Formation initiale aux TIC des futurs professeurs d'école :
entre représentation et évaluation

Pascale Aoudé
 

Résumé
Avec l'entrée de la France dans la société de l'information et la considération des compétences en TIC comme faisant partie du socle commun des indispensables dès l'école primaire, le professeur, même sans bagage technique préalable, se voit confronté à une indubitable réalité qu'il est appelé à adopter.
Étant toujours en formation initiale et s'orientant au professorat des écoles, le futur PE construit des représentations de son métier, des modalités de formation professionnelle qu'il suivra ainsi que de la place des TIC en son sein. C'est pour cette raison que nous nous sommes intéressée aux étudiants en formation académique qui se destinent à l'IUFM et nous avons étudié leurs attentes par rapport à ce que les sortants de cet institut qualifient la formation aux TIC qu'ils avaient suivie.

Mots-clés : représentations, formation initiale, TIC, compétences, professorat des écoles.

1. Introduction

   Les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) ont certainement eu un impact sur le système scolaire et sur ses acteurs, notamment sur ceux qui deviendront enseignants. Ces TIC sont dorénavant susceptibles d'amener un changement profond dans l'usage des outils technologiques, d'où la nécessaire formation des enseignants qui sont supposés les « intégrer » dans leurs pratiques pédagogiques ; d'où le rôle des instituts de formation initiale des enseignants qui accueillent des étudiants ayant leur représentation du métier d'enseignant ainsi que des TIC en son sein. Dès lors, la formation sera fortement filtrée par la mobilisation de ces croyances et attitudes.

   L'informatique, en tant que partie du socle commun, suppose l'implication du corps enseignant, notamment sans bagage technique particulier, et cela plus particulièrement dans l'enseignement primaire, vu que la majorité des futurs professeurs d'école ont un cursus universitaire dans des disciplines non scientifiques [1].

   Ainsi notre question de recherche peut être formulée ainsi : « Dans quelle mesure la représentation qu'ont les futurs professeurs des écoles de la formation initiale aux TIC correspond-elle à la réalité du terrain ? »

   Pour y répondre, commençons par un rapide historique du cas français avant de définir les concepts de compétence et de représentation pour les étudier en situation, à l'université de Paris V et à l'IUFM de Créteil.

2. La diffusion des TIC dans le système éducatif français

   Étant donné que les TIC s'inscrivent dans le système éducatif suivant des phases successives [2], le terrain français a assisté à une telle diffusion qui ne cesse de se produire [3]. Après le plan « informatique pour tous » de 1985 avec des ambitions comme rendre accessible à tous les citoyens des ordinateurs et leurs programmes [4] et de former de nombreuses équipes d'enseignants, les programmes de 1995 ont font apparaître des références à l'informatique [5] et trois ans plus tard, le PAGSI [6] assigne les objectifs de donner aux futurs citoyens la maîtrise des nouveaux outils de communication qui leur sont indispensables.

   Dans la rédaction des nouveaux programmes, la place des TIC est explicitement décrite : Des plans pluriannuels d'équipement des établissements et de formation des enseignants sont mis en place dans les académies. Ensuite, la mise en place du « plan d'urgence TIC » pour les IUFM leur a chargés à partir de 1999 de la mission d'opérateurs des TIC pour la formation des enseignants. Les recommandations visent « à intégrer les TIC dans chaque domaine d'enseignement et dans toutes les composantes de la formation » [7]. Enfin, dans le cadre de la loi d'orientation de 2005, « se servir de l'ordinateur » [8] est vue comme l'une des compétences fondamentales pour le citoyen du 21e siècle.

   Devant ce mouvement progressif, une place de plus en plus importante est accordée aux compétences des enseignants, et on pourrait se questionner sur la place des TICE dans la formation des enseignants et de leur prise en compte.

3. Les compétences des enseignants en TICE

   La notion de compétence désigne, selon Perrenoud, une « capacité de mobiliser diverses ressources cognitives pour faire face à des situations singulières » [9]. Pour Baron et Bruillard, elle recouvre un ensemble de schèmes d'actions contextualisés permettant de traiter un ensemble de tâches. Elle peut être de divers types : Technique (liée à une classe d'instruments), didactique (relative à l'enseignement-apprentissage), pédagogique (liée à la gestion des activités des élèves) et/ou disciplinaire (supposant une remise en question de la discipline) [10]. Ainsi, les savoir-faire techniques sont les seuls faciles à évaluer selon un référentiel de compétences.

   De sa part, Crahay [11] pose un regard critique sur la pédagogie par compétences. Selon cet auteur, la définition même du concept de compétence est problématique et semble renvoyer à une norme complexe. Il considère que l'approche par compétences s'attaque au problème de la mobilisation des connaissances en situation de problème.

   L'acquisition de compétences didactiques et pédagogiques liées aux technologies est un défi difficile à relever vu la tension entre ce que peut offrir l'institut de formation et l'image retournée par le terrain. Pour sa part, Guir suppose qu'il n'est pas clair quelles compétences sur les technologies dans les disciplines devront acquérir les enseignants, et, comme les technologies compliquent la gestion de la classe, il n'est pas recommandé de les utiliser avant la titularisation [12].

Les compétences des enseignants en formation initiale selon les prescriptions

   En 1994, le B.O. [13] définit un référentiel de fin de formation initiale indiquant l'accès aux ressources technologiques et la prévoyance de supports comme compétence professionnelle.

   Quatre années plus tard [14], la politique de développement d'outils éducatifs prévoit une formation initiale ou continue des enseignants pour les rendre compétents à leur utilisation. Dès la rentrée 2000 [15], un temps significatif était présumé nécessaire à l'utilisation pédagogique des TICE dans la formation des enseignants et ce pour leur préparation à la mise en oeuvre du B2i [16].

   En 2003, les TIC sont prises en compte dans les concours de recrutement [17], ce qui suppose des compétences dans le maniement de l'outil que ce soit dans la préparation que dans le travail en classe. Cette évaluation se limitant aux épreuves orales fait que les compétences liées à la mise en oeuvre des TIC ne puissent être correctement appréciées. D'où plusieurs suggestions palliatives comme le passage du Certificat Informatique et Internet (C2i).

La certification des compétences dans le cadre du C2i

   Attestant de compétences dans la maîtrise des outils informatiques et réseaux, le C2i a été institué dans le but de développer et valider la maîtrise des TIC par les étudiants en formation dans les établissements d'enseignement supérieur [18]. Son premier niveau a pour objectif de permettre aux étudiants de maîtriser les compétences désormais indispensables à la poursuite d'études supérieures [19] alors que le niveau 2 fait l'objet d'exigences en fonction des orientations professionnelles. La section « enseignant » a pour finalité d'attester les compétences nécessaires pour l'exercice de leur métier, dans les dimensions pédagogiques, éducative et citoyenne [20].

   La compétence des enseignants en matière de TIC ne serait pas la seule variable de l'usage de l'ordinateur. Comme le remarquaient, il y a quinze ans, Baron et Baudé [21], les représentations que se font les utilisateurs d'ordinateurs du fonctionnement de la machine et de la façon dont elle traite l'information peuvent modifier la façon dont l'utilisateur emploie l'ordinateur, ses réactions face aux indications données par les didacticiels et l'interprétation qu'il peut donner des résultats des traitements effectués par le programme. C'est dans cette optique que nous nous intéressons aux représentations des enseignants et c'est de là que surgit l'importance de bien comprendre cette notion-carrefour.

4. Les représentations

   Selon Karsenti, les facteurs individuels [22] sont parmi les principaux problèmes liés à l'intégration des TIC dans le travail enseignant Ce qui pousse Legros à s'interroger sur les représentations des TIC portées par les enseignants du premier degré.

   Les représentations sont sociales [23] et propres à la culture qui les a construites [24]. L'activité enseignante, comme activité embrouillée par des valeurs contraignant les enseignants à (re)donner du sens à leurs pratiques, serait un terrain privilégié pour observer des représentations professionnelles. Ces représentations diffèrent en fonction du moment où les enseignants se situent dans leur carrière. Ceux qui ont suivi des formations intégrant les TICE comme objet d'apprentissage ont un rapport à ces outils différent de ceux qui n'ont pas suivi cette formation.

L'ordinateur comme objet de représentation

   Une échelle des représentations de l'ordinateur serait possible :

  • Les représentations mécaniques d'un sujet qui n'utilise pas ou peu l'informatique, qui a des problèmes lors de son utilisation, et en fait un rejet.

  • Les représentations non seulement de l'aspect extérieur d'un outil, mais aussi de son usage

  • Les représentations des usages de l'artefact comme instrument à travers des logiciels qui permettent de l'exploiter [25].

Les fonctions des représentations chez les professeurs stagiaires

   Legros suppose que la représentation a une fonction d'explication de la réalité et de l'intégration des connaissances en cohérence avec les fonctionnements cognitifs et les valeurs de la personne. Ainsi, pour les professeurs stagiaires, la transmission du savoir « naïf » dont ils ont besoin devient possible et la communication sociale se facilite [26]. De plus, étant donné que les représentations définissent l'identité sociale et personnelle [27], les stagiaires en voie de construction de leur identité professionnelle essayent, grâce à leurs représentations, de se constituer une classe nominative.

   Puisque les représentations déterminent le type de démarche à adopter et prescrivent les comportements dans un certain contexte social, les stagiaires amènent ainsi des modifications à leurs pratiques pédagogiques : « Aux premiers temps de la démarche d'intégration des technologies dans la classe, ils sont familiarisés avec les technologies dans leur usage personnel mais hésitent encore à les mettre en oeuvre dans les pratiques professionnelles. » [28]

   N'oublions pas la fonction de justification des prises de position et des comportements en aval [29]. Les représentations sont de ce fait utiles aux professeurs stagiaires qui présentent un sentiment d'incompétence dans la représentation d'eux-mêmes en situation et ont une impossibilité à passer à la pratique en proposant des séquences qui intègrent les technologies dans les activités des élèves.

   Les futurs professeurs se représentent ainsi leur profession dans sa dimension pédagogique dans un contexte très souvent différent de l'idéal professionnel. Produisant des savoirs nouveaux pour une construction d'une identité professionnelle, les stagiaires modifient leurs pratiques pédagogiques susceptibles de modifier les éléments de leur représentation.

5. La formation aux TICE dans les IUFM : Le cas de Créteil

   Ayant, entre autre, la responsabilité de la formation des professeurs des écoles, l'IUFM oriente essentiellement sa première année de formation à la préparation au concours, alors que la seconde est plus fortement axée sur la pratique du métier d'enseignant. Pour étudier de près cette structure, nous avons choisi l'académie de Créteil essentiellement puisqu'elle a été le terrain de l'enquête de Baron et Bruillard.

   La formation aux TICE se concentre dans la deuxième année, et, transversale elle s'oriente vers la maîtrise des supports d'enseignement et d'apprentissage. Elle cherche à permettre au futur PE de concevoir des situations d'apprentissage permettant aux élèves de rechercher, analyser, traiter, produire et communiquer de l'information. À part les mises à niveau concernant les applications bureautiques, la messagerie, l'accès aux réseaux, la vidéo et des compétences requises par le B2i, la formation est consacrée à différentes activités d'implication pédagogique des TIC [30].

Étude longitudinale à l'IUFM de Créteil : De 1992 à 1998

   Adoptant une approche longitudinale, Baron et Bruillard [31] ont enquêté auprès de populations de futurs enseignants entrant à l'IUFM de Créteil et ont pu dresser un panorama des représentations, points de vue, attentes et compétences à l'égard de l'informatique de futurs enseignants.

   Ces chercheurs ont remarqué que les taux d'équipement personnel ont considérablement augmenté au cours du temps [32]. Ramage [33] souligne que cette étude a permis de montrer que la faible proportion des étudiants qui possédait une machine l'utilisait peu, avait peu d'attente de l'informatique pour la discipline ainsi qu'un sentiment d'opposition homme-machine très fort.

   L'informatique était plus considérée comme un « outil pédagogique important » que comme « indispensable pour les matières » et y induisant des changements. Les attentes vis-à-vis des technologies comme outil intégré à la discipline ont significativement augmenté entre les années 1992 et 1996. Ceci serait dû au phénomène d'Internet et aux opinions sur son utilité dans l'éducation : L'enseignement de l'informatique comme discipline scolaire ne concerne plus la résolution de problèmes mais d'aider à produire des documents.

   En somme, cette étude a montré :

  • un faible niveau de compétence dû à l'insuffisance de la formation, sujet sur lequel les usagers ont une principale complainte [34]
  • des difficultés d'intégration des TIC dans les études et les travaux pratiques
  • des opinions plus positives vis-à-vis des TIC chez les étudiants âgés
  • une diminution de la connaissance de la gestion des bases de données et une augmentation de l'usage du traitement de texte
  • un développement de l'intérêt pour l'informatique « outil personnel » ne s'accompagnant pas d'une attente envers l'informatique « outil disciplinaire »
  • une augmentation du niveau d'intérêt vis-à-vis des technologies et des attentes quant à la formation à l'IUFM.

   Baron et Bruillard considèrent qu'il n'y a pas une réelle intégration des technologies informatiques dans le système éducatif puisque les curricula y font référence d'une manière générale. Quant à l'institution elle-même, l'IUFM de Créteil notamment, les auteurs nous disent qu'elle « n'affiche aucune priorité envers l'informatique, et plus largement les NTIC, contrairement à ce qu'indique son plan de formation » [35].

6. Notre Recherche en 2004-2005

Hypothèses

   Considérant l'étude de Baron et Bruillard, nous en avons emprunté ces affirmations comme hypothèses qu'on a cherchées à confirmer par notre recherche :

  • Les futurs enseignants en formation initiale ont un faible niveau de compétence informatique. Ils n'ont pas une connaissance précise de ce qui les attend quant à la formation aux TIC et se la représentent différemment du référentiel.

  • Ayant une expérience légère des outils de traitement de l'information, les futurs enseignants reçoivent une formation souvent insuffisante pour compenser ce handicap initial.

  • Les enseignants confrontés aux ordinateurs au cours de leur parcours antérieur se représentent la formation au professorat comme intégrant l'informatique outil pédagogique.

   Dans le but de confirmer ou même d'infirmer ces hypothèses, nous avons voulu compléter notre approche théorique par une étude pratique, douze ans après l'étude menée, dans la même académie et auprès d'un public similaire.

Méthodologie de la recherche

   Dans le but d'avoir des données du terrain de l'Île-de-France, nous avons pensé recueillir l'avis d'étudiants en formation académique qui se préparent à la formation préparant à l'enseignement primaire. Parallèlement, nous avons considéré qu'une telle approche devait être confrontée à des données provenant de stagiaires ayant déjà suivi la formation à laquelle les premiers se préparent.

   C'est pourquoi nous avons procédé dans un premier temps à une enquête auprès d'étudiants en licence (L3) à l'Université Paris V - René Descartes, puis dans un second temps, nous avons fait passer un questionnaire aux étudiants en deuxième année de formation au professorat des écoles (PE2) à l'IUFM du centre départemental de Bonneuil-sur-Marne.

Entretien semi-directif

   Le public que nous avons visé en licence suivait les spécialités suivantes : Sciences Du Langage (SDL), Français Langue Étrangère (FLE) et Sciences de l'Éducation, option Didactique. Notre choix de tels étudiants se justifie par le fait qu'ils sont de probables entrants à l'IUFM pour une formation initiale au professorat des écoles.

   L'objectif de notre enquête était d'identifier les usages qu'ont ces étudiants de l'informatique, leurs attitudes vis-à-vis des TIC, leurs attentes de la formation initiale professionnelle à laquelle ils seront confrontés et leurs éventuelles futures pratiques d'intégration au niveau de l'enseignement. Après la réalisation de plusieurs entretiens, nous n'en avons retenu que 9 puisque la majorité des interviewés ne se destinait pas à l'IUFM. Nous avons de même essayé de rendre notre échantillon le plus contrasté possible en choisissant des sujets des deux genres et en essayant de prendre différents âges.

   Outre le fait que c'est notre université d'origine, le choix de l'Université Paris V - René Descartes fut puisqu'elle forme à la maîtrise de l'outil informatique un public qui se destine au professorat des Écoles, ainsi qu'elle est parmi les universités qui incite ses étudiants à un usage académique via les TIC : à côté du fait qu'elle met à la disposition de ses étudiants de PC portables connectés à un réseau WIFI de connections Internet, Paris V a crée le réseau Intranet accessible à tout inscrit et via lequel elle délivre ses cours, exige une forme numérique des productions d'étudiants et crée un environnement numérique de travail à leur service ; finalement pour la possibilité que Paris V offre pour passer le C2i, malgré qu'une telle épreuve n'était pas encore entamée lors de nos entrevues.

   Les entretiens personnels d'une trentaine de minutes avaient lieu dans des salles de classe ou des bureaux que le secrétariat mettait à notre disposition. Pour le dépouillement, nous avons eu recours à un logiciel de dictée instantanée « Dragon Naturally Speaking » pour retranscrire les propos de nos interviewés. Nous avons ensuite répertorié les thèmes évoqués selon nos axes de recherches pour permettre l'analyse des ressemblances et des divergences. Pour l'étude de certaines réponses, nous avons eu recours au logiciel « Modalisa » pour le dénombrement de certains mots clés. Cependant, notre analyse avait plus un caractère qualitatif et nous avons essayé surtout de nous servir de l'étude de Baron et Bruillard pour comprendre les situations évoquées et pour constaté les phénomènes qui ont évolué.

Enquête par questionnaire

   À côté des entretiens, et en vue de compléter notre recueil de données, nous avons réalisé un questionnaire semi-ouvert destiné aux stagiaires en fin de formation à l'IUFM de Créteil. Notre deuxième enquête avait comme but d'identifier des données personnelles sur les PE2, de repérer leur formation antérieure en informatique ainsi que leur pratique de l'informatique et finalement de recueillir les opinions des PE2 à l'égard de la formation aux TIC à l'IUFM.

   Sur 300 questionnaires expédiés au centre départemental de l'IUFM de Créteil à Bonneuil-sur-Marne et déposés à l'accueil de la direction de la formation des PE2, nous avions eu un retour de 118 réponses, ce qui représente le quart des PE2 du centre et moins du dixième des PE2 de l'académie de Créteil.

   Pour le dépouillement des questionnaires, nous avions crée une enquête sous « Modalisa » en attribuant un type de variable à chacune des questions. Suite à un croisement entre deux variables, nous obtenions des tableaux à double entrée dont nous faisions plusieurs présentations : selon les effectifs, les pourcentages ou les pourcentages en ligne ou en colonne et cela selon la variable ou la modalité que nous voulons interpréter. Les questions à structure ouverte ont été analysées après un classement lexical permettant de transformer le type de question « texte » en « multiple », ce qui permet son analyse numérique et son croisement avec d'autres variables.

   Nous sommes consciente que nos échantillons, à Paris V et à Créteil, ne sont ni représentatifs ni comparables en taille à l'étude longitudinale sur laquelle nous nous sommes appuyée. En revanche, ils pourraient, d'une part vérifier la pertinence de phénomènes importants évoquée par l'étude commencée en 1992 et être d'autre part des révélateurs d'autres récents.

7. Résultats et discussion

   Suite à l'analyse des entretiens nous avons abouti aux résultats suivants :

L'échantillon que nous avions interviewé était majoritairement féminin et jeune. Ayant une formation plutôt littéraire, il est équipé d'ordinateurs, la plupart du temps personnels et dont le système d'exploitation date de moins de 4 ans. L'incapacité à citer les caractéristiques techniques de sa machine nous a laissé supposer que l'interviewé n'avait pas assez de connaissances techniques de son matériel ni de son mode de fonctionnement. Nous sommes sûres que cette information était le seul indicateur de technicité dont nous disposions dans le cade des entrevues puisque nous n'avions pas la possibilité de proposer des situations-problèmes qui confrontent les étudiants à des résolutions de problèmes techniques, ni nous n'avions prévu des observations de performance sur machine.

L'usage plus ou moins fréquent que les futurs PE faisaient d'Internet a été déclaré comme servant majoritairement pour des recherches d'informations malgré que cela soit stimulé, sinon obligé par l'institution de formation. Par contre, la messagerie instantanée évoquée dans la majorité des cas parmi les usages privés de l'ordinateur était péjorativement citée vu la méfiance ressentie vis-à-vis de discussion avec « un inconnu ».

Questionnés sur leur formation antérieure, actuelle et ultérieure, nous avons pu comprendre des interviewés que, par défaut d'une formation scolaire et par insuffisance d'une formation universitaire, ils ont recours à l'auto et la co-formation. Ceci s'accompagnait rarement d'une prévoyance de formation ultérieure comme si, paradoxalement, un sentiment de suffisance de formation ressortait chez eux même sans avoir été suffisamment formés dans leurs parcours d'études et/ou de travail.

Les étudiants en licence avaient exprimé une incertitude et peu d'intérêt vis-à-vis de la délivrance à l'IUFM d'une formation aux TIC. Ils se la représentaient comme n'ayant qu'une place réduite, bien qu'ils aient souhaité qu'elle soit bénéfique pour le travail personnel et didactique du futur prof. Ceci étant, les compétences qu'ils ont jugées nécessaires chez un futur PE ne concernaient que le travail du prof, notamment avec les logiciels « Word et Excel », dyade omise par aucun interviewé pour qualifier les « compétences » nécessaires, sinon « exigées » du PE. Même en affirmant que c'est le minimum, les étudiants interviewés ne croyaient pas que l'IUFM était en mesure de dispenser une telle formation.

Cette essentielle détention de certaines habiletés que les entrants en IUFM prônent se heurte ainsi à de très faibles représentations de formation assez performante pour garantir l'acquisition de ces compétences, comme si son contenu correspondait aux pré-requis du public...

   Comment jugeront les stagiaires en fin de formation ce qu'ils ont reçu ? Auraient-ils des besoins de formations non satisfaits ?

   L'échantillon de PE2 qui a répondu à notre questionnaire était majoritairement jeune, à faible expérience professionnelle dans le domaine scolaire. Provenant d'une formation initiale au niveau de la licence, sa formation au TIC était jugée élémentaire. Cette population utilisait l'équipement informatique le plus souvent à domicile, fréquence qui décroît pour le travail à l'IUFM et qui risque de s'anéantir à l'école.

   Nous avons considéré, par ailleurs, que les individus de notre échantillon se différenciaient, entre autre, par les variables de genre, de spécialisation et d'âge et dont nous avons voulu étudier les effets.

   Les PE de formation antérieure scientifique, plus équipés en ordinateur que leurs collègues de spécialisation littéraire, avaient un usage quotidien de leur ordinateur, essentiellement pour Internet et le traitement de texte.

   Convaincus de l'importance de l'ordinateur comme outil pédagogique, les scientifiques étaient plus que les autres PE questionnés demandeurs de formation didactique, si on leur en proposait une.

   Nous avons noté que plus les PE2 étaient jeunes, plus leur formation institutionnelle était affirmée, cela pouvant être à l'origine de l'auto-formation déclarée dans une proportion plus grande chez les plus âgés par rapport à leurs collègues plus jeunes. La formation au traitement de texte de ces derniers était fortement présente dans leur parcours, pareillement à leur formation à Internet et ceci au dépend du langage de programmation qui constitue plutôt l'objet de formation des moins jeunes. C'est peut-être une raison de l'importante fréquence de connexion à Internet des jeunes PE qui en ont un usage quotidien.

   Les évaluations des « vieux » de ce qui a été utile dans leur formation consistaient en l'acquisition d'une culture technique, bien que leur souhait était une formation à l'outil pédagogique.

   Les hommes, plus auto-formés que les femmes, avaient exprimé plus fréquemment des demandes d'initiation technique. Les dames, elles, formulaient plutôt des souhaits de formation dans une orientation didactique.

8. Synthèse et perspectives

   Nous pourrons ainsi affirmer qu'en somme, nos hypothèses sont confirmées, sauf la quatrième, puisque nous nous sommes rendue compte que des différences intérieures au public des PE créaient des diversités dans les représentations de la formation aux TIC.

   Nous avons, par ailleurs été confrontée à une dualité entre la nécessité personnelle, académique, professionnelle et sociale de formation aux TIC d'une part et la carence en formation antérieure, actuelle et peut-être aussi ultérieure, d'autre part.

   Ce que nous supposons à l'origine d'une double représentation de l'informatique : une adhérence vu l'utilité de l'informatique dans les parcours actuels et futurs accompagnée d'une méfiance due à l'insuffisance de compétences en matière de TIC.

   De plus, nous croyons qu'ayant suivi deux ans de formation à l'IUFM, les sortants de cet institut ne ressemblent pas tout à fait à la projection que se sont fait les entrants.

   Par conséquent, nous ne pourrons pas affirmer que la formation aux TIC à l'IUFM a pu développer chez les stagiaires les compétences espérées par les L3, ni même par les PE2 qui regrettent ne pas les avoir acquises. En réalité, les souhaits de formation formulés par les stagiaires se rapprochent de ce que les étudiants de licence s'étaient représentés.

   Étant donné que notre recherche n'est pas exhaustive et que le champ de questionnement dans le domaine évolutif des TIC est assez expansif, une recherche ultérieure et complémentaire à la présente pourrait porter sur le contenu des cours de TIC, que ce soit en université ou en IUFM.

Nous sommes consciente que nos résultats sont biaisés par l'effectif très peu nombreux de la population étudiée ainsi que par le fait de ne pas avoir suivi une cohorte réelle.

   Ainsi, à travers l'analyse des modalités des enseignements et des évaluations théoriques et pratiques nous pourrons être en mesure d'étudier concrètement quelles compétences sont mobilisées, que ce soit chez l'étudiant-stagiaire ou, in extenso, chez l'élève duquel il aurait la charge.

Pascale Aoudé
Doctorante,
Université Paris V - René Descartes

Références

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NOTES

[1] B. Andries et I. Beigbeder, 1993.

[2] G.-L. Baron et É. Bruillard, 2002.

[3] La phase d'innovation suppose que des chercheurs découvrent les possibilités éducatives d'instruments nouveaux. Ensuite, lors de la phase de développement, les nouvelles technologies sont diffusées et de nouveaux dispositifs techniques sont mentionnés comme substitution partielle des anciennes. Enfin durant la phase de banalisation les programmes intègrent les TIC tout en généralisant leurs usages jusqu'à ce qu'elles deviennent des instruments de travail.

[4] J. Béziat, 2003.

[5] Ministère de l'Éducation nationale, Programmes de l'école primaire, 1995.

[6] Programme d'action gouvernemental pour la Société de l'Information.

[7] http://www.educnet.education.fr/formation/bcompetences.htm.

[8] C. Thélot, 2004, p. 48.

[9] http://agora.unige.ch/ctie/educateur/perrint.htm.

[10] G.-L. Baron et É. Bruillard, 2000.

[11] M, Crahay, 2006.

[12] R. Guir, 2002.

[13] Bulletin officiel de l'Éducation nationale n° 43 du 24 novembre 1994.

[14] Bulletin officiel de l'Éducation nationale n° 47 du 17 décembre 1998.

[15] Bulletin officiel de l'Éducation nationale n° 42 du 23 novembre 2000.

[16] Brevet Informatique et Internet.

[17] http://www.education.gouv.fr/hcsc/recommandationtice.pdf.

[18] Bulletin officiel de l'Éducation nationale nš 19 du 9 mai 2002.

[19] http://www.education.gouv.fr/bo/2004/24/MENT0401152C.htm#top.

[20] http://www.ac-reims.fr/mic/reussir/63/pdf/16.pdf.

[21] G.-L. Baron et J. Baudé, 1992.

[22] motivation, attitude, sentiment de compétence, ouverture à l'innovation, valeur accordée aux TIC, etc.

[23] P. Ratinaud, 2003.

[24] P. Moliner, P. Rateau et V. Cohen Scali, 2002.

[25] Idée exprimée par Rabardel (1995) et reprise par Baron et Bruillard (1996, p. 210).

[26] V. Legros et l'équipe de Limoges, in G.-L. Baron, C. Caron et M. Harari, 2005.

[27] J.-C. Abric, 2001.

[28] V. Legros in G.-L. Baron, C. Caron et M. Harari, 2005.

[29] M. Kalogiannakis, 2000.

[30] La circulaire du 4 avril 2002 parue au Bulletin officiel n° 15 du 11 avril 2002.

[31] G.-L. Baron et É. Bruillard, Op. Cit., 1996.

[32] G.-L. Baron et É. Bruillard, 2003.

[33] http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0303a.htm.

[34] G.-L. Baron et É. Bruillard, 2003.

[35] G.-L. Baron et É. Bruillard, 1996.

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Décembre 2007

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