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Les métiers du numérique :
un rapport d'Inspections générales
 

   Les ministres de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; de l'économie, de l'industrie et du numérique, ont commandé un rapport sur « les besoins et l'offre de formation aux métiers du numérique » à l'Inspection générale des affaires sociales, l'Inspection générale de l'éducation nationale, l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et au Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies [1].

   Le rapport plante le décor d'emblée : « Les impacts de la numérisation de l'activité concernent tous les secteurs d'activité, qu'il s'agisse des services (vente à distance, relation client, téléprocédures administratives), de l'industrie (industrie 4.0 et ses smart factories capables d'une plus grande adaptabilité dans la production), du bâtiment (domotique), des villes (villes intelligentes), des loisirs (streaming, réseaux sociaux), de l'activité culturelle (production musicale et cinématographique) ou de la santé (objets wearables et big data) pour ne citer qu'eux. ». En passant, la Francophonie a du pain sur la planche !

   Il y a 3 catégories dans les métiers du numérique. D'abord ceux qui sont au cœur du numérique, les métiers « traditionnels » de l'informatique, des télécommunications et de la filière électronique (hardware) qui participent à la conception, au développement et à la maintenance des solutions matérielles et logicielles. Puis on trouve les métiers nouveaux ou profondément transformés par le numérique. Par exemple, la production et la diffusion d'un film ou d'un dessin animé, la conception, la production et la diffusion d'une œuvre musicale sont majoritairement réalisées par le biais de techniques numériques offrant de nouvelles capacités d'expression et de manipulation des supports conduisant à une profonde transformation et à de nouvelles pratiques dans l'exercice des métiers concernés. Le numérique est aussi une source d'émergence de nouveaux métiers, ainsi l'animation d'une communauté d'utilisateurs d'un produit ou d'une marque. Enfin, le numérique est un support à l'activité. Tous les métiers sont, peu ou prou, impactés par l'introduction des outils numériques. Cela vaut pour le commercial qui utilise son outil informatique de gestion de la relation client (CRM), le gestionnaire de ressources humaines qui se tourne vers les réseaux sociaux pour détecter de nouveaux talents...

   La Commission européenne prévoit une vacance de postes élevée et ciblée à l'horizon 2020. Pour la France, selon trois scénarios de croissance envisagés, cela signifierait un taux de postes non pourvus de 5, 8 ou 11 %. Or, souligne le rapport, « le secondaire est la clef du développement attendu dans l'enseignement supérieur », il faut « développer dans le second degré le vivier des élèves formés au numérique pour organiser un continuum bac-3/bac+3 en sciences du numérique ». Si les actions menées ces dernières années ont permis des avancées, par exemple, en 2012, la création en terminale S de l'option de spécialité « Informatique et sciences du numérique », pour autant le compte n'y est pas, le cheminement de l'enseignement de l'informatique dans le système scolaire reste chaotique [2]. Déjà, en 2013, le rapport de l'Académie des sciences « L'enseignement de l'informatique en France » alertait : « Il est urgent de ne plus attendre » [3].

   Commentant le rapport des Inspections générales, Soazig Le Nevé écrit : « le vent numérique ne souffle pas encore assez fort dans l'éducation nationale : trop peu d'élèves y sont formés par des professeurs initiés, que le ministère n'a même pas les moyens d'identifier avec précision, tacle un rapport conjoint d'inspections générales. » [4]. Toujours dans ce rapport, on peut lire : « Avec l'entrée toujours plus poussée dans la société du numérique, l'hypothèse d'un enseignement largement diffusé de la science informatique, par exemple au-delà de la seule série scientifique ou encore avant même la classe de terminale voire dès le collège, est posée ». Rappelons qu'elle l'était déjà il y a une quarantaine d'années...

   Parmi les recommandations du rapport figure l'évolution de « la politique de recrutement et de formation d'enseignants en sciences du numérique dans l'enseignement supérieur comme dans le second degré ». Parmi les pistes à explorer, « la création d'un Capes, Capet et d'une agrégation en sciences numériques, à l'instar des recommandations faites par l'Académie des sciences » (,,,). « Mais cette hypothèse a l'inconvénient majeur de créer une discipline supplémentaire au moment où offrir aux élèves un enseignement qui ne soit plus seulement organisé en disciplines est une préoccupation du système scolaire. Cette hypothèse est donc problématique pour les inspections générales. » Ainsi, indépendamment du fait que le système scolaire a en la circonstance une singulière « préoccupation », l'informatique, science majeure du XXIe siècle, qui représente 30 % de la R&D de par le monde, 18 % seulement en Europe [5], serait vouée à ne pas être une discipline scolaire et à ne pas avoir de professeurs spécialisés ! Le système scolaire fait fausse route en ne retenant pas cette « hypothèse ».

   En effet. Nous sommes entrés dans la période où un ordinateur se permet de battre le champion du monde du jeu de Go, le sommet de la complexité dans le domaine des jeux intellectuels. On ne sait pas tout ce que nous réserve l'informatique pour les 30 ans à venir mais on sait qu'elle nous réserve des choses nouvelles pour ces années où les enfants actuellement sur les bancs de l'École seront au travail. Leur avenir personnel et professionnel, celui de la société dans son ensemble supposent que l'informatique soit une composante de la culture générale de tous et, pour cela, discipline scolaire avec des adaptations aux différents âges et aux différentes séries, comme on le fait pour les autres disciplines. D'évidence, une posture de consommateurs ne saurait suffire. À quand un plan global de culture générale basé sur un grand dessein national ?

15 mai 2016

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid101306/les-besoins-et-l-offre-de-formation-aux-metiers-du-numerique.html
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/66/9/2015-097_metiers_du_numerique _568307_568669.pdf

[2] Projet de programme du CSP « Informatique et création numérique » en première et terminale : une proposition a minima. http://epi.asso.fr/revue/articles/a1604a.htm

[3] http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_0513.pdf

[4] http://www.acteurspublics.com/2016/04/22/les-professeurs-geeks-denree-rare-et-non-identifiee-a-l-education-nationale

[5] a1011b.htm chiffres de 2010.

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