La correspondance scolaire remonte à la « nuit des temps » de la pédagogie. La télématique puis Internet ont donné une nouvelle jeunesse à la démarche de Célestin Freinet. Des conseils pratiques issus de l'expérience au service des « e-jumelages ».

L'expérience des « e-jumelages »

Georges Gay
 

   Après quelques expériences d'échanges épistolaires, de visioconférences (en Europe) et d'échanges physiques entre classes (en Europe), après l'expérience « Graines de multimédia » qui a regroupé 18 écoles de France (1 800 élèves) représentatives du tissu social du bas au haut de l'échelle (de la ZEP à Neuilly), j'ai décidé de m'intéresser de près à l'expérience de « e-jumelages » promus par l'association Apreli@, Association pour la Promotion des Ressources Éducatives Libres @fricaines, dans son projet de relations avec l'Afrique.

   En effet je me suis rendu compte :

  • que les échanges épistolaires restaient très souvent improductifs et que leur durée de vie, pour plusieurs raisons, était courte. Ils étaient le projet d'un moment et à ce titre ne procuraient que peu de mutualisation, les écrits produits étant figés ;

  • que la visioconférence produisait un effet magique dans un premier temps mais demandait un investissement en temps, incompatible souvent avec le temps de classe. De plus venait se greffer le problème matériel (difficulté de compatibilité des visios) et financier (coûts élevés des matériels pour des budgets restreints) ;

  • que les échanges physiques demandaient un investissement en temps et financier de plus en plus lourds (deux ans de préparation pour une semaine ou au mieux 15 jours d'échanges !) ;

  • que les échanges groupés, la formule la plus positive pédagogiquement parlant, types « Graine de multimédia », nécessitaient des parrains puissants et prêts à s'investir financièrement.

   Pour toutes ces raisons évoquées au-dessus auxquelles j'ajouterais des raisons personnelles, je pense que le futur projet de « e-jumelages » produira pédagogiquement et socialement des effets beaucoup plus bénéfiques, non parce qu'il est nouveau mais parce qu'il profitera des erreurs du passé. De plus ce projet est animé d'objectifs très différents et est porté par l'idée que nous n'avons pas le droit de nous tromper, l'enjeu étant trop important : l'Éducation en Afrique.

   Pour ce faire, les objectifs de départ sont clairement annoncés déjà dans les types d'échanges.

   Ils seront de trois types :
- entre directeurs,
- entre enseignants,
- entre élèves.

Le volontariat

   Ils se font sur la base du volontariat et sans contraintes de contenu. La seule contrainte sera de rester acteur et actif tout au long des différentes étapes de ces échanges. Pour cela le contenu restera l'environnement immédiat de chacun des partenaires qui évoluera au fur et à mesure des échanges, en allant du plus près au plus loin et inversement. On ne parlera que de choses que l'on connaît ou que l'on vit et des choses que l'on ressent afin de faire comprendre à « l'autre » ce qui nous entoure et de quelle façon on interagit avec cet environnement qui nous est familier.

   De cette façon l'intérêt de comprendre l'autre sera la raison principale pour se donner à fond dans cet échange d'un autre type, les acquis en terme de compétences se faisant de soi parce que l'on en aura besoin pour communiquer (grande motivation).

   Ce projet n'aura pas :

  • de contraintes de temps puisqu'il pourra durer un mois, un an ou plusieurs années, si on le souhaite ;
  • de contraintes financières, puisqu'il n'a pas ou peu de coût, étant basé sur l'échange par courriel ;
  • de contraintes en terme de savoirs ou de langue puisqu'il pourra être basé aussi sur l'image numérique, la banque d'images à disposition étant infinie ;
  • de contraintes en terme de timing, le courriel étant très rapide.

   Afin de mieux comprendre ce type d'échange basé sur l'horizontalité et le mutualisme, je vais éclairer mes propos par des fiches pédagogiques de synthèse qui fonctionnent déjà, à l'heure où je vous parle.

1) De directeur (trice) à directeur (trice)

  • un premier courriel de présentation rapide qui annonce mon intérêt à participer à cet échange avec une réponse du même gabarit + photo si besoin ;

  • un courriel plus précis et administratif qui décrit l'école avec une réponse du même gabarit (bâtiment, personnel, nombre d'élèves, d'enseignants...) ;

  • un autre courriel qui s'éloigne de l'école pour connaître son environnement immédiat et une réponse du même gabarit.

   Jusque là rien de « follichon » et de nouveau mais déjà deux responsables administratifs et pédagogiques ont pris contact sur un sujet qu'ils sont censés bien connaître : leur école.

  • le courriel suivant sera forcément plus personnalisé puisqu'il s'agira de fonctionnement et donc de la façon dont « je » gère mon école, humainement parlant (équipe pédagogique, individualité etc.) et donc sa réponse aussi personnalisée

  • le courriel d'après deviendra plus précis car on rentrera dans les détails de gestion administrative ainsi que des outils employés pour cela et donc une réponse sur le même registre.

   Jusque là rien de sensationnel car il s'agit d'échanges très professionnels qui deviendraient pesants s'ils restaient sans suite et pourtant on s'aperçoit déjà que la richesse se trouve dans la différence, dans le manque ou dans le trop !

  • tous les courriels suivants seront plus intéressants car chacun va faire un pas vers l'autre dans cette relation duelle, pleine de découvertes, afin d'apporter sa contribution à l'échange que ce soit de façon matérielle (logiciel, méthode etc.) ou humaine (travail en équipe, organisation des temps libres ou contraints, responsabilités...)

   Et là tout devient différent parce que l'on oublie que l'on est un directeur d'école et on a envie de savoir non seulement comment travaille « l'autre » mais aussi comment il interagit vis-à-vis de ce travail. Dans cet environnement différent du mien, qu'est ce que cela change-t-il ? Ce projet basé sur un banal échange épistolaire va devenir le point de départ d'une relation humaine forte avec ou sans suite mais aura montré la force de la relation horizontale, basée sur l'écoute et le respect de l'autre, ce que nous n'avons pas suffisamment l'habitude de faire depuis quelques décennies, notre nombrilisme aidant.

2) D'enseignant(e) à enseignant(e)

  • les trois premiers courriels sont informels et ressemblent à ceux du directeur excepté que les enseignants voient l'école où ils enseignent par l'autre côté de la lorgnette et la réponse sera identique. Ils sont au plus près du terrain et ne sont pas concernés par ce qui est administratif ;

  • les deux ou trois courriels suivants seront réservés à la façon d'enseigner ainsi qu'aux programmes en vigueur ;

  • le quatrième courriel sera plus personnalisé et mettra en scène l'approche de l'enfant en tant que tel ;

  • les courriels suivants seront plus précis et dissèqueront les matières enseignées ainsi que l'interdisciplinarité et la transdisciplinarité nécessaire à une pédagogie différenciée de qualité.

3) D'élèves à élèves

  • le schéma suivant pourra être étudié, repris et remis aux goûts du jour selon les élèves pour garder une motivation intacte et un projet de « e-jumelage » actif. Il est issu du travail de plusieurs partenaires en e-twinning au niveau national et relate bien les composantes d'un bon départ pour le « e-jumelage ».

   La motivation des élèves est soutenue principalement par quatre types de relation de coopération entre les deux classes :

  • la recherche et le choix des données sur son propre environnement pour les envoyer aux partenaires et leur permettre de travailler ;

  • la nécessité de recevoir les données sur l'environnement des partenaires : attente des éléments qui vont leur permettre de découvrir, de connaître, de comprendre cet environnement ;

  • la tâche de réaliser des « guides personnalisés », c'est-à-dire mettre en forme pour « traduire », « transcrire », « interpréter », « composer » de manière concrète et créative ces découvertes, connaissances et compréhensions de l'environnement des autres ;

  • l'attente des réalisations finales, la curiosité de « voir » comment les autres ont composé leur vision de notre environnement à partir des données que nous leur avons envoyées.

   La durée du projet est définie par les objectifs du projet, les supports numériques choisis, l'intégration du projet dans le programme scolaire, etc. Ce peut être un projet très court (un mois, un trimestre) ou très ample (toute une année scolaire).

   Il reste bien évident que l'aboutissement pourrait être un échange physique, mais au départ ce n'est pas l'objectif premier.

Georges Gay
Secrétaire général de l'association Apréli@
Association pour la Promotion des Ressources Éducatives Libres @fricaines
http://www.aprelia.org/

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Association EPI
Mars 2010

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