Paradoxes pédagogico-sociéto-informatiques
 

   Il existe un consensus quant aux vertus des TICE en tant qu'outil pédagogique. Ainsi, dans son rapport, la mission E-Education indique-t-elle que « la diversification des outils pédagogiques mis à disposition des enseignants ouvre sur une grande variété de façons de faire, une diversité des pratiques d'enseignement et des processus de formation » [1]. L'ordinateur se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant du sens pour des élèves en difficulté. Il aide à leur motivation. Il a donné une nouvelle jeunesse à la pédagogie Freinet. L'ordinateur aide à atteindre des objectifs d'autonomie, de travail individuel ou en groupe. Il est aussi encyclopédie active, créateur de situations de recherche, affiche évolutive, tableau électronique, outil de calcul et de traitement de données et d'images, instrument de simulation, évaluateur neutre et instantané, répétiteur inlassable, instructeur interactif...

   Tout cela est bien connu. Bien connues, mais parfois paradoxalement oubliées dans certains milieux, les potentialités de la programmation, qui favorise l'activité intellectuelle, l'appropriation de notions informatiques mais aussi des autres disciplines. On constate en effet avec l'ordinateur une transposition des comportements classiques que l'on observe dans le domaine de la fabrication des objets matériels. À la manière d'un artisan qui prolonge ses efforts tant que son ouvrage n'est pas effectivement terminé, un lycéen, qui par ailleurs se contentera d'avoir résolu neuf questions sur dix de son problème de mathématiques (ce qui n'est déjà pas si mal !), s'acharnera jusqu'à ce que fonctionne le programme de résolution de l'équation du second degré que son professeur lui a demandé d'écrire, pour qu'il cerne mieux les notions d'inconnue, de coefficient et de paramètre.

   La programmation est un « outil » pédagogique à même de fournir d'autres voies pour la compréhension des concepts, de proposer des projets coopératifs « vrais » préparant aux modalités de travail dans l'entreprise. La programmation est également une bonne école de formation à la rigueur (attention à la virgule mal placée ou à la parenthèse qui manque). Dommage de s'en passer. Surtout pour de mauvaises raisons comme celle selon laquelle le lycée n'a pas vocation à former des informaticiens professionnels. Ni des mathématiciens d'ailleurs. Pourtant les élèves font des mathématiques du cours préparatoire à la classe de Terminale !

   La France manque d'informaticiens. Il y a un déficit des vocations scientifiques. D'une manière générale, le niveau des ingénieurs n'est pas optimal en informatique. La programmation, dans le cadre d'un enseignement de l'informatique en tant que tel, est de nature à susciter des vocations scientifiques, en particulier quand les mathématiques constituent un obstacle, à rendre attractifs pour les jeunes les métiers de l'informatique. De plus, elle permet, dans des démarches actives et constructivistes, de comprendre l'« intelligence » des outils. Elle a donc toute sa place dans la formation de « l'homme, du travailleur et du citoyen ».

   C'est ce qu'ont dit les participants au « Printemps pédagogique », organisé conjointement par la SPECIF et l'EPI [2], qui se sont prononcés unanimement pour « un enseignement des fondements de l'informatique, par des professeurs d'informatique, débutant avec l'enseignement scolaire, notamment sous la forme d'une discipline à part entière au lycée. ». Et ils ont considéré que « le programme « informatique et TIC » pour les séries scientifiques du lycée, élaboré par le groupe « ITIC » de l'ASTI [3]) devait constituer une première étape vers un enseignement, diversifié selon les séries, pour tous les lycéens. »

   Xavier Darcos a nommé un « Monsieur réforme du lycée », Jean-Paul de Gaudemar. Seront consultés « très largement les lycéens, les enseignants, les chefs d'établissement et les parents ». À n'en point douter un moment privilégié pour poser la question de la culture générale informatique de tous les élèves et des modalités pour la donner.

   Sans compter les Assises du numérique. Les enjeux de la révolution numérique mondiale sont multiples : compétitivité, croissance, modernisation, innovation... Éric Besson va rendre au Premier Ministre d'ici le 31 juillet 2008 un « Plan numérique 2012 ». L'objectif affiché est de faire de la France une « grande nation du numérique ». Dans l'économie de la connaissance, la matière grise est l'atout décisif. Au risque de nous répéter, nous redirons qu'« il est quand même quelque peu paradoxal que les futurs scientifiques, les générations à venir d'ingénieurs de la société de l'immatériel ne rencontrent pas dans leur scolarité une approche conceptuelle et disciplinaire de l'informatique. » [4]. Nous ajouterons que cela peut même constituer un handicap.

   L'EPI avait interrogé les candidats à l'élection présidentielle sur l'opportunité d'un enseignement spécifique de l'informatique, complémentaire de l'approche par les différentes disciplines et activités. Nicolas Sarkozy avait notamment répondu qu'« en se concentrant sur la pratique, on crée une génération dépendante de la technique ; en se concentrant sur la technique, on crée une génération autonome et capable d'inventer toutes sortes d'usages » [5]. L'EPI se reconnaît volontiers dans de tels propos.

Juin 2008

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] Pour le développement du numérique à l'École.
www.education.gouv.fr/cid21337/pour-developpement-numerique-ecole.html,
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l0806r.htm.

[2] http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d0806a.htm.

[3] http://www.epi.asso.fr/revue/editic/asti-itic-lycee-prog.htm.

[4] http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0805d.htm.

[5] http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d0705a.htm.

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Juin 2008

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