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État des lieux des TIC en milieu rural marocain

Driss Louiz
 

   Cet article traite l'état des lieux des Technologie de l'Information et de la Communication en milieu rural au Maroc notamment au cycle secondaire qualifiant car cette notion revêt une importance capitale dans l'enseignement-apprentissage en général et de la langue française en particulier.

   Il est vrai que l'informatique s'est développée dans les autres branches professionnelles, dans les autres secteurs économiques l'un des arguments constaté c'est le gain de productivité et de temps, il devrait en être de même dans le cas de l'enseignement.

   Certes les TIC ont, de nos jours, envahi tous les domaines, mais le problème majeur relatif à cette pratique est l'usage de ces nouvelles technologies dans la pratique pédagogique de l'enseignant qui se trouve confronté face un réel défi qui est celui de l'intégration des TIC dans sa pratique enseignante.

Pourquoi le milieu rural ?

   Ce secteur connaît en effet un retard par rapport aux milieux urbain et périphérique, le rural se trouve confronté à de réelles difficultés comme l'abandon scolaire et l'enclavement de certains établissements scolaires. La venue des TIC est considérée comme une solution aux différents problèmes rencontrés non seulement par les apprenants mais également les enseignants, pour cela le ministère de l'éducation nationale a alloué un budget colossal pour l'équipement des établissements scolaires en SMM (salles multimédia) afin de faciliter le processus de l'enseignement/ apprentissage. En d'autres termes, faciliter la tâche de l'enseignants en lui fournissant des documents numériques diversifiés et permettre aussi à l'apprenant d'en tirer profit, et surtout de développer chez lui l'autonomie [1] , ou encore faire de lui un acteur social actif et responsable de son apprentissage.

   Questions qui se posent, est - ce que les apprenants apprennent mieux et les enseignants s'acquittent bien de leur tâche en faisant bon usage des technologies de l'information et de la communication ?

   Il est vrai que nombreux sont les problèmes rencontrés par les apprenants au cours de leurs cursus d'apprentissages et en particulier ce qu'on appelle le décrochage, abandon ou déperdition scolaires pour diverses raisons :

  • L'éloignement de certains établissements scolaires dans les milieux ruraux
  • Le manque de transports publics pour les élèves ruraux
  • Le français langue étrangère est considérée comme un frein pour les apprenants issus du milieu rural
  • Le sentiment d'infériorité qu'ils ont d'eux –mêmes vis-à-vis de la langue française
  • Certains établissements scolaires sont mal équipés en outils didactiques
  • Matériel didactique mal entretenu
  • Coupures d'électricité répétées
  • Absence de connexion Internet dans beaucoup d'établissements
  • Formations continues insuffisantes au profit des enseignants en matière de TICE
  • Résistance de certains enseignants à l'égard des nouvelles technologies
  • etc.

   Toutes ces causes découragent les apprenants à suivre leurs études en milieu et les incitent de façon générale à abandonner les bancs de l'école très tôt.

Les TIC peuvent-elles être considérées comme une solution ?

   Nous pensons que l'utilisation des technologies de l'information et de la communication sont capables de résoudre une partie des problèmes cités ci-dessus, car grâce aux TIC, l'élève pourrait éviter plusieurs problèmes qui font obstacle à son apprentissage, la bonne exploitation de l'outil numérique soit en classe ou en dehors de la classe pourra aider l'apprenant à améliorer son apprentissage surtout on sait qu'actuellement l'information et le savoir sont partout et il suffit de savoir les chercher.

   Dans le but de mieux comprendre les difficultés relatives à l'usage des TIC en classe de français, nous avons élaboré un questionnaire que nous avons administré auprès des lycéens marocains âgés entre 15 et 18 ans, issus du milieu rural. Deux régions ont fait l'objet de notre recherche à savoir une du centre représentée par la région de Rabat-Salé, Zemmour,- Zaer et celle du Sud-Est représentée par la région de Méknès-Tafilat et nous avons obtenu les résultats suivants :

Résultats de quelques établissements scolaires en milieu rural


Lycée Taieb Benhima, Had El Brachoua déligation de Khémisset.

 


Lycée Youssef Azouaoui commune de Mellab, délégation d'Errachidia.

   Dans ces deux graphes de (HadBrachoua commune appartenant à la délégation de Khémisset et celle de Mellab dépendant de la délégation d'Errachidia), nous observons qu'il s'agit bien du milieu rural. La majorité des enquêtés sont favorables à l'égard de l'utilisation des nouvelles technologies, les pourcentages varient entre 70 % et 85 %. Ces lycéens ruraux ont répondu avoir un ordinateur, une connexion, un e-mail ou encore un compte Facebook. Ceci montre bien qu'ils s'intéressent de plus en plus aux nouvelles technologies et les utilisent dans leur vie quotidienne soit en classe soit en dehors de la classe dans le but d'échanger et de communiquer.

   Parmi les premiers constats se dégageant nos observations :l'usage des TIC en classe demeure très limité. Les raisons sont nombreuses, le milieu rural est toujours à la traîne et ne bénéficie pas de nouvelles opportunités relatives aux technologies. Cela est dû aux problèmes liés à l'éloignement, l'obstacle majeur étant l'absence ou les coupures répétées de l'électricité et donc d'Internet, et surtout le manque d'entretien du matériel dans le cas où l'établissement est équipé en matériel informatique.

   Par ailleurs, en milieu rural la question de la fracture numérique se pose avec acuité, il y a des enseignants qui réussissent à adopter et adapter les nouvelles technologies, d'autres semblent réticents à l'égard de cet outil et en profitent moins. Il serait donc utile d'adapter ces TIC en prenant en considération le contexte dans lequel évolue l'apprenant, dans la communauté des apprenants tout comme celles des enseignants, la fracture numérique est bien présente, nous sommes conscients actuellement qu'un bon nombre de jeunes s'intéressent avec passion aux nouvelles technologies et s'en servent pour échanger et communiquer entre eux, par ailleurs, il existe parallèlement une autre partie de jeunes qui se sentent complètement dépassés d'une part parce qu'ils n'ont pas les moyens suffisants pour accéder à ces nouvelles technologies ou d'autre part, ils sont réticents ou ont des représentations négatives sur les TIC.

   En outre, l'État marocain, conscient des conditions difficiles que connaissent les élèves issus du milieu rural a encouragé par le biais de différents programmes la scolarisation des enfants et notamment la scolarisation des filles comme nous le montre le Recueil des Statistique de l'Éducation 2012/2013 [2] publié par le direction de la stratégie, des statistiques et de la planification (La direction de la stratégie, 2013), nous remarquons que le nombre de filles scolarisées en milieu rural est passé entre les années scolaires 2005/2006 et 2012/2013 de 19 748 à 40 898.

   On observe bien que l'état marocain encourage les parents à scolariser leurs enfants grâce au « Programme Tissir » qui consiste à accorder aux élèves une bourse mensuelle selon les niveaux, en assurant à certains le transport, et en lançant l'opération d'un million de cartables, mais qu'en est- il de la qualité de l'enseignement ?

Année scolaire/sexe

Filles

Garçons

Total

2005/2006

19 748

33 923

53 671

2011/2012

40 898

63 666

104 564

Évolution des effectifs d'élèves en milieu rural

   Devant les problèmes et les difficultés qui empêchent les élèves à poursuivre leurs études dans de bonnes conditions, le Maroc, ces dernières années, et pour lutter contre l'analphabétisme et l'abandon scolaire s'est engagé à généraliser son enseignement. Voici les derniers résultats concernant l'enseignement secondaire qualifiant en milieu rural qui a connu en effet une progression et notamment chez les filles : le nombre de filles au lycée est passé de 17 057 en 2005/2006 à 45 211 en 2012/2013 [3] Nous constatons que le nombre des filles scolarisées en milieu rural a bien augmenté.

   Si l'urbain l'emporte sur le rural c'est qu'en ville l'accès aux TIC est moins difficile que dans les zones rurale, les régions Rabat-Salé, Zemmour Zaer et Meknès-Tafilalet occupent les derniers rangs par rapport aux autres régions issues du milieux urbains car dans le rural, l'accès aux nouvelles technologies est plus difficile.

Salles multimédia dans les établissements scolaires

Ibn Zaidoun
(périphérique)

Youssef Azouaoui
(rural)

Larbi Housseini
(urbain)

Moulay Rachid
(urbain)

Taibe
Ben Hima
(rural)

Connexion Internet

Pas de connexion

Pas de connexion

Pas de connexion

Pas de connexion

Pas de connexion

 

En marche

En panne

En marche

En panne

En marche

En panne

En marche

En panne

En marche

en panne

Ordinateur

10

9

8

12

10

10

13

8

14

6

Vidéo projecteur

3

0

2

0

3

0

4

0

2

0

Clavier

12

7

15

5

16

4

16

3

16

4

Souris

13

6

17

3

17

3

13

6

16

4

Tableau récapitulatif de l'état du matériel informatique dans les SMM [4].

   Ce tableau nous donne une idée sur l'état des salles multimédias dans les établissements scolaires publics. Dans un premier temps, nous constatons que la plupart de ces établissements sont équipés en matériel technologique, dans un second temps, il s'avère, toutefois, qu'il existe des difficultés pour exploiter convenablement ces salles pour les raisons suivantes :

  • Toutes les salles multimédias, objet de notre enquête n'ont pas de connexion Internet.
  • La moitié des ordinateurs sont en panne : absence de souris, claviers qui ne marchent plus.
  • La plupart des établissements dont l'effectif dépasse les 600 élèves possèdent entre 2 et 3 vidéo projecteurs.

   Devant cette réalité, nous comprenons qu'il est difficile non seulement aux enseignants mais encore aux apprenants d'exploiter les nouvelles technologies dans un contexte jonché de contraintes où l'entretien du matériel informatique est quasi-absent. S'ajoute à ce dysfonctionnement, la non-maitrise par un nombre important d'enseignants des technologies éducatives puisqu'un bon nombre d'entre eux n'a reçu aucune formation.

   Après l'observation de deux graphiques, le premier des éléments qui attire notre attention est que la majorité des élèves de toutes les régions appartenant aux différents milieux sociaux (rural, périphérique ou urbain) possèdent un compte Facebook et une adresse électronique. Avec l'ère des technologies, la connexion n'est plus une contrainte surtout avec le passage à la technologie 3G. De nombreux utilisateurs possèdent des téléphones, Smartphones, IPhones, avec une connexion 3G. Beaucoup d'opérateurs offrent à leurs clients une connexion Internet pour une durée de 24 heures à 10 dirhams. De plus les espaces WiFi encouragent davantage l'utilisation de ces technologies.

   Cependant nous observons que très peu d'établissements ont une plate-forme (un blog ou un site) pour la simple raison que ce n'est pas encore obligatoire. En revanche, il y a des initiatives personnelles de la part de certains chefs d'établissements ou enseignants de concevoir des blogs ou sites pour le compte de leurs établissements.

   Élèves et enseignants manifestent un grand enthousiasme à travers les questionnaires et entretiens, mais apparemment le terrain n'est pas encore favorable pour mener à bien cette nouvelle expérience vu les nombreux problèmes dont souffre l'infrastructure des établissements scolaires comme l'entretien des équipements du parc informatique et le manque de formation continue au profit des enseignants.

   Il semble aussi que les responsables des administrations marocaines sont très attachés aux pratiques classiques comme les correspondances administratives, (version papier), et ne font pas encore confiance à la version numérique, qui est, d'ailleurs, très pratique et efficace.

 
   En conclusion, nous pensons que les objectifs fixés par le ministère de l'Éducation nationale n'ont pas été véritablement atteints pour les raisons suivantes :

  • beaucoup d'enseignants n'ont pas bénéficié de formations relatives à l'intégration des TIC,
  • beaucoup d'enseignants n'ont pas manifesté d'intérêt pour suivre ce type de formation, car ils n'étaient pas pris totalement en charge
  • Manque de suivi après la fin de formation.
  • Beaucoup de formateurs ont refusé de continuer les formations aux autres enseignants car ils n'ont pas été indemnisés.
  • Mauvaise gestion des salles multimédias.
  • La majorité des salles multimédia ne sont pas connectées à Internet.
  • Absence de responsables de salles multimédias
  • Absence d'entretien et de maintenance du matériel informatique.
  • Un nombre important d'établissements ne sont pas électrifiés ou ont un problème d'électrification.
  • Les TIC ne sont pas considérées comme importantes puisqu'elles ne sont pas obligatoires ce qui laisse dire qu'elles ne sont pas réellement « au coeur du système éducatif »
  • Beaucoup de salles multimédias ont été transformées en salles de cours.

Louiz Driss
Professeur de français cycle secondaire qualifiant
Doctorant, Laboratoire Langage et Société
université Ibn Tofail- Kénitra

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

Bibliographie

CSE ( 2008). Programme national d'évaluation des acquis. Programme national d'évaluation des acquis PNEA 2008. Mai 2008 P.8.

Puren Christian (2010). « La nouvelle perspective actionnelle et ses implications sur la conception des manuels de langue », dans L'approche actionnelle dans l'enseignement des langues. Douze articles pour mieux comprendre et faire le point, Paris, éditions Maison des Langues, p.119-140.

ANRT (2013). Agence nationale de la réglementation et des télécommunications.
Consulté le 15/12/2013, sur http://www.anrt.ma/sites/default/files/Rapport-annuel-2012_fr.pdf
P57 : http://www.anrt.ma/sites/default/files/Rapport-annuel-2012_fr.pdf

Direction de la stratégie, des statistiques et de la planification (2012/2013). Recueil statistique de l'éducation 2012/2013
site consulté le 25/09/2013 in http://www.men.gov.ma

Rapport du programme Najah (2008) publié dans http://planipolis.iiep.unesco.org/upload/Morocco/Morocco_Programme_Urgence_NAJAH_rapport_detaille_version_projet.pdf consulté le 23/09/2013

NOTES

[1] Puren Christian, 2010.

[2] La direction de la stratégie, des statistiques et de la planification (2012/2013) Recueil statistique de l'éducation 2012/2013.
site consulté le 25/09/2013 in http://www.men.gov.ma

[3] Données extraites du site du ministère de l'Éducation nationale Marocain.

[4] Statistiques fournies par les enseignants exerçant dans les établissements objet de notre étude.

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Association EPI
Septembre 2014

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