EDITORIAL


Après la vache et le mouton... l'ordinateur ?

L'informatique française avait connu précédemment quelques déboires relatés par les médias comme le déraillement de Socrate  à la SNCF ou les fausses notes de Ravel  à l'Education nationale. Avec le feu d'artifice le plus bref et le plus coûteux de l'histoire de la pyrotechnie offert par la fusée Ariane 5 nous avons enfin rivalisé avec les Etats-Unis et IBM qui, pour leur part, se sont illustrés aux jeux d'Atlanta avec un remarquable faux départ du système annoncé à grands renforts de publicité et qui devait communiquer les résultats à la presse mondiale en moins de 3/10e de seconde. Pendant les deux premiers jours il n'a pas tenu la distance en fournissant tardivement et dans le désordre le plus complet des données erronées et inexploitables nécessitant l'intervention de 50 programmeurs appelés de toute urgence au chevet du "malade". Pour l'opinion publique, pas de doute possible, le coupable est identifié : c'est l'ordinateur. Combien de fois entendu ce jugement sommaire, en guise d'explications, a fini par être admis communément comme vérité première. Or pas plus que les malheureuses bêtes dopées et roulées dans la farine l'ordinateur n'est responsable de ces dysfonctionnements ou serait porteur, après la période des virus, de quelque prion générateur de folie. Nous ne pensons pas comme s'interroge malicieusement un journaliste  que le "logiciel" serait une substance plus dangereuse que l'hydrogène liquide ou le plutonium dès qu'on décide de lui confier les manettes.

A chaque fois ce sont les programmes et données dont on a gavé la machine et l'usage que l'on en a fait, par manque de maîtrise et de coordination, qui en sont les causes. Et pourtant concernant les J.O il s'agissait de programmeurs formés mais les opérateurs chargés de la saisie des résultats manquaient de qualification et d'expérience, ce qui explique en partie les défaillances du système !

Au-delà de la perte d'informations, du gaspillage de temps, d'énergie et de moyens, cela montre les dangers des théories véhiculées par les médias à des fins publicitaires, ou reprises à l'occasion par des responsables pour masquer la carence du système éducatif, à savoir que la grande convivialité des outils dispense de formation et de réflexion sur leur usage, qu'il suffit d'appuyer sur le bouton ou de "cliquer pour savoir". Depuis longtemps l'EPI milite pour une utilisation raisonnée de ces outils, l'acquisition de savoirs, savoir-faire et nouvelles habiletés qui ne vont pas de soi. Combien de fois faudra-t-il se répéter et insister sur l'urgente et indispensable formation des enseignants dans ce domaine afin que les élèves, futurs citoyens et utilisateurs de ces technologies, puissent "savoir pour cliquer".

Outre le retard accumulé par le système éducatif pour ce qui concerne la maîtrise de leur utilisation, malgré quelques progrès plus redevables aux nombreuses expériences de terrain qu'à une politique volontariste de l'Institution, l'évolution rapide de ces techniques au service de l'information et de la communication pose un problème de société fondamental : leur rapport à la démocratie et à la liberté de l'individu compte tenu des moyens qu'elles offrent et des effets qu'elles engendrent. A titre d'exemple et dans un passé récent les fausses informations diffusées, pendant la guerre du Golfe ou les événements en Roumanie, en montrent les limites et les dangers. Encore ne s'agissait-il que d'images réelles détournées au niveau du commentaire. Avec l'image virtuelle, plus de limites, c'est le domaine du vrai-faux qui s'ouvre à toutes les manipulations et tromperies. Les organisateurs des Jeux d'Atlanta ont usé de ce procédé en présentant des images informatiques comme étant la reconstitution exacte des futurs sites : musée, super-stade, logements de rêve... On sait ce qu'il en est advenu ! Par ailleurs, le système sophistiqué de surveillance annoncé comme à toute épreuve n'a pu empêcher un attentat que l'on pourrait qualifier d'artisanal s'il n'avait eu des suites tragiques. Il a été l'occasion d'une manipulation de l'information : avec les premières images du drame l'explosion était inaudible alors que celles diffusées plus tard, après remixage dans un studio spécialisé, étaient accompagnées d'un bruitage soigneusement choisi et dosé.

La formation des futurs citoyens aux nouvelles technologies, outre la maîtrise de leur usage, c'est aussi l'apprentissage de la "Démocratie électronique" . C'est apprendre très tôt aux jeunes à ne pas s'enfermer dans une logique de consommateurs passifs mais à jouer un rôle en connaissant les procédés, à savoir prendre le recul nécessaire face à une information surabondante, en donnant à tous les moyens de la sélectionner, de l'évaluer, de la maîtriser, de l'exploiter et de la gérer. Pratiquement rien n'est prévu dans les instructions et programmes de l'École pour une formation aux contenants et contenus de cette nouvelle société de l'information.

C'est un véritable défi qui est lancé à l'École, sera-t-il enfin relevé ?

Jean-Bernard VIAUD
Président de l'EPI
27 septembre 1996

 

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