Une clé USB pour des enseignants nomades Jean-Pierre Archambault Une des particularités d'un enseignant est d'avoir de multiples lieux de travail : ses salles de cours, la salle des professeurs, son domicile... La Clé en main (voir l'encart) proposée par le CRDP de Paris et la société Mostick, clé USB fonctionnant en toute autonomie sur n'importe quel PC (avec les versions les plus courantes de Windows), lui permet de retrouver partout son environnement de travail. En attendant le développement des ENT (environnements numériques de travail)... Les clés USB destinées aux enseignants ont actuellement le vent en poupe. Pour preuve, le 14 septembre dernier, lors d'une visite sur le site du Futuroscope, Gilles de Robien a donné les axes de sa politique de promotion des TIC pour l'éducation : développer les espaces numériques de travail (ENT), encourager l'utilisation des TICE pour l'accompagnement scolaire et mettre à la disposition de chaque enseignant qui sort d'IUFM une clé USB comprenant « l'essentiel des ressources pédagogiques disponibles ». Chaque professeur néo-titulaire se verra donc doté d'une clé contenant des « productions numériques validées au plan national » ainsi que des ressources académiques. Les enseignants pourront s'en servir pour « télécharger des contenus susceptibles d'illustrer leurs cours » disponibles notamment sur le Canal numérique des savoirs (CNS) et le Kiosque numérique de l'éducation (KNE). Le ministre de l'Éducation nationale a indiqué que « la première phase de cette opération se déroulerait au cours du premier trimestre de l'année scolaire 2006-2007, en commençant par les professeurs du secondaire des disciplines de physique-chimie, sciences de la vie et de la Terre, histoire-géographie ». Il a souhaité que « le CNDP se mobilise afin de donner aux enseignants une base de données la plus riche possible, renouvelée en permanence » [1]. Tout son environnement de travail sur une clé En mai 2006, le CRDP de Paris a coédité Clé en main [2], avec la société Mostick. Ce produit est en phase avec la volonté ministérielle de faciliter la mise à disposition des enseignants de contenus numériques. Le CRDP est parti de l'idée selon laquelle ceux-ci sont des « nomades » qui travaillent à la fois dans leur établissement (en salle des professeurs, dans une salle spécialisée, dans une salle banalisée voire, pour certains, en se déplaçant d'une salle de classe à l'autre) et à leur domicile. Il a donc conçu une clé USB 512 Mo, qui comprend des logiciels libres et des ressources pédagogiques, et qui permet de retrouver son environnement informatique personnel de travail (logiciels, documents et messages) sur tout ordinateur équipé de l'une des versions les plus courantes de Windows. Ne nécessitant ni installation ni décompression préalables, la clé fonctionne en toute autonomie, ne « touchant » aucunement le disque dur de la machine qui l'héberge temporairement. Le choix de logiciels libres, sous licence GPL, est de fait une condition de réussite de l'opération. Pour une somme de 35 euros (prix actuel), les enseignants disposent d'un ensemble d'outils d'une grande souplesse d'utilisation et parfaitement adapté à leur « nomadisme ». Chaque possesseur de Clé en main peut modifier son environnement et les logiciels embarqués. Il peut en ajouter d'autres et, bien entendu, copier et diffuser les logiciels dans un cadre privé ou scolaire. Les normes et standards internationaux sont respectés, offrant ainsi une compatibilité totale avec les formats de fichiers ouverts. Clé en main s'inscrit dans la politique éditoriale du CRDP de Paris faite de partenariats diversifiés, de coéditions public-privé, notamment sur le libre. Ainsi a-t-il déjà coédité avec le CRDP de Versailles, en partenariat avec Apple, un cédérom multiplateforme, Des logiciels libres pour l'école du cycle 1 au cycle 3, proposant des scénarios pédagogiques d'utilisation [3]. Il a également coédité avec l'association Sésamath et l'éditeur Génération 5, les Cahiers Mathenpoche des classes de sixième et de cinquième [4]. Toutes ces ressources, commercialisées à des prix raisonnables, sont également accessibles gratuitement sur Internet. La complémentarité entre le « en ligne » et le « hors ligne » jouera aussi avec une cyber-boutique permettant à la fois de faire des commandes et de procéder à la mise à jour des logiciels et au téléchargement de nouveaux produits [5]. Ces coéditions associent très étroitement, et en nombre, les enseignants dans des démarches coopératives et mutualisées. Ainsi, les fiches pédagogiques du cédérom mentionné ci-dessus ont-elles été élaborées par des enseignants d'une circonscription primaire à l'occasion d'animations-formations (circonscription de Saint-Avold Sud en Moselle). De même, les productions de Sésamath sont le fruit du travail de dizaines d'enseignants à la fois auteurs et utilisateurs. Ces pratiques s'apparentent très fortement à celles des développeurs de logiciels libres. Clé en main s'inscrit également dans le contexte général du libre éducatif. Le CRDP de Paris est l'un des dix-neuf CRDP du pôle de compétences logiciels libres du SCÉRÉN. Ce pôle développe son action dans le contexte institutionnel défini, en octobre 1998, dans un accord-cadre signé entre le ministère de l'Éducation nationale et l'AFUL (Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) et régulièrement reconduit depuis. Cet accord indique, en substance, qu'il y a pour les établissements scolaires, du côté des logiciels libres, des solutions alternatives de qualité, et à moindre coût, dans une perspective de pluralisme technologique. Le pôle mène une action d'information de la communauté éducative, portant sur les logiciels et les ressources libres, afin d'aider les uns et les autres à faire leurs choix. Il fédère les initiatives, les compétences et les énergies, ce qui l'amène à coopérer avec de nombreux acteurs, institutionnels ou partenaires de l'Éducation nationale (collectivités locales, entreprises, associations...). Il coordonne des actions de conseil, d'aide, d'expertise, de réalisation, d'édition et d'accompagnement [6]. Clé en main, produit de la coopération de multiples acteurs mettant leurs compétences en synergie, répond à ces missions. Utilisée par des enseignants, elle « informe » sur les potentialités du libre, notamment aux plans pédagogique et juridique. En attendant les environnements numériques de travail Les Environnements numériques de travail, les ENT [7], constituent un important chantier ministériel, dont les premières mises en oeuvre datent de 2003-2004. Ils visent à ce que l'ensemble des acteurs du système éducatif retrouvent leur environnement de travail indépendamment du temps et de l'espace et coopèrent les uns avec les autres. Si, pour une (petite) part, Clé en main relève de la même démarche, mais en se cantonnant à l'environnement des individus pris séparément, les problèmes posés par le déploiement des ENT et les échelles de grandeur sont sans commune mesure. Ils peuvent se définir comme le prolongement sur les réseaux de la communauté éducative. Les enseignants et les élèves y côtoient l'ensemble des acteurs du monde de l'École, personnes et organisations, internes à l'Éducation nationale ou externes, comme les collectivités territoriales par exemple. Ils y disposent de services de base (outils bureautiques, éditeurs de pages web, logiciel de courrier électronique...) ainsi que de logiciels pédagogiques ou de vie scolaire. Ils y ont des espaces de travail, des ressources éducatives. Ils y sont identifiés et authentifiés. Dans ces espaces électroniques, les individus ont des rôles et des profils distincts, selon qu'ils sont enseignants, élèves ou parents... Ils y sont membres de communautés diverses, institutionnelles ou non, formelles ou informelles, reconnues par l'institution et/ou leurs pairs ou en voie de l'être : l'établissement scolaire, la circonscription primaire, la discipline enseignée, l'association de spécialistes, le mouvement pédagogique... Les enseignants doivent pouvoir communiquer entre eux, d'une académie à l'autre, d'une ville à l'autre, quels que soient les choix informatiques opérés (matériel et logiciel). Les ENT doivent donc constituer un vaste espace dont les maîtres mots sont interopérabilité, compatibilité des documents, standards ouverts, à la manière d'Internet avec son format de documents HTML et ses protocoles de communication HTTP et TCP/IP. « Mots » incontournables sans lesquels on ne peut pas espérer un déploiement cohérent des ordinateurs, et le développement de leurs usages. La perspective est, qu'à terme, tous les élèves, tous les enseignants, en classe et à domicile, utilisent l'ordinateur comme ils se servent de leur stylo ou d'un tableau noir, quand ils en ont besoin, avec la même facilité d'accès. L'objectif est d'aboutir à cette situation d'usage généralisé qui concerne plus de dix millions de personnes, davantage encore si l'on inclut les parents d'élèves et tous les partenaires et acteurs de l'École. Si l'objectif est donc des ENT pour tous, il est évident qu'il ne sera pas atteint en un jour, car on est face à un processus extrêmement complexe de déploiement massif. Comment passer d'un état du parc informatique à un moment donné à un état ultérieur, l'existant continuant à fonctionner, à se développer mais devant le faire en convergeant vers une situation d'interopérabilité alors que les conditions n'en sont pas encore créées ? Par quel bout commencer ? Un socle industriel est incontournable pour asseoir les choses (annuaires, contrôle d'accès et identification, gestion des rôles et des profils, sécurité, messagerie...). Un ENT « personnel » Dans une phase de transition, avant la généralisation des ENT, des outils comme Clé en main ont toute leur place. Ils constituent de modestes mais utiles « ENT personnels ». Si la première version de Clé en main s'adresse clairement aux enseignants, il est évident que le concept vaut également pour les élèves, eux aussi des nomades ! Des Clés en main dédiées aux élèves sont de nature à intéresser les collectivités territoriales, pour des opérations de dotation des élèves analogues à celles qui ont consisté en la mise à disposition d'ordinateurs portables. Les deux approches ne s'opposent pas, même si les clés ont l'avantage d'être nettement moins onéreuses que les ordinateurs. Comme le fait Clé en main, on peut concevoir la clé USB comme un équipement pédagogique, mais aussi comme un outil de régulation de la vie scolaire : clé (au sens propre du terme) d'identification sur un réseau d'établissement, permettant la gestion des droits et des accès à des services ainsi qu'à des applications, et donc clé entrouvrant la porte des espaces numériques de travail. En définitive, Clé en main se veut une contribution, parmi de multiples autres, au développement des usages des TICE dans le système éducatif, en facilitant l'utilisation des logiciels et l'accès aux ressources. Jean-Pierre Archambault Paru dans Médialog n° 60 de décembre 2006.
NOTES [1] Cyril Duchamp, Dépêche aef du jeudi 14 septembre 2006, http://www.educnet.education.fr/aef/articles/archhtml/A200609.htm#A68391. [2] On doit le concept à l'association Framasoft, http://www.framasoft.net. [3] Voir Médialog n° 54, http://www.ac-creteil.fr/medialog/ARCHIVE54/logiciels54.pdf et Macroscope sur le cédérom « Des logiciels libres pour l'école du cycle 1 au cycle 3... ». [4] http://manuel.sesamath.net/index.php?page=partenaires. [5] Le CRDP de Paris propose un service d'assistance (01 44 55 62 24 ou 62 64). [6] http://www.logiciels-libres-premierdegre-sceren.fr/. [7] http://www2.educnet.education.fr/sections/services/ent/scolaire/www.inrp.fr/vst/LettreVST/octobre2006.htm. ___________________ |
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