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Réflexions, constats et questionnements

Charles Poulmaire
 

   En tant que professeur de mathématiques et enseignant d'ISN/ICN dans le secondaire, je vais à la fois décrire ce que j'ai constaté sur le terrain mais aussi faire part de mes questionnements sur l'évolution de l'enseignement de l'informatique dans le cadre de la réforme du lycée, compte tenu des annonces ou des bruits.

Création de la spécialité ISN (Informatique et Sciences du Numérique) en 2012... 6 ans

   L'enseignement d'ISN est dispensé 2h par semaine dans la spécialité de terminale S dans les lycées généraux et technologiques. Cet enseignement a été confié à des professeurs volontaires, issus principalement de matières scientifiques et habilités à l'issue d'une formation complémentaire organisée à l'initiative des académies. Ces formations ont été très disparates selon les académies, se résumant à quelques jours pour certaines ou à deux années de formation, à raison d'une journée par semaine en plus du service pour ma part. Cette formation longue a nécessité une grande motivation compte tenu des déplacements et de l'investissement en temps et argent.

   L'enseignement de l'informatique s'est développé et s'est installé ensuite en seconde (informatique et création numérique) dans l'enseignement d'exploration à raison de 2 heures par semaine officiellement. Dans les faits, il a été réduit à 1h par semaine pour moi depuis deux ans.

   Puis un enseignement d'ICN en 1re ES/L/S et terminales ES/L a été proposé de manière optionnelle, ce qui a rendu la mise en place difficile. En effet cela rajoute 2 heures de cours hebdomadaires à un emploi du temps déjà chargé. Par ailleurs, à moyens constants, certains lycées ne choisissent pas forcément cette option.

   Pour les parents et les élèves, cela donne une image disparate et confuse de la discipline.

Actuellement

   Des changements importants se profilent dès la rentrée 2019, autrement dit aujourd'hui.

   En effet tous les élèves de seconde générale devront suivre un enseignement SNT (sciences numériques et technologique) à raison de 1h30 hebdomadaire, tandis que les élèves de première pourront choisir un enseignement NSI (numérique et sciences informatiques) à raison de 4h hebdomadaires. Enfin, en 2020, les élèves de terminale pourront choisir un enseignement NSI à raison de 6 h par semaine, ce qui correspond au taux horaire des autres matières scientifiques qui seront proposées.

   Il y a bien des élèves, des programmes, mais qu'en est-il des professeurs ?

   Si l'offre ne suit pas la demande alors les élèves risquent de se détourner de cet enseignement.

   En effet si l'on considère le nombre d'élèves en seconde, à raison de 35 environ par classe, il apparaît clairement que le nombre de professeurs, ayant une certification ISN et pouvant donc assurer cet enseignement, est pour le moment insuffisant. S'il faut désigner des professeurs en urgence, ces professeurs auront-ils été suffisamment formés ? Par qui ? Quand ? Quelles disciplines seront-elles concernées ? Face à l'urgence, comment pallier le manque de professeurs compétents ?

   En première puis en terminale, l'enseignant NSI sera plus conséquent. Un enseignant d'ISN pourra t-il enseigner avec seulement une habilitation ? Les enseignants d'ISN auront (peut-être) besoin d'une formation lourde complémentaire. Mais sous quelle forme et par qui ?

   Pour pallier rapidement ce manque de professeurs dans l'offre de spécialité, une logique de bassin, académique ou nationale, se prépare. Il sera annoncé, avant la fin de l'année, en janvier, quels seront les lycées qui pourront enseigner la spécialité NSI. Les professeurs seront-ils consultés ?

   La disparition de certaines spécialités dans des lycées ne va-t-elle pas entraîner des pertes de postes ou un enseignement sur plusieurs lycées ?

   De plus, en classe de première, l'élève choisira trois spécialités de 4 h hebdomadaires dans une liste proposée. Cette liste, en fonction des lycées, sera restreinte à certaines spécialités. Sept spécialités sur 12 promises « doivent pouvoir être accessibles dans un périmètre raisonnable » et non dans chaque lycée. Les Sept spécialités classiques sont histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ; humanités, littérature et philosophie ; langues, littératures et cultures étrangères ; mathématiques ; physique-chimie ; SVT ; SES.

   On ne peut être que rassuré car l'enseignement de NSI fait partie des enseignements plus spécifiques comme arts, littérature, langues et cultures de l'antiquité et sciences de l'ingénieur.
http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=133602

   L'enseignement de l'informatique exige des moyens spécifiques. On ne peut pas enseigner l'informatique sur ordinateur en classe entière et rien ne semble prévu pour les dédoublements. Par ailleurs la question du manuel scolaire se pose. Y aura-t-il un manuel ? Qui en seront les auteurs ?

   Il est important de considérer l'enseignement de l'informatique au lycée comme une matière à part entière, ayant le même taux horaire et les mêmes exigences que les autres disciplines. Il est alors urgent de créer un Capes et une agrégation d'informatique : c'est le niveau à atteindre, les mêmes concours que pour les autres disciplines. Certes il existe un Capes Mathématiques et Informatique mais est-il suffisant ? Si dans le cadre d'un besoin de passage à l'échelle nationale, l'informatique doit être enseignée comme toutes les autres disciplines, alors la formation des enseignants doit être solide et conséquente. Cela peut attirer des professeurs, même si l'on peut penser qu'à un certain niveau en informatique, il existe des emplois plus lucratifs dans le privé. Enseigner reste un choix personnel de vie.

La solitude du professeur d'informatique au lycée

   Les professeurs qui enseignent l'informatique se sentent parfois isolés à la fois dans leur lycée et leur académie. En effet, ils n'ont pas vraiment de statut au sein de leur établissement. Ils doivent faire face à l'incompréhension voire la méfiance de leurs collègues qui voient en eux de nouveaux rivaux. Ils sont issus de disciplines différentes (mathématiques, physique, SI, techno...), ils ont suivi une formation plus ou moins importante selon les académies, certaines d'un niveau équivalant aux deux premières années de licence en informatique. Dans certaines académies, la formation continue est quasi inexistante alors qu'il existe des stages pour les autres disciplines. C'est pourquoi il serait intéressant de pouvoir se regrouper, échanger et mutualiser des documents, proposer des actions communes.

Bac -3 Bac +3

   Il faut aussi réfléchir sur ce qui se passe en collège et dans le supérieur. Les élèves qui suivront cet enseignement au lycée seront-ils reconnus dans le supérieur face aux disciplines classiques ? Un élève, ayant pris NSI et mathématiques par exemple, pourra-t-il prétendre à une classe préparatoire ? Il est urgent de se préoccuper dès maintenant du post-bac puisque les élèves de seconde de cette année vont devoir choisir leurs trois spécialités de première, ce qui conditionnera, en première, le choix des deux spécialités suivies en terminale. Il faut donc donner des explications claires et précises aux familles, sinon les élèves ne prendront pas de risques et resteront dans un schéma classique math-physique-SVT en première ou math-physique-SI. Dans le cas où des élèves qui ont choisi NSI se retrouveraient pénalisés dans leur orientation post-bac deux ans plus tard, cela pourrait entraîner un désintérêt pour la matière.

   Il est urgent que les classes préparatoires, les écoles d'ingénieurs, se positionnent et s'expriment à ce sujet.

Femmes et informatique

   Il y a une proportion trop faible de filles qui choisissent ISN. Il est important de casser l'image du « geek dont les caractéristiques principales seraient d'être un homme, peu sociable, logique, passionné par la technique, plus à l'aise avec les machines qu'avec les humains ».

   C'est pourquoi il est essentiel de combattre les représentations genrées des métiers en informant davantage les familles et les élèves sur les métiers de demain liés à l'informatique.

Conclusion

   On ne peut que se réjouir de l'évolution de la discipline. L'enseignement de l'informatique va se développer, augmentant ainsi le besoin et le nombre d'enseignants qualifiés. Cependant il reste de nombreuses interrogations voire certaines inquiétudes.

   Cela me rappelle cette phrase « L'introduction d'un enseignement de l'informatique dans l'enseignement du second degré est apparu comme indispensable aux participants » prononcée en mars 1970 lors du séminaire de l'OCDE (Sèvres). C'était il y a un demi-siècle déjà !

Charles Poulmaire

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Octobre 2018

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