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ENSEIGNER L'INFORMATIQUE ET
LES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

Pour une complémentarité des approches
Internet et ... le reste

 

     L'élève, futur citoyen du XXIe siècle, devra « maîtriser » les nouveaux outils d'information et de communication. Ce type de déclaration commence à fleurir sous des plumes de plus en plus nombreuses et autorisées. On la trouve dans l'importante intervention du Premier Ministre à Hourtin le 25 août dernier. Dans le même temps, derrière une « convivialité » réelle se dissimule mal une complexité croissante des logiciels (cf. l'enquête récente publiée dans « Décision informatique »). Comment donner aux élèves cette « maîtrise » des outils de plus en plus complexes ? La réponse des responsables du système éducatif (français) renvoie à « l'utilisation dans les différentes disciplines ».

     Cela peut paraître effectivement séduisant dans la mesure où on n'est pas obligé de toucher au cadre existant (par crainte des syndicats « réactionnaires », c'est bien connu !) mais ce n'est malheureusement pas satisfaisant car en grande partie inefficace. Regardons les choses en face. Cela fait des dizaines d'années que l'on développe cette thèse (les plus anciens se souviennent de l'expérience des 58 lycées au début des années 70) et on voit bien le résultat : plus de 25 ans après, pour ce qui concerne l'enseignement général (90% des élèves), à peine 10% des enseignants pratiquent l'ordinateur et les technologies associées de façon significative dans leur classe. Outre le fait que la « maîtrise » d'un outil complexe n'est jamais le résultat d'une simple pratique, celle-ci, pour l'immense majorité du corps enseignant, est une fiction.

     Devant une telle situation ne serait-il pas grand temps de mettre en place une approche complémentaire ? Ceux qui la refusent portent une lourde responsabilité devant l'avenir d'autant qu'ils ne font rien pour aller jusqu'au bout de leur logique : former massivement les enseignants et futurs enseignants de toutes les disciplines, faire évoluer les contenus d'enseignement et les concours de recrutement des maîtres...

     Quelle pourrait être cette autre approche ? Elle consisterait à partir de l'idée que l'informatique et les Technologies de l'Information et de la Communication sont choses complexes (ce que tout le monde pense tout bas sans oser le dire de peur de paraître en difficulté !) et non du domaine du « presse-bouton ». Que le complexe ne se « maîtrise » pas sans une formation sérieuse et spécifique assurée par des enseignants correctement formés. Que ce complexe n'existait pas il y a un siècle au moment où se mettaient en place les disciplines actuelles. Qu'à nouveau problème il faut trouver de nouvelles solutions et qu'on ne peut parler de « révolution des technologies de l'information » ou de « mutation de notre société de l'information » sans en tirer les conséquences en terme de redéfinition des objectifs et des priorités au sein même du système éducatif qui forme les citoyens de demain.

     Sans aller jusqu'à préconiser un chamboulement dans lequel disparaîtraient disciplines, tranches horaires et concept de classe (il est pourtant évident que les Technologies de l'Information et de la Communication s'accommodent mal de tout cela !), il est possible d'envisager la création d'une discipline à vocation transdisciplinaire, c'est à dire au service des autres disciplines et qui à ce titre pourrait grignoter quelque peu leurs horaires. Qu'ai-je dit là !

     Et pourtant, si on se place dans l'intérêt des élèves (l'élève « au centre »...) c'est pour lui tout bénéfice. Son nombre d'heures d'ensei-gnement reste inchangé, il a une chance réelle d'accéder avec un enseignant compétent à la fameuse «maîtrise » de l'outil, maîtrise qu'il pourra réinvestir dans les autres disciplines, ce qui reste l'objectif fondamental. Sachant par expérience ce qu'est l'enseignement actuel de l'option informatique, je peux témoigner que les élèves trouvent là ce qui leur manque le plus au lycée (voir enquête récente de la FSU) à savoir le travail sur projet et en équipe, et l'accès actif à une certaine complexité maîtrisée.

     Vous avez dit « Option informatique »? Il faut effectivement savoir qu'on ne part pas de rien. Au niveau du collège, un enseignement de l'informatique existe dans le cadre des programmes de Technologie, même s'il n'est pas toujours effectif par manque de formation des enseignants. Encore les problèmes de formation ! Dans les lycées d'enseignement général, il existe, depuis 1981 (avec une interruption de 1992 à 1995), un enseignement optionnel d'informatique en classe de seconde conçu (cf.BO du 4 mai 1995) « pour donner à l'ensemble des élèves une base de formation en informatique et leur permettre une utilisation raisonnée de l'ordinateur dans l'enseignement des différentes disciplines ». Cet enseignement se prolonge par des options diversifiées selon les séries en première et terminale avec épreuve au baccalauréat. Malheureusement, les parents et les élèves le savent bien, les demandes sont largement supérieures à l'offre essentiellement par manque d'enseignants formés. Toujours la formation ! Environ 5% des élèves de seconde sont concernés. En regard de la « révolution technique » et de la « mutation de la société », c'est dérisoire.

     Nos responsables politiques ne devraient-ils pas considérer que cette « culture informatique encore trop faible », selon les termes du Premier Ministre, n'a guère de chance de se développer dans des délais raisonnables si on n'y met pas les moyens et que, tous comptes faits, le moyen le plus efficace serait la mise en place au lycée, dans le prolongement de la Technologie du collège, d'une discipline transversale nouvelle avec tout ce que cela implique (formation des maîtres, concours de recrutement, programmes concertés, horaires redéployés, inspection...). Nul doute que le Ministère de l'Education Nationale sait faire. Il est en terrain connu, le terrain disciplinaire, et déjà balisé. Une montée en charge serait à prévoir sur plusieurs années, mais en utilisant les enseignants disponibles (un recensement serait à faire d'urgence) et en passant dès maintenant commande aux Instituts Universitaires de Formation des Maîtres et aux Missions Académiques de Formation des Personnels de l'Education Nationale, il serait possible, dès la rentrée prochaine, de donner un nouvel élan aux options « informatique et Technologies de l'Information et de la Communication » qui ont ouvert la voie. C'est maintenant un problème de décision politique.

Jacques Baudé
jbaude@club-internet.fr
Président d'honneur de l'association
Enseignement Public et Informatique (E.P.I.)

 

* Cet article est paru sous une forme très proche, sous le titre « La pratique ne remplace pas le savoir », dans le Forum du Monde Informatique daté du 3-10-1997.

 

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