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Qui pour enseigner l'informatique ?

Et l'IA dans tout cela ?
 

   Le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a annoncé, dans le cadre de la réforme du lycée, la création d'une discipline de spécialité « Numérique et sciences informatiques » (NSI) en Première (4h/semaine) et en Terminale (6h/semaine), et dans le socle de culture commune, en Seconde, celle d'un enseignement « Sciences numériques » (1h/semaine pour tous les élèves) et, en Première et Terminale, celle d'un enseignement « Humanités scientifiques et numériques » (HSN) devenu « Enseignement scientifique » (2h/semaine). Des mesures dont l'EPI s'est félicitée. Concernant l'élaboration du programme « Numérique et sciences informatiques », il n'y a pas d'inquiétudes particulières, celui de l'actuelle option de spécialité de Terminale S, « Informatique et sciences du numérique » (ISN), enrichi, constitue une solide base de départ. En revanche, il va falloir préciser ce qu'il faut entendre par « Sciences numériques » et « Enseignement scientifique » (qui, au 21e siècle ne peuvent que nécessairement comporter l'informatique) dont on ne voit pas bien dans les discours officiels les contours et les contenus [1].

   Mais il faut apporter rapidement une réponse à une question essentielle. Une question qu'il faut d'évidence se poser. Mais que tout le monde ne se pose pas. Qui pour enseigner NSI et HSN ? Quels enseignants ? Des enseignants en nombre car aux annonces faites correspondent des volumes horaires importants.

   Un retour en arrière. En 1971, et jusqu'en 1976, suite au colloque de Sèvres de 1970 [2], furent organisés des stages lourds d'un an chez les constructeurs informatiques, les enseignants étant complètement déchargés, Plusieurs centaines d'enseignants (environ 500) bénéficieront de ces stages. Il y avait besoin de solides compétences informatiques dans le système éducatif pour commencer le déploiement de l'informatique dans les établissements scolaires.

   Ces stages lourds reprendront en 1981 (un an, les enseignants complètement déchargés), implantés dans les universités et dans les ENS. Il y avait besoin d'enseignants compétents pour poursuivre le déploiement de l'informatique. Ces enseignants bien formés constitueront le vivier permettant le développement des usages pédagogiques de l'informatique et de son enseignement dans l'option informatique des lycées. Ces stages dureront plus ou moins longtemps selon les académies dans la décennie 80.

   Il fallait faire. On a su faire. C'est une question de volonté politique. Aujourd'hui il y a un défi pour le pays et le système éducatif : donner à tous les élèves la culture scientifique informatique correspondant aux exigences de notre époque dans laquelle l'informatique et le numérique sont omniprésents dans la société. Il faut faire, en rattrapant le temps perdu. Il est incontournable de bien former en nombre des enseignants d'informatique.

   Incontestablement, la création en 2012 de l'option de spécialité « Informatique et sciences du numérique » (ISN) a constitué une avancée. Mais la formation a plus ou moins suivi d'une académie à l'autre et elle a pu être inexistante. Conséquence, ce qui est effectivement enseigné en ISN peut fortement varier d'un lycée à l'autre. Par exemple, système et réseaux sont inégalement traités et l'apprentissage de logiciels peut prendre le pas sur l'enseignement de concepts.

   La conclusion s'impose. Il faut mettre en place des formations suffisamment longues, débouchant sur des certifications, une reconnaissance institutionnelle, à l'intention des professeurs en poste dans le cadre de la formation continue et, dans le cadre de la formation initiale, pour les futurs enseignants. On ne s'improvise pas professeur d'informatique en quelques heures. Sur deux ans, en Première et Terminale, NSI représente de l'ordre de 300 heures d'enseignement. Alors, il faut des formations de longue durée pour les enseignants d'informatique, comme pour les autres disciplines.

   Alors, Il faut créer sans attendre un Capes et une agrégation d'informatique. Qui dit Capes et agrégation externes dit aussi Capes et agrégation internes. La préparation de tels concours et certifications doit commencer dès l'année scolaire 2018-2019, avec des décharges significatives (voir ci-avant les « stages lourds » d'un an des années 70 et 80) à l'intention des professeurs d'ISN et ICN intéressés. À côté de formations à plein temps sur un an, on peut aussi envisager de proposer en parallèle aux volontaires une formule « un mi-temps enseignement un mi-temps formation sur deux ans », en regroupant par exemple les formations sur deux jours les jeudis et vendredis (9h par semaine). Il faut également utiliser la voie du « 3e concours » pour les professionnels de l'informatique ayant au moins 5 ans d'expérience, en faisant sauter le verrou des 10 %. Parmi les autres pistes à explorer : la formule des professeurs associés dans le supérieur (PAST), les doctorants...

   Il faut faire. Or on sait faire. Il suffit de le vouloir. Ardente obligation.

L'intelligence artificielle

   Il est à juste titre beaucoup question d'intelligence artificielle (IA) dans l'actualité. Que recouvre précisément le concept d'intelligence artificielle ? « L'un de ses créateurs, Marvin Lee Minsky, la définit comme la construction de programmes informatiques qui s'adonnent à des tâches pour l'instant accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau, tels que l'apprentissage perceptuel, l'organisation de la mémoire et le raisonnement critique. L'intelligence artificielle, pensée dans les années 50, connaît un vrai renouveau grâce au développement majeur des capacités informatiques de production, de stockage et de traitement des données. La numérisation de la quasi-totalité de notre vie, des photos à la musique, contribue, comme le développement d'Internet, à produire des données massives. C'est la matière première qui alimente l'intelligence artificielle. Pour la travailler, nous utilisons des algorithmes. Certes, ils ne permettent pas aux machines actuelles d'imaginer ou d'inventer. Mais elles sont capables d'apprentissage profond, ou deep learning » [3]. L'intelligence artificielle, c'est de l'informatique.

   L'intelligence artificielle est un domaine d'avenir essentiel dans lequel la France manque cruellement de spécialistes qualifiés. Il va donc falloir en former en nombre. Il va falloir susciter des vocations. On sait que les vocations prennent souvent forme à l'adolescence. Or, dans le rapport de Cédric Villani « Donner un sens à l'intelligence artificielle », rendu public le 28 mars 2018, on ne trouve que, page 121, quatre lignes sur le lycée sur 235 pages : « La nouvelle option informatique et la nouvelle discipline "humanités numériques", au lycée, viendront utilement permettre à la fois de renforcer la compétence en algorithmique des élèves les plus motivés, et la culture numérique qui dans notre société numérique doit maintenant faire partie du bagage de tous et toutes » [4].

   Toujours cette difficulté à faire le lien entre les différents enjeux de l'informatique, l'économie, l'emploi et les qualifications notamment, et la culture générale qui s'acquiert dans l'enseignement scolaire en général et au lycée en particulier. Et cette tendance à esquiver les problèmes de formation comme si celle-ci relevait de la génération spontanée. Informatique et son sous-ensemble intelligence artificielle même combat. Alors qu'elle demande une forte mobilisation institutionnelle pour l'informatique nouvelle discipline au lycée.

15 avril 2018

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1803a.htm

[2] http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h70-sevres-jb17.htm

[3] Maguelonne Chandesris,
http://www.innovationrecherche.sncf.com/intelligence-artificielle-service-futur/

[4] http://www.aiforhumanity.fr/pdfs/9782111457089_Rapport_Villani_accessible.pdf
https://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1804f.htm

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