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La civilisation du poisson rouge
Petit traité sur le marché de l'attention

Bruno Patino, Grasset, 2019, 184 pages, 17 euros, prix du livre numérique : 11,99 euros.

   Le poisson rouge tourne dans son bocal. Il semble redécouvrir le monde à chaque tour. Les ingénieurs de Google ont réussi à calculer la durée maximale de son attention : 8 secondes. Ces mêmes ingénieurs ont évalué la durée d'attention de la génération des millenials, celle qui a grandi avec les écrans connectés : 9 secondes. Nous sommes devenus des poissons rouges, enfermés dans le bocal de nos écrans, soumis au manège de nos alertes et de nos messages instantanés. Une étude du Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 minutes le temps maximum d'exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d'Internet au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale. D'après cette étude, mon cas est désespéré, tant ma pratique quotidienne est celle d'une dépendance aux signaux qui encombrent l'écran de mon téléphone. Nous sommes tous sur le chemin de l'addiction  : enfants, jeunes, adultes.

   Pour ceux qui ont cru à l'utopie numérique, dont je fais partie, le temps des regrets est arrivé. Ainsi de Tim Berners Lee, « l'inventeur » du web, qui essaie de désormais de créer un contre-Internet pour annihiler sa création première. L'utopie, pourtant, était belle, qui rassemblait, en une communion identique, adeptes de Teilhard de Chardin ou libertaires californiens sous acide.

   La servitude numérique est le modèle qu'ont construit les nouveaux empires, sans l'avoir prévu, mais avec une détermination implacable. Au coeur du réacteur, nul déterminisme technologique, mais un projet qui traduit la mutation d'un nouveau capitaliste : l'économie de l'attention. Il s'agit d'augmenter la productivité du temps pour en extraire encore plus de valeur. Après avoir réduit l'espace, il s'agit d'étendre le temps tout en le comprimant, et de créer un instantané infini. L'accélération générale a remplacé l'habitude par l'attention, et la satisfaction par l'addiction. Et les algorithmes sont aujourd'hui les machines-outils de cette économie...

   Cette économie de l'attention détruit, peu à peu, nos repères. Notre rapport aux médias, à l'espace public, au savoir, à la vérité, à l'information, rien n'échappe à l'économie de l'attention qui préfère les réflexes à la réflexion et les passions à la raison. Les lumières philosophiques s'éteignent au profit des signaux numériques. Le marché de l'attention, c'est la société de la fatigue.
Les regrets, toutefois, ne servent à rien. Le temps du combat est arrivé, non pas pour rejeter la civilisation numérique, mais pour en transformer la nature économique et en faire un projet qui abandonne le cauchemar transhumaniste pour retrouver l'idéal humain...

   « Avec ce livre, je pose la question : "Que nous arrive-t-il "' Et je pose la question pour moi aussi. Je me sens parfois dans le bocal de mes écrans et plus tellement libre de mes mouvements par rapport à ces écrans. Ce livre parle de cela, de ce qui est en train de nous arriver. Et ça n'est pas le fruit du hasard, c'est le produit d'un modèle économique. » Bruno Patino.

   L'auteur décrit les théories scientifiques qui ont permis à ce modèle de prospérer. « [Ces grandes entreprises du numérique], parce qu'elles ont dû trouver leur modèle économique, se sont mis à capter notre attention et à faire de l'argent avec. Mais conquérir notre attention, c'est conquérir notre temps, voilà ce qui s'est passé » dit-il sur France Culture :
https://www.franceculture.fr/societe/a-lere-numerique-lattention-se-perd

https://www.grasset.fr/la-civilisation-du-poisson-rouge-9782246819295

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Octobre 2019

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