L'ordinateur : quel outil pour l'enseignant

INTRODUCTION AU THÈME

Claude Patoux
Professeur formateur au CRDP de Reims

 

   Un certain consensus se dégage quant aux apports de l'informatique en tant qu'outil de production pour le professeur, notamment sur les points suivants :

  • rapidité,
  • qualité des documents,
  • diversité et variété des formes de présentation avec possibilité d'analyse critique.

   Certaines interventions ont montré clairement les opportunités d'animation dans un cadre collectif (système de projection). D'autres points de vue ont mis en évidence les qualités de l'outil pour la mise en place de pratiques pédagogiques plaçant l'élève au centre du dispositif d'enseignement. Quant aux conséquences de l'utilisation de l'informatique sur les apprentissages, les réponses sont insuffisantes et mériteraient une recherche approfondie. L'apparition de nouveaux outils (multimédia, hypertexte, machines portables...) risque d'avoir des conséquences, difficilement identifiables actuellement, sur les pratiques des enseignants. Le câblage d'établissement et la mise en réseau ont fait l'objet d'importants débats et suscitent de nombreuses interrogations. La dimension communication et la place prépondérante du CDI comme centre de ressources sont reconnues par tous. Les modalités de mise en oeuvre et les conditions de réalisation pédagogiques restent à préciser et devraient faire très rapidement l'objet d'une recherche.

   Afin d'engager le débat, François Bouard (IPR-IA, Économie et Gestion) propose deux types de réflexion :

  • la première fait référence à l'ouvrage de J.-P. Astolfi et M. Develay (La didactique des sciences, Que sais-je ?) : l'examen d'une liste d'expérimentations avec l'outil informatique incite à penser que le modèle pédagogique investigation-structuration utilisé en didactique des sciences et s'appuyant sur une mise en activité des élèves est souvent présent dans l'esprit de l'utilisateur sans pour autant être affiché ;

  • la seconde emprunte à J.-L. Martinand la notion de « pratiques sociales de référence » : « ... l'informatique et les ordinateurs sont de plus en plus présents dans les différentes professions et interviennent dans tout un ensemble de pratiques sociales... En quoi ces pratiques peuvent-elles servir de référence pour l'élaboration de situations didactiques à différents niveaux de l'enseignement ? Sous quelles formes peuvent-elles être transposées ? » (article de C. Orange dans EPI [1]).

   À l'appui de cette thèse F. Bouard cite A. Robert (Inspectrice générale, Économie et Gestion) : « Les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), présentes dans toutes les professions tertiaires, interviennent dans tout un ensemble de pratiques sociales : production de travaux de gestion administrative, comptable et financière, commerciale, aide à la décision, à la communication, à la vente, consultation de banques de données... Ces pratiques, évolutives, à la base des qualifications, sont précisément analysées en entreprise par les jeunes professeurs d'Économie-Gestion lors de leur stage en milieu professionnel. Elles servent à l'identification de situations d'apprentissage et d'évaluation, à l'élaboration d'études de cas informatisées ».

   Jean-Louis Malandain [2] compare le métier de l'enseignant à celui d'un acteur, avec toutefois une différence considérable, il se produit seul, devant un public non renouvelé : c'est un métier difficile. J.-L. Malandain pose alors la question de savoir en quoi un ordinateur peut aider un enseignant. « La grande révolution de l'informatique est de mettre à la disposition de l'individu un instrument polyvalent. » Le seul handicap dont souffre ce remarquable appareil est l'étroitesse de sa lucarne qui le cantonne trop souvent à un usage individuel. Mais dès qu'on dispose des périphériques pour assurer une diffusion de proximité, alors on s'approche de l'auxiliaire didactique idéal. J.-L. Malandain cite certains usages qu'on peut en attendre dans une salle de classe :

  • illustration de cours par présentation de documents à l'écran,
  • exploration de nouveaux logiciels,
  • consultation collective de textes d'auteurs,
  • écriture collective d'un texte,
  • correction de devoir,
  • présentation de didacticiel...

   L'association du texte, du son et de l'image ainsi que les procédés de navigation « hyper » (hypertexte, hypermédia) mettront à la disposition des enseignants un auxiliaire didactique universel.

   Pierre Miele [3] estime que l'ordinateur est en premier lieu l'outil de l'enseignant et que pour la formation des enseignants une stratégie pertinente et efficace consiste à commencer par une appropriation de l'informatique par l'utilisation des outils de travail personnel ou de gestion de l'enseignement avant même de l'aider à en faire un instrument de travail pédagogique.

   Jacques Guelorget [4] replace l'utilisation de l'ordinateur par l'enseignant dans le cadre d'un environnement « multimédia » d'un établissement « communicant ». L'ordinateur est un outil de travail pour l'enseignant : avant la classe, durant la classe, après la classe.

   J. Guelorget décrit précisément l'environnement de travail de l'enseignant – poste de travail professeur, les périphériques optionnels, les logiciels pour l'enseignement, les CD-ROM et les vidéodisques – et en tire les conséquences quant à la formation aux nouvelles technologies pour les futurs enseignants :

  • au cours de la première année, la formation est essentiellement orientée vers une formation individuelle qui permet au futur enseignant de s'approprier les connaissances indispensables à l'utilisation personnelle des nouvelles technologies ;

  • la deuxième année a pour objectif la formation du futur enseignant pour une utilisation des nouvelles technologies avec les élèves ainsi que l'intégration des nouvelles technologies dans la didactique de chaque discipline.

   F. Bouard propose d'organiser le débat autour de quatre thèmes :

  1. l'ordinateur : outil de production pour l'enseignement ;
  2. l'ordinateur : outil d'animation pour la classe ;
  3. l'ordinateur au service des apprentissages ;
  4. les pratiques professionnelles : les moyens et leurs implications.

1. L'ORDINATEUR OUTIL DE PRODUCTION POUR L'ENSEIGNEMENT

   L'ordinateur permet de fabriquer rapidement des documents d'excellente qualité, mais également de varier et multiplier les traitements et finalement contribue à personnaliser les présentations de travaux pour chaque enseignant.

   En outre, l'usage de l'ordinateur participe à la formation de l'esprit critique si l'enseignant apprend aux élèves à prendre du recul par rapport aux résultats fournis par la machine.

   L'observation de ce qui s'est passé dans le domaine des calculatrices (baisse considérable des prix sur dix ans et mise à disposition pour chaque élève) conduit à s'interroger sur ce que pourrait être pour un professeur la préparation d'un cours, d'ici quelques années, en supposant que chaque élève aurait à sa disposition un micro-ordinateur portable.

   Si on raisonne en terme de production, l'utilisation de l'ordinateur permet d'élargir la gamme des supports utilisés et de ne plus se limiter au document papier production dynamique à l'écran, évolutive et interactive.

   Dans le domaine de la formation, il faut donner envie à l'enseignant d'utiliser l'ordinateur pour la préparation de ses cours et lui montrer l'intérêt qu'il peut en retirer.

2. L'ORDINATEUR : OUTIL D'ANIMATION POUR LA CLASSE

   Un participant propose de placer ce débat dans le cadre des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres : « la première démonstration de l'efficacité de ces outils ne résiderait-elle pas dans l'intégration de ces outils dans les pratiques pédagogiques au sein des IUFM ? »

   Actuellement, dans les IUFM, certains facteurs concourent à une faible utilisation des nouvelles technologies :

  • au niveau des formateurs universitaires, leurs pratiques pédagogiques n'y font pas naturellement appel (cours magistral en amphithéâtre) ;

  • au niveau des formateurs issus du second degré, même si pour la plupart ils sont plus formés et plus enclins à intégrer l'usage de l'ordinateur dans le cadre de leur pédagogie, les conditions matérielles qu'ils ont rencontrées ne leur ont par permis de mettre en oeuvre la pédagogie qu'ils auraient souhaitée.

   Cependant, certains témoignages font état d'expérimentations jugées plutôt intéressantes :

  • utilisation de logiciels, développés dans le cadre des IREM, par les stagiaires IUFM ;
  • mise en place d'un service télématique et mise à disposition d'une messagerie pour les stagiaires IUFM affectés à des stages et dispersés dans l'académie ;
  • équipement de salles de formation ouvertes sur l'extérieur : téléphone, minitel, modem, ordinateur... ;
  • constitution de groupes régionaux de réflexion associant université, IUFM et entreprises.

   Le rôle de modèle joué par le formateur auprès des stagiaires IUFM est mis en avant et il semble que l'intégration de l'outil informatique passe plus par une mise en pratique de la part du formateur que par une réforme des contenus.

   À la proposition de mise en place, au sein des IUFM, d'un module informatique (d'une durée d'une cinquantaine d'heures) assurée par certains « spécialistes » d'aucuns voient un danger de démobilisation pour les « non-spécialistes », qui pour raient avoir tendance à se décharger intégralement sur leurs collègues « spécialistes ». Le problème reste celui de l'urgence et de l'investissement considérable pour imprégner l'ensemble des formateurs.

   L'ordinateur doit permettre le renouvellement des méthodes pédagogiques et limiter son usage au cadre collectif est bien restrictif ; ses apports dans le cadre d'un travail individualisé et autonome sont considérables ; des méthodes d'organisation sont à rechercher et il faut favoriser l'accès aux machines en dehors des cours institutionnels (bibliothèque et CDI, par exemple).

3. L'ORDINATEUR AU SERVICE DES APPRENTISSAGES

   L'utilisation de l'informatique dans le cadre de l'enseignement influe sur la place de l'enseignant qui n'est plus le seul détenteur du savoir, mais également sur celle de l'élève qui se trouve placé au centre du dispositif pédagogique, en activité et en relation avec les savoirs qui se trouvent dans la machine.

   On est en droit de s'interroger sur la nature des apports de l'informatique dans le cadre des apprentissages. On constate que l'enseignant sait expérimenter, qu'il se trouve dans la situation « d'enseignant-chercheur » (au sens de Meirieu) mais ne dispose pas d'études statistiques et scientifiques des conséquences de l'utilisation d'un tel outil dans sa classe. On ne mesure pas parfaitement les conséquences pour l'apprentissage de ces types d'activités et notamment on suppose, sans pouvoir l'affirmer, qu'elles entraînent une mémorisation plus importante par la mise en place de mécanismes intellectuels de construction du savoir. Ces mécanismes de raisonnement ne sont-ils pas trop spécifiques à l'informatique et quelles peuvent en être, à terme, les conséquences pour les élèves ?

   À propos de l'évaluation, un témoignage concernant l'évaluation-remédiation au niveau de la classe de sixième met en lumière les difficultés d'utilisation et le manque de convivialité de certains outils : le résultat est alors désastreux auprès des collègues qui découvrent l'informatique par ce biais.

   L'informatique peut aider l'enseignant dans une représentation différente de l'évaluation et certains travaux universitaires ont mis en évidence les démarches de l'élève ; à remarquer qu'il est dorénavant possible de suivre un élève dans la procédure qu'il met en oeuvre pour interroger une banque de données ou pour évoluer dans un hypertexte.

   La possibilité de constituer des fichiers de travaux d'élèves permet de dégager des caractéristiques de réponses et de les retravailler dans un cadre collectif. Pour certains, l'informatique induit une vision différente de l'évaluation par des allers-retours entre le professeur et l'ordinateur à l'aide duquel l'élève doit réaliser certains travaux, une certaine qualité de travail peut être exigée. L'élève ne se trouve plus en situation d'échec ; seul se pose alors un problème de temps de réalisation.

   Pour d'autres, il existe un véritable paradoxe dans l'utilisation de l'ordinateur : il semble que ce soit le moyen de réconciliation de certains élèves avec le système éducatif et que finalement les enseignants fassent passer en arrière plan les objectifs d'apprentissage qu'ils s'étaient fixés tellement ils sont satisfaits d'avoir pu de nouveau intéresser des élèves « perdus » pour un enseignement classique. L'informatique serait alors plus un outil de motivation qu'un véritable outil d'apprentissage.

4. LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES LES MOYENS ET LEURS IMPLICATIONS

   Les évolutions des matériels et des logiciels induisent-elles des modifications dans les pratiques professionnelles ?

   Un participant témoigne d'expérimentation en classes de maternelle concernant l'exploitation d'images scannerisées pour la représentation d'algorithmes relatif aux déplacement de la tortue de sol.

   Un autre participant estime que la combinaison du texte, de l'image et du son devrait permettre de passer de l'état de consommateur et d'utilisateur à l'état de créateur et de producteur avec des possibilités accrues de navigation (hypertexte) pour la mise en place de scénarios interactifs, par exemple.

   Les politiques mises en place actuellement par certaines régions dans le cadre de la construction ou de la rénovation d'établissements, qu'elles câblent et dotent, plus ou moins, en matériels en périphérie du câblage (dit multimédia), conduisent à approfondir la réflexion sur les usages pédagogiques qui pourraient en être faits. Certaines structures d'établissement ont été complètement conçues autour du CDI chargé de diffuser, via le réseau d'établissement, des informations de toute nature : images, textes et sons.

   Certains participants expriment leur inquiétude quant aux choix auxquels ils n'ont pas été associés et pour lesquels ils sont appelés à développer rapidement des applications pédagogiques.

   La pauvreté en résultats d'expérimentations pédagogiques dans le domaine des réseaux d'établissement semble résider en grande partie dans les difficultés, très récemment surmontées, à mettre en place des réseaux réellement opérationnels.

   Pour certains, il revient aux IUFM à mettre très rapidement leurs ressources multimédias en réseaux, à développer des expérimentations pédagogiques et à identifier les gains pédagogiques de ces nouvelles configurations.

   Dorénavant, un nombre non négligeable d'installations sophistiquées paraissent fonctionner. Certains problèmes restent cependant posés :

  • statut juridique du logiciel appelé à fonctionner en réseau,
  • protection contre les virus,
  • intégration du réseau d'établissement dans le projet d'établissement et constitution d'une équipe pédagogique capable de « faire décoller » l'utilisation du réseau,
  • contrôle des pressions politiques, économiques, technologiques liées au réseau,
  • évolution de la fonction de documentaliste, animateur d'un CDI placé au centre du dispositif.

   Le problème de la pertinence de certaines applications est alors évoqué ainsi que l'opportunité de la mise en place, à un moment donné, de certaines configurations. Il serait pourtant très préjudiciable, même si les pratiques pédagogiques ne sont pas encore parfaitement définies, de refuser de participer à des choix de structures d'établissement déterminantes pour les décennies à venir. Il y a là, certainement, matière à recherche.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 181-187.

NOTES

[1] Didactique de l'informatique et pratiques sociales de référence, C. Orange, Bulletin de l'EPI n° 60 de décembre 1990, p. 151-161. http://www.epi.asso.fr/revue/60/b60p151.htm.

[2] Un ordinateur peut-il aider un enseignant ?, p. 188.

[3] Pour l'enseignant d'abord ?, p. 194.

[4] L'ordinateur, outil de productivité de l'enseignant, p. 197.

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