PLAIDOYER POUR UN ENSEIGNEMENT DES STIC
(Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication)
ET LA CRÉATION DE CONCOURS, AGRÉGATION PUIS CAPES, CORRESPONDANTS

Antoine Petit
Vice-Président de SPECIF
 

     Comme rappelé par le récent Comité interministériel sur la société de l'information du 10 juillet 2000, la réduction du fossé numérique constitue une des priorités du gouvernement. Tout naturellement, l'Éducation nationale va être amenée à jouer un rôle essentiel dans l'acquisition par le plus grand nombre d'une « culture STIC (Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication) ». À cet égard, beaucoup de mesures sont prévues qui permettront d'équiper la totalité des écoles, collèges et lycées mais aussi les cités universitaires en équipement informatique avec accès à internet. Tous ces dispositifs matériels sont bien entendu indispensables mais l'échec relatif d'actions antérieures (par exemple le plan « Informatique pour tous ») a montré qu'ils n'étaient pas suffisants. Une des forces reconnues du système éducatif français réside dans la qualité de ses enseignants et de ses enseignements. Comment le développement des STIC pourrait-il se faire sans enseignants et enseignements spécialisés, contrairement à toutes les autres disciplines.

     Certains objecteront que le rôle de l'école n'est pas de former des spécialistes des STIC et qu'aucun enseignement spécifique n'est donc nécessaire pour cette discipline essentiellement de service. Mais en est-il autrement de la plupart des autres matières. Les cours de français donnés aux collégiens et lycéens sont-ils inutiles dans la mesure où aucun d'entre eux, ou presque, ne deviendra écrivain ou journaliste. Au contraire, il est admis de tous que la connaissance des règles élémentaires de la lecture ou de la grammaire, acquises quasiment dès la fin de l'école primaire, ne sont nullement suffisantes pour maîtriser la langue, tant à l'écrit qu'à l'oral.

     De façon similaire, l'objectif d'un cours de STIC dès le collège ou le lycée ne sera ni de former des spécialistes ni de donner quelques règles de bureautique mais d'offrir au plus grand nombre une connaissance de base des fondements des STIC, comme c'est le cas actuellement pour les mathématiques, la physique ou la biologie. L'utilisation des différents outils informatiques, présents aussi bien dans les cours des autres disciplines que dans la vie courante, sera alors une des illustrations du cours de STIC et non son objet principal. Un cours de STIC formera des citoyens capables d'utiliser et d'exploiter ces outils de manière intelligente et critique, et ainsi de ne plus considérer les machines et outils informatiques comme une espèce de deus ex machina affublé de tous les pouvoirs (avec des conséquences absurdes symbolisées par le fameux « c'est la faute à l'informatique »).

     Un cours de STIC permettra ainsi de réduire la nouvelle fracture sociale entre ceux ayant la chance de pouvoir acquérir une véritable culture STIC en dehors du système scolaire et ceux qui n'en ont pas la possibilité.

     Bien entendu, il sera nécessaire de définir des programmes précis pour ces enseignements de STIC. Il n'est sans doute pas inutile de dénoncer, dans l'espoir de l'éradiquer définitivement, une idée encore trop répandue : il serait impossible d'écrire des programmes d'enseignement de STIC pour les lycées. La diminution régulière du prix des ordinateurs personnels et l'augmentation de leurs capacités de calcul ne changent nullement les fondements de la discipline et ne font au contraire qu'accroître la nécessité de maîtriser ces fondements. En fait, il n'est ni plus difficile ni plus facile d'écrire des programmes de STIC que des programmes d'une autre discipline. Il suffit pour s'en convaincre de regarder le programme de l'option Informatique des classes préparatoires scientifiques, évoquée ci-dessous, bâti sans difficulté particulière, ou bien d'aller consulter le site web de l'ACM (Association for Computing Machinery) [1] où plusieurs programmes très détaillés d'un niveau terminale scientifique sont proposés. Au sein même de l'Éducation nationale, un Groupe Technique Disciplinaire d'Informatique a déjà existé, avec la charge des programmes de l'ex-option Informatique des lycées.

     Le jour où la décision politique de créer des enseignements de STIC dans les lycées sera prise, des programmes seront constitués avec les mêmes procédures et écueils que dans les autres disciplines.

     Très sommairement, un tel programme devra comporter au moins des notions d'algorithmique et de programmation, d'architecture et de systèmes d'exploitation, de réseaux et de bases de données. Les applications devront bien entendu porter en priorité sur les outils principaux que sont le traitement de texte, le tableur, le courrier électronique, le Web et les banques d'informations.

     Par ailleurs, créer ex-nihilo un enseignement de STIC dans l'ensemble des lycées ou collèges peut sembler une tâche quasiment impossible en raison du nombre d'élèves concernés. Il peut être utile de s'inspirer de l'introduction de la discipline Informatique dans le paysage universitaire français pour envisager des solutions.

     Si les premières maîtrises d'Informatique datent du milieu des années 60, c'est vers la fin des années 70 et le début des années 80 qu'elles se sont développées en nombre significatif. Il a ensuite fallu attendre les années 90 pour que l'Informatique devienne une discipline obligatoire du Deug Sciences. Concernant les enseignements de Bac à Bac + 2, et en dehors des Deug évoqués ci-dessus et des IUT et BTS d'Informatique, une option Informatique a été créée en 1995 dans les classes préparatoires scientifiques de la filière MP, complétant ainsi la formation minimale à un langage de calcul formel proposée à tous.

     On constate ainsi qu'au fil des ans, les enseignements d'informatique sont « descendus » régulièrement : troisième, deuxième puis premier cycle universitaire. C'est donc tout naturellement que leur introduction en lycée s'impose maintenant.

     La seule solution pragmatique raisonnable est sans doute de suivre celle adoptée pour les classes préparatoires scientifiques et de commencer ainsi par créer une option STIC dans les classes de terminale scientifique. Cette option sera ouverte dans un premier temps dans un certain nombre de lycées puis généralisée à d'autres classes et à l'ensemble des lycées au fur et à mesure de l'arrivée de professeurs spécialisés.

     De même que les enseignements d'Informatique à l'Université s'appuient sur une communauté d'enseignants chercheurs bien définie [2], la création de tels cours de STIC en collège ou en lycée n'est pas envisageable sans la création de concours spécifiques, CAPES et Agrégation, permettant de recruter des professeurs spécialisés. En effet, le recours au volontariat de professeurs ayant fait l'effort de se former à une matière distincte de leur discipline d'origine, unique méthode employée jusqu'à maintenant pour assurer les enseignements d'Informatique dans le secondaire (que ce soit pour l'ex-option des lycées ou l'option des classes préparatoires scientifiques) a montré ses limites et n'est pas viable dans le cadre d'une politique ambitieuse de développement significatif des STIC.

     La création de tels concours de recrutement a été étudiée depuis plusieurs années, tant par SPECIF que par certains ministères eux-mêmes [3]. Une telle création serait accueillie très favorablement tant par les grandes universités scientifiques que par les Écoles Normales Supérieures, dont la plupart ouvriraient rapidement des préparations correspondantes. L'état des réflexions est suffisamment avancé pour que des projets de programmes de concours aient déjà été conçus, permettant une ouverture d'un premier concours dès la session de 2002, avec l'effet d'annonce que l'on imagine bien.

     Il est important de remarquer que déjà actuellement, alors qu'il n'existe quasiment pas d'enseignement de STIC en collège ou en lycée, l'absence d'une Agrégation de STIC se fait cruellement sentir.

     Par exemple, l'option Informatique des classes préparatoires scientifiques de la filière MP (cf. ci-dessus) fait l'objet d'épreuves affectées de coefficients significatifs dans les plus grands concours et la demande des écoles pour des élèves formés à cette option est grandissante. Elle ne peut néanmoins ni être développée dans davantage de classes de la filière MP, ni être offerte dans les filières PSI ou PC, faute de professeurs spécialisés en nombre suffisant. Un tel développement de cette option ne pourrait pourtant qu'encourager de plus en plus de vocations et ainsi indirectement aider à accroître le nombre de professionnels des technologies de l'information, réclamés dans le relevé de décisions prises par le Comité interministériel évoqué au début de ce texte.

     Par ailleurs, la demande de Prag qualifiés pour enseigner les STIC dans les premiers cycles universitaires, Deug ou IUT, est grandissante ; à titre d'exemple, près de la moitié des postes de Prag du mouvement 1999 affichaient un profil ayant un lien avec les STIC.

     Ainsi, les débouchés d'une Agrégation de STIC, avec un nombre de postes limité [4], existent déjà. Mais il va de soi que la création d'une telle Agrégation (puis d'un CAPES dès que les enseignements seront suffisamment généralisés) sera le levier essentiel pour introduire un véritable cursus STIC, tout d'abord sous forme d'option, dans les lycées. Les missions d'un professeur de STIC en lycée seront multiples, avant tout :

  • charge des enseignements de STIC du lycée dans les classes pré-bac, et éventuellement dans les classes préparatoires, mais aussi :

  • responsabilité et animation du laboratoire de STIC de l'établissement

  • animation ou plus simplement participation à certaines activités de réflexion pédagogique pluridisciplinaires visant à promouvoir l'utilisation des outils, des modèles et des méthodes informatiques dans diverses disciplines.

     Il est certain que la création d'un cours de STIC aura des conséquences sur les cursus des autres disciplines, en particulier en sciences dites « dures » qui devront nécessairement évoluer. De par la position privilégiée de sa discipline, le professeur de STIC aura un rôle clé pour le développement du travail en équipe au sein de l'établissement et la mise en place d'activités pluri-disciplinaires.

     Enfin, dans un premier temps, la création d'une Agrégation de STIC pourrait se faire sans difficulté majeure à coût constant. En effet, les postes libres liés à la diminution du nombre de postes ouverts à l'Agrégation externe de Mathématiques [5] pourraient être utilisés pour créer cette Agrégation de STIC.

     Pour résumer, nos propositions sont les suivantes :

  • création d'une option STIC dans les lycées dès la rentrée 2002 ;

  • développement de l'option Informatique/STIC, dans les classes préparatoires scientifiques ;

  • création d'une Agrégation de STIC au concours 2002, pour fournir un corps professoral spécialisé assurant ces enseignements.

     Une partie des professeurs agrégés ainsi recrutés pourra être affectée sur les nombreux postes de Prag avec un profil STIC nécessaires aux besoins des premiers cycles universitaires.

     Ces propositions permettront d'introduire progressivement un enseignement de STIC, avec des professeurs spécialistes de cette discipline, dans les différentes classes du lycée (puis à plus long terme du collège). Le dispositif proposé devra être complété de la création d'un CAPES dès que les enseignements seront suffisamment généralisés.

     Un tel programme est ambitieux mais réaliste et s'inscrit de manière particulièrement cohérente dans la politique de développement des STIC proposée par le Comité interministériel du 10 juillet 2000.

     Un petit groupe de travail, constitué à cet effet, pourrait avoir la charge de mettre en oeuvre ce programme, en s'appuyant si nécessaire sur les réflexions menées par la communauté universitaire, en particulier au sein de SPECIF. Les membres de SPECIF, à titre personnel ou en tant que représentants de notre association, sont bien entendu prêts à participer à ce groupe ou même y jouer un rôle d'animateur.

Antoine Petit
Vice-Président de SPECIF

ENS de Cachan
61 av. du Président Wilson
94235 Cachan cedex

mél : Antoine.Petit@lsv.ens-cachan.fr
tél : 01 47 40 27 24 ou 06 80 10 12 18

Ce texte est disponible sur : http://dept-info.labri.u-bordeaux/specif/

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 99 de septembre 2000.
Vous pouvez télécharger cet article au format .pdf (117 Ko).

NOTES

[1]http://www1.acm.org/education

[2]. Avec plus de 2 200 enseignants chercheurs titulaires (maîtres de conférences et professeurs des universités), la section « Informatique » du Conseil National des Universités est la plus nombreuse, toutes disciplines confondues.

[3]. Le premier « Pré-rapport d'étude sur l'opportunité de créer un CAPES et une Agrégation d'Informatique », réalisé par la Mission Scientifique et Technique du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche de l'époque, date de janvier 1995.

[4]. Rappelons qu'en 1999, 37 options avec postes fléchés ont été proposées au sein de 28 Agrégations externes. Sur ces 37 options, 24 offraient moins de 50 postes, 10 moins de 30 postes et 6 moins de 10 postes.

[5]. 300 postes en 2000 contre 369 en 1999.

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