DE LA CRAIE AU SILICIUM :
UN ORDINATEUR POUR FAIRE LA CLASSE.  
[1]

Jean-Louis MALANDAIN

 

Résumé : des raisons profondes devraient inciter les enseignants, surtout les littéraires, à maîtriser les technologies de l'information. Mais avant d'en arriver là, il faudrait vaincre les réticences envers des outils encore peu commodes. D'où l'intérêt de passer en revue les bonnes raisons qu'on a d'adapter l'ordinateur, parmi bien d'autres usages, aux besoins des pédagogues et aux exigences du cours. Parce que c'est un bon auxiliaire didactique, mais aussi parce que l'école et la salle de classe sont les seuls lieux où l'informatique comme vecteur culturel a des chances d'échapper au mercantilisme électronique.

Réticences

Beaucoup d'enseignants ont vaguement dans l'idée que l'informatique, le multimédia, Internet et le reste sont des concurrents et que leur métier est menacé. D'autres pensent que ces outils, pour sophistiqués qu'ils soient, n'en restent pas moins inopérants face aux tâches éducatives. S'ils sont ainsi ballottés entre la méfiance et l'indifférence, c'est que les uns et les autres n'ont jamais eu l'occasion de vérifier que les infotechnologies pourraient tout simplement les aider à faire un cours et à animer une classe. De leur côté, beaucoup d'élèves, qui n'ont jamais vu leurs enseignants utiliser un ordinateur, s'imaginent que cette machine ne sert qu'en dehors de la classe, "quand le prof n'est pas là." On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, que les relations entre l'école et l'ordinateur restent problématiques.

Voilà une situation qui concerne tous les enseignants mais c'est d'abord aux "littéraires" que cet article est destiné car après bientôt 20 années passées à fréquenter l'informatique, il est patent qu'elle entretient des rapports privilégiés avec le langage. Chaque nouveauté - du livre électronique à la dictée vocale - vient confirmer ses capacités à gérer l'écrit et la parole. Pourtant, la plupart des "littéraires" sont réticents ou hostiles. Ce n'est pas toujours par ignorance mais plutôt du fait de complications de tous ordres (techniques, administratives, financières...) qui cantonnent l'usage de l'ordinateur à la sphère restreinte des spécialistes et des passionnés.

D'ailleurs, les professeurs de lettres ou de langues ne sont pas les seuls à renâcler car, assez souvent, dans le système scolaire, les infotechnologies posent encore trop de problèmes pour être "réclamées" par les enseignants. Le gros de la troupe n'a pas le temps de s'attarder ; il vaque à ses occupations et à ses préoccupations prioritaires - déjà bien encombrantes - en évitant soigneusement cette panoplie affublée de noms ronflants, source d'ennuis supplémentaires (pour être poli). Il faut dire aussi que des défauts subsistent au niveau des machines, des logiciels ou de la maintenance. Ce n'est pas toujours l'utilisateur qui a tort même s'il est de bon ton de lui faire endosser la responsabilité des plantages. Sans compter les sombres histoires de virus propres à décourager les plus vaillants, ou les procédures agressives des fournisseurs comme l'envoi de "cookies" ou autres fichiers qui s'installent sur le disque dur.

Il arrive aussi que certaines fonctions soient encore très primitives par rapport à ce qu'on fait à la main ou avec des outils traditionnels. Ainsi la gestion des textes et leur affichage à l'écran quand on passe d'un logiciel à un autre. Rien de plus agaçant que ces passages à la ligne intempestifs sans qu'on puisse espérer une simple mise en page adaptée à la largeur de la fenêtre. Ne parlons pas d'une justification, espoir totalement utopique, ni des minuscules accentuées qui deviennent des signes cabalistiques ! Comment, dans ces conditions, faire comprendre aux enseignants en général, et à ceux de lettres et langues en particulier, que l'ordinateur pourrait alléger leur tâche ?

Et il ne s'agit pas seulement de confort puisqu'on dit partout, et à juste titre, que les technologies de l'information sont des ressources extraordinaires, que ceux qui ne les maîtrisent pas seront des handicapés dans la société du XXIe siècle, que nous sommes menacés, après les atteintes dramatiques de l'illettrisme, de connaître les affres de l'illectronisme (incapacité à utiliser ou à produire des informations circulant sur les écrans). Survient alors une seconde interrogation, à l'évidence plus importante que la précédente : comment convaincre les adolescents de l'importance de l'informatique et de ses enjeux sociaux et économiques si les enseignants ne leur montrent pas au quotidien les ressources et les capacités de l'ordinateur ?

Banaliser

Pour envisager un début de réponse, il faut suivre l'enseignant, voir où il se dirige d'un pas pressé et repérer le lieu de ses préoccupations. C'est évidemment la salle de classe. Elle est justement à l'honneur dans la réforme des collèges : la classe, un lieu commun, un lieu de vie, une histoire commune. On parle d'attribuer un local à chaque sixième ; il est question d'une heure de vie de classe tous les 15 jours et de la rédaction d'un journal pour chaque élève. Cette restauration de l'espace et sa personnalisation pourrait aller de pair avec l'installation d'un outil pour communiquer, gérer et afficher les activités et la mémoire de cette nouvelle vie. Un outil pour conserver la trace des différentes activités, pour diffuser des textes, des documents sonores, des vidéos, pour communiquer par l'intermédaire du réseau.

Le temps n'est pas si loin où les apports des auxiliaires audiovisuels passaient par différents appareils : le magnétophone, le téléviseur, le magnétoscope. Cette aide diversifiée peut désormais être dispensée par le même outil et se trouve encore démultipliée par l'accès au réseau. Un seul ordinateur multimédia et connecté, des enceintes et, bien sûr, un écran assez grand pour que tout le monde le voie, même du fond de la classe [2]. À ce titre et comme "simple" auxiliaire multimédia, l'ordinateur est un outil remarquable pour aider l'enseignant dans ses tâches... sans lui dicter sa conduire.

C'est important de le préciser car on entend parfois dire qu'il faudrait tout changer pour profiter pleinement des apports de l'informatique. Changer sa façon d'être et sa façon d'enseigner ? Changer le dispositif scolaire ? C'est un autre problème. Il n'est question ici que de passer de la craie au silicium, dans la salle de classe où l'enseignant reste "concepteur de sa pratique pédagogique", "au cœur de son métier" [3] qui est la relation pédagogique. On avait déjà dit que l'audiovisuel devait révolutionner l'école, transformer radicalement la pédagogie, faire éclater la classe. Ces annonces tonitruantes n'ont eu pour effet que d'effaroucher les enseignants qui se voyaient aux prises avec des pratiques professionnelles inédites...

D'aucuns penseront peut-être qu'il n'y a pas lieu de généraliser l'emploi de tels outils et que l'équipement des salles de classe aboutirait à une sorte d'obligation. On pourrait répondre que le tableau noir est toujours disponible mais n'est pas forcément utilisé. Il ne s'agit d'ailleurs pas de remplacer l'un par l'autre mais d'ajouter à la panoplie des auxiliaires un outil quasiment universel qui aiderait à la fois le professeur et ses élèves.

Des outils langagiers

Que faire avec un dispositif certes coûteux mais tellement souple qu'il peut quasiment tout faire ? En lettres et en langues, il semble bien que le plus urgent - l'école a déjà pris bien du retard dans ce domaine - serait de montrer et d'illustrer ce dont bien peu d'enseignants et d'élèves ont une idée précise, à savoir les immenses ressources des infotechnologies comme auxiliaires langagiers :

  • les capacités du texte quand il est numérique, géré par un ordinateur et affiché sur un écran. La mise en page est alors remplacée par une mise en scène où la fluidité, le dynamisme et l'interactivité sont de nouveaux attributs à la disposition du concepteur. Pour avoir une idée de la mutation quand on passe du papier à l'écran, on pourra consulter le cédérom "Machines à écrire", paru chez Gallimard en 1999, en hommage à Raymond Queneau et à Georges Perec ;
  • les fonctions spécifiques concernant certaines opérations réunies sous l'appellation d'industries de la langue, ce qui trahit un développement où le commercial a plus à voir que l'éducatif mais qu'il serait d'autant plus navrant de cacher aux élèves qu'ils les trouveront partout en dehors de l'école. La correction orthographique, l'aide stylistique, la vocalisation des texte (synthèse de la parole et lecture à haute voix), la saisie vocale (reconnaissance de la parole pour la correction phonétique et la dictée sans clavier), l'aide à la traduction ou la traduction semi-automatique, la génération automatique de textes publicitaires ou littéraires, autant de "nouveautés" qui méritent d'être présentées, commentées et parfois essayées ; elles donnent une autre vision de tâches qui, parfois, découragent par leur complexité - d'où un succès commercial qui n'est pas sans interroger les maîtres de la parole et de l'écrit ;
  • les ressources de la recherche documentaire et son développement fulgurant avec la navigation sur Internet. Là, se posent tous les problèmes d'une orientation judicieuse dans l'abondance des sources et d'une sélection raisonnée par l'emploi des mots clés et des opérateurs booléens et / ou / sauf. C'est presque une obligation déontologique de démontrer qu'on peut conduire une recherche, du repérage d'un mot dans un texte à la recherche d'un thème à partir d'un résumé, plutôt que de laisser des élèves cliquer dans tous les coins de l'écran, comme une mouche à la croisée. Et comment priver les élèves de ce qui pourrait servir à corriger les copies par la comparaison des textes : telle "réponse" est en relation plus ou moins forte (donc quantifiable) avec tel "modèle" parce qu'on aura trouvé les mêmes mots, ou des synonymes ou des notions identiques en éliminant les incohérences.

Quand on n'a pas d'ordinateur chez soi, quand les salles informatiques ne sont pas en libre accès, quand le CDI est trop petit, comment se familiariser autrement qu'en classe avec les infotechnologies ? Et même si chaque élève avait son ordinateur en permanence, comment prendre du recul ou exercer l'esprit critique sans fixer le regard de tous sur le même objet en le soumettant à la réflexion commune et aux commentaires d'un enseignant s'adressant à tout le groupe ?

Les fonctions spécifiques liées aux activités langagières sont loin d'être les seules à intéresser directement les "littéraires". Les supports numériques sont aussi la source documentaire la plus riche qu'on puisse imaginer.

Ressources

Le minimum est évidemment d'avoir accès à tous les documents disponibles, qu'ils soient en ligne ou non. Par exemple, l'accès à un site Internet. En différé (sélection réalisée à l'avance) ou en direct puisque la connexion peut se fait à partir de la classe sous la responsabilité de l'enseignant qui sait mieux que quiconque ce dont il a besoin. La mise en réseau permet aussi une liaison avec un centre de documentation ; elle donne accès à des documents enregistrés préalablement ou disponibles sur des supports divers ; elle facilite l'échange d'informations et l'instauration de relations suivies avec d'autres groupes, d'autres classes situées très loin, voire au bout du monde mais aussi tout près, de l'autre côté de la cloison.

Qu'on imagine des jeux visuels et spectaculaires comme le solitaire ou les échecs pour faire jouer toute une classe, avec les commentaires et les discussions sur la stratégie à adopter. Tous les jeux, même les plus rudimentaires ou stupides reprennent un intérêt évident quand ils sont des occasions de critiquer ou de justifier, d'énoncer les règles, bref de parler en langue maternelle ou étrangère. Il en va de même pour des quantités de petits exercices qui seraient ennuyeux voire nuisibles en travail individuel mais qui sont des prétextes et des appuis pour l'animation du groupe.

Illustrer l'interactivité, pas seulement comme offre de choix multiples à tout instant dans un parcours arborescent (sur le modèle de la navigation) mais surtout comme réaction immédiate à une proposition : une rétroaction qui permet de guider et d'infléchir l'action de l'élève au moment où il fait un exercice et non pas plus tard (trop tard !) quand vient la correction. Cette fonction, qui s'exerce au cœur de la réflexion et de la démarche d'apprentissage, est décisive dans l'apport des infotechnologies à la pédagogie ; elle sera d'autant plus efficace que le professeur aura pu en montrer les effets et préparer en commun ce que les élèves vont retrouver individuellement sur leur écran.

En langue en particulier, il ne faut pas oublier que l'ordinateur multimédia est devenu l'équivalent du magnétophone et du magnétoscope (même si la vidéo numérique est encore peu répandue). Au moins pour ce qui est du son, les possibilités de montage sont réellement utilisables en classe et en direct sous les yeux des élèves. Dans un énoncé oral dont le diagramme apparaît à l'écran, il est aisé de sélectionner une séquence, à la syllabe près, pour la répéter et observer ses particularités phonétiques ou prosodiques, pour la supprimer ou la déplacer et commenter les effets du montage. Avoir à sa disposition une table de montage pour décrire et analyser la parole était impensable il y a seulement dix ans, quand se répandaient les cassettes et des repiquages approximatifs.

Mais l'ordinateur, pas plus que le tableau noir, n'est à la seule disposition de l'enseignant, même si c'est lui qui décide du moment opportun pour passer la main. On peut imaginer la rédaction en commun d'un texte discuté oralement, affiché à l'écran puis mis au point, avec un tour de rôle pour la saisie et l'organisation (les greffes !). Autre variante : la correction "publique" d'une narration anonyme, rendue sur disquette ou saisie telle par le professeur pour l'occasion.

Être appelé au tableau, prendre la parole devant la classe, faire un exposé sont des étapes indispensables de la formation. Désormais il faudrait y ajouter la capacité à utiliser un ordinateur pour afficher un plan, les éléments d'une argumentation, présenter des documents ou accéder aux médias. Il existe même l'équivalent du prompteur ou souffleur pour guider la prise de parole des hésitants. Pourquoi se priver d'aides banalisées, comme à la télévision ou au théâtre ?

Évidemment l'élève, comme l'enseignant, pourrait avoir préparé le contenu de son intervention sur une disquette, avant la séance, chez lui, au CDI ou dans un laboratoire équipé pour des usages spécialisés, avec des logiciels de présentation, d'infographie ou de montages audiovisuels.

L'avenir radieux

La miniaturisation croissante et la transmission par satellite font qu'on aura bientôt dans la poche un appareil qui servira de téléphone et d'ordinateur - ce qui est en passe de devenir banal - mais aussi de journal, de radio et de télévision. Musiques, paroles, textes, images et vidéos passent désormais par le même canal numérique. Peut-on alors imaginer que toutes ces ressources, d'un usage courant comme outil nomade individuel, ne puissent pas entrer dans la classe parce qu'aucun équipement n'aura été prévu pour amplifier la diffusion à tout un groupe ?

Tout ce que l'enseignant souhaiterait montrer ou faire entendre est "sous la main", au sens propre, sans avoir à passer par la reproduction et la duplication plus ou moins légales. Oubliées les crispations autour de la photocopieuse ! On a bien dit "amplifier" et non "démultiplier" car on propose parfois d'équiper la salle de classe d'un ordinateur par élève (ou que chacun utilise son portable). Voilà bien une idée commerciale. Que tout le monde ait son ordinateur est une bonne chose mais dans la classe, pendant un cours, c'est comme si on assistait à un concert en écoutant au casque ou comme voir un film avec chacun son écran. C'est refuser de prendre en compte l'apport didactique d'une activité commune guidée par l'enseignant, avec les interactions et les échanges suscités par la convergence sur le même objet. Bien sûr, des ordinateurs, on peut en mettre partout ailleurs : dans les cartables, dans les couloirs, dans d'autres salles. Mais, par pitié, qu'on en mette au moins un dans chaque classe, avec un écran assez grand !

En plus d'une aide immédiate au plan didactique, se trouveraient ainsi banalisés et proposés par l'enseignant les usages qu'on peut attendre des infotechnologies, même pour ceux des élèves qui ne peuvent pas profiter immédiatement de toutes ces merveilles vantées par la publicité. Est-ce rêver que d'imaginer un enseignant faisant une recherche multicritère sur grand écran (ou toute autre approche) en commentant son propos par une démonstration de l'apport réel des outils en question ?

Si la conduite de la classe intègre le recours à l'ordinateur comme support banalisé géré par l'enseignant, il sera facile de mettre en évidence la complémentarité de la démarche de groupe et de l'entraînement individuel. Dans l'immédiat, on constate le refus persistant de donner aux enseignants, pour faire la classe, la formation et les équipements permettant d'accéder aux ressources du multimédia et du réseau, en mettant parfois en doute leur capacité d'adaptation. Au lieu d'actions positives valorisant le grand art des enseignants qui consiste précisément à gérer un groupe-classe, cet état de fait génère chez eux une suspicion latente et la crainte de robots virtuels chargés de les remplacer.

De fait, à défaut de "domestiquer" l'informatique comme auxiliaire didactique au service de l'enseignant dans la classe, on verra proliférer des programmes de substitution dont l'objectif sera d'accompagner l'élève individuellement, hors de la classe, hors de l'école, à la façon d'un précepteur. Certes, ces didacticiels ou tuteurs intelligents sont présentés comme des compléments aux cours et à la démarche pédagogique. Il n'empêche que si la classe reste un lieu où le recours aux infotechnologies est proscrit, la dévalorisation des enseignants et de leurs cours risque de s'accentuer. Et on ne peut pas jurer que certains responsables n'ont pas en tête cette perspective, condamnant ainsi les enseignants à l'archaïsme pour mieux les neutraliser. Il y aurait, d'un côté, la classe avec un professeur armé d'une craie, discourant devant un tableau noir et, de l'autre, un programme interactif et dynamique adapté aux besoins de l'élève. N'est-il pas temps de montrer qu'un professeur en chair et en os peut faire mieux que le silicium s'il s'en sert pour faire la classe ?

Aller plus loin

Mais l'ambition ne doit pas s'arrêter aux besoins de la pédagogie. Un nouvel enjeu se profile à l'horizon avec les investissements considérables des multinationales pour faire basculer la diffusion télévisuelle vers le numérique. C'est le prochain volet attendu sur Internet et préparé par des alliances de géants comme AOL et Time Warner ou Vivendi et Vodafone. Quand s'ouvrira la fenêtre vidéo en continu, il ne sera sans doute pas superflu de montrer les fonctions spécifiques du texte face aux images : un support économique, permettant de transmettre une information univoque, rendant compte d'une réalité déjà organisée et conduisant à la conceptualisation, sans recours obligé à la représentation du réel ou à la présence du locuteur. Pour motiver les élèves et faire valoir l'écrit face aux séductions sonores ou visuelles, les enseignants n'auront pas trop des ressources informatiques. Et qui d'autres que les professeurs - et ceux de français en particulier - pourraient mieux installer au cœur des infotechnologies le sanctuaire de la langue et de sa fonction acousmatique : la parole seule comme à la radio, le texte seul comme dans le livre ? Voilà l'instrument le plus efficace qui soit pour diffuser la parole et le texte en une fraction de seconde à des millions de destinataires. Face aux jeux vidéo et aux univers virtuels, la littérature a encore des cartes à jouer en investissant les écrans avec des moyens incomparablement plus économes pour solliciter l'imaginaire. Est-ce qu'il ne vaut pas la peine de maîtriser pour cela les techniques les plus courantes même s'il faut passer par des commandes en anglais, seul langage disponible pour parler aux machines ?

Un autre argument de poids vient de la découverte des infotechnologies comme instrument et vecteur de nouvelles formes de création, sans les contraintes d'une mise en œuvre "industrielle" et d'une diffusion "commerciale". Car les infotechnologies restent, autant qu'on saura les maîtriser, le refuge des alternatives au gigantisme et au mercantilisme culturel ambiants. Et qui d'autre qu'un professeur (de français) dans sa classe pourrait mieux le démontrer et convaincre ses élèves de la puissance potentielle d'une page Web, fût-elle "perso" et limitée à des supports aussi modestes que la voix et l'écriture ? Une fois assuré que la déferlante vidéo-virtuelle n'a pas tout emporté, on pourra s'attarder sur les autres manifestations musicales ou graphiques qui composent le paysage culturel contemporain. Voilà un beau sujet de débat dans la classe, chacun montrant les avantages réciproques des composantes du multimédia. L'aboutissement en serait la phase de réalisation sous la conduite des enseignants car il est certain que l'intégration dans les acquisitions scolaires des moyens et des compétences pour créer et diffuser des œuvres est la meilleure réponse à la consommation passive de productions massivement commerciales.

Jean-Louis MALANDAIN

Paru dans la Revue de l'EPI n° 97 de Mars 2000.

NOTES

[1]. Le terme est emprunté au titre d'un article de Michel Alberganti "Les "profs en silicium" au banc d'essai" paru dans Le Monde du 29/09/99.

[2]. Voir un précédent article paru dans le n° 91 de la Revue de l'EPI (septembre 1998) sous le titre "La diffusion collective multimédia".

[3]. Expressions extraites du Rapport au ministre sur les conditions de travail et de vie des enseignants de lycée, présenté par Daniel Bancel en mai 1999.

___________________
(15 mars 2000)