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Et les élèves, qu'en pensent-ils ?

Résultats d'une enquête auprès d'élèves de seconde et première, d'établissements équipés d'ordinateurs

Élisabeth Morineau
 

Nous reproduisons cet article paru en 1980 dans la rubrique « Informatique au lycée » du premier numéro (avril-mai 1980) de la revue Éducation et informatique des éditions Nathan. Il faisait suite à l'article de Guy Dehan « Sur la route de Louviers » (cf. EpiNet n° 219).

Que pensent les élèves des séances sur ordinateur ? Quel est l'intérêt suscité chez eux par cette nouvelle forme de travail ? Quelles critiques formulent-ils ? Voilà un certain nombre de questions auxquelles nous avons essayé de trouver des éléments de réponse par une enquête menée auprès de quelques élèves.

   L'analyse des interviews nous a permis de relever un certain nombre de constatations faites par les élèves, concernant les caractéristiques du travail sur ordinateur : individualité, rapidité, prise en compte des erreurs, etc. et les conséquences que pouvait avoir ce nouveau mode d'enseignement pour eux. Les élèves parlent également des sentiments que leur procure le fait de travailler sur une machine et d'être en rapport enseignant-enseigné avec un objet technique. Ils expriment leur plaisir à utiliser l'ordinateur et nous avons essayé de relever à travers leur discours, quelles étaient leurs motivations principales. Quelle est la place de l'enseignant ? Les élèves l'explicitent très peu. Toutefois nous avons pu dégager, à travers leur discours, le profil souhaité de l'enseignant que cette expérience leur permettait de dessiner. Il est également important de noter que les élèves évoquent très peu et de façon imprécise les programmes utilisés : ceci est regrettable car les programmes sur lesquels les élèves ont travaillé sont nombreux, ils ont des objectifs pédagogiques et méthodologiques variés, ce qui peut avoir une incidence sur leur attitude.

   Nous allons dans la suite de cet article exposer les points qui nous semblent importants :

  • Le travail sur ordinateur, deux facteurs prépondérants : l'individualité et la prise en compte des erreurs.

  • Les huit élèves considèrent l'individualité du travail sur ordinateur comme essentiel. Ce caractère apporte de très grosses modifications à la fois dans leur travail et dans leurs rapports avec les autres.

  • Chacun peut travailler selon ses possibilités, à son propre rythme, approfondir un sujet donné jusqu'à ce qu'il l'ait compris et ceci sans retarder 1es autres. L'ordinateur permet également aux meilleurs d'entreprendre des travaux plus difficiles Chacun suit une progression adaptée à son niveau. Le travail scolaire devient plus vivant.

   Deux élèves toutefois sont partagés : si cette forme de travail a des avantages indiscutables, elle présente également un danger : les différences de niveau des élèves vont s'accentuer. « Faire des exercices sur ordinateur, c'est bien mais il ne faudrait pas en faire tout le temps. Il y en a qui avanceraient beaucoup plus vite que d'autres. Il n'y aura plus aucune homogénéité dans classe. »

   Autre avantage de l'individualité : l'aide personnalisée apportée en cas d'erreurs, le contact direct avec l'écran leur donnent l'impression que « l'enseignant s'occupe d'eux en particulier » et le sentiment d'être incités et presque obligés de travailler. Les élèves apprécient cette pression parce qu'elle est impersonnelle et que, en dernier ressort, c'est à eux qu'il appartient de prendre la décision de travailler ou non.

   La prise en compte de l'erreur sans qu'il y ait sanction, le fait que la recherche de sa correction fasse partie intégrante du travail, l'aide personnalisée de l'ordinateur font dire à l'élève qu'il comprend mieux ses erreurs et qu'il ne les refait plus.

   « Déjà je vois mieux mes erreurs. Parce qu'on essaye, on refait... Je comprends mieux comme ça. »

   « Avec l'ordinateur, dès que je ne comprends pas une erreur, il me pose des questions pour m'aider à trouver la solution... Je ne refais pas la même erreur deux fois. »

   Les élèves pensent que ces caractéristiques leur donnent la possibilité d'améliorer leur travail et d'augmenter leurs acquis : travail plus approfondi, acquisition de la rapidité et du raisonnement, développement de la réflexion.

   « Sur ordinateur, il faut réfléchir. La machine attend une réponse : si elle est mauvaise, elle le dit. À nous de réfléchir et de comprendre pourquoi... »

   Mais les élèves sont également conscients des dangers que représente un tel outil et de leur responsabilité pour en faire bon usage.

   « On peut trouver des astuces pour finir plus vite. Par exemple, pour un exercice, on tape trois réponses fausses, l'ordinateur nous donne la réponse juste. »

   Si l'homme ne prend pas garde à la façon dont il utilise l'ordinateur, ce dernier peut devenir un danger.

   « Mais peut-être que l'ordinateur sera quelque chose de néfaste parce que... il donnera la réponse à l'homme qui n'aura plus qu'à appuyer sur des boutons, toc, il aura la réponse... II réfléchira à la place de l'homme. »

Faiblesse de l'ordinateur en tant qu'outil d'enseignement

   Les seules critiques que ces élèves opposent au travail sur ordinateur concernent les programmes et non la méthode de travail. Le programme est un produit fini et figé, il ne peut expliquer toutes les erreurs, les explications sont parfois sommaires, et il est souvent difficile de distinguer ce qui est important de ce qui ne l'est pas. Ceci a pour conséquence que l'élève peut rester bloqué dans son travail et que les possibilités d'utilisation de l'ordinateur sont limitées.

Contact avec l'objet technique

   Avoir pour « interlocuteur » un objet technique est, pour l'élève, l'un des points les plus séduisants. Cela introduit dans son travail les facteurs nouveauté et jeu, « cela change un peu l'atmosphère », « c'est plus distrayant parce que c'est une machine, on est bien content », « taper sur un clavier c'est plus amusant que regarder ou écouter un professeur », ainsi qu'un sentiment de « liberté » compte tenu que la machine ne joue que le rôle « d'enseignant » et non pas celui de responsable de la discipline, « on peut s'arrêter quand on veut, on peut parler, bouger, ici c'est relax ».

   De même, commettre une erreur perd son caractère blâmable : « on peut se tromper, la machine n'est pas répréhensive, elle ne crie pas. C'est une machine ».

   Ceci est parfois exploité par l'élève jusqu'à l'excès : « on est libre de mettre ce que l'on veut, même si on sait que c'est faux. On peut marquer autant de bêtises que l'on veut ».

   Mais l'usage de l'ordinateur pour l'enseignement doit rester limité, et ceci pour les huit élèves. Il leur est indispensable d'avoir des contacts humains et c'est au lycée qu'ils disent les rechercher, « Si on vient ici, c'est pour avoir des contacts humains, si on ne fait que ça, qu'est-ce qu'on devient ? On devient des machines pour taper sur un petit machin ».

Sentiments des élèves et motivations

   Nous constatons à l'analyse, que les huit élèves apprécient les séances sur ordinateur et les souhaitent. Nous avons essayé de comprendre les raisons de cette attitude et en avons distingué quatre principales, dont les deux dernières nous semblent essentielles par leur apport pédagogique :

  • Aspect ludique du travail : quand les élèves décrivent le travail sur ordinateur, ils emploient les mots s'amuser, distraction, plaisir, mais ces mots ne sont jamais dissociés de la notion de travail. Ce qui plaît aux élèves c'est qu'ils s'amusent en travaillant.
    « Pour l'instant, pour moi, l'ordinateur, c'est une chose avec laquelle... je travaille ; je m'amuse, je travaille. »

  • Satisfaction de pouvoir participer à un événement actuel. L'ordinateur prend une place de plus en plus importante dans la vie actuelle, « bientôt il viendra dans les maisons, comme un moulin à café » et il est bon de le connaître.

  • Sécurisation et mise en confiance : en classe l'élève se sent soumis à son enseignant. On lui impose discipline et savoir. On le sanctionne. En salle d'ordinateur « l'ambiance est meilleure, avec la machine on est plutôt à égalité, il n'y a pas de frontière entre l'élève et le prof-machine ». De plus l'élève ne se sent plus coupable lorsqu'il fait une erreur :
    « L'ordinateur ne nous disputera pas parce qu'on fait une erreur, il nous dira qu'il y a erreur et nous demandera de la trouver. Ici, je me sens au même niveau que la machine ».

  • Prise en charge de l'élève par lui-même : en classe, l'élève se sent pris en charge par l'enseignant. Dans la salle de l'ordinateur, c'est lui qui dirige son travail ; il se sent responsable et plus actif.
    « L'élève est moins passif, il faut qu'il réfléchisse et donne son propre avis. En classe l'élève absorbe ce que lui dit le professeur Ici on est élève et prof en même temps ».

Le rôle de l'enseignant

   Le rôle de l'enseignant pendant les séances tient une place faible dans le discours de l'élève. Toutefois nous pouvons dire que, accaparé par l'écran, l'élève oublie la présence de l'enseignant. Il en retire un sentiment de liberté.

   « On n'a pas le professeur qui est derrière nous, pour voir ce que l'on fait. Non, non, on est libre. »

   Néanmoins sa présence est indispensable en cas de difficultés : sa fonction est alors d'aider l'élève.

   De plus les élèves dessinent, à travers leur discours, et le vocabulaire qu'ils utilisent, un portrait de l'enseignant tel qu'ils le désirent. Ils rejettent, en général, avec violence et agressivité l'enseignant censeur de leur travail et responsable de la discipline, mais expriment un désir très fort d'avoir un interlocuteur avec lequel ils puissent échanger des idées, discuter.

   « En classe, on parle, on discute avec le prof. C'est un être vivant. »

   À la lecture de ces entretiens, une idée prédomine : les élèves se sentent, devant l'ordinateur, en situation de liberté : liberté de travailler seul, à son rythme, liberté de choisir le niveau de difficulté d'un exercice, liberté de commettre une erreur sans qu'elle soit sanctionnée, liberté de parler ou bouger, etc. Ce facteur plus que tout autre donne un attrait à cette nouvelle forme de travail.

   Toutefois nous ne pouvons ni généraliser à l'ensemble des élèves, les entretiens portant sur un nombre limité d'individus, en outre volontaires, ni mesurer la part du facteur nouveauté dans le plaisir qu'ils ressentent à travailler sur machine.

   Un questionnaire portant sur un nombre important d'élèves (200 environ) est en cours de dépouillement et nous apportera sûrement des indications plus précises.

Élisabeth Morineau
Ingénieure en informatique
Groupe INRP chargé de l'évaluation de l'expérience des 58 lycées

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Décembre 2019

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