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Droit d'auteur, GAFAM et logiciel libre

Jean-Pierre Archambault
 

   La directive européenne sur la reforme du droit d'auteur a été adoptée le 26 mars 2019 par le Parlement européen par 348 voix pour, 274 voix contre et 36 abstentions.

   Cette adaptation de la législation européenne du droit d'auteur doit permettre aux artistes et aux médias de percevoir une rémunération de la diffusion de leurs productions via les plates-formes numériques, Facebook et Google en premier lieu. Tout travail mérite salaire. Jusqu'ici ce n'était pas le cas, ce qui n'empêchait pas ces plates-formes d'engranger des revenus publicitaires (et de ne quasiment pas payer d'impôts en Europe, ce qui continue...). Rappelons que, grâce à leur position ultradominante, les deux plus grandes plates-formes américaines siphonnent aujourd'hui près de 80 % des revenus publicitaires sur Internet. Payer quelques centaines de millions aux producteurs de contenus ne devrait pas trop les traumatiser.

Le lobbying des GAFAM

   Les géants du Net ont bien sûr déployé une grande campagne de lobbying pour orienter le vote en leur faveur. Selon l'eurodéputé français et ancien patron de Radio France Jean-Marie Cavada (centre droit), les GAFAM auraient ainsi dépensé des sommes « extravagantes », allant jusqu'à « payer beaucoup de gens pour aller défiler dans les rues » lors de manifestations Save the Internet organisées partout en Europe le samedi 23 mars (ah les bonnes âmes !). Les GAFAM ont orchestré des « pseudo-campagnes citoyennes », en avançant « masqués ». Le profit contre la culture, une nouvelle confirmation que les GAFAM sont bien de véritables prédateurs [1].

Veiller à un risque de censure

   Avec des raisons différentes de celles des géants américains, des eurodéputés se sont opposés à la directive. Ainsi l'unique élue du parti Pirate, l'Allemande Julia Reda, et des défenseurs des libertés sur Internet. En effet, ils craignent une possible « censure » à venir, les plates-formes, tenues de trouver un accord avec les ayants droit, pouvant mettre en place des mécanismes automatisés de détection et de suppression des contenus.

   Quant à elle, l'association April « n'oubliera pas que les parlementaires ont jugé acceptable de confier l'application du droit d'auteur et la protection (sic !) de la liberté d'expression à des systèmes automatisés gérés par des entités de droit privé ». L'exclusion des plates-formes de développement et de partage de logiciels libres a été actée (article 2 (6)). Pour autant, pour l'April, « il n'est évidement pas question de s'en satisfaire tant le texte est contraire aux valeurs du logiciel libre » [2].

Le développement des logiciels

   Sans que cette question du logiciel n'atteigne suffisamment le grand public, le développement des logiciels a donc sérieusement été mis en danger par le texte. Heureusement, une action acharnée et « épuisante » d'explication et de mobilisation menée pendant un an et demi aux niveaux national et européen par de nombreux acteurs issus de milieux divers, culturel, technique, juridique, associatif comme institutionnel. En premier lieu notamment Roberto Di Cosmo, professeur à l'Université Paris-Diderot [3]. Cette action a abouti au retrait de la directive des « Open source developing and sharing platforms ». Cela devrait sortir les plates-formes utilisées dans le monde du logiciel du champ d'application de la réforme : pas seulement les « developing platforms » comme GitHub, qui a mobilisé des forces importantes pour se faire entendre, mais aussi les « sharing platforms » qui incluent toute une galaxie composée de « repositories » comme CRAN ou Maven, de distributions comme Debian et d'archives comme Software Heritage [4].

L'importance de l'enseignement de l'informatique

   Tirant le bilan d'une année et demi de bataille, Roberto Di Cosmo est « forcé de constater » que, parmi les rédacteurs du texte et ceux qui l'ont promu et soutenu, certains ont semblé avoir oublié que le logiciel relève lui aussi du droit d'auteur, et donc que la directive concernait pleinement un domaine culturel et économique majeur du 21e siècle. La question se pose en la circonstance de savoir s'il s'agit d'un oubli ou d'un désintérêt, ou pire d'une ignorance de la culture informatique, composante de la culture scientifique et technique.

   Cet épisode constitue une nouvelle illustration du bien-fondé d'un enseignement d'informatique pour tous les élèves leur donnant la culture générale de leur époque. Après ISN en 2012, NSI et SNT seront les bienvenus à la rentrée 2019. Comme le rappelle Roberto Di Cosmo, « l'informatique n'est pas un simple outil ».

Transposer

   La balle est désormais dans le camp des gouvernements : ils doivent donner leur aval, pour que la transposition nationale dans chaque pays soit engagée.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] Voir l'Humanité du 27 mars 2019.
https://www.humanite.fr/directive-droit-dauteur-les-deputes-europeens-font-plier-les-gafam-669928

[2] https://www.april.org/le-parlement-europeen-valide-la-generalisation-de-la-censure-automatisee

[3] http://www.dicosmo.org/

[4] Voir par exemple :
http://www.dicosmo.org/share/2018-05-23-LeMonde_TribuneEuReform.pdf,
version distribuable à :
http://www.dicosmo.org/share/2018-05-23-TribuneLeMonde.pdf

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Avril 2019

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