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Projet de programme du CSP
« Informatique et création numérique »
en première et terminale :
une proposition a minima
 

   Le Conseil supérieur des programmes a adopté le projet de programme pour un enseignement facultatif d'informatique et de création numérique à destination des élèves de première des séries ES, L et S et de terminale des séries ES et L [1].

   Dans le préambule, on peut lire : « L'acquisition d'une culture numérique construite sur des connaissances en informatique est indispensable (dans la société contemporaine). » Il s'agit de préparer chacun à agir et à participer pleinement à la vie sociale, économique et culturelle. Pour cela « bien plus que de capacités liées à l'usage des outils, il s'agit de maîtriser un certain nombre de notions afin de comprendre les logiques et les enjeux du traitement de l'information et de pouvoir décoder les processus à l'œuvre dans les algorithmes, les écritures et les systèmes complexes qui sous-tendent le fonctionnement de notre société. » Le décor est planté. Mais, à la lecture de ce préambule, on se demande pourquoi il s'agit d'un enseignement facultatif alors qu'il y a manifestement un enjeu de culture générale scientifique pour tous les élèves.

   D'emblée, l'accent est mis sur les méthodes pédagogiques : « Cet enseignement repose principalement sur la participation active des élèves. Les activités proposées aboutissent à des réalisations concrètes dans le cadre de projets interdisciplinaires. » L'enseignement est organisé en une progression d'activités, permettant la découverte de notions, principes et objets, visant à faire acquérir les notions et principes fondamentaux qui s'organisent autour de deux axes : la numérisation de l'information d'une part, et, d'autre part, l'algorithmique et la programmation. Ces activités consistent en la réalisation de programmes permettant de faire des manipulations simples sur trois types de données : des textes bruts, des images et des données structurées.

   Des exemples de projets sont proposés. Intéressants. En tout cas les projets occupent 80 % du texte du CSP dans son ensemble. Ce choix est délibéré. Certes, le projet joue un rôle important en informatique. Mais les contenus, eux, sont réduits à la portion congrue : une petite page peu détaillée en termes de notions scientifiques, qui plus est en annexe, avec un positionnement par rapport au collège. A sa manière, le préambule disait l'importance de l'informatique pour la culture numérique car, science du traitement et de la représentation de l'information numérisée, elle est au cœur du numérique. L'informatique sous-tend le numérique comme les sciences physiques sous-tendent l'industrie de l'énergie et la biologie celle du vivant. Cette part minime accordée aux contenus scientifiques et techniques donne le sentiment que le préambule a été un peu rapidement oublié. Et rappelons-nous que le B2i prétendait donner une culture générale informatique exclusivement à partir des usages dans les disciplines. Il fut un échec, un échec prévisible. Il a été abandonné.

   Les projets proposés sont ambitieux. Trop ambitieux même si l'on se réfère au sort réservé aux contenus informatiques : mais c'est en la circonstance un paradoxe classique, qui peut le moins peut le plus ! Ces projets réclament une réelle expertise informatique. Par exemple, on ne peut pas vraiment comprendre ce que signifie « échanger des informations de manière confidentielle » si on n'a pas soi-même étudié et programmé un algorithme de chiffrement et de déchiffrement. A ces exemples de projets proposés correspondent des manipulations diverses qui nécessitent de bien comprendre la programmation, les langages pour faire des activités nouvelles de création, sans oublier les grammaires, les bases de données... La question du langage de programmation est évacuée. Scratch en 5e, 4e et 3e. Et après ? De solides connaissances informatiques sont bien incontournables or, dans un encadré liminaire, le CSP « insiste sur la nécessité d'une formation des enseignants qui voudraient prendre en charge ce nouvel enseignement, quelle que soit leur discipline ». Ainsi donc toujours pas de Capes et d'agrégation d'informatique à l'horizon [2]. L'informatique, toujours pas discipline scolaire en tant que telle, restera cette science singulière que l'on peut enseigner après quelques jours, quelques dizaines au mieux, de formation. Alors que ses consœurs réclament, elles, plusieurs années. Cette question décisive de la formation d'enseignants spécialisés en informatique n'est donc toujours pas réglée. L'institution scolaire demeure dans le domaine du déni. Question subsidiaire : qu'en est-il de la formation prévue, la rentrée 2016 se rapprochant ?

   D'une manière générale, on peut donc s'étonner de voir perdurer au sein du CSP un certain nombre d'idées, à contre-courant d'autres pays, industrialisés, émergents ou en développement. Lançant récemment l'initiative « Science informatique pour tous » aux États-Unis, le Président Barack Obama déclarait notamment : « Nous devons nous assurer que nos enfants soient prêts pour les emplois de demain. Ce qui veut non seulement dire être capables de travailler avec des ordinateurs mais aussi de développer des compétences en analyse et en programmation pour propulser notre économie dans l'innovation ... Donner à chaque élève des États-Unis, au plus tôt, les compétences dont il a besoin pour avancer dans la nouvelle économie (...) Je demande au Congrès de fournir le financement nécessaire... » [3]. Rappelons que, déjà en décembre 2013 appelant tous ses compatriotes à étudier la programmation, il définissait ainsi l'enjeu : « L'apprentissage des compétences en jeu est important pour le futur de notre pays. Si nous voulons que les États-Unis restent en tête, nous avons besoin que de jeunes Américains comme vous aient la meilleure maîtrise possible des outils et de la technologie. » [4]. Pour le moins à méditer.

   Dans l'encadré liminaire, le Conseil supérieur des programmes souhaite également faire part de « son interrogation sur la cohérence de l'offre de formation en informatique proposée aux élèves de la série scientifique qui n'auront accès à l'enseignement facultatif qu'en classe de première et ne pourront pas le poursuivre en classe terminale même s'ils n'ont pas choisi la spécialité ISN ». Il attire aussi l'attention sur le fait que l'introduction de l'informatique dans les nouveaux programmes de collège en mathématiques et en technologie et le nouvel enseignement d'Informatique et création numérique, ICN [5] invitent à revoir le programme d'ISN (Informatique et sciences du numérique) en terminale. Il y a effectivement un problème de cohérence d'ensemble.

   L'enseignement de l'informatique poursuit donc son cheminement chaotique et malheureusement a minima dans le système éducatif.

Le 15 avril 2016

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] http://www.education.gouv.fr/cid100901/projet-de-programme-pour-un-enseignement-facultatif-d-informatique-et-de-creation-numerique.html
http://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/67/6/ Enseignement_facultatif_ICN_adopte_le_08-04-16_563676.pdf

[2] Simplement une option informatique dans le Capes de mathématiques en 2017.

[3] CS4ALL
http://www.societe-informatique-de-france.fr/2016/03/science-informatique-pour-tous-aux-etats-unis/
http://epi.asso.fr/revue/lu/l1604i.htm

[4] https://www.youtube.com/watch?v=6XvmhE1J9PY&feature=youtu.be
http://epi.asso.fr/revue/articles/a1401a.htm
http://epi.asso.fr/revue/lu/l1312p.htm

[5] ICN qui ne s'appelle pas ISN...

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Avril 2016

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