Nous reproduisons ici un extrait de l'article signé Jean Michel Bérard, « Ordinateur et système éducatif, 1993 : quelques questions » paru dans Utilisations de l'ordinateur dans l'enseignement secondaire (collectif, édition Cndp-Hachette Éducation, 1993, 144 pages). L'auteur s'interroge sur la nature et la place de connaissances informatiques dans la formation initiale et continue des enseignants.

Utilisations de l'ordinateur dans l'enseignement secondaire

 
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B. Un noyau de connaissances en informatique ?

     Émergent par ailleurs, dans plusieurs des textes présentés, des préoccupations relatives au noyau de connaissances en informatique que devraient (ou ne devraient pas) posséder les enseignants pour une utilisation plus efficace de l'ordinateur dans leur pratique professionnelle. Les questions qui se font jour dans ce cadre sont d'importance : si un tel noyau de connaissances est nécessaire, comment le définir ? Quelle peut être sa place dans le tronc commun de formation des enseignants dans les IUFM ? dans les plans académiques de formation ?

     Paradoxalement, s'agissant de situations en apparence purement techniques, ces questions soulèvent en général passions et controverses, qui s'alimentent parfois de quelques confusions, tant le mot « informatique » évoque de représentations contradictoires. Faut-il, pour utiliser l'ordinateur, connaître des langages de programmation du type Pascal ? L'ergonomie des logiciels modernes permet-elle de considérer que les connaissances nécessaires à l'utilisation rationnelle de la machine sont pratiquement inexistantes ? Des cours théoriques d'informatique sont-ils un préalable à toute pratique ? À des questions formulées en ces termes, les réponses sont : non!

     Le noyau de connaissances en informatique dont nous parlons ici ne renvoie pas aux savoirs nécessaires à des professeurs qui auraient à enseigner l'informatique en tant que discipline : comme indiqué précédemment, ce n'est pas, ici, notre propos. L'apprentissage systématique de langages de programmation ou de méthodes algorithmiques complexes enseignées dans un contexte purement informatique est donc exclu de cette réflexion. Nous évoquons le noyau qui fait ou pourrait faire partie de la formation professionnelle de tous les enseignants.

     Par ailleurs, la pratique quotidienne observée dans les établissements montre bien que, pour « démarrer », les explications données par le collègue « spécialiste », un court stage d'initiation, la lecture d'une documentation ou l'emploi de logiciels d'auto-formation peuvent permettre à chaque professeur de commencer avec ses élèves des activités de qualité. L'acquisition systématique de connaissances en informatique n'est pas un préalable à toute utilisation : c'est certainement dans une alternance pratique/apports théoriques qu'il faut rechercher, en la matière, les stratégies efficaces de formation.

     Il demeure que l'ergonomie des logiciels modernes, l'utilisation de symboles (tels les icônes), de menus déroulants, ont pu accréditer l'idée, souvent soutenue, selon laquelle « avec les ordinateurs modernes, l'utilisateur n'a plus besoin de connaître l'informatique ». C'est le cas, si l'on veut dire que la maîtrise de langages tels que Fortran, Basic ou Pascal devient totalement inutile à la quasi totalité des utilisateurs. Une telle évidence masque cependant tout un ensemble de problèmes : quelles représentations, quelles connaissances l'utilisateur associe-t-il aux mots qu'il rencontre inévitablement dans sa pratique (« charger », « sauvegarder », « cliquer sur une icône »...) ? Quelles représentations, quelles connaissances sont induites par les systèmes graphiques du type icônes ? (Qu'y a-t-il derrière la « poubelle » ?) Les limites, les approximations, les erreurs induites par ces représentations ont-elles des conséquences sur le caractère rationnel de l'utilisation de la machine ?

     À quoi bon, dira-t-on, se poser ces problèmes, puisque cela marche ? Voire! On peut effectivement concevoir (et cela se fait) des formations professionnelles d'utilisateurs dont les contenus se limitent à l'apprentissage des modes d'emploi des logiciels (on apprend à « appuyer sur Alt F5 Return » et non à « sauvegarder un fichier »). Cette méthode présente une efficacité certaine, mais aussi des limites évidentes. L'utilisateur placé dans de telles conditions se trouve désemparé devant toute situation imprévue, et ne peut que difficilement transférer ses acquis : faute de connaissances minimales sur les mémoires, les fichiers, comment utiliser le « Alt F5 Return » lorsque l'on veut passer d'un logiciel à un autre, comment utiliser de façon pertinente la documentation pour accéder à telle fonction avancée du logiciel ? De plus, l'utilisateur se trouve le plus souvent dans des conditions où son initiative reste très limitée. On a pu constater, dans certaines entreprises, que ce type de formation professionnelle rend indispensable la présence de « spécialistes en informatique », dont le rôle est de venir à l'aide des personnes ne pouvant résoudre seules une situation imprévue. Les difficultés rencontrées par des professeurs, possédant par ailleurs un excellent niveau dans leur discipline, à sortir du cadre limité des applications qu'ils connaissent (et le fait que, parfois, ils n'en sortent pas, faute de maîtrise de l'instrument), conduisent à considérer comme utile, dans la formation professionnelle des enseignants, l'acquisition de quelques notions simples.

C. Quels contenus minimaux ?

     Un noyau de base pourrait comporter

  • quelques éléments sur l'architecture des ordinateurs et des réseaux, le caractère fini des capacités des mémoires, le fait que la vitesse de calcul n'est ni nulle ni infinie ;

  • quelques éléments sur les notions de programme et de fichier ;

  • une typologie sommaire des principales fonctions des grands types de logiciels professionnels (traitement de texte, tableur, gestionnaire de bases de données).

     Ce noyau de connaissances de base, indispensables à tout utilisateur d'ordinateur, doit être complété et enrichi lorsqu'il s'agit de former des enseignants le système éducatif ne peut se borner à faire d'eux de simples utilisateurs, de simples consommateurs de machines ou de produits. L'utilisation efficace, mais surtout rationnelle, de la machine ne peut se fonder que sur l'acquisition de quelques notions, de quelques principes relatifs au traitement de l'information. C'est sur ces principes que s'appuiera l'esprit critique (il n'y a dans l'ordinateur rien de magique, le principe de causalité y est à l'œuvre !) ; c'est sur ces principes que reposera la réflexion sur ce que l'on peut attendre de la machine et de ses logiciels ; c'est sur eux que s'appuiera l'analyse de la validité des résultats donnés par le traitement automatisé de l'information.

     C'est ainsi que quelques connaissances sur le codage de l'information, et surtout sur le caractère fini de tout système de code utilisé par l'ordinateur, peuvent, par exemple, permettre de mieux percevoir tous les problèmes posés par la précision des calculs numériques et la fiabilité des résultats de ces calculs.

     Quelques connaissances sur ce qu'est un programme et sur la façon dont tel programme traite l'information peuvent permettre de mieux en utiliser les résultats : ainsi, selon la façon dont est conçu le correcteur orthographique, le texte sera traité différemment, l'utilisateur ne pourra en attendre les mêmes résultats, et, lors de la relecture, l'attention ne se portera pas sur les mêmes points. L'apprentissage de quelques notions relatives à la programmation fait sans doute également partie du noyau de connaissances que nous esquissons ici effectuer un publipostage, enchaîner des formules dans un tableur, définir des critères de recherche dans un logiciel gestionnaire de bases de données, cela ne se réfère-t-il pas à quelques principes généraux dont la connaissance permet de mieux dominer les tâches à exécuter ? Plus généralement, si (selon une définition maintenant célèbre) programmer c'est faire faire, c'est bien en situation de programmeur que l'on se trouve le plus souvent lorsque l'on utilise un ordinateur.

     Remarquons encore que certaines notions, communes à l'informatique et à d'autres sciences, sont à l'œuvre dans de nombreuses utilisations de l'ordinateur. Ainsi, la notion d'arborescence apparaît dans la conception de l'interface utilisateur de nombreux logiciels (menus déroulants), dans la structuration de nombreux services télématiques, dans la gestion des disques durs. Quelques connaissances sur ces concepts transversaux permettent de mettre en relation ces situations diverses, de mieux les maîtriser, de rendre la pratique plus efficace et plus rationnelle.

     Comment ne pas mentionner enfin l'indispensable réflexion sur quelques aspects des problèmes sociaux et éthiques posés par l'utilisation de l'informatique, la connaissance des principes fondamentaux qui ont régi la promulgation de la loi relative à l'informatique et aux libertés ?

6. Mais encore...

     Indications, pistes de recherche pour des contenus d'une formation d'enseignants, ou, plus précisément, pour un tronc commun à la formation de tous les enseignants, les notions citées ici peuvent trouver une extension plus large. Si un des rôles du système éducatif est de permettre aux élèves d'acquérir un ensemble de connaissances et de savoir-faire leur permettant de connaître et de maîtriser leur monde, les contenus dont on donne ici l'esquisse font sans doute partie de la formation de tous. Informatique, élément des composantes scientifiques et techniques d'une culture du XXe siècle ? Passionnante question, passionnant défi pour le système éducatif.

Jean-Michel Bérard,
Inspecteur général de l'Éducation nationale.

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