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Fichage des enseignants,
une rentrée problématique,
apps.education et logiciels libres,
et les biens communs
 

Le fichage au temps du confinement

   Dans l'éditorial d'EpiNet du mois d'avril, nous rendions hommage aux enseignants mobilisés pour assurer la continuité pédagogique, l'engagement des enseignants étant salué comme il se devait. À une exception près, Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, ayant provoqué un tollé avec sa sortie sur les enseignants « qui ne travaillent pas car les écoles sont fermées » [1].

   Cet engagement des enseignants s'est bien sûr poursuivi. Toujours salué. Mais l'Inspecteur d'académie de l'Ariège, dans un mail adressé aux inspecteurs de l'Éducation nationale et aux chefs d'établissement du département, leur demande la création de fiches afin de « garder en mémoire nominative des engagements remarquables et remarqués, l'inverse est aussi vrai » et les invite à « être le plus exhaustif possible sur leur connaissance et leur vigilance sur la situation, et l'implication de chacun » [2]. On croît rêver ! Un cauchemar que ce fichage des enseignants pendant la période du confinement, ce désir de surveillance institutionnelle au mépris du droit au secret médical et à la confidentialité. Les syndicats du département ont évidemment réagi. Frédérique Rolet, secrétaire nationale du SNES-FSU, a dénoncé un « flicage scandaleux » et rappelé que « tous les enseignants sont profondément attachés à leur mission ». Et Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE, relève que « l'on est en plein dans la logique blanquerienne », y voyant du harcèlement, et ajoute : « Il faut foutre la paix aux enseignants, comme aux enfants. Sans consignes claires, ni moyens, ils font ce qu'ils peuvent, comme ils le peuvent ». Et dans l'ensemble ils le font plutôt bien.

Une rentrée scolaire progressive et problématique

   Le gouvernement a maintenu sa volonté de rouvrir les écoles au printemps malgré l'avis contraire du conseil scientifique recommandant une rentrée en septembre, avis non publié pendant une semaine. Une rentrée progressive a commencé, d'abord dans les grandes sections de maternelle, les CP et les CM2. Elle montre que l'impératif de santé des élèves et des professeurs passe après les considérations économiques, l'objectif étant que les parents retournent au travail. En effet, par exemple, l'on sait qu'il est impossible de faire respecter les règles de distanciation physique aux enfants de maternelle. Les mesures barrières relèvent de la mission impossible. On comprend l'angoisse des parents qui « doivent choisir » d'envoyer leurs enfants au risque d'une contamination ou de maintenir un confinement insupportable pour certains. Le gouvernement reporte la décision sur les familles ainsi que sur les collectivités territoriales pour l'ouverture des établissements scolaires, ce qui n'est en la circonstance pas particulièrement faire preuve d'un sens de ses responsabilités.

   Les enfants seront contents de retrouver leurs copains. C'est important, mais y aura-t-il un intérêt pédagogique ? Un intérêt annoncé est de récupérer les décrocheurs. Mais viendront-ils sur la base du volontariat. Pour les lycées, on saura à quoi s'en tenir début juin. Mais 15 élèves c'est trop. Alors 10. Cela fait au mieux 2 semaines de cours. Et les enseignants devront-ils faire la double journée, présentielle et à distance ? 10 000 enseignants ont répondu à un questionnaire du Café pédagogique : seuls 15 % estiment que cette rentrée aura un intérêt pédagogique [3] ; le verdict est sans appel.

   Par ailleurs, 63 % des Français estiment que la décision de rouvrir les écoles est une mauvaise décision et deux parents sur trois n'envisagent pas de renvoyer leurs enfants en classe [4].

   Les syndicats appellent les enseignants à ne pas reprendre si la sécurité et la santé de tous ne sont pas effectives dans leurs établissements. Concernant les masques, l'impréparation et les variations gouvernementales n'ont qu'assez duré. Ni le choix de la date du 11 mai, ni les modalités de réouverture n'ont été le fruit d'une coopération avec les collectivités locales, les enseignants et les parents d'élèves.

   Et il y a la restauration scolaire, la désinfection, une ou plusieurs fois par jour, des salles de classes, des poignées de porte, des couloirs, des sanitaires. Et il y a les transports scolaires. L'association des maires d'Île-de-France (334 signataires) a écrit le 3 mai 2020 à Emmanuel Macron pour lui demander de repousser la réouverture des écoles, dénonçant un déconfinement « à marche forcée ». Ils demandent également à l'État de ne pas faire reposer sur les maires la « responsabilité juridique, politique et morale de la réouverture des écoles ». Plusieurs parlementaires réclament eux aussi une meilleure protection juridique des maires.

   La pandémie du Covid-19 a aggravé les inégalités scolaires. L'Éducation nationale ne doit pas se transformer en éducation municipale, au cas par cas, en fonction des possibilités de chaque territoire. Il en va du respect de l'égalité scolaire. L'École de la République est par définition une responsabilité de l'État.

apps.education.fr et les logiciels libres

   Dans l'éditorial d'EpiNet d'avril [1], nous faisions également état des problèmes techniques rencontrées, des difficultés pour se connecter, de ces services et applications qui ne sont pas conformes au RGPD (Règlement général de protection des données), notamment ceux des GAFAM qui, par ailleurs, payent peu d'impôts (neuf fois moins que ce qu'ils devraient payer !) et donc, de fait, ne participent pas comme ils devraient au financement des services de santé des pays dans lesquels ils font des profits considérables [5].

   Nous faisions aussi référence à ces enseignants qui, sur une liste de diffusion, se demandaient « pourquoi avoir choisi de dépenser des sommes considérables au bénéfice de Microsoft et Google plutôt que d'investir dans des infrastructures et de rémunérer du personnel compétent, ce qui nous aurait permis de miser sur des solutions logiciels libres auto-hébergées ». Pourquoi ces accords avec Microsoft signés par l'Éducation nationale ? Pourquoi payer sans fin des royalties à Microsoft plutôt que d'avoir eu une politique de développement des logiciels libres ?

   La DNE (Direction du numérique pour l'éducation) du ministère, en coopération avec une équipe inter-académique. a mis en ligne une plate-forme d'outils pour les agents de l'Éducation nationale à base de logiciels libres, pour travailler à distance, apps.education.fr [6]. Il s'agit d'une version bêta. Parmi les applications : outils de webconférence, d'écriture à plusieurs, de partage de documents ou de vidéos, présentés avec des usages possibles mais aussi un rappel des bons réflexes à avoir pour faciliter les utilisations.

   Cette plate-forme est conçue spécifiquement pour le contexte de crise sanitaire, Les services proposés sur la plate-forme sont donc temporaires afin de répondre aux demandes dans le cadre de la situation sanitaire actuelle.

   Mais cette plate-forme doit fournir dans une prochaine version finalisée un bouquet de services numériques partagés à l'échelle nationale, dans une perspective de pérennisation. Or, ce qui frappe, c'est la place laissée aux logiciels libres [7]. En effet, apps.education.fr ne liste que des outils gratuits et ouverts. On trouve Jitsi pour la webconférence, Nextcloud pour le partage de documents, Peertube pour la diffusion de vidéos, Etherpad pour l'édition de texte en collaboration et Discourse pour les forums. Il existe même une solution maison pour les blogs. « Faut-il y voir un pivot de l'Éducation nationale en direction des logiciels libres ? En tout cas, la crise sanitaire semble avoir un effet. C'est d'autant plus remarquable que », comme nous le rappelons ci-avant, « ce ministère a été par le passé pointé du doigt pour son partenariat avec un grand groupe étranger – en l'espèce, Microsoft –, en vue de diffuser ses logiciels propriétaires, ce qui avait mis en colère la communauté du logiciel libre, unie contre l'accord Microsoft-Éducation nationale » [8]. À suivre de près pour que « l'après » fasse toute leur place aux logiciels libres.

Les biens communs

   Crises sanitaire, sociale et économique : il est plus que jamais nécessaire pour les chercheurs de travailler ensemble, de passer outre le réflexe premier (souvent) plus compétitif que collaboratif quand il s'inscrit dans un contexte de marchandisation de toutes les activités humaines.

   Les initiatives de partage et de mise en commun des publications et des données se multiplient. Un cas d'école intéressant, le 31 janvier, la fondation Wellcome Trust lançait une déclaration engageant ses signataires à « partager les données et les résultats de la recherche concernant la flambée du nouveau coronavirus ». Deux mois plus tard, le texte était adopté par 122 organismes de financement, entreprises d'édition, organismes gouvernementaux et organisations scientifiques du monde entier dont, en France, l'ANR et l'Inserm.

   Les signataires annoncent leur intention « d'appliquer les principes de la présente déclaration à des flambées similaires dans l'avenir, lorsqu'il y aura un avantage significatif pour la santé publique à s'assurer que les données soient partagées largement et rapidement ».

   La santé ne doit pas relever du marché. C'est un bien commun. Sa gouvernance est l'affaire de tous. Elle ne doit donc pas être dans les mains des sociétés pharmaceutiques privées, de leur logique de recherche de profits et des dividendes qu'elles versent aux actionnaires et que paye la Sécurité Sociale, c'est-à-dire nous tous. Il en va de même de l'éducation, de la recherche en général ou de la forêt amazonienne. C'est ainsi que doit être « le monde d'après ».

Le 12 mai 2020

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a2004a.htm

[2] L'Humanité, le 27 avril 2020.

[3] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/04/27042020 Article637235706814961939.aspx

[4] https://www.ladepeche.fr/2020/05/09/la-rentree-a-risque-des-ecoles-de-france,8880107.php

[5] http://www.leparisien.fr/economie/gafa-un-manque-a-gagner-d-un-milliard-d-euros-pour-le-fisc-selon-mounir-mahjoubi-24-09-2019-8158938.php

[6] https://apps.education.fr/
http://www.enseignerlinformatique.org/2020/04/25/confinement-25-04/

[7] https://www.numerama.com/tech/621660-le-confinement-pousse-leducation-nationale-a-regarder-vers-le-logiciel-libre.html

[8] https://www.numerama.com/business/133492-la-communaute-du-libre-unie-contre-laccord-microsoft-education-nationale.html

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mai 2020

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