Vous avez dit « maîtrise raisonnée » des TIC ?

Réflexions à la lecture de l'article
 « Internet et ses pratiques juvéniles »
 

   Sans un minimum de connaissances en Physique que peut-on comprendre de la radioactivité ou des satellites « stationnaires » ? Sans un minimum de connaissances en Biologie que peut-on comprendre des OGM ou des cellules souches ?

   Peut-on donner aux élèves une connaissance suffisante des notions et concepts de l'informatique sans qu'ils aient à attendre les études universitaires que tous n'atteindront pas ?

   En conclusion de l'éditorial du numéro 68 de Médialog, Maurice Nivat et Jean-Pierre Archambault écrivaient « un chantier institutionnel majeur s'ouvre qui vise l'acquisition par les lycéens des fondements de la science informatique au service de leur compréhension et de leur action dans la société numérique »**.

   Il semble effectivement que ce ne soit pas un luxe.

   Dans un article récent (Médialog n° 69 de mars 2009) Cédric Fluckiger, se référant à une enquête menée dans un collège de la région parisienne, écrit que la facilité apparente avec laquelle les adolescents manipulent leur messagerie instantanée ou les blogs ne doit pas faire illusion. « Cette dextérité se double fréquemment d'une faible autonomie, d'un manque de conceptualisation et de compréhension des mécanismes informatiques. » Chacun devrait savoir que la simple utilisation d'un outil ne suffit pas à le maîtriser.

   Certes les adolescents ont acquis des compétences réelles (que souvent les adultes n'ont pas) mais elles restent limitées aux usages pragmatiques quotidiens qui concernent peu l'institution scolaire. Ils ont appris sur le tas à utiliser Internet, toutefois dès que les démarches deviennent plus complexes (c'est le cas dans les pratiques disciplinaires) peu d'entre eux sont capables de faire face et beaucoup se découragent par manque de ressources cognitives et culturelles.

   Faute de s'investir efficacement dans la prise en charge des connaissances indispensables, l'institution scolaire doit « faire avec » ces compétences très superficielles acquises hors de ses murs.

   Malheureusement, elles ne répondent pas – l'expérience des enseignants de terrain le démontre au quotidien – aux objectifs déclarés du système éducatif : faire acquérir au plus grand nombre « une maîtrise raisonnée des technologies de l'information et de la communication ».

   Faut-il rappeler, n'en déplaise à certains, que l'École est le seul endroit où les élèves rencontrent la connaissance sous une forme structurée, organisée et progressive. C'est dans ce cadre que l'enseignant correctement formé devrait pouvoir apporter ce « plus » à une utilisation superficielle des TIC. C'est là que doit résider la « valeur ajoutée » de l'adulte possédant les connaissances, le recul et la culture nécessaires.

   Il ne s'agit pas pour l'École de faire des élèves de simples utilisateurs-consommateurs (le hors-école s'en charge suffisamment !). Il s'agit d'en faire des citoyens compétents, aux connaissances solides, capables de créer, d'innover, de faire face aux évolutions des matériels, des logiciels et des modes de pensée.

   Certains trouveront ces objectifs prétentieux et peu réalistes. Et pourtant, que fait-on dans les disciplines traditionnelles ? Se montre-t-on aussi critiques, voire ironiques, à l'examen des programmes officiels de ces disciplines ? Bon an, mal an, sortent de nos Lycées des jeunes qui s'orientent vers les carrières d'ingénieurs, de médecins, de techniciens... Si tout n'est pas parfait, si trop de jeunes sortent des enseignements scolaires mal ou peu formés, si l'influence du milieu socioculturel pèse trop fort, notre pays n'est plus au Moyen Age, et une politique plus ambitieuse et plus volontariste pourrait remédier aux lacunes du système.

   Malheureusement, dans le domaine de l'informatique et des TIC, le système éducatif n'est pas à la hauteur. Faut-il le répéter encore ? L'approche exclusive par les disciplines traditionnelles est à la fois insuffisante dans la pratique et, sur le fond, peu satisfaisante pour des raisons déjà largement développées.

   Dans une récente interview au Monde Éducation***, Gérard Berry, membre de l'Académie des sciences, déclare « Dans les établissements scolaires, on a fait le choix d'enseigner les usages. C'est très insuffisant ».

   Il est d'ailleurs intéressant de noter que, quand on prend le temps d'interroger les élèves, on constate que les plus lucides et les plus motivés d'entre eux demandent une formation plus exigeante dans le cadre de l'École. Ils savent parfaitement que leur pratique quotidienne n'a rien à voir avec la fameuse « maîtrise » de l'outil chère aux déclarations officielles. Il serait peut-être temps de les entendre.

Mai 2009

Jacques Baudé

NOTES

  * Internet et ses pratiques juvéniles, Cédric Fluckiger, Médialog n° 69, mars 2009.
http://medialog.ac-creteil.fr/medialog69.
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE69/juvenile69.pdf.

 ** L'acquisition par les lycéens des fondements de la science informatique..., Maurice Nivat et Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 68, décembre 2008.
http://medialog.ac-creteil.fr/medialog68.
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE68/edito68.pdf.

*** Gérard Berry : « L'informatique est une science », de Christian Bonrepaux dans le Cahier Éducation du Monde daté du 16 avril 2009. Également en ligne sur :
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/04/15/ gerard-berry-l-informatique-est-une-science_1181041_3224.html.

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Mai 2009

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