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La progression de l'enseignement de l'informatique
 

   Le Ministère de l'Éducation nationale a publié (nous en avons fait état dans le Bloc-Notes EPI) les chiffres actualisés sur la progression de l'enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » créé en Terminale S à la rentrée 2012 [1]. Ils montrent une nette progression sur deux ans. À la rentrée 2013, 979 lycées proposent l'option ISN soit 39 % des lycées (contre 30 % en 2012). Cela représente 14 511 lycéens, dont 28,7 % de jeunes filles. D'une année à l'autre il y a une progression de +44,6 % du nombre d'élèves concernés et de +30 % du nombre d'établissements. Les jeunes filles ne sont pas en reste puisque leur participation est en augmentation de +107,5 %. Nous profitons de ces informations pour saluer les efforts consentis par les professeurs d'ISN pour leur formation personnelle, souvent dans des conditions pas évidentes.

   Ces chiffres traduisent à leur (bonne) façon l'évolution manifeste du contexte éducatif concernant la culture informatique. Ainsi, dans un post-scriptum de l'éditorial d'EpiNet du mois de février 2014, rapportions-nous des propos de François Hollande lors de ses échanges avec la salle à l'inauguration de l'US French Tech Hub à San Francisco le 12 février : « Nous n'avons pas assez de jeunes qui vont vers les métiers d'avenir. (...) Tout doit commencer par le codage à l'école (...) il va y avoir une expérimentation et l'on va mettre du codage au collège (...) il faut le plus vite possible former les enseignants (...) le codage va être progressivement généralisé (...). Il faut aussi développer l'apprentissage (...) » [2]. En Grande-Bretagne aussi les choses bougent. « Si le Royaume-Uni veut rester à la tête de l'innovation dans le monde, nous devons nous assurer que notre force de travail est équipée avec les outils du XXIe siècle, pas ceux du passé (...) Le code sur ordinateur est la lingua franca de l'économie des technologies » [3]. Dès septembre, le gouvernement britannique compte mettre en place des cours obligatoires de programmation, pour les élèves âgés de 5 à 16 ans, afin de leur apprendre à maîtriser l'outil informatique. Et, dans l'éditorial de décembre 2013 d'EpiNet, nous faisions état des déclarations du président Obama appelant tous ses compatriotes à étudier la programmation [4]. Avec un enjeu clair, à méditer disions-nous : selon le président des États-Unis, « l'apprentissage des compétences en jeu n'est pas seulement utile pour le futur, il est important pour le futur de notre pays. Si nous voulons que les États-Unis restent en tête, nous avons besoin que de jeunes Américains comme vous aient la meilleure maîtrise possible des outils et de la technologie ».

   Une raison bien simple explique ces propos : l'informatique est omniprésente aujourd'hui et l'École doit impérativement en tenir compte. Pour l'illustrer à nouveau, quelques exemples parmi beaucoup d'autres. Anthropologues, ethnologues, sociologues, géomaticiens... n'ont pas pu échapper ces dernières années à la montée en puissance de l'algorithmique. Alors qu'il a fallu plus de 10 ans et 3 milliards de dollars pour réaliser le premier séquençage humain complet, il est aujourd'hui possible d'en réaliser un en quelques jours pour moins de 1 000 dollars. Ainsi, la taille des bases de données génétiques a explosé. L'ère du « super-numérique » est bien là [5]. Sans superordinateur, plus de prévisions météorologiques, et pas de modèles de changement climatique. L'innovation sera digitale ou ne sera pas. Des pans entiers de notre économie sont déjà dépendants du calcul intensif. Il est par exemple impensable de se passer de cet outil pour concevoir un avion. Ce n'est donc pas par hasard que la Chine à son tour soit entrée dans la course – et de suite par la grande porte – en fabriquant le supercalculateur le plus puissant au monde. Celui-ci peut réaliser 30 millions de milliards d'opérations par seconde en consommant une puissance électrique équivalant à six TGV à pleine vitesse. L'Inde, la Russie et d'autres ne sont d'ailleurs pas en reste. L'Europe n'a plus que 5 % des parts de marché dans ce domaine.

   Dans un environnement de plus en plus empli d'objets informatiques, il est bon, il est nécessaire que tout un chacun, « honnête homme du 21e siècle, travailleur et citoyen », possède des éléments de compréhension du fonctionnement interne de ces objets. En d'autres termes, la culture générale de notre époque, c'est aussi l'informatique. À cette culture générale correspond une culture générale scolaire, des disciplines enseignées parmi lesquelles il doit y avoir pour tous l'informatique. C'est de la responsabilité de l'enseignement général. Mais il y a aussi les enseignements technologiques, les formations professionnalisantes. En effet, selon une étude menée par l'organisme de formation The Startup Institute auprès d'une centaine de start-up en Europe et aux États-Unis, 41 % des jeunes pousses citent la pénurie des développeurs comme principale cause de leur échec [6].

   Çà et là on nous dit que l'emploi du temps des élèves est déjà très chargé. Mais l'allongement de la scolarité est une tendance lourde. Il est loin le temps où la majorité d'une génération quittait l'école à 10, 12 ans. La marge de manoeuvre est réelle pour sortir du cercle (de plus en plus) vicieux qui veut que comme c'est difficile d'introduire une nouvelle discipline, eh bien on ne le fait pas. Si l'on appliquait ce principe dans le futur, on est certain que dans 1 000 ans les enseignements seraient les mêmes qu'aujourd'hui ! Et l'on peut essayer d'imaginer ce que serait l'enseignement en 2014 si les pédagogues du passé avaient développé et mis en oeuvre des thèses similaires. Les élèves d'aujourd'hui apprendraient, comme dans les écoles médiévales, d'abord la Grammaire, la Dialectique et la Rhétorique, puis l'Arithmétique, la Musique, la Géométrie et l'Astronomie. Pas de Physique, pas d'Histoire, pas de Biologie !

   S'il y a des fondamentaux qui demeurent, la culture générale scolaire n'en est donc pas pour autant immuable. Elle évolue car la société évolue. Il faut donc aller vers un enseignement de l'informatique pour tous les élèves. Ce qui n'exclut évidemment pas l'utilisation de l'« outil » informatique dans les différentes disciplines et activités. Faut-il répéter une fois de plus que les deux démarches sont complémentaires ?

15 mars 2014

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] « ISN rentrée 2013 ».
http://isn.ac-amiens.fr/sites/isn.ac-amiens.fr/IMG/pdf/isn-2013.pdf
« L'option Informatique et sciences du numérique (ISN) s'implante dans les lycées ».
http://www.digischool.fr/actualites/option-isn-bac-2014-20232.php

[2] Éditorial d'EpiNet n° 162 de février 2014, « Une lettre ouverte à François Hollande ».
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1402a.htm

[3] « Royaume-Uni : le code informatique enseigné comme langue vivante ».
http://www.actualitte.com/education-international/le-gouvernement-britannique-debloque-500-000-pour-son-year-of-code-47966.htm
Reste à voir si les professeurs auront le temps de se mettre à jour d'ici là... L'éternelle et fondamentale question de la formation des enseignants.

[4] « Le président Obama appelle tous les Américains à étudier la programmation ».
http://www.epi.asso.fr/revue/lu/l1312p.htm

[5] Didier Schmitt, Commission européenne, « Bienvenue dans l'ère du super-numérique ».
http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140214trib000815451/bienvenue-dans-l-ere-du-super-numerique.html

[6] Véronique Arène, « La pénurie de développeurs plombe l'activité des start-ups ».
http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-la-penurie-de-developpeurs-plombe-l-activite-des-start-ups-56764.html?utm_source=mail&utm_medium=email&utm_campaign=Newsletter

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