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Pour la « fondation » de la discipline informatique pour tous

Jean-Pierre Archambault
 

   Le projet de loi sur la refondation de l'école de la République a été adopté en première lecture par l'Assemblée Nationale. Il y est question d'une manière significative du numérique, de ses usages. Mais quasiment pas de l'informatique [1]. C'est un paradoxe. En effet, si, dans la société, de plus en plus d'activités et de réalisations reposent sur la numérisation de l'information, au coeur du numérique il y a la science informatique car elle est la science du traitement et de la représentation de l'information numérisée. Elle sous-tend le numérique comme la biologie sous-tend le vivant et les sciences physiques l'industrie de l'énergie.

   L'impact sociétal et économique de l'informatique « explose » au XXIe siècle. L'informatisation est la forme contemporaine de l'industrialisation. On ne compte plus les débats de société que l'informatique suscite. À ces titres, elle doit être une composante de la culture générale scientifique et technique de tous les élèves.

   La question est alors celle de savoir comment l'École donne une culture générale pour tous.

   Il y avait dans les années 1980 dans les filières d'enseignement général des lycées, de la seconde à la terminale, une option informatique. Présente dans un lycée sur deux et en voie de généralisation, elle a été supprimée en 1992, rétablie en 1995 puis à nouveau supprimée en 1998.

   Ce fut alors une « traversée du désert ». À prévalu la conception selon laquelle on peut donner une culture générale scientifique informatique à travers les usages des outils informatiques dans les autres disciplines. Elle s'est incarnée dans le B2i qui fut un échec, un échec prévisible d'ailleurs. Le B2i suppose implicitement un apport de connaissances mais ne dit pas où les trouver, dans quelles disciplines. Il n'est déjà pas évident d'organiser des apprentissages progressifs sur la durée lorsque les compétences recherchées sont formulées de manière très générale (du type « maîtriser les fonctions de base » ou « effectuer une recherche simple »), éventuellement répétitives à l'identique d'un cycle à l'autre, et que les contenus scientifiques, savoirs et savoir-faire précis permettant de les acquérir, ne sont pas explicités. Mais quand, en plus, cela doit se faire par des contributions multiples et partielles des disciplines, à partir de leurs points de vue, sans le fil conducteur de la cohérence didactique des notions informatiques, par des enseignants insuffisamment formés, on imagine aisément le caractère ardu de la tâche au plan de l'organisation concrète. Pour se faire une idée de ces difficultés, il suffit d'imaginer l'apprentissage du passé composé et du subjonctif qui serait confié à d'autres disciplines que le Français, au gré de leurs besoins propres (de leur « bon vouloir »), pour la raison que l'enseignement s'y fait en français. Idem pour les mathématiques, outil pour les autres disciplines, avec les entiers relatifs traités au gré de l'étude de la chronologie en histoire (avant-après JC) et les coordonnées, elles, au gré de l'étude de la latitude et de la longitude en géographie !

   Des actions furent entreprises pour le retour d'un enseignement de la discipline informatique. Elles ont fortement contribué à la création à la rentrée 2012 en Terminale S d'un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique ». Il sera étendu aux classes terminales pour chacune des séries du baccalauréat général et technologique (mais ce sera en tant qu'option en non comme enseignement de spécialité, ce qui limite son impact, voir amendement 1296 [2]).

   Il s'agit là de premiers pas qui en appellent d'autres.

   Comment l'école donne-t-elle une culture générale avons-nous demandé ? C'est bien connu ! Regardons les autres domaines de la connaissance. Depuis longtemps, nous savons qu'il est indispensable que tous les jeunes soient initiés aux notions fondamentales de nombre et d'opération, de vitesse et de force, d'atome et de molécule, de microbe et de virus, d'événement et de chronologie, de genre et de nombre, etc. Ces initiations se font dans un cadre disciplinaire. Aujourd'hui, le monde devenant numérique, il est incontournable d'initier les jeunes de la même façon aux notions centrales de l'informatique, devenues tout aussi indispensables : celles d'algorithme, de langage et de programme, de machine et d'architecture, de réseau et de protocole, d'information et de communication, de données et de formats, etc. Cela ne peut se faire qu'au sein d'une discipline informatique. Car, répétons-le, l'expérience a montré que « cliquer sur une souris » et utiliser les fonctions simples d'un logiciel sont loin de suffire.

   La « fondation » de la discipline informatique est plus que jamais à l'ordre du jour. D'ailleurs, dans la feuille de route gouvernementale sur le numérique, on peut lire : « Une réflexion sur la place que doit prendre la science informatique, à tous les niveaux d'enseignement, sera prochainement engagée » [3].

Jean-Pierre Archambault
Président de l'association Enseignement Public et Informatique

Participation au débat « Faut-il changer l'école ? » sur Newsring, 19 mars 2013.
http://www.newsring.fr/societe/230-faut-il-changer-lecole/39205-pour-la-fondation-de-la-discipline-informatique-pour-tous

NOTES

[1] Débat à l'Assemblée nationale - Histoire d'un amendement retiré : http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1303a.htm

[2] Projet de loi pour la « Refondation de l'école de la République ». Deux amendements concernant l'informatique : http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1303n.htm#1296

[3] Feuille de route du Gouvernement sur le numérique : des mesures pour l'École.
http://www.education.gouv.fr/cid70569/feuille-de-route-du-gouvernement-sur-le-numerique-des-mesures-pour-l-ecole.html

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Avril 2013

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