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2019 : des créations d'enseignements de l'informatique
plus que bienvenues, mais...

   Créations de l'enseignement de spécialité NSI (Numérique et sciences informatiques) en première et de SNT (Sciences numériques et technologie) pour tous les élèves de seconde à la rentrée de septembre. Création d'un Capes informatique, dénommé NSI, dont la première session aura lieu en 2020. Incontestablement, cette année 2019 aura vu, après la création en 2012 d'ISN (Informatique et sciences du numérique) en terminale S, une importante nouvelle étape dans la reconnaissance de l'informatique en tant que discipline scolaire de culture générale pour tous les élèves.

Des avancées significatives et « évidentes »

   Il s'agit d'avancées significatives auxquelles l'EPI a contribué par ses actions depuis des décennies, avec d'autres associations et personnalités. Ces avancées relèvent de l'évidence. L'informatique est omniprésente dans la société et, à ce titre, elle doit être une composante de la culture générale scolaire, la mission fondamentale de l'École, du primaire au lycée, étant justement de donner à tous les élèves la culture générale de leur époque.

   Mais l'évidence a dû et doit s'imposer. Elle ne va pas de soi. Rappelons qu'il existait dans les années 80 et 90 une option d'informatique dans les lycées d'enseignement général. Présente dans un lycée sur deux et en voie de généralisation, elle fut supprimée une première fois en 1992, rétablie en 1995 puis à nouveau supprimée en 1998. Ce fut alors le temps du « désert explicatif » avec le B2i dont l'échec était prévisible. Mais les actions pour une discipline informatique ne cessèrent pas. L'entrevue de l'EPI à l'Élysée en septembre 2007 leur donna une impulsion nouvelle [1]. En 2012 elles ont permis d'obtenir la création d'ISN. En 2013, le rapport de l'Académie des sciences, « L'enseignement de l'informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre », constitua un moment important de la « bataille » [2]. À la rentrée 2019 vinrent donc ces créations « bienvenues ». Des décennies d'action... mais ce n'est pas terminé ! Des résistances au changement subsistent [3]. De fait, nous avons vécu et vivons ce qui est un grand classique : le nouveau émerge toujours dans la douleur. Et cela ne date pas d'hier. Déjà, Confucius mettait en garde : « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient faire le contraire et l'immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire. ».

Culture générale pour tous

   La vie quotidienne regorge d'utilisations du numérique qui deviennent obligées, par exemple pour les formalités administratives (une transition « tranquille » serait par ailleurs souhaitable). Quasiment tous les métiers ont peu ou prou une dimension informatique. Et la France connaît une pénurie d'informaticiens [4]. Les éditeurs sont en conflit avec les GAFAM dont il faut réduire la place envahissante, voire quelque peu « totalitaire ». Quid de l'intelligence artificielle, des données massives, de la protection des données personnelles ? Les problématiques sociétales liées à l'informatique ne manquent pas. Ce n'est pas nouveau. Ainsi, en 2006, la transposition par le Parlement de la directive européenne sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) avait-elle été l'occasion de débats complexes où exercice de la citoyenneté rimait avec technicité et culture scientifique. En effet, s'il avait été abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques, cela avait été sur fond d'interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels, de logiciels libres.

   Conséquence de l'omniprésence de l'informatique, au 21e siècle, les humains, les travailleurs et les citoyens ont besoin de s'être appropriés des représentations mentales opérationnelles pour évoluer dans la société, qui s'appuient sur des connaissances scientifiques informatiques. Or, répétons-le, former l'homme et la femme, le travailleur et le citoyen est la mission fondamentale du système éducatif. D'où cette « ardente obligation » d'une discipline scolaire informatique pour tous.

Les statuts éducatifs de l'informatique

   Cette nécessité de représentations mentales opérationnelles vaut également pour le système éducatif lui-même, pour les professeurs et les élèves. Une bonne culture générale scientifique informatique et donc la disciple informatique sont indispensables pour répondre aux « exigences » des autres statuts éducatifs de l'informatique : si l'informatique doit être quelque part dans la scolarité en tant que discipline c'est aussi parce qu'elle est partout chez ses « consœurs », à la manière des mathématiques, parce qu'elle est un instrument pédagogique et un outil de travail personnel et collectif.

L'informatique fait évoluer l'« essence » des autres disciplines enseignées, c'est-à-dire leurs objets, leurs outils et leurs méthodes. C'est le cas des enseignements techniques et professionnels qui, depuis plus de trois décennies, se sont transformés de par les transformations des métiers et des qualifications. Le traitement de texte a remplacé la machine à écrire, les bases de données les fichiers en carton, le logiciel de DAO la planche à dessin, les machines à commandes numérique la lime et l'étau-limeur. On sait la place occupée par les SIG en géographie. Les mathématiques ne sont pas devenues une science expérimentale mais l'ordinateur fait éclore des démarches plus expérimentales (des idées de théorèmes à établir en visualisant des courbes). Après le formalisme des « années Bourbaki », les mathématiques font une plus grande place aux nombres. La démonstration par ordinateur a provoqué une rupture épistémologique. Dans les sciences physiques et du vivant, il a fallu que la simulation s'impose et se positionne relativement à l'expérimentation. En histoire, l'on connaît l'apport des bases de données pour Michel Vovelle dans ses travaux sur la Révolution française [5]. Les disciplines évoluent de par l'influence de l'informatique. Conséquence, les programmes scolaires se doivent d'intégrer progressivement ces transformations.

L'ordinateur et l'informatique sont des instruments à la disposition des enseignants pour des usages raisonnés dans l'exercice de leur métier. Une note récente traite des apports du numérique au sein de l'école, en confrontant les nombreux mythes qui circulent dans ce domaine aux connaissances issues de la recherche [6]. Motivation et autonomie accrue des élèves, des apprentissages plus actifs, une réponse aux besoins particuliers... le numérique permet-il réellement tout cela ? D'après les conclusions de cette note, il s'avère que la réponse à ces interrogations est mitigée, l'enseignement étant encore loin d'avoir effectué sa « révolution numérique ». C'est vrai. Si l'enseignement est encore loin d'avoir fait cette révolution, c'est entre autres en raison d'une insuffisante formation des professeurs et pour des questions d'intendance : quid des personnels techniques pour assurer le bon fonctionnement et la disponibilité du parc informatique des établissements (des centaines d'ordinateurs en réseau) ?

   Les apprentissages ont des dimensions cognitives, techniques mais aussi sociales, psychologiques, relationnelles, affectives. Il n'existe pas d'outils pédagogiques miracles dans un illusoire et fantasmatique « tout-informatique ». Cela étant, les apports sont réels. Un exemple parmi beaucoup d'autres, l'apprentissage de l'écriture. Écrire c'est réécrire et le traitement de texte facilite grandement la démarche, les élèves pouvant rechigner à le faire. L'ordinateur se révèle alors être une condition (nécessaire ?) d'existence d'opérations intellectuelles, en ce sens qu'il en permet effectivement la réalisation en la rendant infiniment plus aisée, en en supprimant les contraintes « bassement matérielles ». Comme si la portée de l'outil était d'autant plus grande que son effet est anodin [5]. L'on sait que d'une manière générale il n'y a pas d'apprentissage profond, solide, véritable sans motivation cognitive, le plaisir d'apprendre pour apprendre. Les potentialités de l'informatique et du numérique peuvent par exemple y contribuer en créant des situations de communication ayant du sens pour les élèves, quand justement le sens fait a priori défaut [7].

Outil de travail. Et, comme dans la société pour tout un chacun, l'informatique est outil de travail personnel et collectif. Pour l'enseignant qui prépare ses cours, remplit ses bulletins scolaires ; pour l'élève qui prépare un exposé en allant sur le web ; pour la communauté scolaire dans son ensemble pour qui de plus en plus d'opérations, de formalités administratives sont devenues numériques.

Un contexte plus que « délicat »

   Pour tous, l'informatique est bien une incontournable composante de la culture générale. Si les créations de la rentrée 2019 sont bienvenues, l'on sait toutes les inquiétudes issues de la réforme des lycées, sa philosophie et sa mise en œuvre [4] et [8].

   Pêle-mêle.

   Dans un communiqué, la Conférence des Associations de Professeurs Spécialistes (ADEAF, APBG, APFLA-CPL, APEMu, APHG, APLettres, APLV, APMEP, APPEP, APSES, APSMS, CNARELA, Sauvez les lettres, SLNL, UdPPC, UPBM) a déclaré, sans la moindre ambiguïté : « La mise en place de la réforme au sein des lycées confirme et renforce les craintes que les associations siégeant au sein de la Conférence ont déjà exprimées. Le ministère n'a pas tenu compte des remarques de bon sens pourtant présentées par les professeurs lors de consultations et concertations précédentes. » [9].

   Des syndicats d'enseignants ont réclamé fin novembre l'annulation des premières épreuves communes de contrôle continu en première. Sinon les élèves seront les victimes d'une organisation bâclée. En effet, invoquant des « difficultés informatiques impliquant des interruptions de service », le Ministère de l'Éducation nationale venait de repousser du 1er au 9 décembre l'ouverture de la banque nationale de sujets dans laquelle les lycées doivent puiser pour élaborer les épreuves. Or les épreuves doivent se tenir en janvier ! Des délais déjà intenables mais le ministère en rajoute. L'impréparation est à son comble.

   Dans l'Humanité du 16 octobre 2019, Olivier Chartrain a posé la question de « la réforme qui pourrait faire exploser le lycée » : « Des classes éclatées, la classe devenant un collectif éparpillé façon puzzle. Des emplois du temps infernaux transformant le quotidien des élèves en course à l'échalote. Un contrôle continu avec ombres et brouillard, des évaluations déstabilisantes. » [10].

   Dans Libération du 3 novembre 2019, Marie Piquemal a ansi titré son article : « Réforme du lycée : les profs battus par chaos » : « Charge de travail importante, dans un calendrier très serré ; regret quasi unanime de la précipitation avec laquelle cette réforme se met en place (on ne sait pas concrètement la façon dont vont s'organiser les fameuses épreuves de contrôle continu qui doivent débuter dès janvier) ; répercussions de la disparition des classes dans la façon d'enseigner, les élèves ne se connaissent pas, ou très peu, ce qui complique le travail en groupe ; réforme qui renforce à fond l'individualisme. » [11].

   La commission des Affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale a désigné Géraldine Bannier et Frédéric Reiss rapporteurs pour la mission flash sur la mise en place de la carte des spécialités dans le cadre de la réforme du lycée [12]. Effectivement de nombreux problèmes se posent, notamment pour la spécialité NSI : nombre de spécialités proposées par les établissements ; disponibilité réelle de ces spécialités ; passage de 3 à 2 spécialités de la première à la terminale ; formation des enseignants ; contrôle continu ; liens avec les CPGE et les universités...

   D'une manière générale, exceptées les créations en informatique, les sciences sont « maltraitées » dans la réforme [8] (voir fin de l'édito) et [13]. Pour Jean-Pierre Demailly, professeur de mathématiques à l'université Grenoble-Alpes et membre de l'Académie des sciences, « ne proposer qu'une seule option de mathématiques en première est une aberration ». « Les mathématiques s'adressent aussi bien aux élèves qui s'orienteront vers des carrières scientifiques, à ceux qui en auront besoin dans le cadre de leurs études notamment d'ingénieur, aux littéraires qui souhaiteraient acquérir une certaine culture scientifique ou encore aux lycéens qui se tourneraient vers l'économie et auraient besoin de notions plus concrètes » [14].

   Concernant la question essentielle de la formation des enseignants, le compte n'y est toujours pas notamment pour l'enseignement de SNT en seconde qui concerne tous les élèves. Au JO du 29 novembre 2019 a été publié le nombre des postes ouverts au CAPES « Numérique et Sciences Informatiques » (NSI) – Session 2020 [15] :
CAPES externe NSI
- 30 postes (public)
- 10 postes (privé)
3e concours du CAPES NSI
- 7 postes (public)
- 7 postes (privé)

   Bien peu de postes pour une science omniprésente au XXIe siècle et un déséquilibre public-privé qui ne correspond pas aux effectifs d'élèves, au bénéfice de l'enseignement privé et au détriment de l'enseignement public. Voir communiqué de l'EPI du 3 décembre 2019 [16].

   Le contexte n'est guère porteur, une situation problématique qu'il faut absolument changer. Et des créations informatiques qu'il faut non moins absolument réussir et développer car il s'agit, répétons-le, d'une ardente obligation sociétale. Alors...

15 décembre 2019

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] https://www.epi.asso.fr/revue/editic/aef_jb-jpa.htm

[2] Rapport de l'Académie des Sciences de mai 2013 : L'enseignement de l'informatique en France - Il est urgent de ne plus attendre
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf

[3] Révélatrices des résistances au changement, les « subtilités » sémantiques du Ministère de l'Éducation nationale pour prononcer le moins possible le mot qui fâche, à savoir informatique. Dans La pensée informatique de Gérard Berry 2019, on peut lire : « L'enseignement introduit en seconde s'appelle "Sciences numériques et technologie". Son titre ne contient même pas le mot informatique, alors même qu'il ne parle que de ça. C'est encore visiblement un mot tabou. En première et en terminale, l'enseignement de spécialité s'appelle "Numérique et sciences informatiques", au pluriel, alors qu'il n'y en a qu'une... On le voit, le système éducatif met en place des choses, un pied devant, un pied derrière. Mais ce qui compte, c'est le pied devant, et on poussera collectivement les fesses pour qu'elles passent la porte ! » Note 2 de l'éditorial d'octobre.
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1910a.htm

[4] « Pénurie d'informaticiens, enseignements d'informatique et réforme du lycée »
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1910a.htm

[5] « La diversité de l'informatique à l'École », Jean-Pierre Archambault
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1402b.htm

[6] « Qu'est-ce que le numérique permet d'apprendre à l'école ? », André Tricot, Franck Amadieu, Laboratoire CLLE, CNRS et Université de Toulouse.
https://www.fcpe.asso.fr/sites/default/files/ressources/NoteCS_no18_Numérique dans l'école.pdf

[7] « Des situations de communication pour donner du sens », Jean-Pierre Archambault
https://www.epi.asso.fr/revue/62/b62p063.htm

[8] « Dans l'actualité, le 50e anniversaire d'Internet, l'éthique, l'enseignement de l'informatique au lycée et... »
https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1911a.htm

[9] http://conferenceassociations.blogspot.com/2019/11/communique-de-la-conference-reforme-du.html

[10] https://www.humanite.fr/education-la-reforme-qui-pourrait-faire-exploser-le-lycee-678

[11] https://www.liberation.fr/france/2019/11/03/reforme-du-lycee-les-profs-battus-par-chaos_1761352

[12] Voir : Mise en place de la carte des spécialités dans le cadre de la réforme du lycée.
http://www2.assemblee-nationale.fr/15/commissions-permanentes/commission-des-affaires-culturelles/(block)/44526

[13] Communiqué de l'APMEP du 25 novembre 2019 :
https://www.apmep.fr/Communique-de-presse-du-bureau-de

[14]  https://www.bfmtv.com/societe/reforme-du-lycee-pourquoi-ca-coince-avec-les-mathematiques-1800032.html

[15] Pour le public :
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2019/11/28/MENH1924248A/jo/texte
Pour le privé :
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2019/11/25/MENF1933753A/jo/texte

[16] https://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1912a.htm

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Décembre 2019

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