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Au cœur des réseaux
Des sciences aux citoyens

Jean-Pierre Archambault
 

   Au cœur des réseaux Des sciences aux citoyens, de Fabien Tarissan, est un ouvrage de vulgarisation scientifique, didactique et pédagogique (Éditions Le Pommier essai). Un excellent ouvrage dans le genre, comme on les aime. Fabien Tarissan est chargé de recherche en informatique au CNRS et professeur attaché à l'École normale supérieure de Saclay où il enseigne la science des réseaux. Il est également vice-président médiation de la Société informatique de France.

Des réseaux

   Les réseaux sont nombreux : réseaux du transport aérien, réseaux électriques, réseaux neuronaux, biologiques, Internet, le Web, réseaux sociaux... Divers, ils n'en présentent pas moins des ressemblances. Les graphes constituent un cadre formel, mathématique, pour en parler en faisant abstraction de leurs contextes particuliers. Et de mettre en évidence des propriétés qui leur sont communes.

   Dans le monde mathématique, un graphe est une structure définie par un ensemble de sommets reliés entre eux par des arêtes. Dans le réseau du transport aérien, les nœuds sont constitués par les aéroports et les liens représentent les vols directs entre deux aéroports proposés par une compagnie aérienne. Dans le cerveau, les nœuds sont les cellules nerveuses, les neurones, et les liens les synapses qui permettent à l'influx nerveux d'aller d'un neurone à l'autre.

   Pour Internet, les nœuds sont les routeurs, ordinateurs dont la tâche principale est de diriger les flux d'informations reçus vers leur destination finale. Les liens sont les dispositifs physiques (câbles, fibre optique,...) qui relient les routeurs entre eux. Internet est un réseau d'acheminement. À ne pas confondre avec le web qui correspond au besoin d'organiser l'information, même si les deux réseaux s'interpénètrent fortement. Les pages web sont stockées sur des serveurs (web) qui ont une adresse, leur url, et une adresse IP, celle du serveur qui les héberge. Les liens « hypertexte » entre les pages web tissent une toile relationnelle appelée web (toile en anglais).

   Dans le cas des réseaux sociaux, les nœuds sont souvent des individus. Et les liens peuvent unir deux personnes qui collaborent dans le cas de leur travail (réseaux professionnels), ou ayant un lien de parenté (réseaux familiaux). Mais ils peuvent aussi représenter des relations générées par des actions des utilisateurs, par exemple qui aiment un même contenu, la relation reliant alors l'utilisateur et le contenu mentionné.

Biologie et médecine

   Le « point de vue » des graphes permet de mieux comprendre certains phénomènes particulièrement importants et répandus en biologie. Ainsi la régulation. Un gène actif a pour conséquence la synthèse de protéines, et ce de façon continue. Comment l'organisme parvient-il à limiter la production de celles-ci ? Autre utilisation, l'étude de la propagation d'une information. Une étude consacrée à la maladie d'Alzheimer a montré que les patients atteints ont des réseaux neuronaux dont la structure leur fait perdre les propriétés de diffusion rapide de l'information. Si l'étude ne donne pas de solution concrète pour empêcher, ou du moins limiter, la progression de la maladie, elle n'en constitue pas moins une avancée dans la compréhension des mécanismes sur lesquels elle repose et des dommages qu'elle induit. Et elle n'aurait pas vu le jour sans les recherches en amont explicitant les liens qui unissent propriétés de diffusion et organisation des connexions dans les réseaux dits « petit monde ».

Neutralité, fake news et secret des échanges

   Tous les flux d'informations qui circulent entre deux routeurs doivent subir exactement le même traitement. Tel est le principe de neutralité du net, garant de la non-discrimination dans l'acheminent de l'information qui avait toujours prévalu jusqu'ici. Mais les États-Unis l'ont remis en cause le 11 juin 2018.

   Si les « fake news » sont vieilles comme le monde, la vitesse de propagation que permet Internet et la propension des réseaux sociaux à relayer extrêmement rapidement l'information donnent une ampleur nouvelle au phénomène.

   Le secret des échanges est sérieusement malmené, de par le fonctionnement d'Internet ou des services proposés sur le web. Tout le monde a en mémoire l'existence de dispositifs de surveillance de masse mis en place par la NSA (Agence nationale de sécurité des États-Unis) avec la collaboration des grandes sociétés informatiques nord-américaines.

Les moteurs de recherche

   On estime qu'aujourd'hui le nombre de sites web dépasse le milliard, que plus de 400 millions de messages sont postés chaque jour sur le réseau social Twitter... Des algorithmes déterminent quelles sont les informations « pertinentes ». Les moteurs de recherche constituent un des moyens quotidiens pour accéder à l'information. Ils collectent pour cela des informations sur l'ensemble des pages web disponibles. Puis ils les indexent pour pouvoir répondre aux requêtes. Ensuite, ils classent les pages retenues. Par exemple, Page Rank, l'algorithme de Google, considère les liens hypertextes comme des gages d'autorité.

   Ce faisant, les algorithmes introduisent des biais sur notre vision de l'information disponible sur les réseaux. On ne perçoit au final qu'une infime partie de ce qui existe sur le web. Mais une conviction s'est forgée petit à petit dans l'esprit de beaucoup en l'objectivité supposée des classements des moteurs de recherche, croyance les rendant inconscients des biais qu'ils contiennent.

L'information proposée par les réseaux sociaux

   Edge Rank, l'algorithme de Facebook, identifie les centres d'intérêt d'un utilisateur donné et donc les informations « pertinentes » à lui proposer. Les contenus générés par les amis d'un utilisateur sont la matière première de l'algorithme. Le filtre opéré est donc plus égocentré. Il accompagne un phénomène de chambre d'écho, les utilisateurs ayant tendance à n'être exposés qu'à des contenus qui sont le reflet de leur propre conception d'un sujet. Il y a aussi un phénomène de bulles filtrantes, qui empêchent les internautes d'être exposés à l'ensemble des points de vue existants. Mais les internautes enferment-ils les algorithmes dans leur vision préconçue de ce qui est important, et non l'inverse ? Ce qui ne diffère pas tellement de la façon de nous informer hors ligne, par exemple lorsque nous lisons la presse.

Enjeux autour des données

   Des inquiétudes donc, inquiétudes aussi pour l'intrusion dans la vie privée des utilisateurs. Les entreprises qui conçoivent les algorithmes s'emploient de plus en plus à obtenir des renseignements, non pas sur la qualité des informations disponibles, mais sur le comportement des internautes. En effet, notre présence en ligne laisse des traces, nos données personnelles.

   Les algorithmes ont ainsi un autre objectif, la rentabilité des entreprises qui les réalisent. On connaît la formule : « si c'est gratuit, c'est toi le produit ». Souvent, les utilisateurs autorisent les entreprises à collecter et analyser les données liées à l'utilisation de leurs services. Pour des publicités ciblées (Google et Facebook captent à elles deux plus de la moitié des revenus mondiaux de la publicité en ligne). Et il y a le financement du coût énergétique des datacenters.

   Comment lutter contre cette dérive du web qu'est la perte de contrôle de nos données personnelles ? Le premier rempart est d'ordre législatif. Clarifier quelles sont les pratiques autorisées et prévoir des sanctions pour celles qui ne le sont pas, par exemple en cas d'information insatisfaisante et d'absence de consentement valable. Le récent règlement général sur la protection des données (RGPD), adopté par l'Union européenne et entré en vigueur en mai 2018, va en ce sens. Autre rempart, utiliser le moteur de recherche français Qwant qui, à la différence de ses concurrents, ne collecte aucune donnée à caractère personnel lors d'une requête et ne conserve aucun historique de navigation des internautes, le tout sans nuire à la qualité des résultats obtenus.

L'éducation d'aujourd'hui, un enjeu pour demain

   En conclusion, Fabien Tarissan nous rappelle que si des menaces pèsent sur les réseaux (la propagation des fake news pouvant par ailleurs être relativisée), ils ne recèlent pas que des dangers. Ainsi Wikipédia. Ce qui importe est d'être acteur des développements issus des sciences et des techniques. Pour cela, une condition nécessaire, connaître et comprendre les réseaux, au 21ème siècle composante de la culture générale informatique scientifique et technique de tous les citoyens. De ce point de vue, les créations, à la rentrée 2019, après celle d'ISN en 2012, de l'enseignement de spécialité « Numérique et sciences informatiques » et, en 2020, d'un CAPES d'informatique, fruits des actions menées depuis des décennies, constituent de réelles avancées.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

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Juin 2019

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