiques est compréhensible pour des filières courtes à visée professionnelle (secrétariat, comptabilité, etc.), mais ce type de formation n'a pas sa place dans les filières générales. Des expériences tentées il y a environ une quinzaine d'années dans les programmes du secondaire ont montré qu'il était possible, en option informatique, d'enseigner des choses beaucoup plus intéressantes, telles que la programmation dans un langage informatique de base – par exemple en relation avec les mathématiques et la compréhension des concepts logiques fondamentaux (cf. aussi l'analyse de Bernard Lang parue sur pauillac.inria.fr/~lang/ecrits/ailf/). Ces concepts restent hélas presque totalement ignorés dans l'enseignement actuel au Lycée. Cela est consternant, compte tenu de l'importance croissante que jouent ces concepts dans la technologie contemporaine et même dans la vie quotidienne. Quel rôle peut-il rester à cette école de la grise et uniforme médiocrité, alors que des jeunes fortement motivés et placés dans des conditions favorables peuvent – loin de l'école – parvenir eux-mêmes à des réalisations remarquables ? L'ennui généré chez certains élèves par l'absence d'enjeu ou de stimulation intellectuelle (et le caractère répétitif des devoirs scolaires) est sûrement la cause de nombreux échecs d'élèves doués, souvent de nombreuses années après le début du phénomène, lorsqu'ils ont définitivement perdu pied.

   Si on ne remédie pas d'urgence à toutes ces lacunes fondamentales de l'enseignement secondaire (et universitaire, voir plus loin), je crois que notre pays se dirige à très court terme vers une situation de véritable décadence technico-scientifique. Comme les États-Unis, que nous avons tendance à trop imiter de manière irréfléchie et dont la science ne se maintient au meilleur rang mondial que par perfusion massive de matière grise venant d'Europe de l'Est et d'Asie, notre pays se dirige tout droit vers une forte pénurie de techniciens et de scientifiques.

   Les mêmes erreurs entraînant les mêmes conséquences, on observe aujourd'hui une situation similaire dans presque tous les pays européens voisins. Cette situation n'est certes pas irréversible, il reste en Europe un potentiel humain considérable tout à fait à même de redresser la situation. Il faudrait pour cela que les états prennent des décisions rapides, réfléchies et politiquement courageuses, allant parfois à contre-courant des orientations prises ces dernières années. »

Rapport de 34 pages : http://smf.emath.fr/Enseignement/TribuneLibre/Demailly-08-2001/Demailly-08-2001.pdf

Voir également, la rubrique Nous avons lu.

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