Au bout de dix ans de pratique du B2i, nous constatons un échec

Jean-Pierre Archambault
 

Lors du salon Educatice 2011, l'EPI a organisé une table ronde et animé un stand (avec des représentants de SPECIF, du CRDP de Paris, de l'INRIA, l'Inspection générale de l'Éducation nationale, l'association des Olympiades de l'informatique, le groupe ITIC-EPI-SPECIF) sur l'enseignement de l'informatique, précisément la création à la rentrée 2012 en Terminale S d'un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique ».
Ce fut l'occasion pour son président de donner une interview à Weka sur les multiples actions menées par l'EPI et le groupe ITIC en faveur de cet enseignement, l'échec du B2i, la culture informatique et ses enjeux, la formation du citoyen et la place des logiciels libres dans l'éducation.

 

Weka : À la rentrée 2012, va démarrer l'enseignement optionnel « Informatique et sciences du numérique » en Terminale S. En quoi est-ce différent du brevet informatique et internet (B2i) ?

Jean-Pierre Archambault : C'est le jour et la nuit, deux choses radicalement différentes. Depuis de nombreuses années, concernant le contenu de la culture générale informatique et les modalités pour la donner à tous les élèves, deux approches coexistent. Discipline ou pas ? Pour l'une, les apprentissages doivent se faire à travers les usages de l'outil informatique dans les différentes disciplines existantes.

   Pour l'autre, l'informatique étant partout, elle doit être quelque part en particulier, à un moment donné, sous la forme d'une discipline scolaire en tant que telle. Pour les uns, l'utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC) suffit. Pour les autres, l'usage d'un outil, matériel ou conceptuel, ne suffit pas pour le maîtriser.

   À notre sens – et nous ne sommes pas les seuls à le penser – au bout de dix ans de pratique du B2i, nous constatons un échec – qui était prévisible. Le SNES (syndicat national des enseignants de second degré) a été jusqu'à parler de « mascarade ». Imaginons que l'on fasse pour les mathématiques ce que certains ont voulu mettre en oeuvre avec l'informatique.

   Les mathématiques étant utilisées dans les autres disciplines, son enseignement en tant que tel serait alors supprimé. Les entiers relatifs seraient par exemple traités par le professeur d'histoire-géographie, au moment où il aborde la période avant-après Jésus-Christ. Et, présentant les notions de longitude et de latitude, il introduirait les coordonnées ! D'évidence, cela ne marcherait pas. Car il n'est pas possible de laisser l'enseignement des mathématiques au hasard ou au « bon vouloir » des autres disciplines. L'enseignement des disciplines suppose des contenus précis.

   Dans le B2i, les compétences sont formulées de manière vague et répétitive, souvent à l'identique d'une année à l'autre. Imaginez la synchronisation, la coordination nécessaire entre les disciplines pour traiter toutes les notions de façon progressive et didactique. Le B2i a, en outre, donné lieu à des pratiques douteuses. Les chefs d'établissements le savent bien.

   Il est attribué de manière quasi systématique, ayant été rendu obligatoire pour l'obtention du brevet des collèges. Des élèves peuvent ainsi être déclarés « compétents » sans avoir vraiment approché un ordinateur au sein de leur établissement. De fait, loin d'une réalité, le B2i est souvent une fiction, notamment dans la mesure où les enseignants des différentes disciplines dans leur ensemble ne pratiquent pas réellement l'informatique dans leurs disciplines respectives.  

   Dans les années 80 et 90, il existait une option Informatique dans environ un lycée sur deux. Alors qu'elle était en voie de généralisation, elle a été supprimée en 1992, rétablie en 1994 et à nouveau supprimée en 1997.

   En conséquence, tout en n'ayant jamais cessé de regretter cette orientation, et de le dire haut et fort, d'affirmer la complémentarité de l'informatique objet d'enseignement et outil au service de tous les enseignements, l'EPI a repris, dès 2007, son bâton de pèlerin pour qu'il y ait à nouveau un enseignement de l'informatique au Lycée.

Weka : Avec cette option en terminale S, n'est-ce pas remettre l'informatique du côté des sciences et ainsi exclure les littéraires de l'usage pédagogique des TIC ?

Jean-Pierre Archambault : Il y a toujours eu confusion entre les différents statuts éducatifs de l'informatique. À l'EPI, nous pensons depuis toujours que l'informatique est, premier statut, un outil qui permet d'enseigner mieux ou différemment toutes les disciplines en mettant des nouveaux outils au service du professeur, dans le cadre de sa liberté pédagogique.

   Un enseignant de français qui pense que le traitement de texte est utile pour apprendre la rédaction n'aura pas de raison de revenir en arrière sous prétexte que l'informatique est désormais une discipline scientifique enseignée en tant que telle.

   Deuxième statut : l'informatique modifie l'essence des disciplines, leurs objets et leurs méthodes. Cela se traduit dans leur enseignement. Ce n'est pas parce qu'il y a un enseignement de l'informatique que cela va dispenser les professeurs des autres disciplines d'enseigner les modifications induites par ces technologies dans leurs propres champs disciplinaires.

   C'est particulièrement flagrant dans les enseignements techniques et professionnels : le traitement de texte, les bases de données, la DAO et la CAO ont remplacé des outils devenus obsolètes (machine à écrire, fichier « carton », planche à dessin...). C'est vrai aussi dans les sciences expérimentales comme la physique ou la biologie avec la simulation et l'ExAO. C'est encore le cas en géographie avec les systèmes d'information géographique (SIG)....

   Le troisième statut de l'informatique, c'est l'usage qui est fait par les élèves comme par les professeurs des outils d'information et de communication pour leurs travaux personnels ou pour leurs échanges.

   Rappelons qu'il y a toujours loin de l'utilisation personnelle des outils informatiques par les enseignants à l'utilisation des ressources numériques en classe avec les élèves. Mais ce n'est pas parce qu'il y a un enseignement optionnel d'informatique en tant que tel que ces habitudes de travail collaboratif vont être modifiées...

   Enfin, le quatrième statut, c'est justement l'informatique en tant que discipline. D'ailleurs, dans les années 1980, c'est dans les lycées où existait cette option que l'on constatait le plus d'usages de l'informatique dans les autres disciplines. Les professeurs n'avaient plus à faire « l'alphabétisation » qui avait déjà été faite dans le cadre de l'enseignement optionnel.

   La réponse à la question est donc résolument non, bien au contraire ! L'informatique enseignée en tant que discipline favorise ses usages... Et il ne s'agit pas de ne former que des utilisateurs. Nous avons bien sûr besoin d'utilisateurs de l'informatique mais aussi de concepteurs et de créateurs. L'informatique n'est pas un simple média, certes performant, mais surtout une formidable source de création dans d'innombrables domaines.

   Encore faut-il qu'elle appartienne à la culture générale dès l'enseignement secondaire. L'enjeu est la formation de l'homme, du travailleur et du citoyen, de « l'honnête homme du 21e siècle ».

Weka : Quelle doit être la place des logiciels libres dans cette nouvelle discipline de l'Éducation nationale, face à l'écrasant usage des solutions propriétaires ?

Jean-Pierre Archambault : Sans être trop schématique, nous pouvons dire qu'il existe des affinités entre ceux qui sont favorables à l'enseignement d'une culture informatique et ceux qui préconisent l'usage des logiciels libres. C'est le cas notamment de l'APRIL et de l'AFUL. Avec le libre, l'utilisateur comprend le système, son environnement et il peut donc mettre le « nez dedans ».

   C'est à l'opposé de ces slogans de l'informatique facile, qu'il est possible de pratiquer sans rien comprendre de ce qui se passe dans la machine : il y a donc inversement une certaine affinité, à nouveau sans être schématique, entre l'informatique vue comme une boîte noire et les logiciels propriétaires.

   Les débuts du libre dans le système éducatif remonte au mois d'octobre 1998 avec la signature de l'accord cadre entre le Ministère de l'Éducation nationale et l'AFUL.

   Depuis, il a acquis – sans que ce fut un « long fleuve tranquille » – un statut de composante à part entière de l'informatique éducative. Ainsi la quasi totalité des serveurs de communication de l'administration centrale et des rectorats sont-ils des logiciels libres et tournent sous Linux. La situation est différente pour les postes de travail des utilisateurs.

   C'est dommage parce que la philosophie même du Libre est en accord avec celle de l'Éducation républicaine : donner la culture à tous, s'approprier les connaissances et les diffuser... En mathématiques par exemple, nous n'imaginerions pas un chercheur disant qu'il a établi un théorème mais refusant d'en donner la démonstration.

   Par ailleurs, le libre ce ne sont pas que des logiciels, ce sont aussi des ressources pédagogiques mutualisées comme le prouve Sésamath, par exemple. Mais là, c'est encore un autre problème car, sur le terrain de l'édition scolaire, il reste encore de sérieuses résistances...

Weka : Quel rôle l'Epi doit-elle jouer pour faire prendre conscience de la portée sociétale des usages des TIC (blogs, réseaux sociaux, jeux en ligne, etc.) par les élèves ?

Jean-Pierre Archambault : Cette question nous ramène à la culture et à l'enseignement de l'informatique. L'EPI se sent donc très concernée. Par exemple, dans le débat sur l'abandon du nucléaire, le citoyen peut s'appuyer sur les connaissances qu'il a apprises en sciences physiques au collège et au lycée.

   Même chose concernant les controverses scientifiques sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) : le citoyen peut faire référence à ses cours de génétique du programme de biologie.

   Qu'en est-il pour des sujets d'actualité comme l'Hadopi (haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet), la neutralité du Net, le droit à l'oubli ? Quelles sont les conditions à créer, en termes de culture informatique commune, pour que puisse réellement s'exercer une citoyenneté active sur ces sujets ? Quelles représentations mentales sont-elles nécessaires ?

   D'évidence pas celles, très insuffisantes, qu'ont des élèves qui n'ont jamais eu d'autre éducation à l'informatique que celle de l'usage de la bureautique. Ces questions, l'enseignant d'Informatique et Sciences du numérique peut les aborder dans le cadre de sa pratique pédagogique. Lorsqu'il introduit certaines notions, il peut s'appuyer sur ces enjeux de société.

   Quand il aborde la question des réseaux informatiques, il peut parler du Net et de la durée de vie des données ainsi mises en ligne. Quand il traite de code source, il peut évoquer les problèmes des licences, de partage de la valeur et donc de l'Hadopi, etc. Si l'EPI soutient les logiciels libres, c'est aussi parce que le Libre est à la fois une réponse concrète à des problèmes informatiques et un outil conceptuel pour penser les problématiques de l'immatériel.

   Les licences GPL (General Public Licence) ou Creative Commons (CC) sont pour une part transposables à d'autres domaines comme le vivant. La meilleure façon de comprendre ces nouveaux enjeux c'est de les voir par le biais de la discipline scientifique et technique qui les fonde. Et c'est à nouveau un argument en faveur d'un réel enseignement de l'informatique au sein de l'Éducation nationale !

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

Interview réalisée par Luc Derriano pour Weka, « L'information professionnelle des décideurs publics », le 7 novembre 2011.
http://www.weka.fr/actualite/education-thematique_7847/au-bout-de-dix-ans-de-pratique-du-b2i-nous-constatons-un-echec-article_66593/

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Association EPI
Janvier 2012

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