DES CONNAISSANCES INFORMATIQUES
POUR LES SCIENCES PHYSIQUES ?

Daniel Beaufils
Institut National de Recherche Pédagogique
 

PRÉALABLE : LA QUESTION DE LA RÉFÉRENCE

   La définition d'un ensemble minimal de connaissances informatiques repose sur le choix d'une référence au plan des utilisations de l'ordinateur : « minimale pour faire quoi ? ». Le niveau de compétence est en effet tout autre suivant qu'il s'agit d'un utilisateur « presse-bouton » ou d'une personne « ressource » chargée de l'achat, de l'installation et de la maintenance des matériels et logiciels  (1, 2).

   En ce qui concerne l'enseignement des sciences physiques, la référence qui s'impose est l'utilisation de logiciels dits « outils de laboratoire ». Ce choix tient compte de la place prépondérante de ce type de logiciels en sciences expérimentales [1] et contient implicitement l'idée que l'utilisateur peut être aussi bien le professeur que l'élève.

   Les capacités requises sont alors les connaissances (savoirs) nécessaires à la compréhension de la documentation de ces logiciels (ou d'un document équivalent), et les savoir-faire relatifs à l'utilisation de leurs différentes fonctionnalités (« mode d'emploi » et ergonomie) (3).

LA NÉCESSITÉ D'UNE CONNAISSANCE INFORMATIQUE ILLUSTRATION

   Il est possible d'observer des situations mettant en oeuvre l'ordinateur outil de laboratoire où les compétences informatiques nécessaires semblent réduites à une part négligeable : l'appui sur la touche Entrée permet de lancer le logiciel, l'ouverture d'un menu avec la souris donne accès à l'acquisition automatique des données, la recopie d'une formule mathématique entraîne la détermination quasi instantanée des valeurs des paramètres inconnus, et enfin, la donnée d'un nom suffit à constituer le fichier des données sur le disque dur.

   Mais de tels exemples ne résistent pas à une observation plus précise : ils correspondent généralement à des situations particulières et constituent de « mauvais exemples ». Il s'agit en particulier de situations bien préparées : un fichier auto-chargeable permet de lancer le logiciel avec la bonne configuration, les commandes utiles sont clairement désignées, la formule mathématique est donnée avec la bonne syntaxe, le répertoire de sauvegarde est pré-sélectionné, etc. Il s'agit souvent également de situations sans enjeu ou sans risques : il n'y a pas d'évaluation de l'activité elle-même, pas de responsabilité en cas de fausse manoeuvre, et par contre, présence d'une « personne ressource » en cas de besoin. Il s'agit enfin de situations généralement sans suite : pas d'analyse critique du résultat, pas d'approfondissement de la question initialement posée, pas d'extension des utilisations des méthodes introduites à d'autres cas (même voisins).

   Or précisément, dans le cadre d'une utilisation raisonnée et significative de l'ordinateur, il en est tout autrement. Ceci est particulièrement évident pour l'enseignant qui doit prendre en charge la préparation évoquée ci-dessus et doit précisé ment être la « personne ressource » pour les élèves. Mais il en est de même pour l'élève utilisateur, dès l'instant où on lui propose des activités en partie autonome, fondées sur la mise en oeuvre de méthodes scientifiques, où l'ordinateur est réellement considéré comme un outil d'investigation et où l'on attend de l'élève qu'il fournisse un compte rendu précis, avec une réponse argumentée ou un avis critique [2].

   Ainsi, pour analyser les résultats de mesures obtenus au cours du temps via une interface (périphérique de mesure), comment ne pas connaître le timer, comment ne pas prendre en compte le codage sur un nombre limité de valeurs (pour dévoiler l'illusion du « continu » des affichages numériques exprimés en mètre, seconde...) ?

   De même, dans le cas d'une modélisation effectuée à l'aide d'une méthode d'optimisation automatique de paramètres, comment comprendre la nécessité de donner des valeurs « initiales » sans penser à l'initialisation des « variables » (identificateurs) de la boucle de calculs itératifs de l'algorithme [3] ? De même, lorsque le logiciel affiche un pourcentage (écart = 1.3 %, par exemple) informant de la précision de l'adéquation entre le modèle et les données, comment porter un jugement critique sur le résultat sans savoir par rapport à quoi le pourcentage est effectué, sans savoir si le test d'arrêt de la boucle de calculs est fondé sur la précision des mesures, sur la précision interne des codages numériques, ou sur le choix (fait par le concepteur) d'arrêter la procédure en deçà d'un taux de variation du critère adopté ?

   Lorsqu'il s'agit de supprimer un point jugé aberrant dans une série de résultats expérimentaux, et que le logiciel demande confirmation, comment ne pas craindre une fausse manoeuvre sans connaître la différence entre la suppression temporaire du tableau (la valeur peut être à nouveau reprise en compte), la suppression effective de cette valeur des tableaux en mémoire centrale, et la suppression définitive de la valeur dans les fichiers ?

   Enfin, lorsqu'il s'agit de faire comprendre aux élèves la procédure de résolution numérique d'une équation différentielle, explication incontournable pour espérer faire différencier cette méthode de celle du tracé de fonctions explicites (5), comment là aussi ne pas parler d'affectation initiale de variable, comment ne pas parler d'itération ?

UN DÉBUT DE LISTE

   Les éléments ci-dessus ont mis en évidence un certain nombre de connaissances « informatiques » qu'il faut, suivant les cas, maîtriser, avoir en mémoire, ou simplement dont il faut connaître l'existence. Nous donnons ci-dessous quelques éléments indicatifs d'une liste plus complète de telles connaissances.

Connaissances générales

À propos de l'entrée (et sortie) des informations

  • Clavier : connaître l'existence et le rôle de différentes touches spécifiques Entrée, Esc, Num lock, Maj, Ins, CTRL-[], ALT-[], CTRL-ALT-DEL.

  • Souris : savoir utiliser la souris pour « tirer » ou « dérouler » des menus, valider par bouton ou double click.

À propos du stockage des informations

  • Supports : connaître l'existence de différents formats et formatages de disquettes, la capacité d'un disque dur.

  • Fichiers : savoir qu'un fichier peut contenir des nombres, des mots, une liste de formules, une configuration, etc. ; connaître la structure en arbre, ce qu'est un chemin d'accès, un catalogue ; savoir se déplacer dans un arbre, copier un fichier (avec un utilitaire).

  • Mémoire : savoir différencier mémoire vive et mémoire de masse, savoir ce qu'est l'affectation d'une variable ; connaître l'existence de la structure de tableau.

À propos des utilisations

  • Logiciels : lancement et exécution, paramètres, mémoire requise, test de protection, création de fichiers temporaires, etc.

  • Exemples généraux d'utilisation : connaître l'existence de gestionnaires de bases de données, de traitements de textes, de feuilles de calculs.

Connaissances générales liées à une utilisation scientifique

À propos de l'outil de calcul

  • Tableur : savoir ce qu'est une feuille de calcul, savoir créer, affecter une colonne, un tableau ; maîtriser la syntaxe des expressions mathématiques non élémentaires.

  • Connaître l'existence d'un codage (binaire), son importance dans la précision des calculs.

  • Itération : connaître le principe d'une boucle de calcul ; savoir ce qu'est un pas de calcul.

À propos de l'outil de représentation

  • Représentations graphiques : possibilités de représentation de mesures, de courbes mathématiques.

  • Images numériques : codage et visualisation d'informations.

À propos de l'outil de mesure

  • Interface : possibilité d'utiliser la conversion analogique-numérique pour la connexion d'instruments de mesure et le pilotage de périphériques.

  • Timer : existence d'une horloge interne, échantillonnage et principe d'une acquisition automatique dans le temps.

CONCLUSION

   Ce sur quoi nous voulons attirer ici l'attention, c'est d'abord le fait que l'absence d'un certain nombre de connaissances de type « informatique » peuvent entraîner soit le sous-usage des outils (par crainte de les utiliser ou par méconnaissance des possibilités), soit leur mésusage (erreurs dans le choix des outils ou erreurs dans l'interprétation de résultats).

   Parmi ces connaissances, certaines peuvent être considérées comme des connaissances générales, dans le sens où elles concernent des utilisations de base et sont transversales à différentes disciplines. Elles peuvent donc à ce titre faire l'objet d'un enseignement autonome. D'autres sont soit plus spécifiques, soit plus « avancées » (timer, codage binaire, itération, etc), mais apparaissent comme pré-requises aux explications concernant les utilisations de méthodes scientifiques, et doivent donc également faire l'objet d'un enseignement préalable et en partie indépendant.

   Cet enseignement autonome est à notre avis un enseignement d'informatique (6). S'il n'est pas dans le propos d'en débattre ici, il nous apparaît important de garder à l'esprit que, comme pour toute discipline, il existe une différence entre le savoir scientifique et l'enseignement correspondant : s'il peut y avoir des débats quant à l'appartenance de certaines notions au domaine de la « science informatique », il peut ne faire aucun doute quant à leur intégration à un enseignement d'informatique.

   Ajoutons enfin, que la définition d'un ensemble minimal de connaissances informatiques, s'il existe, ne donne pas la structure de l'enseignement qui permet de le maîtriser. L'adjectif « minimal » peut être relatif au réseau conceptuel et à la représentation mentale qui rendent les connaissances opérationnelles. Mais une telle structure est alors celle qui reste lorsque l'utilisateur a synthétisé un grand nombre de connaissances théoriques et factuelles.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 244-248.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

(1) Ballini D., 1992. « Informatique et enseignement des sciences physiques quels programmes, quelle formation ? », in Actes des 5èmes journées « Informatique et Pédagogie des Sciences Physiques », Paris : UDP-INRP, p. 147-152.

(2) Beaufils D., Lagoutte R., Schwob M., 1992. « L'ordinateur dans la classe : du quotidien à l'innovation », in Actes des Sèmes journées « Informatique et Pédagogie des Sciences Physiques », Paris : UDP-INRP, p. 13-22.

(3) UDP, 1991. Propositions pour une harmonisation des logiciels d'acquisition, de traitement et de simulation, Paris : UDP, 84 p.

(4) MEN, 1987. Sciences physiques dans les terminales scientifiques, objectifs et procédures d'évaluation, Paris : Ministère de l'Éducation nationale, 79 p.

(5) Beaufils D., 1991. Ordinateur outil de laboratoire dans l'enseignement des sciences physiques, propositions pour la construction d'activités, première analyse des difficultés et des compétences requises chez les élèves de lycée, thèse nouveau régime, UER Didactique, Paris VII, 402 p.

(6) Cousson F., Filippi F., Beaufils D., 1991. « Sciences physiques et informatique, des enseignements à rapprocher », Bulletin de l'Union des Physiciens, n° 731, 379-390.

NOTES

[1] Ce point de vue intéresse donc aussi l'enseignement des sciences biologiques.

[2] Ceci fait référence ici aux capacités à évaluer dans le cadre de la conduite d'une démarche scientifique (4).

[3] Ce qu'il ne faut pas confondre avec la donnée de conditions initiales physiques, même si les deux aspects sont confondus dans certains cas !

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