EN CONCLUSION

Gabriel Langouët
Professeur de Sciences de l'Éducation, Université René Descartes, Paris V
 

   Je suis heureux de la tenue de ce colloque, notamment pour celui qui a pris l'initiative de sa tenue, pour ceux qui se sont associés à lui dans sa préparation. Il n'est qu'à sentir l'air que l'on respire ici pour être persuadé qu'il est un succès, une incontestable avancée dont peuvent, sans aucun doute, se féliciter tous ceux qui en ont été les acteurs (conférenciers, chercheurs et enseignants, animateurs d'ateliers et participants).

   Au moment d'effectuer la tâche qui m'a été confiée, je suis un peu inquiet aussi, car la richesse, la diversité, mais encore les complémentarités des échanges rendent difficile, sinon impossible, une synthèse « à chaud » qui ne peut être que partielle, et par conséquent partiale.

   Mais tel est le jeu de cette tâche que j'ai volontiers acceptée. Plutôt que de me livrer à un quelconque résumé de l'ensemble des informations et des échanges ayant marqué ces trois jours, j'effectuerai un premier choix, celui de pas reprendre successivement les apports des conférences suivies par l'ensemble des participants, mais plutôt d'axer mon intervention sur les apports des travaux d'ateliers, d'en dégager quelques éléments essentiels susceptibles d'éclairer quelques perspectives.

   Au risque de schématiser abusivement (et donc de dénaturer au moins partiellement), je suis tenté de classer les ateliers proposés en deux groupes principaux :

  • ceux qui dans leurs démarches, ont mis l'accent sur les pratiques dans la classe (qu'il s'agisse de celles de l'élève ou de celles de l'enseignant), mais débouchent sur les problèmes de formation ;

  • ceux qui ont annoncé, d'entrée, une préoccupation plus directe (ou plus visible) des problèmes de la formation des enseignants et des formateurs d'enseignants.

LE PREMIER GROUPE

   Sans hiérarchie aucune, et peut-être parce qu'il aurait pu paraître s'appuyer sur une discipline précisée (« l'Économie et la gestion »), l'atelier « L'ordinateur, outil pour l'enseignant » nous paraît significatif d'une démarche de réflexion ouverte, largement transférable à d'autres disciplines, exemplaire d'une didactique bien comprise, restituant les articulations entre les formes d'apprentissage, les styles pédagogiques et les modes d'activités didactiques, définissant les situations de classe (utilisation autonome ou collective de l'ordinateur, outil d'apprentissage et de production) montrant comment cet outil s'insère dans un ensemble de pratiques pédagogiques, sociales ou professionnelles en constante évolution et qu'il contribue à éclairer. Bref, point de panacée, mais un rôle indispensable, qui prend en compte la spécificité des savoirs et des compétences à transmettre, l'analyse de l'apprenant (par exemple, la psychologie des apprentissages), le contexte social de l'action pédagogique et le devenir social et socioprofessionnel du passé.

   L'atelier « Modélisation et Simulation », partant de préoccupations pédagogiques plus circonscrites, mais les abordant à partir des intérêts d'une communauté pluridisciplinaire large (la quasi-totalité des disciplines semblant, dés l'entrée, concernées) a permis un large échange à partir de pratiques pédagogiques effectives, de l'analyse de leur adéquation aux objectifs visés, qu'il s'agisse de permettre une meilleure « manipulation des modèles », mais aussi la critique de ces modèles, ou, par la simulation, d'appréhender et de découvrir la richesse des interactions d'une réalité toujours complexe, de stimuler ou de provoquer la motivation des élèves. Là encore, l'accent nous semble avoir été mis sur les spécificités de l'outil, sa capacité à gérer des pratiques pédagogiques originales et nouvelles, elles-mêmes renvoyant à des problèmes de formation, à des propositions de contenus pluridisciplinaires de formation.

   En se penchant sur l'évolution des environnements, l'atelier « Quels nouveaux environnements de travail ? », a bien mis en évidence les transformations institutionnelles (la décentralisation) conduisant à la diversité des types d'équipements et d'intégration des technologies les plus récentes, des développements de pratiques pédagogiques construisant leur propre « écosystème ». L'enseignement paraît net : le processus engagé d'introduction de l'informatique dans l'ensemble des champs d'activité pédagogiques et sociales est inéluctable ; il s'agit de créer, notamment grâce à la formation, les conditions de conversion de ce processus technologique en projet éducatif.

   Mais, en même temps, apparaît la nécessité de diversification des projets éducatifs, et par conséquent des projets de formation : l'innovation doit partir de la périphérie, des conditions et des spécificités locales, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne doit pas être ré-analysée à un niveau plus central.

   S'avèrent d'autant plus nécessaires les regroupements d'informations, de données accessibles à tous et permettant une véritable avancée dés connaissances. Sur ce champ, l'atelier « Banques et bases de données » s'est donné pour tâche l'identification des ressources actuelles disciplinaires ou plus globales et l'analyse des besoins, le repérage des facteurs facilitant ou au contraire entravant l'utilisation des données nationales mais aussi internationales. Au centre des préoccupations de ce groupe, il semble qu'a dominé un double objectif : celui de montrer que l'accès aux banques de données est non seulement de nature à enrichir considérablement les approches pédagogiques plus particulières évoquées précédemment (par exemple, la modélisation ou la simulation), mais aussi, à travers l'analyse même de ce type de données et des conditions méthodologiques de leur production (qu'il s'agisse par exemple de traitements statistiques, graphiques...), de favoriser une réflexion des utilisateurs, une formation conduisant à un usage pédagogique critique et par conséquent pertinent. Il est en outre soulevé le problème de l'insuffisance du nombre de logiciels spécialisés adaptés.

LE SECOND GROUPE

   L'atelier « Quelles ingénieries de formation ? » a montré la place réelle qu'occupe l'informatique (10 % des moyens, 15 % des formateurs) dans une formation initiale et continue en profonde mutation (notamment avec l'implantation des IUFM) même si les coupures entre formation initiale et continue restent fortes. Les apports essentiels me semblent être les suivants :

  • l'expérience des MAFPEN est, dans ce champ, considérable, notamment en ce qui concerne son expérience de la recherche de l'adéquation entre offre de formation et demande de formation (qu'elle soit d'ordre individuel ou collectif) ;

  • la formation s'inscrit dans un contexte économique qu'elle ne peut négliger. Qu'on le veuille ou non, il s'agit de gérer un rapport coût / efficacité ;

  • la formation ne contient pas en elle-même ses propres finalités. L'objectif final, c'est l'élève (nous y reviendrons).

   L'atelier « Quelles compétences transversales » s'est fixé pour objectif de définir les compétences indispensables en informatique. Le point de départ de sa réflexion a été double : analyser, par rapport à l'informatique, les représentations des utilisateurs ; analyser les pratiques réelles des enseignants. L'objectif était de lever certaines ambiguïtés, de préciser certains points indispensables. J'en livrerai deux :

  • l'informatique pédagogique souffre d'un mauvais départ, l'EAO (j'ajouterai et de son appui sur une théorie trop simple, le béhaviorisme) ;

  • l'informatique se banalise, mais pas sa culture. Une attention particulière a été portée à la distinction objet / outil. La conclusion, simple, est forte : la formation ne peut se réduire à l'apprentissage des outils, mais doit viser à l'appropriation (qui ne peut être considérée comme spontanée), des concepts généraux sans lesquels il ne peut y avoir d'utilisation pertinente (données, information, procédure, mémorisation...).

   Sans doute, la réflexion sur les contenus de cette formation « minimale » est-elle à poursuivre.

   Comme je l'ai annoncé, il n'était point question de résumer ces trois jours. Simplement de démontrer qu'une réflexion si riche contient ses propres complémentarités, comment ces travaux d'ateliers étaient eux-mêmes indispensables à l'intégration des conférences plus générales, qu'elles concernent l'état de la recherche dans certains domaines, la réflexion sur les évolutions sociales ou socioprofessionnelles, les nouvelles formes d'accès à la connaissance, la formation à l'informatique et la place plus générale de cette formation dans la formation des enseignants.

   Outre le plaisir que j'aurai à prendre connaissance des actes de ce colloque, je voudrais conclure en soulignant brièvement trois points auxquels j'ajouterai une brève remarque personnelle.

   Après des balbutiements sans doute inévitables à tout nouveau né (mais à mon sens, balbutiements plus nets à sa deuxième naissance – les années 80 –, qu'à sa première – les années 70 –), l'informatique pédagogique devient adulte, connaissant mieux ses champs d'application, s'appuyant sur un corpus de connaissances en sciences humaines et sociales mieux maîtrisé. M'en paraissent significatifs les efforts de recherche entrepris, que ce soit au niveau de la recherche plus fondamentale ou que ce soit au niveau de la recherche de terrain, de la recherche innovation, à condition que la dimension évaluation ne soit pas sous-estimée. À ce titre, ce colloque m'a paru exemplaire de la recherche d'une liaison théorie-pratique non artificielle.

   Un consensus semble s'établir sur le fait que, vis à vis de l'enseignement, l'ordinateur est d'abord un outil. Le faux débat objet / outil apparaît dépassé. Ces journées prouvent bien que l'outil est intégré, le débat étant désormais celui de son adéquation à l'usage pédagogique auquel on le destine, aux objectifs qu'on lui assigne. En d'autres termes, je dirai que la communauté informatique (communauté d'objet, mais diversité des objectifs) est en train de devenir une équipe (dont les objectifs sont plus clairs et plus consensuels, dont les méthodes s'élaborent, s'affinent et se complètent plus qu'elles ne s'opposent). C'est sans doute là un pas important franchi vers la recherche de complémentarités plus grandes entre les « Nouvelles technologies », audiovisuel et informatique par exemple.

   L'accord semble aussi se faire sur nombre d'aspects de la formation des enseignants. Formation initiale et formation continue doivent construire des ponts qui nécessitent la mise en commun des expériences acquises dans les divers champs de la formation (IUFM, MAFPEN, Universités, etc.) ; la formation à l'informatique nécessite une formation plus large, notamment dans le champ des sciences humaines et sociales.

   Une remarque personnelle enfin : concernant les technologies nouvelles, nous avons eu coutume d'y placer souvent des espoirs exagérés et sans doute d'autant plus déçus qu'ils n'étaient pas toujours appuyés sur une analyse théorique approfondie. L'audiovisuel en est à mon sens, un exemple. L'expérience – et ce colloque – nous ont notamment appris que le meilleur outil ne vaut que par celui qui l'emploie. L'enjeu de la réussite de l'introduction nécessaire de l'informatique dans l'école, c'est la réussite des élèves (et là, je suis particulièrement heureux de voir à quel point ils n'ont pas été les oubliés de ce colloque), du plus grand nombre d'entre eux, sinon de tous, à condition de se garder à la fois de tout fatalisme sociologique et de toute illusion pédagogique.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 275-279.

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