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L'informatique en campagne
 

   On parle éducation dans la campagne présidentielle. C'est normal. Pas assez peut-être et c'est dommage car l'éducation est par excellence l'investissement qui prépare l'avenir. Dans ce cadre, on parle numérique pédagogique et, d'une manière nouvelle, signe des temps, de l'enseignement de l'informatique [1].

   On sait que la rentrée 2012 verra la mise en vigueur en Terminale scientifique d'un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » (ISN) : un premier pas qui en appelle d'autres. En effet, l'enjeu est d'importance puisqu'il s'agit de la formation de l'homme, du travailleur et du citoyen, à savoir les missions traditionnelles de l'École. Mais au 21e siècle, c'est-à-dire à une époque où l'informatique est partout, dans l'économie où elle est la forme contemporaine de l'industrialisation, dans la société, que l'on pense aux débats sur Hadopi, les libertés numériques ou la neutralité du Net, ou dans la vie de tous les jours où nous sommes environnés de logiciels dont beaucoup ont du mal à comprendre le fonctionnement : pourquoi les correcteurs orthographiques laissent-il encore passer des fautes ? pourquoi une erreur minime dans une adresse empêche-t-elle un courrier d'arriver ? pourquoi est-il difficile pour un logiciel de trouver un cercle dans une image, alors qu'il lui est si facile de retrouver un mot dans un livre ?...

   Avec ISN, on va donc (re)commencer à faire pour l'informatique ce que l'on fait pour les autres champs de la science qui constituent la culture générale scolaire. On va faire faire aux élèves un petit tour derrière le décor, par exemple en leur montrant de quoi est fait un programme en les faisant eux-mêmes programmer, l'objectif n'étant bien entendu pas de faire de tous de futurs programmeurs professionnels. Ceci n'est toutefois pas propre à l'informatique. On n'enseigne pas aux collégiens ni aux lycéens à construire des centrales électriques mais on leur enseigne quelques notions qui permettent d'en comprendre le fonctionnement, et de participer aux débats sociétaux sur la politique énergétique du pays : masse, énergie, chaleur, température, tension, intensité... D'une manière générale, on leur enseigne des notions incontournables pour être en phase avec leur époque : force, vitesse, accélération, densité, poids, mesure, nombre, équilibre, parallélisme de droites, électricité, optique, maladie, microbe, fécondation... La société telle qu'elle est devenue impose que l'on fasse comprendre à tous ce que sont les grands domaines de l'informatique : information, machines, langages et programmation, algorithmes.

   L'informatique a différents statuts éducatifs complémentaires. Elle est outil pédagogique, facteur d'évolution des objets et méthodes des autres disciplines enseignées (c'est par exemple le cas des enseignements techniques et professionnels qu'elle a contribué à profondément transformer). Elle est outil de travail personnel et collectif de la communauté scolaire. Mais tous ces usages ne peuvent pas suffire à donner la culture générale scientifique et technique dont les élèves ont besoin, comme l'a montré l'échec, prévisible, du B2i. Il faut une contribution spécifique de la science informatique en tant que discipline scolaire. En cela l'informatique ne fait pas exception. Les sciences en tant que telles ont leur contribution spécifique à la culture générale [2]. Elles donnent les connaissances sur lesquelles l'homme, le travailleur et le citoyen pourront s'appuyer ultérieurement dans leur vie d'adulte. Si réduire la nécessaire formation aux sciences à une approche qui ressemble aux discussions du Café du commerce est une chose, ancrer les sensibilisations sociétales dans les notions du programme, par exemple parler du logiciel libre et de code source quand les élèves ont des activités de programmation, en est une autre radicalement différente. Et, bien entendu, l'enseignant, dans sa pratique pédagogique, s'appuie sur ce que savent faire ses élèves et sur leur environnement.

   L'EPI et ses partenaires, le groupe ITIC-EPI-SPECIF, l'APRIL se sont adressés aux différents candidats à l'élection présidentielle [3]. Ils leur ont demandé ce qu'ils pensaient des propositions qui suivent. Qu'au lycée, l'option « ISN » devienne un enseignement obligatoire en terminale scientifique puis en première. Qu'une option puis un enseignement obligatoire soient créés dans les séries ES et L, d'abord en terminale puis en première. Enfin que soit mis en place un enseignement pour tous en seconde. Qu'au collège, un enseignement de l'informatique soit assuré pour tous, par exemple selon une modalité où l'informatique représenterait de l'ordre de 40 % des contenus de la discipline Technologie. Une formation complémentaire en informatique devra être donnée aux enseignants de cette discipline. Qu'à l'école primaire, une initiation à l'informatique, science et technique, soit faite pour tous, à la manière de « la main à la pâte ». Que pour les formations initiale et continue des enseignants, soient créés un Capes et une Agrégation, à l'instar de ce qui se fait pour les autres disciplines.

   Qu'en disent les candidats ?

   À la rentrée prochaine, seules deux séries permettront cette spécialité. La série S de l'enseignement général et la série STI2D de l'enseignement technologique. Mais ce n'est là qu'une étape, tous les lycéens doivent en effet pouvoir choisir une option numérique. En clôture d'un colloque sur le numérique organisé le vendredi 30 mars par l'Institut Edgar Quinet, Vincent Peillon, responsable éducation de l'équipe de campagne de François Hollande, a indiqué : « Il n'y a pas de raison de réserver ce type d'enseignement aux seuls lycéens de ces deux séries. Le numérique concerne tous les champs de la société et il faut sortir d'une vision où il ne serait l'apanage que des seuls scientifiques : le numérique touche aux métiers de l'écriture, de la recherche en sciences sociales, au monde de l'économie, au médico-social, à la gestion. (...) Il jouera également un rôle central pour la citoyenneté de demain. » Forts de ce constat, les socialistes se proposent donc d'étendre et d'adapter cette option aux objectifs spécifiques des différentes séries de la voie générale et de la voie technologique. À propos du primaire, notons la proposition : « Fini les textes tapés avec deux doigts. Les enfants apprendront la dactylographie en primaire (CE2 ou CM1) » [4].

   Dans son projet « Révolution numérique, le meilleur reste à venir », l'UMP indique : « Nous proposons notamment de réadapter la formation des jeunes générations au numérique, en passant rapidement à l'ère de l'école numérique en modernisant le brevet et le certificat informatique et internet, en créant une matière qui dispenserait un enseignement spécifique à internet et au numérique et en formant plus efficacement les enseignants à l'usage des technologies numériques. » [5]

   Jean-Luc Mélenchon a répondu positivement aux questions de candidats.fr [6]. « La création d'un enseignement de spécialité optionnel Informatique et Sciences du numérique en Terminale scientifique à la rentrée 2012 ouvre la voie d'un indispensable enseignement de l'informatique pour tou-te-s sous la forme d'une discipline scolaire au lycée, et au collège à la réintégration d'un enseignement de l'informatique dans le cours de Technologie... La question se pose bien de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d'exercer pleinement sa citoyenneté. » L'enseignement de l'informatique doit concerner tous les élèves, au-delà de la section scientifique. En effet, « peu ou prou, tous les secteurs d'activité et tous les métiers sont transformés de par l'informatique. Ce qui vaut pour les ingénieurs vaut aussi pour tous les travailleurs de l'industrie qui ont vu leurs métiers se dématérialiser, mais également pour les juristes, les architectes, les écrivains, les musiciens, les stylistes, les photographes, les médecins, les enseignants, les agriculteurs pour ne citer qu'eux. L'informatique a radicalement changé la manière dont nous administrons les États, créons et diffusons des oeuvres d'art, accédons à la connaissance, échangeons des informations entre individus, gardons trace de notre passé, etc. ». Et « l'échec avéré du B2i » est pointé.

   Nicolas Dupont-Aignan a également répondu positivement aux questions de candidats.fr. Il se prononce pour « une vraie matière informatique (avec 100 % de logiciels libres) au même titre que les maths ou l'anglais avec des professeurs titulaires spécialisés (et non des intervenants extérieurs aux intérêts divers), ce qui est la meilleures garantie d'une formation citoyenne et technique efficace ». Il note que dès le primaire « on peut commencer par une initiation à la programmation comme cela a été fait il y a un certain temps avec la Tortue LOGO ». Et il constate que « le B2i est du bricolage heureusement voué à disparaître » [7].

   Ceci au moment où j'écris ces lignes, mais la campagne continue...

13 avril 2012

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] Il n'y a pas qu'en France. Ainsi, le 11 janvier 2012, le Secrétaire d'état britannique à l'éducation Michael Gove déclarait-il qu'il fallait en finir avec l'exclusivité de l'approche de l'informatique par les usages (du type B2i), vue comme une impasse stérile. Ce dont le Royaume-Uni a besoin, c'est de former ses élèves à la science informatique et à la programmation. Il recommande de se débarrasser de l'attitude « les usages et rien que les usages ». On sait depuis longtemps que des élèves de 11 ans sont capables de programmer (des choses simples, bien entendu) et qu'à l'âge de 18 ans ils peuvent être capables d'écrire, non seulement des programmes, mais aussi de concevoir des langages de programmation (fonctionnant, même si rudimentaires). Le représentant du Parti Travailliste, le député Stephen Twigg, indiquait lui qu'« on ne peut prétendre avoir de réelles compétences en informatique si tout ce que l'on sait faire c'est utiliser un traitement de texte, remplir les cases d'une feuille de calcul ou préparer un diaporama ».
Michael Gove speech at the BETT Show 2012
http://www.education.gov.uk/inthenews/speeches/a00201868/michael-gove-speech-at-the-bett-show-2012
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1202f.htm

[2] « Exercice de la citoyenneté et culture informatique », Jean-Pierre Archambault, EpiNet 140 de décembre 2011.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1112d.htm

[3] Association Enseignement Public et Informatique (EPI)
- Groupe ITIC-EPI-SPECIF
- Jean-Pierre Archambault, Président de l'EPI
- Gérard Berry, membre de l'Académie des Sciences, Professeur au Collège de France, membre d'honneur de l'EPI
- Colin de La Higuera, Président de la Société des Personnels Enseignants et Chercheurs en Informatique de France (SPECIF)
- Gilles Dowek, Directeur de recherche à l'INRIA, Grand Prix de philosophie de l'Académie Française
- Maurice Nivat, membre de l'Académie des Sciences, membre d'honneur de l'EPI

Voir également le communiqué de l'EPI du 8 février 2012 :
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1202b.htm
ainsi que l'appel et les questions aux candidats à l'élection présidentielle :
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1202a.htm
Questionnaire candidats.fr. Les questions concernant l'enseignement de l'informatique :
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1203c.htm

[4] « L'école numérique selon François Hollande » par Maryline Baumard, LeMonde.fr.
http://lemonde-educ.blog.lemonde.fr/2012/03/30/lecole-numerique-selon-francois-hollande/

[5] Révolution numérique, le meilleur reste à venir
http://www.projet-ump.fr/wp-content/uploads/2011/06/ump_numérique_propositions_2012.pdf

[6] Réponse du Front de Gauche du Numérique au questionnaire Candidats.fr
http://www.candidats.fr/docs/20120413-reponses-front-de-gauche-candidatsfr-2012.pdf
Appel du Front de Gauche du Numérique : http://www.placeaupeuple2012.fr/numerique/

[7] Réponses de Nicolas Dupont-Aignain au questionnaire Candidats.fr 2012
http://www.candidats.fr/docs/20120322-reponses-nicolas-dupont-aignan-candidatsfr-2012.pdf

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Avril 2012

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