Solidarité numérique avec des logiciels et des ressources libres

Jean-Pierre Archambault
 

   Solidarité numérique rime avec lutte contre la fracture numérique, entre le Nord et le Sud, mais aussi au sein du Nord. La fracture numérique a de multiples raisons et dimensions. Elle est à la fois cause et conséquence. En effet, si elle résulte des fractures sociales produites par les inégalités sur les plans économique, politique, social, culturel, entre les hommes et les femmes, les générations, les zones géographiques, en retour elle les aggrave, de par l'omniprésence du numérique dans tous les secteurs de la société, et du rôle majeur qu'il joue. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Gérard Berry indiquait que « tout le monde le voit et le dit, notre civilisation est en train de devenir numérique », mais que « les fondements de la locution « monde numérique » restent largement ignorés du public ». Et Il ajoutait que « ce n'est pas étonnant car l'information synthétique est encore pauvre dans ce domaine qui ne repose pas sur des bases enseignées classiquement » [1]. Fondamentalement, la fracture numérique est économique et culturelle. Pour la résorber, les logiciels et ressources libres sont un atout incontournable. Et l'éducation un passage obligé, bien sûr.

Un problème d'accès

   Il y a ceux pour qui il est possible, facile de disposer d'ordinateurs connectés au réseau mondial, et les autres. En juin 2008, présentant « ordi 2.0 », plan anti-fracture numérique, Éric Besson rappelait qu'« être privé d'ordinateur aujourd'hui pour les publics fragiles, c'est être privé d'accès à l'information, à la culture, à l'éducation, aux services publics, donc être exposé à un risque accru de marginalisation ». La fracture numérique a une dimension géographique. De ce point de vue, la question de l'égal accès aux réseaux est primordiale. Une politique d'aménagement du territoire ne peut que s'en préoccuper. Démocratiser le numérique suppose d'accélérer le déploiement des infrastructures. Pour le World Wide Web consortium qui, le 28 mai 2008, a lancé un groupe d'intérêt web mobile pour le développement social (MW4D), « les technologies mobiles peuvent ouvrir aux plus pauvres des accès à des services d'informations essentiels comme les soins de santé, l'éducation, les services administratifs » [2].

Internet, bien commun numérique universel

   Doté d'une architecture neutre et ouverte, ressource sur laquelle n'importe quel usager a des droits, sans avoir à obtenir de permission de qui que ce soit, Internet s'inscrit d'une manière intrinsèque dans la solidarité numérique. D'autres réseaux fonctionnent sur ce principe : le réseau électrique auquel tout un chacun peut se connecter pourvu que son équipement corresponde aux normes du système (en théorie, on pourrait imaginer que chaque appareil branché à une prise ait d'abord besoin d'être identifié par un réseau pour pouvoir fonctionner) ; le réseau autoroutier car, à partir du moment où la voiture a été homologuée et où le conducteur a son permis de conduire, le concessionnaire de l'autoroute n'a pas à savoir pourquoi ni quand l'usager emprunte celle-ci [3].

   Les ordinateurs au sein d'Internet fournissent un service de base – le transport des données – avec des fonctions très simples nécessaires pour les applications les plus diverses. L'intelligence et la complexité, à savoir le traitement de l'information, sont situées dans des ordinateurs à la lisière du réseau. Cette architecture, dite de « bout en bout », favorise l'innovation dont on connaît le rôle dans la société de la connaissance.

   Last but not least, Internet repose sur des standards ouverts de formats de données (HTML pour écrire des pages web) et de protocoles de communication (TCP/IP, HTTP). Il fonctionne à base de logiciels libres : Apache, SendMail, Linux... Il est donc impossible de verrouiller le réseau par la pratique du secret. Les logiciels libres ont permis la construction d'une plate-forme neutre. Ils la protègent par des licences comme la GPL, qui imposent la diffusion du code source, garantissant aux développeurs qu'elle le restera dans l'avenir. Lui-même bien commun informatique mondial, Internet, par son architecture, ses technologies, ses principes, a contribué au développement d'un immense bien commun universel de connaissances. Standards ouverts, logiciels libres sont donc des maîtres mots de l'accès au réseau.

Logiciels et ressources libres

   Il a été question de logiciels et de ressources libres à l'Université d'été de Tunisie qui s'est déroulée à Hammamet, du 25 au 28 août 2008 [4]. Organisée par le Fonds Mondial de Solidarité Numérique (FSN) [5] et par l'Association pour le Développement de l'Éducation en Afrique (ADEA) [6], elle était consacrée au thème de « La solidarité numérique au service de l'enseignement ». À son programme figuraient notamment les usages du TBI (Tableau blanc interactif), la création de ressources pédagogiques par les enseignants « auto-producteurs » et le rôle des communautés d'enseignants, les problématiques de droits d'auteur.

   Un atelier, qui portait sur les ressources pédagogiques des disciplines scientifiques et techniques des lycées, a fait différentes propositions dont l'une essentielle aux yeux de ses participants : les logiciels et les ressources pédagogiques utilisés et produits doivent être libres. Les standards et les formats de données doivent être ouverts [7]. Trois raisons ont motivé cette proposition : les coûts, le caractère opérationnel de la production collaborative de contenus pédagogiques, et le fait que les modalités de réalisation et les réponses du libre en terme de propriété intellectuelle sont en phase avec la philosophie générale d'un projet de solidarité numérique, partage, coopération, échange.

   Le projet RELI@, « Ressources en ligne pour institutrices africaines », est destiné à améliorer la qualité de l'enseignement dans les pays du Sud par l'utilisation des outils et contenus numériques. Il repose sur des logiciels et ressources libres. Il a tenu son premier atelier à Dakar, du 22 au 24 octobre 2008 [8]. Un « Appel de Dakar » a été lancé pour la production panafricaine de ressources pédagogiques numériques libres.

   Rappelons qu'un logiciel libre se caractérise par quatre libertés. On peut :

  • l'utiliser, pour quelque usage que ce soit,

  • en étudier le fonctionnement et l'adapter à ses propres besoins (l'accès au code source est une condition nécessaire),

  • en redistribuer des copies sans limitation aucune,

  • l'améliorer et diffuser les améliorations au public, de façon à ce que tous en tirent avantage (l'accès au code source est encore une condition nécessaire).

   La licence GPL (General Public licence), la plus utilisée, impose, dans le cas de diffusion publique des améliorations apportées, de faire bénéficier les autres des libertés dont on a soi-même bénéficié [9]. Pour les ressources informationnelles, on citera les licences Creative Commons [10].

Les coûts informatiques

   L'accès au réseau et ses coûts afférents sont une dimension majeure de la fracture numérique. Si libre ne signifie pas gratuit, l'on peut toujours se procurer une version gratuite d'un logiciel libre, notamment en la téléchargeant. Organisée au niveau d'un pays, la diffusion d'un logiciel libre permet de le fournir gratuitement à tous, avec des coûts de logistique de déploiement pour la collectivité mais une économie de licences d'utilisation à n'en plus finir. Dans la quasi-totalité des cas, un logiciel libre est plus que significativement moins onéreux que son équivalent propriétaire et son cortège de licences par poste de travail.

   Le libre est un puissant facteur de régulation de l'industrie informatique. L'on sait que l'informatique grand public a une structure qui favorise la constitution de quasi-monopoles. Les coûts marginaux (de production d'un exemplaire supplémentaire) tendent vers zéro. Les coûts fixes sont importants et ils sont engagés avant la vente du premier exemplaire. L'acteur dominant est ainsi dans une situation de force. Il l'est également de par les externalités de réseau qui jouent en sa faveur. En amont, un développeur de logiciel ou un fabricant de périphérique optera pour la plate-forme la plus répandue, qui de ce fait le sera encore plus. En aval, l'utilisateur aura tendance à se tourner vers l'acteur dominant, notamment pour son réseau de distribution et d'après-vente. On débouche donc sur des quasi-monopoles avec leur cortège de prix prohibitifs et de situations de rentes. De plus, les acteurs dominants verrouillent le marché en imposant leurs standards propriétaires, en organisant l'incompatibilité de leurs fichiers avec ceux de leurs éventuels concurrents dont ils empêchent l'émergence. Mais le logiciel libre et les standards ouverts, en tant que facteurs « naturels » de diversité, concurrence et pluralisme, contribuent fortement à la baisse des prix.

   Par ailleurs, les documents produits par un traitement de texte lambda doivent pouvoir être lus par un traitement de texte bêta, et réciproquement. Il s'agit là d'une question fondamentale de l'informatique et de la fracture numérique. Tout citoyen du monde doit pouvoir avoir accès à ses données, indépendamment du matériel et du logiciel qu'il utilise. De ce point de vue, il ne peut y avoir que des formats et des standards ouverts [11].

La pérennité et la maîtrise des solutions

   Condition du pluralisme des solutions, le libre et les standards ouverts signifient non seulement baisse des coûts informatiques mais aussi indépendance et autonomie des entreprises et des institutions. En effet, le code source étant ouvert, celles-ci peuvent changer de prestataire de service si elles le désirent. Elles ont ainsi la maîtrise de leur politique informatique. Elles ne sont plus soumises au « bon vouloir » d'un éditeur qui leur impose une nouvelle version dont elles n'ont aucunement besoin. Avec les coûts que cela engendre ! Cela vaut par exemple pour les systèmes éducatifs confrontés à l'évolution de leurs parcs informatiques.

   En janvier 2008 le Becta (British Educational Communications and Technology Agency), une agence du Department for Children, Schools and Families du Royaume-Uni) a publié une étude détaillée sur Windows Vista et MS Office 2007 [12]. Avec l'autorisation du Becta, Framasoft en propose sa traduction intégrale [13].

   Framablog synthétise quelques « bonnes questions » posées par le rapport [14] :

  • Mon établissement scolaire a-t-il réellement besoin de migrer vers Vista ? vers MS Office 2007 ?

  • Les coûts d'une telle opération seront-ils compensés par la qualité de ces nouveaux produits ? À l'échelle nationale, les coûts globaux d'une telle opération ne pourraient-ils pas être épargnés et affectés ailleurs ?

  • Un parc hétérogène Windows XP et Windows Vista ne va-t-il pas créer de la confusion chez mes utilisateurs ? ne va-t-il pas compliquer la tâche de l'administrateur du réseau ?

  • Si je me retrouve avec MS Office 2007, dois-je utiliser par défaut le nouveau format de Microsoft Open XML (OOXML) ?

  • Est-ce que tout a été fait pour garantir une bonne interopérabilité ? Est-ce que je facilite la vie numérique de mes élèves dans leur liaison école/domicile ?

  • La collectivité territoriale qui me fournit en machines neuves a-t-elle prévue d'intégrer nativement une suite bureautique libre ? A-t-elle prévue que je puisse sans entraves lire et écrire par défaut au format OpenDocument ODF ?

  • Si Windows Vista et MS Office 2007 ne sont pas recommandés, n'est-il pas temps d'évaluer sérieusement si Linux (associé à OpenOffice.org) pourrait constituer une réelle alternative ?

   Ces « bonnes questions » sont à l'évidence au coeur de la problématique de la lutte contre la fracture numérique.

Partage-production collaborative-coopération

   La fracture numérique porte sur les logiciels d'infrastructure et les applications. Elle porte aussi sur les contenus. D'où l'accent fort mis par l'Université d'Hammamet sur l'auto-production de ressources pédagogiques par les intéressés eux-mêmes. De plus en plus de biens informationnels ont une version numérisée. L'enjeu est d'accéder au patrimoine culturel de l'humanité, de participer à sa production, d'être un acteur à part entière du partage et de la coopération. Le cas de Sésamath, symbole d'excellence en la matière, s'il est particulièrement emblématique, n'est pas unique [15].

   Par milliers, des enseignants mettent librement et gratuitement sur Internet leurs productions pédagogiques à disposition de leurs collègues. Si tous ne le font pas, 1 % d'entre eux qui le font représentent, à l'échelle de la France par exemple, un vivier de 8 000 auteurs. Chacun peut aisément reproduire les documents qu'il récupère, les transformer, les remettre à disposition, contribuant ainsi aux processus sans fin de création, diffusion, appropriation de la connaissance. C'est, transposée aux contenus, l'approche des logiciels libres. Cette démarche est rendue possible par la banalisation des outils de production numérisée (traitement de texte, présentation, publication), de copie et de diffusion avec Internet qui donne à l'auteur un vaste public potentiel. Incontestablement, les TIC sont ici facteur de démocratisation en permettant à beaucoup de créer et de diffuser leurs productions, privilège qui était traditionnellement l'apanage des pouvoirs établis. Certes, leur métier a toujours amené les enseignants à réaliser de nombreux documents dans le cadre de la préparation de leurs cours. Les associations de spécialistes ont toujours joué un rôle éminent et reconnu dans la mise en oeuvre des programmes, dans la pédagogie quotidienne de la classe, la production de documents. Mais, la fabrication matérielle et la diffusion n'ont effectivement pas toujours été choses simples. Que l'on songe aux temps « héroïques » de la ronéo... Jusqu'à l'arrivée de l'ordinateur et d'Internet, une élaboration coopérative avec des collègues et la visibilité des ressources produites ne pouvaient aller au-delà d'un cercle restreint et rapproché. Modifier un document écrit à la main était (et demeure) une opération lourde, qui plus est quand il circule et que chacun y met sa griffe. Les photocopieuses étaient rarissimes, les machines à alcool fastidieuses à utiliser. Des échanges sur une plus grande échelle supposaient de mettre en forme des notes manuscrites, et la machine à écrire manquait de souplesse, ne tolérant pas vraiment les fautes de frappe. Difficile donc de coopérer sur des documents communs au-delà d'une petite communauté, de diffuser à grande échelle ce que l'on avait fait. Le manuel scolaire était alors la seule perspective pour une diffusion élargie, l'éditeur le passage obligé, et on lui accordait d'autant plus facilement des droits sur la fabrication des ouvrages que l'on ne pouvait pas le faire soi-même.

   Les communautés d'enseignants auteurs-utilisateurs se multiplient, utilisant à plein les potentialités d'interaction du web. Elles fonctionnent comme les communautés de développeurs de logiciels libres. Leurs membres ont une vision et une identité communes. Organisées pour fédérer les contributions volontaires, dans une espèce de synthèse de « la cathédrale et du bazar », ces communautés répondent à des besoins non ou mal couverts et doivent compter en leur sein suffisamment de professionnels ayant des compétences en informatique. Les maîtres mots de la division du travail y sont « déléguez » et « distribuez ». Mais toute cette « économie » requiert un contexte juridique pour exister, un contexte fait de logiciels et de contenus libres...

Quelle propriété intellectuelle ?

   En effet, la production collaborative suppose des modalités de propriété intellectuelle qui, non seulement, favorisent la circulation des ressources numériques et les contributions des uns et des autres mais, tout simplement, l'autorisent. Le dilemme de la propriété intellectuelle demeure : encourager la création / diffuser la connaissance à tous. Mais l'immatériel invite à le revisiter. En effet, un bien immatériel ne s'épuise pas si l'on s'en sert, au contraire il s'enrichit, par exemple un logiciel auquel on ajoute une fonctionnalité pour ses propres besoins, mais qui profitera également aux autres. Un bien numérique est non rival. Si quelqu'un l'utilise, cela n'empêche pas les autres d'en faire autant. L'immatériel c'est la possibilité de l'abondance pour tous. Vouloir introduire de la rareté en mettant artificiellement des barrières est antinomique avec la lutte contre la fracture numérique. Les modalités de propriété intellectuelle issues de la société industrielle sont à revoir car elles ne sont pas adaptées aux caractéristiques des biens immatériels.

   La propriété intellectuelle est une question primordiale de la thématique de la fracture numérique. La réponse se trouve du côté du libre, dont les licences de logiciels ont permis la constitution au plan mondial d'un bien commun informatique, patrimoine de l'humanité. La typologie classique des licences de logiciels libres comporte deux ensembles principaux, licences avec ou sans « copyleft ». La caractéristique des licences sans « copyleft », dites « type BSD » est de ne pas obliger à conserver la même licence pour une oeuvre dérivée. Les licences avec « copyleft » exigent qu'un logiciel dérivé conserve son statut de logiciel libre, notamment par la fourniture du code source de la version modifiée. En pratique, cela signifie qu'il n'est pas possible de diffuser un logiciel propriétaire incorporant du code utilisant une telle licence. La principale licence de ce type est la GNU General Public licence (GNU GPL) de la FSF (Free Software Fondation). La licence CeCILL est de ce type. Licence francophone, elle a été proposée par le CEA, le CNRS et l'INRIA pour les mondes de la recherche, de l'entreprise et des administrations, et plus généralement pour toute entité ou individu désirant diffuser ses résultats sous licence de logiciel libre, en toute sécurité juridique. Les auteurs de CeCILL l'ont déclarée compatible avec la GNU GPL. Et la FSF a indiqué que CeCILL faisait partie des licences compatibles avec la GNU-GPL. En effet, chaque licence doit préciser les licences qui lui sont compatibles.

   L'objectif des licences de contenus libres est de favoriser le partage, la diffusion et l'accès pour tous sur Internet des oeuvres de l'esprit, en conciliant les droits légitimes des auteurs et des usagers. Cela passe par des modalités juridiques correspondant aux potentialités de la « Toile », notamment à cette possibilité de diffusion quasi instantanée d'une ressource immatérielle à des milliers, des millions de personnes. Quelque part, le copyright est un non-sens sur Internet. Le projet Creative Commons a vu le jour à l'université de Standford, au sein du Standford Law School Center for Internet et Society, Lawrence Lessig en étant l'un des initiateurs [16]. Il s'agit donc d'adapter le droit des auteurs à Internet. Creative Commons renverse le principe de l'autorisation obligatoire. Il permet à l'auteur d'autoriser par avance, et non au coup par coup, certains usages et d'en informer le public. Il est autorisé d'autoriser. Métalicence, Creative Commons permet aux auteurs de se fabriquer des licences, dans une espèce de jeu de LEGO simple, constitué de seulement quatre briques. Première brique, Attribution : l'utilisateur, qui souhaite diffuser une oeuvre, doit mentionner l'auteur. Deuxième brique, Commercialisation : l'auteur indique si son travail peut faire l'objet ou pas d'une utilisation commerciale. Troisième brique, Non dérivation : un travail, s'il est diffusé, ne doit pas être modifié. Quatrième brique, Partage à l'identique : si l'auteur accepte que des modifications soient apportées à son travail, il impose que leur diffusion se fasse dans les mêmes termes que l'original, c'est-à-dire sous la même licence. La possibilité donnée à l'auteur de choisir parmi ces quatre composantes donne lieu à onze combinaisons de licences. Grâce à un moteur de licence proposé par le site de Creative Commons, l'auteur obtient automatiquement un code HTML à insérer sur son site qui renvoie directement vers le contrat adapté à ses désirs.

« Localisation » des ressources

   Si chacun a vocation à produire ses propres ressources, la solidarité numérique c'est aussi l'adaptation de celles réalisées par l'autre. Avec le libre, chaque communauté peut prendre en main la localisation/culturisation qui la concerne, connaissant ses propres besoins et ses propres codes culturels mieux que quiconque. Il y a donc, outre une plus grande liberté et un moindre impact des retours économiques, une plus grande efficacité dans le processus, en jouant sur la flexibilité naturelle des créations immatérielles pour les adapter à ses besoins et à son génie propre. C'est aussi plus généralement ce que permettent les « contenus libres », c'est-à-dire les ressources intellectuelles – artistiques, éducatives, techniques ou scientifiques – laissées par leurs créateurs en usage libre pour tous. Logiciels et contenus libres promeuvent, dans un cadre naturel de coopération entre égaux, l'indépendance et la diversité culturelle, l'intégration sans l'aliénation.

La coopération scientifique

   Si l'informatique est une industrie et une technologie, elle est aussi une science. La coopération entre égaux portent sur tous les domaines de la connaissance, notamment scientifiques. L'approche des logiciels libres relève naturellement du fonctionnement de la recherche scientifique, qui a fait ses preuves au cours des siècles pour la production de biens de connaissance. L'information est une composante structurelle de la recherche. Y correspond du côté du libre la publication du code source. La recherche repose sur la validation par les pairs. La qualité des logiciels libres tient pour une bonne part du débogage par des centaines de programmeurs disséminés sur la planète. D'une manière générale, science et logiciel libres partagent la possibilité d'examiner les travaux, de les modifier, de les approfondir, de les contredire... Depuis Pythagore, qui interdisait à ses disciples de divulguer théorèmes et démonstrations, les mathématiques sont libres. On voit donc mal comment une coopération scientifique informatique internationale, Nord-Sud, pourrait véritablement se développer dans un contexte où le code source est fermé, donc inaccessible : une autre dimension de l'« accès ».

   En définitive, sous tous leurs aspects essentiels, coûts, production et accès à la connaissance en particulier, solidarité numérique et lutte contre la fracture numérique, si elles riment ensemble, riment aussi avec logiciels et ressources libres. C'est ce qu'exprimait à sa manière, et pour son domaine, John Sulston, prix Nobel de médecine quand, évoquant les risques de privatisation du génome humain, il écrivait que « les données de base doivent être accessibles à tous, pour que chacun puisse les interpréter, les modifier et les transmettre, à l'instar du modèle de l'open source pour les logiciels » [17].

Jean-Pierre Archambault
CNDP-CRDP de Paris
coordonnateur du pôle de compétences logiciels libres du Scérén

NOTES

[1] http://www.college-de-france.fr/default/EN/all/inn_tec/p1200929441219.htm.
Concernant l'indispensable composante de la culture générale scolaire qu'est l'informatique, on pourra se référer à : http://www.epi.asso.fr/blocnote/blocsom.htm#itic.
Et à la très intéressante réalité tunisienne : http://web-tic.net.

[2] http://www.sophianet.com/wtm_article47688.fr.htm.

[3] L'avenir des idées, Lawrence Lessig, Presses universitaires de Lyon, 2005.

[4] http://www.tunisiait.com/article.php?article=2912.

[5] http://www.dsf-fsn.org/cms/component/option,com_magazine/func,show_magazine/id,11/Itemid,194/lang,fr/.

[6] http://www.adeanet.org/about/fr_aboutADEA.html.

[7] http://repta.net/repta/telechargements/Universite_Tunisie/Propositions_Atelier_4_Ressources_scientifiques.pdf.

[8] http://lamaisondesenseignants.com/index.php?action=afficher&rub=5&id=3418.

[9] http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_publique_générale_GNU.
http://www.gnu.org/licenses/gpl.html.

[10] http://fr.creativecommons.org/.
Naissance d'un droit d'auteur en kit ? Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 55,
http://www.ac-creteil.fr/medialog/archive55/jpa55.pdf.

[11] Voir le site de Thierry Stoehr : Pour les formats ouverts, http://formats-ouverts.org/.

[12] http://publications.becta.org.uk/display.cfm?resID=35275.

[13] http://www.framablog.org/public/microsoft-vista-office-2007_rapport-becta_traduction-framasoft.pdf.

[14] Voir Framablog, Alexis Kauffmann
http://www.framablog.org/index.php/post/2008/06/26/vista-ms-office-2007-rapport-becta-extraits.

[15] http://www.sesamath.net.

[16] idem. note 10.

[17] Le Monde Diplomatique, décembre 2002.

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Janvier 2009

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