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Enseignement du code et du numérique :
nous devons aller plus loin !

David Fayon
 

Rétrospective d'un engagement et d'une conviction personnelle

   Lorsque j'avais 7 ans, mon grand oncle me demandait souvent de lui régler sa montre à quartz. Les chiffres remplaçant les aiguilles et la nouveauté aidant, je m'apercevais qu'il était possible, jeune, d'avoir une valeur ajoutée auprès des grandes personnes et que la technologie pouvait être à la fois un facteur de différenciation et d'opportunité mais également d'exclusion pour ceux ne la maîtrisant pas. Quelques années plus tard, je commençais à programmer, d'abord avec le langage BASIC puis vite en assembleur. L'ordinateur de marque anglaise, modeste au début des années 1980, un ZX81 doté de 1 Ko puis d'une extension de 16 Ko de mémoire vive, permettait d'écrire des programmes avec des boucles et des tests logiques. Je passais vite à son successeur, un Spectrum, alors que dans un paysage foisonnant se dessinait le triomphe de l'IBM PC avec ses clones, moins accessibles financièrement. Celui-ci devenait le standard en micro-informatique avec son challenger, ergonomique, l'Apple Macintosh. Dans le même temps, le gouvernement équipait, sans vision mais par opinion, les écoles de Thomson MO5 dès 1985 dans le cadre d'un programme baptisé Informatique pour Tous d'une plus grande envergure que les plans 10 000 et 100 000 micros qui l'avaient précédé. Le raisonnement était simplement tourné vers l'équipement, le matériel alors même qu'une approche globale aurait été nécessaire (matériel, logiciel, formation aux concepts avec des objectifs pédagogiques et un programme – si j'ose dire – mûri en amont). Il fallait équiper les établissements scolaires alors même qu'il était plutôt pertinent de pouvoir apprendre à dompter la machine grâce à la programmation. Or, beaucoup d'enseignants n'étaient pas eux-mêmes formés sauf quelques rares passionnés et curieux. Néanmoins, cette initiative d'envergure avec des stages des professeurs pendant les vacances scolaires, initiative interrompue, marqua un tournant dans la prise de conscience de la primauté de l'informatique dans la société.

   Après des études en informatique et télécoms, en 1999 je publiais mon premier livre L'informatique. Conscient de la nécessité de transmettre, au-delà des rudiments d'utilisation d'un ordinateur (langage graphique de type Logo, utilisation de logiciels pédagogiques), les bases pour comprendre les algorithmes, le codage de l'information ou son transport du fait de l'informatisation grandissante de la société j'écrivais ceci : « Il n'existe ni CAPES ni agrégation d'informatique. Ce fait s'explique par le caractère nouveau de la discipline et par la faible présence de l'informatique dans les programmes scolaires des collèges et lycées. L'enseignement de l'informatique est souvent intégré à dose homéopathique dans les cours de mathématiques ».

   Dès 2006, en tant que membre du think tank Renaissance numérique, qui œuvre pour le développement d'un numérique au service des citoyens, une lutte contre la fracture numérique avec un développement des usages, j'initiais des actions de lobbying conjointement avec l'association EPI. Il s'agissait, notamment, de pouvoir pousser, au niveau du ministère de l'Éducation, l'introduction d'une discipline Informatique et sciences du numérique, dans un premier temps au lycée mais avec l'idée de généraliser ensuite. Au fil des réunions de travail avec l'EPI et avec les différentes associations pour le développement du numérique en France, comme la Société Informatique de France (SIF), les contacts entrepris auprès de mes réseaux du numérique et les auditions auprès des ministères concernés, la nécessité de l'introduction de cette disciple autour de l'informatique s'en trouvait renforcée.

Ce qui a été fait et pourquoi aller plus loin

   En 2012 est créée en Terminale scientifique une option Informatique et sciences du numérique (ISN). 20 ans après mon constat, le Capes Numérique et sciences informatiques a été annoncé pour une arrivée effective pour la session 2020 [1]. Cette nouvelle matière, [2], avec un glissement sémantique de l'informatique au numérique constaté dans l'ensemble de la société [3], d'abord introduite en classe de Terminale puis en classe de Première au lycée, a vocation à se généraliser et ce, dès le collège avec des programmes allant crescendo. 2 h par semaine pourrait être un volume raisonnable. Ceci obéit à la même logique de l'apprentissage de l'anglais d'abord proposé en 6e puis dès le primaire et même désormais dans certaines écoles en maternelle. Outre savoir lire, écrire et compter, il est aujourd'hui fondamental de savoir parler anglais et informatique tout en étant capable de traiter et d'analyser l'information dans une société où les données abondent et où il convient de démêler l'important de l'accessoire, l'information porteuse de valeur ajoutée de celle erronée, etc. L'information est le nouvel or noir, l'or transparent qu'il convient de savoir traiter, raffiner, enrichir et contextualiser à l'aide de techniques. Pour autant, si le traitement de la signification de l'information relève plus logiquement de l'instruction morale et civique avec la lutte contre les fake news par exemple, les mécanismes intrinsèques à la manipulation de celle-ci via notamment les algorithmes sont l'objet de la discipline spécifique évoquée. Il ne s'agit pas d'opposer science dure et science douce mais de pouvoir marcher sur deux jambes au même titre que nous utilisons nos deux hémisphères du cerveau. Dans notre société phygitale (physique et digitale, avatar langagier du numérique), la compréhension du numérique et des sciences informatiques est stratégique pour agir en citoyen éclairé mais aussi pour les emplois d'aujourd'hui et de demain alors que nous sommes spectateurs de la compétition que se livrent les États-Unis et la Chine via les GAFAM et les BATHX interposés. Le métier de data scientists par exemple a vocation à se développer alors que comprendre les enjeux de la 5G s'agissant des débits, des usages, des impacts sur l'environnement demande une culture scientifique et aussi la façon dont sont véhiculées les informations : c'est essentiel pour avoir un jugement critique.

   En effet, comme l'écrit le juriste américain Lawrence Lessig, « Code is law », celui qui comprend le code (informatique) détient le pouvoir – ou du moins a un avantage net par rapport à ceux qui l'ignorent. Il existe aussi des liens naturels avec d'autres disciplines comme les mathématiques (représentation des nombres, logique des prédicats) mais aussi la structuration des données en vue de leur stockage et de leur traitement (pour mieux maîtriser les ressources de la planète et participer au développement durable). L'apprentissage du code, des algorithmes utilisés est clé : typiquement les résultats affichés sur son moteur de recherche lors d'une requête et réciproquement comment rendre son site/blog plus visible, l'algorithme utilisé par Facebook, l'EdgeRank, qui ne permet que de n'avoir visible qu'une partie des informations publiées par ses contacts, les procédés pour permettre les webinaires utilisant de la vidéo à plusieurs. Et au-delà, pouvoir comprendre les critères utilisés par les algorithmes avec les apprentissages automatiques pour l'intelligence artificielle comme expliqué dans le livre d'Aurélie Jean De l'autre côté de la machine – voyage d'une scientifique au pays des algorithmes.

   Selon le niveau, des outils adaptés peuvent être utilisés. Dès le collège, un outil comme Scratch (https://scratch.mit.edu/) pour un apprentissage de la programmation avec un côté visuel est intéressant. Des initiatives privées existent comme l'association Startup for kids pour apprendre à coder. Pour autant, l'Éducation nationale doit être motrice dans la formation des savoirs fondamentaux pour la société de demain.

   Au-delà, nous avons une réflexion à bâtir sur quels matériels, logiciels, système d'exploitation, langages utiliser dans l'enseignement alors que le confinement s'est concrétisé par un regain d'intérêt pour les produits et services Made in France. Et il a aussi montré notre grande dépendance côté numérique vis-à-vis des États-Unis notamment.

   Cet enseignement Numérique et sciences informatiques n'est pas une option ou un gadget mais une nécessité dans une société qui évolue et qui, grâce au numérique (télétravail, télé-enseignement, médecine à distance), a permis par exemple de ne pas sombrer pendant le confinement avec une juste cohabitation avec les métiers en contact avec les personnes également nécessaires mais qui pour beaucoup font appel aux smartphones et à Internet !

David Fayon
Directeur de projets Innovation,
conseiller numérique d'Objectif France.
http://www.davidfayon.fr/, @fayon

 

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] https://www.devenirenseignant.gouv.fr/cid137910/creation-capes-numerique-sciences-informatiques.html

[2] https://eduscol.education.fr/2068/programmes-et-ressources-en-numerique-et-sciences-informatiques-voie-gt

[3] Le Syntec informatique est devenu Syntec numérique. Nous avons eu la création d'un Secrétariat d'État au numérique, du Conseil National du Numérique pour ne citer que quelques exemples.

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Association EPI
Février 2021

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