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Tous au libre !

 

Oui binaire s'adresse aussi aux jeunes de tous âges que le numérique laisse parfois perplexes. Avec « Petit binaire », osons ici expliquer de manière simple et accessible cette notion de logiciel libre.

Marie-Agnès Enard, Pascal Guitton et Thierry Viéville

   Tu as faim ? J'ai une pomme.
Partageons la. Du coup, je n'ai mangé qu'une demi-pomme. Mais j'ai gagné ton amitié. Tu as une idée ? Partageons là. Du coup, nous voilà toi et moi avec une idée. Mieux encore : ton idée vient de m'en susciter une autre que je te repartage, en retour. Pour te permettre d'en trouver une troisième peut-être.

   Une pomme est un bien rival [1]. Cette notion désigne un bien dont la consommation par une personne empêche la consommation par d'autres. Ce qui relève de l'information ne l'est donc pas ; du coup, partager de l'information n'appauvrit pas... Sauf si on considère que l'autre en profite ? Peut-être... même pas. Découvrons cette histoire.

Il était une fois, ah non : il était deux fois

   Il était une première fois [2], bien avant l'informatique, l'idée de rétribuer qui contribue au perfectionnement du métier à tisser, dans le Lyon du XVIIIe siècle. Les corporations de marchands et la municipalité choisirent de récompenser qui adapte un nouveau système à un grand nombre de métiers à tisser [3]. Cette politique d'innovation économique ouverte basée sur une stratégie gagnante-gagnante de partage des innovations technologiques (travailler ensemble plutôt que de tenter de cacher son savoir et de tuer les autres pour finir par mourir dans un désert économique) a permis à Lyon, devant Nottingham par exemple, de devenir leader sur ce secteur [4].

   Pour le fameux métier à tisser de Jacquard, d'aucuns y voient un génie, d'autres de dire qu'il n'a rien inventé. Les deux ont tort et raison. Joseph Marie Charles dit Jacquard n'est pas un inventeur, c'est un intégrateur. Basile Bouchon a créé une machine à tisser à aiguille, Jean-Baptiste Falcon a complété la machine avec un système de carte perforée pour bénéficier d'un programme des gestes à mécaniser, et Jacques Vaucanson, a mis au point les cylindres automatiques pour soulager les utilisateurs en leur évitant d'avoir à faire tout cela à la main. Le métier de Jacquard est un aboutissement. C'est le fait que toutes ces innovations furent partagées publiquement qui permit de dépasser le monde anglo-saxon empêtré dans un système de protections avec des brevets, sur ce secteur économique.

Et il était une autre fois l'informatique [5]

   L'informatique est une science et depuis toujours les connaissances scientifiques se partagent, se visitent et se revisitent pour pouvoir les vérifier, les confronter, les critiquer, les dépasser. À de rares exceptions près, les scientifiques qui ont travaillé isolément, dans le plus grand secret, sont restés ... stérilement isolés. La science n'avance plus que collectivement et il est important de toujours se battre pour mettre en avant ces valeurs d'une science ouverte [6]. Au début de l'informatique, les algorithmes se partageaient comme les équations mathématiques, avec des communautés de développeurs qui s'entraidaient. Et puis, avec la découverte du potentiel commercial des logiciels et sous l'influence notamment de Bill Gates, la notion de "copyright" s'est imposée en 1976, faisant du logiciel un possible bien propriétaire, en lien avec l'émergence d'un secteur d'activités nouveau et très vite florissant, au moment de l'avènement de l'informatique grand public qui est devenu omniprésente. Mais cette réglementation engendrera tellement de contraintes que 45 ans plus tard, même Microsoft [7] s'investit de plus en plus dans le logiciel libre. L'intérêt réel de grandes firmes comme IBM ou Microsoft dans ce nouveau type de partage de connaissances [8] marque un tournant.

Quel intérêt à une telle démarche ?

   On peut invoquer de multiples raisons : pour que les personnes qui travaillent sur des projets parfois gigantesques puissent s'entraider, pour que l'on puisse étudier un logiciel complexe dont le fonctionnement doit rester transparent (par exemple pour mettre en place un système de vote numérique), pour que économiquement on crée des « biens communs » qui puissent permettre au plus grand nombre de développer ce dont il ou elle a besoin, et faire des économies d'échelle, comme par exemple lorsqu'il s'agit de corriger des bugs.

   Un logiciel libre garantit quatre libertés fondamentales [9] :

  • utiliser le logiciel
  • copier le logiciel
  • étudier le logiciel
  • modifier le logiciel et redistribuer les versions modifiées.

   Et si cette démarche d'ouverture ne se limitait pas au logiciel [10] ? Et si comme Wikipédia qui a permis de « libérer » les connaissances encyclopédiques humaines, qui avaient été enfermées sous forme de bien marchand, on faisait en sorte de s'organiser de manière collégiale, en privilégiant l'entraide et le partage pour d'autres grandes créations humaines ?

   Allez, un petit jeu pour finir, sauriez-vous reconnaître ces logiciels libres, parmi les plus célèbres ?

Paru sur Binaire le 25 décembre 2020.
https://www.lemonde.fr/blog/binaire/2020/12/25/tous-au-libre/

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Rivalité_(économie)

[2] Merci à Stéphane Ubeda, de nous avoir fait découvrir ces éléments.
https://www.inria.fr/fr/stephane-ubeda

[3] Histoire de la soierie à Lyon : Système public de soutien à l'innovation.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_soierie_à_Lyon# Système_public_de_soutien_à_l'innovation

[4] The economics of open technology: Collective organization and individual claims in The « fabrique lyonnaise » during the old regime. Dominique Foray and Liliane Hilaire Perez, Conference in honor of Paul A.David, Turin (Italy), May 2000.

[5] Histoire du logiciel libre.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_logiciel_libre

[6] Open Science, Nicolas Rougier, https://hal.inria.fr/hal-01418314

[7] Microsoft libère 60 000 brevets pour protéger LinuX.
https://www.numerama.com/tech/426979-microsoft-libere-60-000-brevets-pour-proteger-linux.html

[8] Microsoft, IBM : le logiciel libre s'impose chez les géants de l'informatique.
https://la-rem.eu/2019/03/microsoft-ibm-le-logiciel-libre-simpose-chez-les-geants-de-linformatique/

[9] Comprendre les logiciels libres (podcast vidéo).
https://www.lemonde.fr/blog/binaire/2017/07/05/podcast-logiciel-libre/

[10] Logiciel libre et ouvert, révolution ou évolution.
https://interstices.info/le-logiciel-libre-et-ouvert-revolution-ou-evolution/

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