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L'enseignement de l'informatique au Cameroun :
la loi du plus riche

Marcelline Djeumeni Tchamabé
 

Résumé
Une décennie déjà d'enseignement de l'informatique au Cameroun et cette discipline selon l'expression de Karsenti (2003) ne fait pas toujours mouche. Dans l'enseignement de cette discipline toujours domine la loi du plus riche qui a pour conséquences plusieurs fractures : la fracture écononumérique qui tient des millions d'apprenants pauvres en dehors des classes lors des leçons d'informatique et la fracture éconumérique qui, du fait de l'environnement écologique défavorable abîme les dispositifs numériques de formation des élèves et des enseignants et maintiennent dans l'ignorance les acteurs de l'éducation, empêchant le système éducatif d'atteindre les finalités de l'enseignement de l'informatique tant sur le plan pédagogique que scientifique et professionnel. Nous avons conclu que ces fractures sont nées de l'innovation qui ne repose pas sur un changement planifié, et sur des problèmes de gouvernance. La recherche peut s'intéresser à ces deux aspects pour mieux comprendre leurs impacts sur le développement de l'informatique au Cameroun.

Mots clés : Enseignement de l'informatique, Éducation de base, Enseignement secondaire, fracture numérique, élèves et enseignants.

Introduction et Contexte

   La Loi d'Orientation de l'Éducation n° 98/004 du 14 avril 1998 dans son article 25 énonce que « l'enseignement dans les établissements scolaires devrait prendre en compte l'évolution des sciences et des technologies et aussi que le système éducatif doit former les Camerounais enracinés dans leurs cultures et ouverts au monde ». Elle mentionne aussi le Cameroun a ratifié la charte des droits de l'enfant selon laquelle tous les enfants ont droit à une éducation de qualité. L'intégration pédagogique des TIC dans l'éducation au Cameroun est une réalité depuis 2001, date de l'inauguration des premiers Centres de Ressources Multimédias (CRM) par le chef de l'état Paul Biya. L'importance des TICs est ainsi démontrée et reconnue par le cadre législatif et le chef de l'exécutif camerounais lui-même. Les premiers CRM sont offerts par l'État, les ministères (MINEDUB, MINESEC, MINPOSTEL...), les organisations dans le cadre de la coopération bilatérale, BID, ou les firmes comme Microsoft et les éditeurs tels que EDICEF. Les populations vont vite s'emparer des TICs et des projets de modernisation de l'éducation vont naître un peu dans le pays. Mais le constat est fait que les besoins ne sont pas entièrement couverts. La couverture laisse de côté quelques établissements et certains élèves.

   D'après Karsenti (2003) « les TIC ont une influence importante sur l'évolution de l'ensemble de la société, de la planète et affectent de façon significative toutes les dimensions (économiques, sociales ou culturelles) du fonctionnement de ces sociétés ». Elles offrent des possibilités, des facilités, des capacités démesurées pour la transmission des connaissances et permettent un accès à l'information qui améliore l'apprentissage et la collaboration entre les élèves

   Environ 112 télécentres communautaires ont été inaugurés dans les 10 régions que compte le Cameroun pour que les communautés locales et décentralisées utilisent les potentialités des TIC et les ressources numériques pour leur développement dans leur propre contexte. L'institution scolaire à travers les CRM permet aux éducateurs de lutter contre la fracture numérique. Mais l'on constate rapidement que l'introduction des TIC complexifie la relation à l'école et aux acteurs. Pour Baron et Dané (2007), l'utilisation des ressources numériques laisse apparaître un certain nombre de « tensions ». La première porte sur la nature des ressources numériques qui peuvent avoir une composante « contenu » correspondant à des documents et une composante « processus » correspondant aux traitements automatiques qui sont utilisés par les usagers. La deuxième concerne les conditions d'accès qui peuvent être gratuites ou payantes. La troisième tension concerne le statut des ressources utilisables en éducation ; certaines ressources ont été validées par une institution et d'autres sont issues des usagers.

   Au-delà de ces tensions sur les potentialités des ressources numériques, il existe aujourd'hui d'autres tensions sociales nées de l'introduction de l'informatique dans le système scolaire. Djeumeni (2010) affirme « la technologie informatique peut être utilisée dans l'acte pédagogique au sein d'un établissement scolaire ; vue comme lieu d'enseignement-apprentissage, lieu physique pour les acteurs de l'éducation qui sont l'enseignant et l'élève pour : l'accès facile au matériel didactique et à des logiciels pédagogiques » ; les enseignants ayant des connaissances et des aptitudes à utiliser les TIC dans la pratique pédagogiquedans un contexte d'implication et d'ouverture d'esprit des responsables de la chaîne de supervision pédagogique au niveau macro, méso et micro.

   Ces technologies utilisent des infrastructures matérielles et de connectivité pour fonctionner. La question du coût de l'informatique crée d'autres tensions au sein des systèmes éducatifs pour l'achat, le fonctionnement et la maintenance des outils informatiques. Ewangue (1998), remarque à cet effet que de 1997 à 2000, l'accès à internet n'a été réservé qu'à quelques personnes ayant les moyens de se l'offrir. Mais qu'avec l'exonération des droits de douanes pour le matériel informatique annoncée par le Président Paul Biya lors d'un discours à la jeunesse le 10 février 2000 ajoutée à l'utilisation de la fibre optique par CAMTEL, l'accès et l'utilisation des TIC va connaître une croissance exponentielle.

   En attendant ces mesures spéciales pour démocratiser l'informatique, il n'en demeure pas moins vrai qu'en une décennie de l'enseignement de l'informatique au Cameroun, l'on constate des effets pervers (Boudon, 1997) de l'introduction de l'informatique, dans l'éducation effets dues au changement et à la gouvernance. En effet, plusieurs générations d'écoliers et d'élèves ont été privées de ce cours dans leurs formations faute de moyens financiers. Dans le même sens, Djeumeni (2010) affirme que dans l'ensemble les jeunes aiment l'ordinateur. Ils l'utilisent pour jouer, télécharger de la musique et des films... Cependant, il revient à l'école comme institution d'encadrer les jeunes et de leur donner une éducation informatique

   Au Cameroun, il existe ce que nous avons appelé « une fracture écononumérique ». La fracture écononumérique est l'écart qui existe au sein d'un établissement ou d'une même classe entre les élèves économiquement capables de payer les cours d'informatique et les élèves qui sont économiquement incapables d'accéder à ces cours. Cette fracture sociale est née de l'introduction de l'informatique dans le système éducatif camerounais. En effet, l'informatique est devenue une discipline d'enseignement de la maternelle en fin de cycle secondaire. Comme tous les objets d'enseignement, l'informatique est évaluée et pris en compte pour le passage d'une classe à la classe supérieure ou pour un examen ou des tests standardisés pour l'obtention d'un diplôme officiel.

La place de l'informatique dans le système éducatif camerounais

   À tous les niveaux du système éducatif l'informatique est enseignée aujourd'hui. Il n'en a pas toujours été ainsi. D'après Djeumeni (2010), c'est progressivement que s'est répandue l'adoption de cette discipline ; d'abord dans l'enseignement technique puis l'enseignement général. Le système éducatif camerounais est organisé en sous-système. Deux sous-systèmes cohabitent le sous système francophone et le sous système anglophone. Les évaluations, les contenus des programmes et la formation des enseignants en informatique comme dans les autres disciplines sont organisés par l'État à travers les ministères de tutelle que sont le Ministère de l'Éducation de Base (MINEDUB) et le Ministère des Enseignements secondaires(MINESEC). Dans sa structure générale, le système éducatif se compose de six niveaux d'enseignement constitué des éléments suivants : le préscolaire, le primaire, le post-primaire, le secondaire et le normal, et enfin l'enseignement supérieur.

  • L'enseignement maternel est le premier niveau qui dure généralement 2 ans ;

  • L'enseignement primaire dure 6 ans ;

  • L'enseignement secondaire général a une durée totale de 7ans dans les deux sous-systèmes.

   Le schéma ci-après permet de présenter les constituants du système éducatif camerounais en ce qui concerne le sous-cycle francophone.


Source : ministère de l'éducation nationale.

   La seule différence, en ce qui concerne la structure entre le sous-système francophone et le sous-système anglophone est que ce dernier comprend un premier cycle qui dure cinq ans et un second cycle de deux ans. Nonobstant cette diversité, l'État est son principal organisateur car, il détermine par voie législative et réglementaire les encadrements du système éducatif. A cet effet l'État :

  • définit le régime de l'enseignement ;
  • fixe les modalités de création, d'ouverture, de fonctionnement et de financement des établissements et institutions privées de formation ;
  • arrête les programmes et les manuels scolaires ;
  • contrôle les établissements et institutions privées de formation ;
  • régit les systèmes et les modalités d'évaluation des élèves et organise les examens officiels nationaux sur toute l'étendue du territoire national.

   En ce qui concerne l'informatique, c'est l'État qui, à travers la commission du livre, choisit les manuels d'informatique à partir du référentiel qu'il a élaboré pour répondre aux finalités qui sont les siennes. Tous les apprenants suivent le même programme d'enseignement. A travers l'inspection générale des enseignements et les inspecteurs pédagogiques coordonateurs, nationaux et départementaux, l'État contrôle l'enseignement, l'animation et l'évaluation de la discipline informatique. L'informatique, après une période d'évaluation comme discipline facultative aux différents examens officiels, est depuis 2 ans considérée comme discipline obligatoire.

   Au cours de cette décennie, concernant le développement de l'informatique comme objet d'enseignement, l'État a crée de nouvelles filières en Technologies de l'information (TI). Après la classe de 3e les éléves, peuvent s'orienter dans cette filière de l'enseignement général. Dans la formation des enseignants, les filières informatiques et TIC ont aussi vu le jour. Dans l'ensemble pour ce qui concerne les examens officiels en informatique, les études montrent des échecs massifs dans cette discipline autant au primaire qu'au secondaire. (MINESEC, résultats Baccalauréat 2011-2012) Alors nous nous sommes intéressés à cette discipline pour mieux comprendre ce phénomène d'échecs massifs, notamment à la fracture écononumériques à la marchandisation de l'informatique dans les établissements scolaires.

L'informatique dans l'enseignement maternel et primaire

   Nous avons à ce niveau d'éducation l'école primaire publique et l'école primaire privée. L'école primaire publique est obligatoire et gratuite.

   Selon le document sectoriel de l'éducation (DSE, 2004) le Cameroun comptera environ 3,5 millions d'écoliers en 2015. Le tableau ci-après permet d'avoir une répartition de cette population selon les ordres d'enseignements.

Tableau 1 : distribution des écoles maternelles et Primaire et population totale d'enseignants et d'élèves.

Niveau d'étude

ordre

Nombre d'écoles

Nombre d'élèves

Enseignants

Écoles maternelles

Public

1 408

81 931

5 620

 

Privé

1 908

126 645

6 304

Primaire

Public

9 000

2 430 020

50 712

 

Privé

3 026

644 906

21 011

Source Minedub, 2007

   D'après ce tableau, il existe plus de 9 000 écoles publiques pour un total d'environ 2,5 millions d'écoliers. Une enquête menée en 2010 montre que dans 96,23 % des écoles primaires on enseigne l'informatique. Et 87 % de ces enseignements sont théoriques (MINEDUB [1]). Chaque écolier paye entre 5 000 et 6 000 F CFA pour avoir accès aux cours d'informatique. Ceci en dehors des frais d'APEE [2] et autres frais d'examens que doivent débourser tous les parents. Une étude publiée par l'ONG [3] Internationale camerounaise en 2011 revèle que dans les écoles publiques où la gratuité de l'école est proclamée, chaque parent paie en moyenne 43 000 F CFA comme dépenses en différents frais pour le fonctionnement des écoles et des examens.

   Pour ce qui en est particulièrement de l'informatique, le référentiel national d'éducation en informatique a énoncé certaines finalités de cette discipline à l'école maternelle et primaire. L'informatique doit initier l'enfant à la société de l'information en le familiasant avec les technologies, les systèmes d'information, et les moyens de communication. Il apprendra dès la maternelle à identifier et nommer les parties d'un ordinateur ; à utiliser les moyens de communications traditionnels et modernes disponibles dans son pays ; il utilisera quelques logiciels de traitement de texte et des logiciels pour jouer et dessiner et il devra aussi savoir prendre soin des ordinateurs en matière de sécurité et de durabilité. Plusieurs auteurs ont dénoncé cette « gratuité de surface » qui met plusieurs milliers d'élèves en dehors du circuit scolaire (Fozing, 2010). Car avec la pauvreté ambiante et la taille de la famille qui est en moyenne 5 enfants, les ressources pour l'éducation ne sont pas toujours disponibles. Dernièrement, des voix se sont levées pour dénoncer le phénomène des enfants de la rue et de la déscolarisation qui s'est développée. Une étude de l'UNICEF et ROCARE [4] (2011) montre qu'au Cameroun, la déscolarisation touche une frange très importante de la population scolaire. Ce qui pose de façon cruciale le phénomène de non achèvement de la scolarité obligatoire.

   Pour toute cette population d'écoliers, le cours d'informatique est payant, dans le public comme dans le privé. Même si seulement 8% des écoles sont effectivement équipées en ordinateurs, l'on justifie ici le fait de faire payer les élèves par la nécessité d'équiper les écoles en ordinateur, en ressources numériques et en connexions électrique et internet. L'enseignement de l'informatique pour la plupart de ces écoliers est un luxe qu'ils ne peuvent pas s'offrir. Lors des leçons d'informatique ceux des écoliers qui n'ont pas payé sont priés de se mettre en dehors de la classe. Pour ces écoliers, cette exclusion du cours d'informatique les rendrait malheureux. Matchinda (2008) montre que les élèves sont motivés par l'utilisation de l'ordinateur et de l'internet et que les filles de manière particulière affichent des attitudes positives envers ces outils. Les leçons se déroulant de façon hebdomadaire, au total ces exclus de l'informatique perdent plus de 120 heures dans leur formation globale.

   Pour les autres, les leçons dispensées sont théoriques dans 87 % des cas. Les salles machines ou salle d'informatique sont des « coquilles vides », les ordinateurs, acquis d'occasion, sont tombés en panne à cause des conditions climatiques (poussière, humidité et chaleur). Et les fluctuations fréquentes de l'électricité contribuent à abîmer les ordinateurs. Parfois les matériels comme les onduleurs ou les régulateurs de tension sont nécessaires pour la protection des machines. Ces problèmes de maintenance sont à l'origine de l'existence de grosses poubelles dans les écoles. Et ici aussi se pose un problème de fracture éconumérique car l'environnement est souillé par tous ces matériels jetés dans tous les coins des écoles sans respect pour l'environnement et avec les dangers qu'ils représentent pour les écoliers. Il n'est pas exclu de rencontrer des écoliers en train de mâchonner des câbles d'ordinateurs ou de souris ramassés dans la poubelle de l'école.

   Ces tensions de fonctionnement sont exacerbées par les problèmes de connectivité. Dans les écoles les connexions internet utilisent les terminaux fixes ADSL et téléphoniques (pour celles des écoles connectées). Le wifi n'est pas encore disponible dans les classes. Le coût de la connexion s'élève à environ 24 000 [5] F CFA pour une connexion de 540 Giga. Les écoliers peuvent ainsi accéder aux ressources en ligne. Cependant, ces ordinateurs étant continuellement en panne, même les écoliers s'étant acquittés de leur frais d'informatique, , ne peuvent pas toujours accéder aux ressources ni en ligne ni hors ligne. À se demander finalement à quoi sert l'argent de l'informatique collecté dans les écoles primaires. La situation dans l'enseignement secondaire est-elle différente ? Comment se déroule l'enseignement de l'informatique à ce niveau du système éducatif ?

L'informatique dans l'enseignement secondaire

   L'enseignement de l'informatique dans l'enseignement secondaire général et technique est organisé par le Ministère des Enseignements secondaires, pour répondre à un certain nombre de finalités :

   « Le second cycle de l'enseignement secondaire devrait, pendant la période de mise en oeuvre du DSCE, s'arrimer davantage à l'enseignement supérieur et ajuster progressivement ses effectifs à la capacité d'accueil de ce dernier. L'accent sera mis ici sur l'amélioration de la qualité (davantage de filières scientifiques, de laboratoires, d'équipements informatiques, etc...). Il est attendu que le secteur privé prenne une part plus importante dans l'enseignement à ce niveau. » (DSCE, 2009, p. 78).

   Les programmes officiels d'informatique de l'enseignement secondaire font état de plusieurs textes à l'instar de l'arrêté n° 3745/D/63/ MINEDUC/CAB du 17/06/2003 portant introduction de l'Informatique dans les programmes de formation des 1er et 2nd cycles de l'enseignement secondaire général et des ENIEG [6], et l'entrée en vigueur des programmes d'enseignement dès l'année scolaire 2003/2004. Ces programmes d'enseignement de l'informatique d'une manière générale permettent d'atteindre les finalités pédagogique, scientifique et professionnelle suivantes :

« - pédagogique, dans la mesure où cet enseignement permet l'ouverture sur les sciences, facilite l'acquisition des savoirs et favorise l'autonomie ;

- scientifique, en ce sens que cette discipline est considérée comme matière à part entière, transversale par analogie aux langues, obligatoire et non facultatif ;

- professionnelle, du fait que l'informatique s'est imposée comme outil incontournable, indépendamment des futurs métiers. »

   D'après l'Inspection de Pédagogie d'Informatique du Cameroun, les classes, de la 6e à la terminale de terminale de l'enseignement secondaire général, toutes filières confonduesbénéficient d'un enseignement avec un programme. Chaque programme met en exergue un certain nombre de contenus portant sur l'historique de l'informatique, l'évolution des ordinateurs, les parties d'un ordinateur ainsi que leurs fonctions, les logiciels, les systèmes d'exploitation, la programmations et les bases des données, les réseaux et les projets informatiques. Ces projets consistent à amener l'élève à produire des sites Web et mettre en réseau des ordinateurs en local.

   Les démarches pédagogiques prescrites à ce niveau doivent mettre l'accent sur la pratique (80 %) et la théorie n'occupe qu'une place limitée. Dans ce cas, la salle informatique devient incontournable. Une étude menée par Djeumeni (2010) montre que 3 modèles d'enseignement d'informatique sont utilisés dans l'enseignement secondaire.

  • Le modèle d'enseignement théorique (MET)
  • Le modèle d'enseignement théorique – pratique (METP)
  • Le modèle d'enseignement intégré (MEI)


Schéma 2 : Modèles d'enseignement de l'informatique au Cameroun inspirées de Djeumeni (2010).

   En ce qui concerne le volume horaire de l'informatique à ce niveau d'éducation il s'étale sur une enveloppe horaire annuelle de 66 heures pour les troncs communs, dont 12 peuvent être réservées à l'évaluation, à raison de 2 heures d'enseignement sur deux semaines et 2 heures d'évaluation par séquence pour un coefficient de 2 soit 40 points.

   Tous les élèves dans l'enseignement secondaire général ou technique ont à payer pour le cours d'informatique compte non tenu du modèle d'enseignement. Dans les lycées et collèges, comme à l'école primaire, le modèle dominant est celui du cours théorique. Les CRM, pour les leçons pratiques, ne sont pas accessibles à tous les élèves à cause du mauvais état de ceux-ci. Régulièrement ceux-ci ne sont pas en état de service. Et les ratios élèves machines atteignent parfois 13 par ordinateur. Dans un lycée de 6 000 élèves, sur deux CRM disponibles dans l'établissement pour 150 ordinateurs environ, seuls une trentaine d'ordinateurs pouvaient être utilisés. Chaque année dans ce lycée, les frais d'informatique génèrent une enveloppe d'au moins 30 000 000 [7] F CFA (trente millions de Francs). Pour CRM qui compte parmi l'un des centres offerts aux élèves par le chef de l'État avec la coopération française, à travers le soutien technique du CFA Stenphenson de Paris. Lors d'une étude sur l'impact de ces CRM sur l'apprentissage des filles, Djeumeni (2010) affirme que le budget de ce centre, selon le chef de CRM, alloué par le chef d'établissement, ne dépasse pas 2 000 000 [8] F CFA (deux millions de Francs CFA.) Pour faire fonctionner le centre, après trois mois, ce budget est épuisé et le centre n'a plus la possibilité même de s'offrir du papier pour l'imprimante.

   Les évaluations des élèves attribuent la note de zéro pour tous ceux qui ne se sont pas acquittés des frais d'informatique. Chaque enseignant doit pouvoir aménager 12 heures pour les six évaluations annuelles soit 2 heures d'évaluation par séquence de 6 semaines de cours. Le coefficient de point alloué à cette discipline est de 2 c'est-à-dire 40 points. Avec ces 40 points en moins, les élèves partent avec des désavantages dans un système d'évaluation normative et de classement où les plus faibles sont renvoyés des établissements scolaires. Les conséquences de ce phénomène de « monnayage » de leçon d'informatique sont nombreuses socialement et pédagogiquement.

   Sur le plan social, ces élèves sont exclus du groupe classe. Ils se livrent pendant ces cours aux flâneries au sein ou en dehors de l'établissement. Ils sont ensuite exclus du système éducatif pour absentéisme. Le règlement intérieur des établissements stipule qu'au delà de 20 heures d'absence, l'élève est exclu définitivement du lycée. Le cours d'informatique étant de 66 heures, d'emblée ces élèves financièrement dépourvus sont comptés parmi les exclus. L'introduction de l'informatique a ainsi créé au sein des établissements, une forme d'inégalité sociale entre les élèves qui ont des moyens d'accéder à l'informatique et ceux qui n'en ont pas.

   Par ailleurs, l'informatique est une des épreuves obligatoires que les élèves passent au baccalauréat. Sur le plan pédagogique, ces élèves exclus sont évalués dans un cours qu'ils n'ont pas reçu. Les dispositifs des CRM permettent de fournir à l'élève des connaissances et des compétences scolaires acquises dans le domaine de l'informatique. En tant que discipline transversale et instrumentale, l'informatique doit lui permettre de se référer du point de vue théorique et pratique dans l'exercice de ses tâches d'apprenant aux autres disciplines scientifiques et professionnelles. Ces possibilités lui sont refusées.

   Pour essayer de lutter contre ces phénomènes et par manque de moyens, pour équiper tous les établissements et prendre en charge l'enseignement de l'informatique, il a été créé dans les établissements scolaires ce que l'on a appelé les prestataires privés en informatique.

Les prestataires privés

   Dans le plan de modernisation des établissements par l'enseignement de l'informatique, face à l'insuffisance des moyens financiers dont dispose l'État pour équiper tous les établissements, l'apport du secteur privé a été sollicité à travers les prestations de services en informatique. Il s'agit d'opérateurs privés qui ont des moyens financiers leur permettant de :

  • construire des salles multimédias ;
  • résoudre le problème d'équipement des salles multimédias en fonction des effectifs dans les établissements pour améliorer le ratio élève-ordinateur ;
  • former les élèves et les autres acteurs de la chaîne de supervision pédagogique dans l'établissement en informatique ;
  • collaborer avec les autres acteurs pédagogiques.

   Il se trouve, après analyse de ce qui est pratiqué, que les attentes ne sont pas toujours satisfaites. En effet, le prestataire de service informatique est un opérateur économique qui perçoit dans certains lycées les 5 000 F ou 6 000 F des élèves. La pratique de ces prestataires montre que la situation des élèves s'est dégradée. Car les ordinateurs sont encore plus absents dans les établissements : en effet ceux qui sont disponibles ne sont pas accessibles faute de maintenance, les enseignants recrutés par les prestataires n'ont aucune compétence pédagogique et les enseignants, les parents comme les administrateurs ne sont pas formés. La corruption qui sévit dans le domaine fait que les chefs d'établissements ne dénoncent pas les exactions des prestataires privés. L'enseignement de l'informatique se révèle être une vaste escroquerie dont les élèves sont les premières victimes.

Perspectives et conclusions

   Dans le mode entier, la demande sociale d'éducation ne fait que croître (Archambault, 1999). Cette croissance est mise à mal au Cameroun avec l'introduction de l'informatique dans l'éducation de base et secondaire. L'enseignement de l'informatique est aujourd'hui une source d'inégalité entre élève riche et élève pauvre. Cette fracture écononumériques est doublée d'une autre fracture : la fracture économétrique. Les phénomènes peuvent se comprendre d'une part par les problèmes de changement non planifié et d'autre part par les problèmes de gouvernance. En effet, l'introduction de l'informatique est une innovation dans le champ de l'éducation. Cette innovation technologique et de service appelle dans ses différentes étapes la prise en compte des bénéficiaires et l'accompagnement des acteurs.

   En ce qui concerne les bénéficiaires, ils n'ont pas de moyens pour l'équipement des établissements. En plus, certains de ces établissements scolaires n'ont pas de dispositifs pour accueillir et protéger les ordinateurs. Les lycées sont sans clôture, l'enceinte des écoles est poussiéreuse, les salles d'informatique n'ont pas des équipements nécessaires pour faire fonctionner durablement les ordinateurs (onduleurs, courant électrique, régulateur de tension, paratonnerre, etc.). Ces derniers sont régulièrement hors service. Dans ce contexte, il est nécessaire qu'un cahier de charge soit rempli par chaque établissement avant de se voir octroyer les matériels pour l'enseignement de l'informatique.

   Pour ce qui concerne les prestataires privés, cette solution nous semble importante compte tenue de l'option de décentralisation du pays et de l'implication des collectivités locales dans l'éducation. Seulement, l'action de ces prestataires doit être encadrée par les élus municipaux sous la forme de passations de marché publics avec tous les contrôles qui sont nécessaires avant et après la prestation. Le contrat doit être défini et limité à une année scolaire ; seule l'évaluation de leur prestation en fin d'année permettrait de les payer. En plus, ils seront payés par la communauté urbaine ou la mairie et non pas par les élèves dans les établissements. Tous les élèves auront droit à l'informatique. Un rapport de suivi et évaluation rédigé par le chef d'établissement accompagne trimestriellement le rapport des prestataires avec une copie adressée à la mairie et aux délégués départementaux et régionaux de l'éducation.

   Quant aux parents d'élèves, ils participent à tous les processus d'évaluation depuis le lancement de l'appel, le choix des prestataires, leurs activités dans les établissements scolaires jusqu'à leur évaluation. C'est quand la preuve que le marché a été correctement exécuté est donnée que les prestataires sont payés.

   Au sein des établissements, pour les enseignants d'informatique qui ne sont pas formés dans les Écoles Normales d'enseignants, ils sont recyclés au début de chaque année scolaire et ils participent aux équipes d'enseignants dans les animations pédagogiques. Les censeurs des établissements s'assurent que la progression est suivie et que tous les élèves sont formés correctement et évalués.

   La commission Nationale anticorruption (CONAC) aura pour tâche de veiller au bon déroulement des processus de passation des marchés. Cette synergie permettra de lutter contre les déperditions scolaires et d'assurer un enseignement de l'informatique efficace et équitable pour tous les élèves.

Marcelline Djeumeni Tchamabé
Université de Yaoundé I
B.P 47 École Normale Supérieure
marcelline.djeumenitchamabe@yahoo.fr

Cette contribution est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification) <http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/>.

Références bibliographiques

Archambault, J-P (1999). De l'efficacité pédagogique des NTIC. Revue de l'EPI.
Disponible en ligne à l'adresse : http://www.epi.asso.fr/fic_pdf/b94p065.pdf

Baron, Georges-Louis ; Dané, Éric (2007). Pédagogie et ressources numériques en ligne : quelques réflexions. Epinet n° 103, septembre 2007.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0709c.htm

Boudon. R. (1977). Effets pervers et ordre social. Paris : PUF

Dioni, C. (2007). Métier d'élève, métier d'enseignant à l'ère numérique, INRP-Equipe Educ TICE

Djeumeni Tchamabe, M. (2010). Pratiques pédagogiques des enseignants avec les TIC au Cameroun entre politiques publiques et dispositifs techno-pédagogiques, compétences des enseignants et compétences des apprenants pratiques publiques et pratiques privées. Sorbonne-Paris. Descartes, thèse de doctorat publié par ANRT

Djeumeni Tchamabe, M.(2009) L'impact des TIC sur les apprentissages scolaires comparaison des établissements secondaires du Cameroun, savoirs en partage.
En ligne http://www.resatice.org

Fozing, I. (2010) extension des établissements publics au Cameroun : coût/efficacité et incidence sur le développement éducatif. Educi/ROCARE. Afr educ dev issues, n°2 spécial, JRECI 2006& 2009 p.168-180.

Gouvernement camerounais. Document de Stratégies pour la Croissance et l'Emploi (DSCE) p. 9-172

Gouvernement camerounais Loi n° 98/004 du 14 avril 1998 portant orientation de l'Éducation au Cameroun.

Karsenti, T. (2003). « La motivation et la réussite en contexte scolaire : les TIC feront-elles mouche ? » in Vie pédagogique n° 127 Québec : PUQ.

Matchinda, B, (2008). Les TIC, l'apprentissage et la motivation des filles et des garçons au secondaire au Cameroun.

Perreault, N, (2002,) technologies de l'information et des communications au collège Édouard-Montpetit : proposition d'actions pour un plan stratégique d'intégration dans l'enseignement et l'apprentissage, Longueil, collège Édouard-Montpetit, 111 p.

NOTES

[1] Ministère de l'Éducation de Base.

[2] Association des Parents d'élèves et Enseignants.

[3] Organisation Non Gouvernementale.

[4] Réseau Ouest et Centre Africain de Recherche en éducation.

[5] Environ 37 euros

[6] École Normale d'Instituteurs de l'Enseignement Général

[7] Environ 47 000 euros.

[8] Environ 3 000 euros.

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Association EPI
Septembre 2013

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