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Limite d'une formation transdisciplinaire
à l'usage pédagogique des TIC

Bruno Perrault
 

Résumé
Cette étude porte sur la formation initiale en ESPE des enseignants à l'usage pédagogique des technologies numériques. Elle évalue les effets d'un modèle de formation transdisciplinaire dans l'apprentissage des compétences à enseigner avec les TIC, dans la maîtrise de ces compétences et dans leur application en écoles primaires. Sur le plan théorique, l'étude s'appuie sur les concepts d'efficacité des systèmes éducatifs, de sentiments de compétence et de formation. Sur le plan méthodologique, elle mobilise une enquête par questionnaires soumis en fin de formation (avril 2013) à un échantillon de 204 professeurs en formation en 2e année du master MEEF sur une population totale de 473 sujets. Les résultats enregistrés révèlent que seuls 24 % des répondants s'estiment capables d'enseigner avec les TIC, 4,50 % considèrent avoir construit cette compétence dans le cadre de leur formation et 13 % déclarent exploiter le potentiel des TIC dans le cadre de leur enseignement à l'occasion des stages en pleine responsabilité en école primaire.

Mots-clés : Formation ESPE, auto-évaluation, évaluation, efficacité dispositif de formation, TICE.

Introduction

Un environnement institutionnel et technologique favorable à l'usage pédagogique des TIC

   Ces deux dernières décades, les technologies de l'information ont connu un développement extraordinaire dans de nombreux domaines de la société avec un essor exponentiel ces dernières années, sous l'effet notamment de l'internet haut débit. Les gouvernements successifs ont investi des sommes colossales pour accompagner cette informatisation croissante en développant progressivement en milieu scolaire les infrastructures et équipements informatiques. Selon le rapport sur la contribution des nouvelles technologies à la modernisation du système éducatif (Lepetit et al., 2007), l'équipement informatique disponible en France serait supérieur à la moyenne européenne. Par ailleurs, la maîtrise de l'informatique par les élèves figure dans les programmes de l'école primaire depuis 2002. Elle sera reprise avec une importance grandissante dans ceux de 2008 ; la maîtrise des Techniques Usuelles de l'Information et de la Communication figure en 4e position du socle commun de connaissances et de compétences. Il revient donc aux enseignants de former les élèves à la maîtrise des compétences dans ce domaine. Depuis une dizaine d'années, cette formation s'organise autour du Brevet Informatique et Internet (B2i®). Caractéristique importante, le B2i® n'est pas constitué en discipline scolaire ; l'ensemble des textes qui ont ponctué sa création jusqu'à sa généralisation insiste sur son caractère transversal. Les compétences se construisent en théorie tout au long de la scolarité dans le cadre des activités ordinaires des disciplines enseignées.

   Afin de travailler à la construction de ces compétences auprès des élèves, la formation initiale des enseignants n'est pas oubliée. La maîtrise des technologies de communication à des fins pédagogiques est au cœur du référentiel de compétences de 2005 réactualisé en 2013. Les connaissances et les capacités attendues sont celles relatives aux compétences du certificat informatique et internet de niveau 2 « enseignant », attestées dans le cadre du master Métiers de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation (C2i2e). Ce niveau cible les compétences générales liées à l'exercice du métier et les compétences nécessaires à l'intégration des TIC dans les pratiques pédagogiques. La maîtrise des compétences informatiques ne constitue pas une discipline d'enseignement. Les documents de cadrage ministériel précisent que l'ensemble des enseignants-formateurs des IUFM/ESPE et toutes les disciplines sont concernés par le processus qui allie formation, évaluation et validation des compétences du C2i2e [1].

Un faible recours aux technologies éducatives dans les pratiques enseignantes

   Les conditions pour une utilisation pédagogique des TIC semblent donc réunies. Pourtant, si 94 % des professeurs les utilisent pour préparer leurs cours, ils peinent à enseigner avec les TIC. De nombreuses recherches et rapports, des plus anciens (Baron et Bruillard, 2002 ; Karsenti et Garnier, 2002 ; Karsenti, Peraya, Viens, 2002 ; Oberheidt et al., 2004) aux plus récents (Béziat, 2008 ; Baron et Boul'ch, 2011 ; Claus, 2013) rendent compte du faible recours aux technologies éducatives en classe notamment par les jeunes enseignants. Les freins les plus souvent évoqués à l'utilisation des TIC en classe ont en partie évolué. Les enseignants, hier peu convaincus de leur intérêt pédagogique, apparaissent aujourd'hui, pour la plupart, persuadés de leur potentiel éducatif (Fourgous, 2012, p.10). Le dysfonctionnement des machines, le nombre insuffisant d'ordinateurs largement évoqué dans le passé (Rinaudo, 2002) ne sont plus à ce jour les arguments mis en avant, même si ça et là des difficultés demeurent, en particulier dans le premier degré. En revanche, la question de la formation aux usages pédagogiques reste d'actualité. En 2004, une enquête de la Direction de l'Évaluation de la Prospective et de la Performance (Gentil et Verdon, 2003) révélait que deux tiers des enseignants du primaire déclaraient s'être formés par eux-mêmes à l'usage des TIC et estimaient que les carences dans leur formation constituaient l'obstacle majeur à leur intégration plus large dans les pratiques. En 2014, cet obstacle demeure. Les récents rapports sur le numérique à l'école déplorent l'insuffisance de la formation des enseignants comme frein principal à l'intégration pédagogique des TIC (Fourgous, 2010 ; Cerizier et al., 2008 ; Pérez et al., 2012).

Le Brevet Informatique et Internet marginalisé

   Ce déficit de formation impacte le B2i®. Les chiffres avancés par les ministères successifs n'ont jamais mis en évidence un véritable déploiement des B2i® école et collège (Cerizier et al., ibid.). Les critiques sont sévères notamment en provenance des partisans d'un enseignement de l'informatique qui n'hésitent pas à parler d'échec manifeste après 10 années de pratiques. Archambault (2012) remet particulièrement en cause l'orientation qui consiste à laisser l'apprentissage des compétences informatiques au hasard ou au « bon vouloir » des autres disciplines. Il reproche au B2i d'être le plus souvent une fiction dans la mesure où les enseignants des différentes disciplines dans leur ensemble ne pratiquent pas réellement l'informatique dans leurs disciplines respectives. Il fait le parallèle avec l'apprentissage du français qui serait confié à des enseignants d'autres disciplines au gré de leurs besoins pour la seule raison que l'enseignement s'y fait en français. Ce point de vue est loin d'être isolé. L'enseignement de l'informatique est une mesure réclamée par l'Académie des Sciences (2013) soutenue par des acteurs qui comptent dans le domaine du numérique comme la CNIL ou le Conseil National du Numérique. Cette dernière instance, dans un rapport rendu public en 2013, considère que la dispersion de l'enseignement de l'informatique dans diverses disciplines, telle que le B2i® l'a promue, mène à un échec certain. Elle juge également que l'absence de contenus scientifiques explicitement nommés est un handicap majeur et rédhibitoire à la construction des compétences du B2i® (Peugeot, 2013, page 87).

   Cette difficulté des enseignants à s'emparer du numérique à des fins pédagogiques surprend et questionne. Elle surprend tout d'abord au regard de la longue liste des plans gouvernementaux de ces 30 dernières années qui témoigne d'une réelle volonté politique de développer les usages du numérique au sein des écoles françaises ; le dernier en date était rendu public en septembre 2014 par l'actuel chef de l'État, François Hollande, qui annonçait un énième Grand plan numérique pour l'école de la République pour la rentrée 2016 avec une insistance marquée pour la formation des enseignants. Ensuite, au-delà des carences constatées de la formation, elle soulève la question de la pertinence d'un modèle de formation transdisciplinaire qui confie à l'ensemble des enseignants-formateurs de toute discipline la responsabilité de la formation des jeunes enseignants et de l'évaluation de leurs compétences dans le domaine des TIC. C'est cette perspective que nous développons dans le cadre de cette recherche.

Cadre conceptuel

   L'étude repose sur les concepts d'efficacité en formation, de sentiment d'efficacité personnelle et de sentiment de formation. En éducation et en formation, sont qualifiés « d'efficace la personne ou le traitement qui atteint l'objectif visé » (Landsheere, 1982, p. 106). Dans cette perspective, évaluer l'efficacité d'un dispositif de formation consiste « à comparer ce qui est observé à ce qui est désiré afin de porter un jugement de valeur sur son état » (Bouchart et Plante, 2002, p. 222). L'étude portant sur la formation initiale des enseignants à l'usage pédagogique des technologies numériques, parler d'efficacité dans ce contexte suppose d'apprécier le niveau de maîtrise des compétences à enseigner avec les TIC des professeurs-stagiaires au regard des compétences définies dans le référentiel C2I2e. Adopter ce point de vue renvoie à la question de l'évaluation des compétences ; question qui reste encore aujourd'hui bien problématique (Rey, 2012 ; Loarer, 2014). À défaut d'évaluer la compétence manifestée en situation écologique, la capacité à enseigner avec les TIC est inférée de l'évaluation par le stagiaire de ses capacités d'action dans une situation donnée. Cette démarche d'auto-évaluation se définit dans la théorie socio-cognitive de Bandura (2002) par le concept de sentiment d'efficacité personnelle (SEP) qui traduit la croyance ou la confiance d'un individu dans sa capacité à organiser et à réaliser une tâche dans des situations et des contextes spécifiques. Cette confiance dans ses capacités d'action trouvant sa source principalement dans les expériences réelles accumulées par l'individu, on s'attend légitimement à ce que la confiance d'un professeur-stagiaire dans sa capacité à enseigner avec les TIC se développe par la formation. Cette relation entre compétence ressentie et formation amène alors à considérer un sentiment d'efficacité personnelle élevé comme un indicateur à part entière de l'efficacité d'une formation (Romano, 1996 ; Piccoli et al., 2001 ; Marcel, 2009). En ce qui nous concerne, nous considérons que s'appuyer sur les seules perceptions de compétence dans le cadre de l'évaluation de l'efficacité d'une formation professionnelle présente des limites. La croyance dans ses capacités à mener à bien une activité peut trouver sa source dans des expériences diverses et variées (auto-formation, apprentissages informels, etc.) et pas uniquement dans la seule formation suivie. C'est pourquoi, en complémentarité du sentiment d'efficacité personnelle – que nous désignons dans cette étude par sentiment de compétence- nous mobilisons le concept de sentiment de formation que nous définissons comme la représentation par un individu de la contribution de la formation dans la construction de ses compétences (Perrault, 2013). Si un individu se perçoit compétent et reconnaît avoir été formé à cette compétence alors nous postulons que la formation a contribué à son élaboration.

   Avant d'aborder les éléments de méthodologie, arrêtons-nous un instant sur le dispositif évalué. La formation à l'utilisation pédagogique et didactique des Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement (TICE) est confiée à l'ensemble des enseignants chargés des formations dispensées dans le cadre des Unités d'Enseignement de didactique disciplinaire en 2e année du master Métiers de l'Enseignement, de l'Éducation et de la Formation (MEEF). On attend des enseignants concernés qu'ils forment les étudiants aux compétences du C2I2e, valident leur prise de compétence et les accompagnent dans la construction d'un projet d'utilisation des TICE en classe avec les élèves. Ce dispositif est complété par une offre d'ateliers destinée à répondre au mieux, selon les possibilités, aux besoins de formation et aux demandes des étudiants, en lien avec leur projet d'activité TICE. Les étudiants y ont l'occasion de développer la maîtrise technique de certains outils informatiques nécessaires à l'exercice de leur métier (exemples : le traitement de texte, le diaporama, les globes virtuels, les logiciels de géométrie dynamique, etc.), sans oublier leurs usages disciplinaires et leurs enjeux didactiques. Le volume horaire de ces ateliers est très modeste ; il s'élève respectivement à 3h et 4h pour les premier et second semestres.

Méthodologie

   Le cadre conceptuel retenu a servi de guide à l'élaboration d'une enquête par questionnaires soumis à passation en fin de formation initiale de l'année 2013. Les résultats collectés renseignent sur les compétences déclarées mises en œuvre en classe à l'occasion des stages en pleine responsabilité en école primaire : animation d'un cours en utilisant les TIC, construction de situations d'apprentissage mobilisant des compétences numériques chez les élèves, utilisation des TIC pour évaluer les élèves, différenciation à l'aide des TIC et construction de situations pédagogiques permettant d'évaluer les compétences du B2i®. Ils renvoient également la représentation des répondants de la contribution de la formation dans la construction de ces compétences (sentiment de formation), leur degré de satisfaction concernant la formation et nous éclairent enfin sur leur perception du niveau de maîtrise de ces mêmes compétences en fin de formation initiale (sentiment de compétence).

   Les questionnaires ont été renseignés par un échantillon de 241 professeurs des écoles stagiaires (87 % F et 13 % H) en 2ème année du master MEEF, spécialité Professeur des Écoles (PE) sur une population totale de 473 sujets, soit une participation de 51 %. Si cette étude n'apporte qu'un éclairage restreint à une seule École Supérieure de Professorat et d'Éducation (ESPE), nous estimons que les résultats enregistrés, à défaut d'être représentatifs de l'ensemble des ESPE, devraient présenter des similarités étroites avec la réalité des effets de la formation aux compétences numériques dans la formation initiale des enseignants, compte tenu des textes et documents de cadrage définissant l'esprit, les exigences et les modalités dans lesquels s'inscrit cette formation et la certification C2i® niveau 2 « enseignant ».

Résultats

Les compétences déclarées mises en œuvre en classe

   Dans la partie du questionnaire consacrée à l'usage déclaré des TIC en classe, il était demandé aux répondants de déclarer la fréquence d'application des compétences proposées sur une échelle allant de jamais appliqué, appliqué 1 à 2 fois, appliqué 3 à 5 fois et enfin appliqué 6 fois et plus. Un commentaire exemplifie chacune des situations proposées à l'évaluation. La durée des stages en classe étant de l'ordre de 300 heures dans l'année, nous considérons qu'une fréquence d'application inférieure ou égale à 2 fois ne suffit pas pour rendre compte d'une maîtrise affirmée de la compétence considérée. En revanche, les fréquences d'application entre 3 à 5 fois et 6 fois et plus témoignent d'un certain savoir-faire. Aussi, avons-nous pris le parti de comparer les résultats jamais appliqué, appliqué 1 à 2 fois versus appliqué 3 à 5 fois et appliqué 6 fois et plus. Il est bien entendu que les résultats sont relevés auprès de répondants qui déclarent disposer d'ordinateurs au sein de l'école dans laquelle ils effectuent leur stage (N = 204 soit 85 % de l'effectif interrogé). Toutefois, nous ne sommes pas en mesure de préciser s'ils sont disponibles au sein de la classe ou uniquement accessibles dans une salle dédiée.

   Seuls 37 % des répondants déclarent recourir à l'ordinateur pour animer leurs cours, le plus souvent par vidéo-projection des contenus d'enseignement. C'est la compétence la plus partagée mais par un nombre limité de professeurs-stagiaires. Nous l'expliquons par la rencontre entre l'équipement personnel de plus en plus répandu des jeunes enseignants en ordinateur portable et la présence, loin d'être généralisée, de systèmes de projection dans les classes. Toutefois, à l'occasion de visites de stagiaires dans les écoles ou de manière fortuite, nous avons pu constater que lorsque la salle de classe est équipée d'un tableau blanc interactif, il n'est pas toujours utilisé, faute de formation disent les stagiaires. En revanche, lorsqu'il s'agit de construire des situations d'apprentissage qui mobilisent des compétences numériques chez les élèves, ils ne sont plus que 12,25 % à reconnaître placer leurs élèves en situation d'interaction avec les outils numériques. Très peu (6,37 %) déclarent exploiter le potentiel de l'ordinateur dans le domaine de la différenciation pédagogique. Ils ne sont guère plus nombreux (5,88 %) à reconnaître s'investir dans l'évaluation des compétences du B2i®. Enfin, le recours aux TICE dans des situations traditionnelles d'enseignement comme l'évaluation ne caractérise que 2,46 % des répondants. D'une manière générale, l'usage des TIC dans les pratiques d'enseignement-apprentissage des professeurs-stagiaires apparaît très marginal dans le cadre des stages en école primaire.

Perception de la contribution du dispositif de formation dans le développement des compétences à l'usage pédagogique du numérique

   Dans cette partie, on s'intéresse au sentiment de formation « ressenti » dans le cadre des formations didactiques disciplinaires. Il renvoie la perception par les répondants de la contribution de la formation dans la construction des 5 compétences.

   La part des participants qui estiment avoir développé des compétences dans le cadre des formations disciplinaires est extrêmement faible. Elle n'excède pas 14 % dans le meilleur des cas ! Quelle que soit la discipline considérée, très peu de répondants considèrent avoir été formés à exploiter le potentiel des TIC au service de la différenciation pédagogique (1,73 %). Pourtant, leur efficacité dans ce domaine est connue. L'ordinateur en particulier offre de nombreuses possibilités comme la diversification des situations d'apprentissage, la différenciation des parcours, l'adaptation des rythmes d'apprentissages, la prise en compte des styles cognitifs, l'élaboration de progressions adaptées à chaque élève, etc. On s'étonne également du peu de professeurs-stagiaires qui jugent avoir été sensibilisés aux usages des TIC dans l'évaluation des apprentissages (2,48 %). Là encore, les logiciels dans ce domaine ne manquent pas, notamment ceux qui permettent de développer les compétences à s'auto-évaluer. On pense aussi à des démarches comme l'e-portfolio, support particulièrement adapté à l'évaluation des compétences. Enfin, la faible proportion de répondants (1,66 %) reconnaissant avoir été formés à la question du B2i attire l'attention.

   Les ateliers TICE sont davantage reconnus comme un lieu d'acquisition de compétences numériques mais force est de constater que la représentation de leur contribution apparaît circonscrite à quelques stagiaires qui estiment y avoir appris à médiatiser leurs enseignements (22 %), à construire des situations d'apprentissages (17,08 %) et avoir été sensibilisés aux enjeux du B2i (14,17 %). L'auto-formation apparaît comme une modalité d'apprentissage privilégiée par moins d'un tiers des répondants (28,29 %). Mais si 46,89 % des apprentissages réalisés en dehors du dispositif de formation portent sur la construction de situations d'enseignement-apprentissage, on remarque que la différenciation pédagogique, l'évaluation en général et des compétences du B2i® en particulier apparaissent absents des préoccupations d'une très grande part d'entre eux (85 % en moyenne).

   Nous retenons que 77,48 % en moyenne des professeurs stagiaires interrogés ne se sentent pas formés à enseigner avec les TIC que ce soit dans le cadre des formations disciplinaires ou à l'occasion des ateliers. On remarque enfin le peu d'investissement dans les apprentissages autonomes en dehors du dispositif de formation. Si une petite moitié des étudiants disent s'auto-former pour apprendre à construire des situations d'apprentissages médiatisées, très peu investissent de leur temps personnel pour se former à différencier leur pédagogie à l'aide des ordinateurs, à évaluer les apprentissages scolaires et les compétences du B2I. Faute de temps et compte tenu d'un curriculum de formation très lourd ou peut-être par manque de motivation, ces compétences semblent ne pas faire partie de leur priorité.

Perception des compétences à l'usage pédagogique du numérique

   On s'intéresse maintenant au sentiment de compétence « ressenti » par les répondants à qui il est demandé d'auto-évaluer leur capacité à mettre en œuvre chacune des 5 compétences évaluées.

   Globalement, la compétence « perçue » en fin de formation gagne un nombre limité de professeurs-stagiaires (28,31 % en moyenne). Un peu moins de la moitié (46,89 %) considèrent maîtriser l'usage du vidéo-projecteur pour médiatiser leur cours. Ils sont 40,25 % à avoir confiance dans leur capacité à mettre les élèves en situation d'interagir avec les ordinateurs : produire des documents, consulter l'Internet, envoyer des courriers électroniques, etc. Il est alors étonnant qu'ils soient si peu à considérer pouvoir évaluer les compétences du B2i® (22,41 %) ; les mises en situation des élèves sur les ordinateurs offrant l'opportunité de travailler à leur construction et à leur évaluation. Peut-être faut-il voir ici les conséquences d'une méconnaissance des objectifs poursuivis par le B2i® ou encore la faible généralisation du B2i® dans les écoles accueillant les stagiaires. Ils sont encore moins nombreux à s'estimer capables de recourir au numérique pour évaluer les élèves (16,18 %) et pour différencier leur pédagogie (15,83 %).

   La question du B2i®, de l'évaluation et de la différenciation pédagogique à l'aide des outils numériques étant quasi absente de la formation et des priorités des stagiaires, les compétences dans ces domaines peinent logiquement à se développer et ne s'expriment pas à l'occasion de la période de stage dans les écoles. L'étude des corrélations entre la perception du niveau de maîtrise des compétences évaluées et leur application sur le terrain révèle que 82,26 % des répondants, qui ne savent pas comment recourir aux TIC pour évaluer les élèves, ne s'y sont pas risqués au cours de l'année de formation (r=0,184 s. à 0,01). Le caractère prédictif du sentiment de compétence s'étend à la différenciation – 82,26 % des professeurs-stagiaires qui se perçoivent incompétents n'ont pas tenté l'expérience en classe (r=0,288 s. à 0,0001) – et à l'évaluation des compétences du B2i – 76,50 % de ceux qui s'avouent incapables de construire des situations pédagogiques permettant de les évaluer ne s'y sont pas essayés (r=0,278 s. à 0,0001).

Conclusion

   Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes intéressés aux effets produits par un modèle de formation transdisciplinaire dans l'usage pédagogique des TIC des professeurs des écoles stagiaires. À l'issue d'une enquête par questionnaires menée en mai 2013 auprès de 241 stagiaires, il ressort que 83 % d'entre eux considèrent que les enseignants en didactique des disciplines peinent à former à la pédagogie numérique. Pour expliquer cette difficulté, Certains formateurs mettent en avant le morcellement du plan de formation qui se traduit par des volumes horaires très restreints ne permettant pas de travailler dans le sens du dispositif, faute de temps, d'autres se montrent perplexes quant à la plus-value des TIC en pédagogie, d'autres enfin avouent à demi-mot leur incompétence. Ce denier constat n'est en rien un effet de contexte puisque seuls 37 % des formateurs d'enseignants en France se disent à l'aise avec les TIC contre 94 % aux Pays-Bas (Fourgous, 2012, p. 7). L'auto-formation ne vient pas pour autant pallier les carences de la formation. Inévitablement, le recours aux TIC dans les pratiques d'enseignement-apprentissage des personnes interrogées apparaît très marginal lors des stages en école primaire. Au final, la compétence ressentie à la sortie de l'ESPE gagne un nombre très limité de professeurs-stagiaires. Très nombreux à juger sévèrement la formation, 93 % des répondants se déclarent très insatisfaits !

   Bien évidemment, le caractère monographique de l'étude invite à la prudence quant à la généralisation des résultats. Même si les textes et documents de cadrage institutionnels en provenance du ministère s'appliquent à l'ensemble des IUM/ESPE, il serait souhaitable d'étendre la recherche pour approcher la réalité à l'échelle nationale. On regrette par ailleurs de n'avoir pas investigué la perception de la valeur ajoutée que les répondants accordent aux TIC dans le domaine de la pédagogie ; on peut faire l'hypothèse que ceux qui se montrent sceptiques font preuve d'un investissement moindre dans leur formation comparativement à ceux qui sont convaincus du contraire. De même, l'étude ne dit rien de l'implantation des ordinateurs dans les écoles accueillant les professeurs-stagiaires. Nous pensons que le fait de disposer de matériel dans les classes offre davantage de possibilités d'intégration des TIC dans les activités pédagogiques au quotidien comparativement à une salle informatique dédiée, notamment lorsque l'enseignant se préoccupe de différencier sa pédagogie. Une autre limite tient au caractère subjectif des résultats enregistrés. Il est vrai que le recueil des représentations des compétences sous la forme d'une enquête par questionnaires ne permet pas d'évaluer précisément la compétence effective détenue par les répondants. La composante subjective à l'œuvre dans la représentation de soi peut conduire à la surestimation de ses capacités – c'est le cas dans cette étude, 46 répondants qui se considèrent compétents pourraient avoir fait preuve d'optimisme. Néanmoins, nous conservons l'idée que même si le recueil des représentations ne permet pas d'évaluer avec précision ce que l'apprenant « sait faire » ni comment et avec qui il a appris « a faire », la démarche permet d'approcher la réalité de la formation aux TIC du point de vue des usagers. Pour finir, la croyance dans ses capacités étant une composante de la motivation (Ruel, 1987), les résultats amènent à nous interroger sur le niveau d'investissement de ces jeunes enseignants dans la formation et l'évaluation des compétences du B2i® des élèves dont ils auront la charge, une fois titularisés.

Bruno Perrault
bruno.perrault@espe-lnf.fr

À propos de l'auteur :
Bruno Perrault est maître de conférences en Sciences de l'Éducation. Il mène ses travaux au sein du laboratoire Récifes (EA 4520) de l'Université d'Artois et enseigne à l'ESPE Lille Nord de France. 365 bis, rue Jules Guesde, BP 50458, 59658 Villeneuve d'Ascq Cedex.

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

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NOTE

[1] Source : circulaire n° 2006-147 du 5 septembre 2006.

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