Internet à l'école

Jean-Pierre Archambault
 

Le recours au réseau Internet dans les établissements scolaires s'accentue. Certains enseignants y trouvent, en continuité avec l'usage de la télématique, un moyen de repenser la pédagogie et de mieux armer les élèves face aux défis de la fin du siècle.

 
   Plainte d'un professeur d'anglais, dans un lycée technique de la banlieue nord de Paris : « Français, je m'adresse à des Français, mes élèves, dans une langue étrangère, l'anglais. Pour une partie des jeunes, cette situation pédagogique classique de dialogue artificiel n'a pas de sens. » Ce non-sens brouille l'apprentissage. Une autre enseignante d'anglais confirme : « Dans un établissement sensible, il est souvent difficile de motiver les élèves. Hier la télématique, aujourd'hui Internet constituent de bons supports pour atteindre ce but. Toutes les mains se lèvent lorsque je demande quels sont les élèves désireux d'avoir des correspondants en Angleterre, au Canada ou aux États-Unis. Plus besoin de les pousser à ouvrir un dictionnaire pour comprendre un mot nouveau. La documentaliste est souvent sollicitée afin de réunir la documentation nécessaire pour répondre à la question posée à l'autre bout de la ligne. Tirés de textes authentiques, les points de grammaire et de civilisation passent mieux. Il faut entendre les manifestations de joie lorsque les enfants découvrent leur courrier à l'écran. Il faut voir la fébrilité avec laquelle ils lisent leurs messages, comment ils échangent et comparent les informations reçues... Internet est maintenant un élément essentiel de ma pratique pédagogique. » Dans les témoignages de ses utilisateurs, Internet apparaît en effet comme un nouvel outil pédagogique à la disposition des enseignants, qui pourrait éventuellement aider à lutter contre l'échec scolaire. Cette question du sens est en effet fondamentale. Certains élèves acceptent sans aucun problème les contraintes dites scolaires. Ceux-là vont, sans grande difficulté, vers l'abstraction, la théorie, la compréhension. Le plaisir d'apprendre leur a, en général, été légué par leurs origines sociales et culturelles.

   Les élèves issus de milieux dont les valeurs et les symboles diffèrent, soumis à de lourdes contraintes matérielles, où le regard pointe moins loin, exigent de l'enseignement qu'il ait un sens. Internet permet de créer de telles situations de communication et favorise les apprentissages. Il faut cependant rester lucide. Des acquisitions solides et durables supposent que les élèves consentent à s'intéresser aux règles de grammaire et à l'abstraction : ils doivent donc arriver à s'assigner des buts d'ordre cognitif.

   Internet est un outil culturel d'ouverture sur le monde. Dans certains collèges de quartiers déshérités, des élèves peu familiers des musées explorent images et textes sur le serveur mis en place à l'occasion de l'exposition Cézanne. Pour tous, l'assimilation des langues étrangères requiert des formes de proximité et de continuité avec des matériaux, des personnes, des cultures et des civilisations éloignés. Le média électronique s'y prête. Motivé par le souci de travailler sur le « document authentique », un professeur d'espagnol récupère sur un serveur de la Toile (Web) un quotidien madrilène de la veille. La réception informatique lui simplifie la confection de plusieurs versions d'un même article adaptées à ses différentes classes et aux niveaux de ses élèves, ainsi qu'à ses objectifs en matière de vocabulaire. Cet enseignant a réussi à s'approprier Internet pour construire sa pédagogie, de même que ce professeur de mathématiques qui découvre sur un serveur du Minnesota des cours de géométrie remarquables.

   Les épreuves du baccalauréat des sections d'électronique font plancher les élèves sur un objet technique (imprimante thermique, par exemple). Les lycées reçoivent par voie postale, au cours du premier trimestre, des centaines de pages de documents en un exemplaire, à charge pour eux de les photocopier pour l'ensemble des professeurs de la discipline. L'année dernière, ces documents ont été déposés sur un serveur éducatif à l'intention des établissements de la région parisienne, dans le cadre d'une expérimentation ministérielle « Renater-Internet ». Les enseignants pouvaient se les procurer rapidement d'une manière aisée. Ils pouvaient aussi en extraire schémas et textes à leur convenance pour élaborer leurs documents de cours. Des difficultés logicielles ont été rencontrées lorsqu'il a fallu entrer les équations correspondant aux circuits intégrés. La messagerie a permis un échange nourri d'informations, et des collègues ont mis leurs cours à disposition sur un serveur. Internet s'est transformé en instrument de travail collectif du corps enseignant. Dans des secteurs d'évolution accélérée et de veille technologique, le réseau permet la mise en commun des réflexions dispersées. Internet est une pièce maîtresse de la modernisation du système éducatif.

   Des programmes européens de coopération, des réseaux de formation à travers plusieurs pays se sont mis en place ces dernières années, par exemple sur le français langue étrangère. Chaque centre de formation, région ou pays doit négocier, en fonction de ses propres besoins, avec les autres partenaires du réseau. Il faut organiser la mobilité des personnels, les participations croisées de formateurs aux stages proposés. Il faut faire vivre une équipe transnationale. Il faut mettre au point des contenus de formation, élaborer conjointement des documents de synthèse ou d'évaluation.

Apprendre à naviguer

   Tout cela signifie beaucoup d'informations à faire circuler, à se communiquer, parfois dans l'urgence. Et le courrier postal, le fax ou le téléphone n'y suffisent plus : délais trop longs, lourdeurs de certaines obligations (comment avertir vingt personnes de cinq pays différents d'un changement d'horaire ou de lieu, ou simplement leur soumettre une banale proposition ?), difficultés énormes pour joindre son interlocuteur... Il est illusoire de penser faire fonctionner durablement et efficacement des réseaux humains à l'échelle de plusieurs pays sans recourir à la communication électronique.

   La documentaliste d'un collège initie à l'utilisation d'Internet une quinzaine d'élèves intéressés. Pour chaque consultation, trois ou quatre d'entre eux se regroupent autour de l'écran, les autres attendent en regardant des cédéroms. Pas de planning rigoureux, les connexions se font plutôt à la demande des collégiens. La documentaliste leur montre progressivement comment utiliser les logiciels de navigation et de messagerie, en fonction des objectifs du moment : se connecter à partir d'une adresse, rechercher des sites sur un thème, mémoriser une adresse en créant un signet (bookmark), se brancher à un site en utilisant les répertoires déjà créés, répondre à un message... Ces activités visent à sensibiliser les élèves au défrichage d'une information de plus en plus numérisée et répartie.

   Dans des sections tertiaires de lycées techniques ou professionnels, on apprend à naviguer sur Internet, à y chercher les informations dont on a besoin, à se situer dans des univers virtuels et complexes. On forme aux nouveaux moyens de communication et aux approches informatiques en réseau (le réseau est désormais le mode d'existence majeur et dominant de l'informatique). Il est bien loin, le bureau d'antan, son odeur de cuir, ses fichiers en carton, ses machines à écrire et son télex. Sans véritable transition, Minitel, ordinateurs autonomes puis connectés, messageries, bases de données relationnelles, réseaux de transmission de données occupent désormais les lieux. Ne s'arrêtant pas aux portes de l'entreprise, ils irriguent la société dans son ensemble.

   Utiliser les outils modernes de communication, y recourir avec discernement, naviguer à l'aise dans des univers immatériels complexes ne va pas de soi. Cela implique de s'en être construit une représentation mentale opérationnelle. Comprendre et intervenir dans des débats quelquefois technicistes, dévoiler des mystifications, résister à des anathèmes ou à des campagnes d'intimidation, avoir prise sur les évolutions en cours, en un mot être un citoyen à part entière, ainsi qu'un travailleur qualifié en mesure d'accompagner les transformations de l'entreprise..., tout cela ne relève pas du spontané mais suppose des savoirs, une culture.

   La technique et l'école ne sont pas émancipatrices en elles-mêmes, et les effets de cette dernière s'inscrivent nécessairement dans certaines limites imposées par la société. Mais ce qui est en jeu impose d'être informé et de se sentir quelque peu responsable. Ne devrait-on pas enseigner Internet comme n'importe quelle autre discipline ? Il s'agit là d'une question de première importance.

Jean-Pierre Archambault
Direction de l'ingénierie éducative, CNDP - Paris

Paru dans le numéro hors série de Manière de voir « Internet l'extase et l'effroi » (Le Monde diplomatique) d'octobre 1996, pages 85-86.
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Septembre 2011

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