TICE, géographie, classes préparatoires et université :
le laboratoire d'informatique dédié à la géographie,
lycée Henri IV / Université Paris 1

François Louveaux, Antonine Ribardière
 

   Près de 20 000 étudiants reçoivent en classes préparatoires un enseignement de géographie. Pour les 9/10 d'entre eux, cet enseignement est conçu comme un élément de formation générale initiale, un moyen privilégié pour approcher les thématiques et au-delà les outils, démarches et concepts des sciences humaines et sociales. Dans les concours, l'évaluation se fait, comme pour toutes les disciplines générales, à travers une dissertation : il s'agit de tester l'aptitude à synthétiser, hiérarchiser, exposer, à faire une analyse comparée et souvent contradictoire, à argumenter, tenter de démontrer en sachant faire la part des connaissances et celle des convictions. On pourrait imaginer d'autres supports pour tester ces qualités, par exemple l'étude de dossiers documentaires, mais il y a une réelle cohérence entre les objectifs et l'exercice.

   Pour 10 % des étudiants, ceux qui, dans les classes littéraires, se destinent a priori à poursuivre des études en histoire et /ou géographie à l'université et/ou dans les Écoles normales supérieures, un enseignement dit de « spécialité » ou « d'option » selon les habitudes s'ajoute à cette géographie discipline de formation générale. On y prépare un commentaire de document, de façon quasi unique le commentaire d'une carte topographique française – au 1/50 000 ou au 1/25 000 – accompagnée ou non de documents annexes (photographies, statistiques, texte littéraire ou scientifique). C'est l'exercice canonique, l'épreuve longtemps reine des CAPES et Agrégations, le passage obligé des étudiants d'histoire et géographie depuis la première année de licence. Cet exercice est en fort recul dans les universités puis les concours de recrutement. Au-delà de son indéniable valeur formatrice – apprendre à « lire » des paysages et des organisations, là encore à synthétiser, hiérarchiser, dégager ce qui relève de types généraux et ce qui est original – l'exercice a montré ses limites. L'étude de ce document suppose une bonne familiarité avec la géographie de la France, de moins en moins acquise. Bien des composantes majeures de l'organisation d'un espace ne sont pas visibles sur une carte topographique, par exemple mais pas seulement économies, acteurs, poids des politiques – et bien des phénomènes majeurs se jouent à d'autres échelles que celle de la carte. Plus encore, les objets étudiés en géographie se sont multipliés – nouvelles images, nouvelles sources – les champs s'étendent, loin du seul espace national. Plus significativement encore, les compétences des géographes se sont élargies aux outils informatiques et les géographes trouvent un écho auprès des autres chercheurs lorsqu'ils démontrent leur aptitude à manier des outils de traitement de l'information de plus en plus puissants, et particulièrement les SIG (Système d'Information Géographique). C'est grâce à ces compétences aussi que bon nombre trouvent des emplois dans l'aménagement, l'urbanisme, l'environnement, auprès des collectivités territoriales – le plus souvent en ayant reçu une formation complémentaire, organisée dans les masters de géographie.

   La géographie enseignée en classes préparatoire se trouve alors très éloignée de ces nouveaux champs, de ces nouveaux outils. Cela constitue un handicap immédiat pour les étudiants des CPGE qui poursuivent leurs études à l'université et ne savent pas manier des outils indispensables, particulièrement pour ceux qui, après trois années de CPGE, sont admis en Master 1. Plus encore, électronique et informatique ne sont pas seulement des « outils » au service d'une géographie qui resterait « classique », ils permettent de construire des savoirs géographiques nouveaux, de créer des connaissances. Leur apprentissage en classe préparatoire nous semble alors doublement impératif, à la fois comme outil d'analyse, de connaissance et comme outil de communication.

La création du laboratoire d'informatique dédié à la géographie et la convention entre Paris 1 et Henri IV

   Ce laboratoire est né d'un double constat, d'une double convergence entre universitaires et enseignants de classes préparatoires. Les universitaires s'inquiètent de lacunes préoccupantes pour des étudiants qui entrent en master : ils ne savent pas manier et même ne connaissent pas les outils informatiques indispensables à leur cursus supérieur. Les professeurs de CPGE regrettent de ne pouvoir consacrer du temps à la maîtrise critique de moyens informatiques aussi puissants et attractifs que potentiellement trompeurs ; ils déplorent aussi une certaine réticence affichée des « littéraires » face aux machines, à la fois comme sources d'informations et outils de présentation. Enfin, la refondation des classes préparatoires littéraires, mise en place à partir de 2007, prévoit que ces classes doivent aussi initier à la recherche et favoriser le travail autonome des étudiants. De fortes convergences donc, la proximité géographique entre le lycée Henri IV et l'Institut de géographie, mais surtout une rapide connivence entre les enseignants conduisent à la signature d'une convention entre le lycée et l'université Paris 1 en avril 2006. La disposition principale prévoit que des enseignants chercheurs viendront au lycée pour assurer une formation aux outils informatiques en géographie (statistique, cartographie, Systèmes d'Information Géographique) dans un laboratoire d'informatique dédié à la géographie – et on l'espère à l'histoire. Que l'on nous permette de remercier M. Pierre-Yves Hénin, Président de l'Université Paris 1, MM. Pierre Beckouche puis Laurent Simon, directeurs de l'UFR de géographie, M. Patrice Corre, proviseur du lycée Henri IV, les collègues de l'université et du lycée, mais aussi la Région Ile-de-France qui a assuré l'équipement informatique du laboratoire – 10 postes et les logiciels.

Les trois séances de quatre heures de formation

   Assuré par des enseignants chercheurs – maîtres de conférences – ou des doctorants de Paris 1, l'enseignement se compose de trois séances de quatre heures : utilisation des outils statistiques / cartographie thématique / présentation des SIG. Ces séances sont conçues comme des TP : les étudiants font des exercices pratiques, sous la direction des enseignants, à partir d'un livret qui décrit les étapes de la manipulation et donne les références théoriques.

   Il a une double finalité. D'abord préparer de futurs étudiant de Master – Normaliens ou non – à la maîtrise d'outils indispensables à la construction d'un savoir, à une démarche de recherche. Avec seulement trois séances, il s'agit moins de donner des compétences que de faire connaître, comprendre, désinhiber et fournir les bases indispensables. Ensuite familiariser des étudiants littéraires à des outils de recherche indispensables et à un usage raisonné, maîtrisé de ces ressources. La production de données, puis de savoirs est au coeur de la démarche.

   Concrètement, cet enseignement vise d'abord à permettre aux étudiants d'accéder à une information géographique numérique, ensuite à savoir la traiter, c'est-à-dire en comprendre la construction et la croiser avec d'autres données.

   L'information géographique est devenue, pour une bonne part, numérique, qu'il s'agisse des sources statistiques, des images satellites, des photographies aériennes. La carte topographique elle-même est aujourd'hui diffusée par l'IGN et se trouve exploitée en format numérique. Bien sûr, il existe d'autres sources en géographie et elles continuent à tenir toute leur place : les observations terrains, les entretiens, le travail bibliographique. Toutefois, la prise en compte des ressources numériques apparaît incontournable. Accéder à cette information nécessite de maîtriser un certain nombre d'outils, en l'occurrence des logiciels permettant de lire ces informations. Il s'agit d'outils relativement banals, comme un tableur Excel, ou de logiciels plus spécialisés – les systèmes d'information géographique (SIG). Au cours de cette première expérience de recherche que constitue le mémoire de Master 1, les étudiants seront effectivement confrontés au recueil, au traitement et à la représentation d'informations géographiques nécessaires pour traiter une problématique spécifique.

   La carte constitue certainement le mode de traitement et de représentation privilégié du géographe. Apprendre à construire une carte nécessite de maîtriser les bases de la sémiologie graphique et des traitements statistiques, mais également d'avoir une pleine conscience des manipulations de l'information effectuées et des biais éventuels. Derrière l'évidence et la force du message visuel, sont masqués les choix effectués par le géographe, dans les phases de traitement de l'information et de représentation des résultats. Ces choix sont illustrés à partir d'un exemple simple, celui de la part des moins de 25 ans dans la commune de Montreuil. On montre comment l'appréciation du cas de Montreuil varie suivant l'ensemble de référence retenu, l'échelon géographique d'observation ou encore la méthode de discrétisation adoptée.

Planche 1. L'espace de référence.
Planche 1

Planche 2. L'échelon d'observation.
Planche 2

Planche 3. La discrédisation des données.
Planche 3

   Ainsi, la part des moins de 25 ans à Montreuil apparaît relativement modeste lorsqu'elle est appréciée relativement aux autres communes du département de la Seine-Saint-Denis ; elle apparaît plus conséquente au regard d'un voisinage qui intègre les arrondissements parisiens ; elle semble à nouveau banale dans le contexte régional, qui intègre alors les communes périurbaines de la grande couronne (planche 1). Les effets du changement d'échelon d'observation peuvent ensuite être soulignés : plus la maille d'observation s'affine, plus l'hétérogénéité des valeurs augmente, comme on peut le lire dans les bornes des classes de la planche 2. Enfin, les effets de la mise en classe – discrétisation – apparaissent à la comparaison des cartes de la planche 3 : suivant le choix des bornes, Montreuil apparaît tantôt dans une position moyenne, (première carte), tantôt parmi les communes les moins jeunes, cette caractéristique étant davantage soulignée dans la dernière carte puisqu'elle concerne un petit nombre d'éléments.

   Les outils informatiques facilitent grandement le traitement et le croisement des différents types d'information. Les géographes disposent désormais d'un outil exceptionnellement puissant les SIG. Les SIG sont des logiciels qui permettent de stocker, de traiter et de représenter différents types d'information géographique, autrement dit d'information localisée : un tableau de donnée, un fond de carte, une image satellite... On peut ainsi superposer des couches différentes d'information sur un même espace, les cartographier et faire apparaître des combinaisons significatives, parfois non soupçonnées, produire de nouvelles données – puis des savoirs. La puissance des possibilités de traitement concède à ces logiciels une dimension opérationnelle indéniable. On prend l'exemple d'une question d'aménagement urbain, à savoir des possibilités de densification d'un certain nombre de pôles franciliens. On montre aussi, au passage, que la puissance de l'outil ne suffit pas : il est hors de question de traiter toutes les combinaisons possibles de variables, le choix des méthodes est du ressort d'une expertise préalable ; l'interprétation des cartes, des résultats, suppose là encore une analyse géographique, au-delà de l'apparente « simplicité et immédiateté » de la carte : autrement dit un travail de géographe, une compétence de plus en plus reconnue et appréciée.

En guise de premier bilan

   La troisième « promotion » a terminé sa formation en juin 2008 ; en trois ans, quarante-cinq étudiantes et étudiants ont donc suivi cette formation, ce qui autorise un premier bilan, partiel.

   La maîtrise des outils et des méthodes présente quatre intérêts majeurs. Un intérêt pédagogique d'abord : il s'agit de faire prendre conscience aux étudiants des inévitables écarts entre les formes spatiales qui intéressent le géographe et la carte, c'est à dire le support qui permet de prendre connaissance de ces formes. Il n'existe pas une, mais plusieurs bonnes cartes d'un même phénomène – sans parler des mauvaises... Le choix des cartes est un acte majeur, à la fois la fin d'un processus, celui du choix raisonné, et le début d'une analyse qui prend appui sur ces cartes. L'intérêt est aussi technique, il tient à la rapidité des traitements effectués au moyen des tableurs ou des logiciels de cartographie automatique. Maîtriser les outils de la géographie présente également des intérêts heuristiques indéniables, dans la possibilité de confronter plusieurs représentations, d'explorer l'information voire de produire de nouvelles informations, par des traitements plus ou moins complexes. Enfin l'intérêt est, à terme, professionnel car la maîtrise de ces outils complexes, la possibilité de produire des supports de communication efficace – en particulier les cartes – articulée avec la culture et la formation qui permettent d'interpréter les résultats sont des atouts pour les géographes dans bien des branches professionnelles – aménagement, urbanisme, environnement, gestion des territoires...

   Les avis des étudiants sont très positifs : la formation leur a semblé riche et intéressante, au point même que certains se sont orientés vers des masters spécialisés, qu'ils ont parfois réalisé des travaux de haute technicité comme la mise au point de données statistiques et de cartes, loin des savoir-faire enseignés usuellement en classes préparatoires. Cet enseignement s'inscrit bien dans l'obligation nouvelle qui est faite aux CPGE de proposer une initiation à la recherche. Enfin, si l'appel à des enseignants-chercheurs répond à un souci d'excellence et d'efficacité, il révèle d'autres vertus. En marge des séances, les étudiants ont des échanges très libres avec de jeunes enseignants-chercheurs. Ils découvrent ainsi un monde universitaire qu'ils ignorent et souvent redoutent, la somme d'initiatives mais aussi de hasards parfois qui fait un parcours réussi, alors qu'eux-mêmes croient trop souvent qu'il y a des voies toutes faites et des parcours tracés d'avance... Au-delà des outils et des connaissances, cette expérience contribue aussi à faire tomber des barrières, à décloisonner, à ouvrir des pistes.

François Louveaux,
Lycée Henri IV

Antonine Ribardière,
Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne,
UMR Prodig.

Le présent texte correspond à l'intervention de M. Louveaux et Mme Ribardière à la session 4 « Les TICE : un outil efficace pour l'enseignement des disciplines littéraires » du colloque international ePrep 2008.
http://www.eprep.org/colloques/colloque08/colloque08.php.

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Association EPI
Novembre 2008

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